Les deux erreurs majeures du gouvernement Jospin

Alors que Lionel Jospin publie ses mémoires, avec ce titre plus que révélateur (Lionel parle de Jospin (sic)) de la schizophrénie  et des affres très protestantes du personnage, que penser de la politique économique qui fut celle de son gouvernement ?

Une fois de plus il faut se placer dans le cycle économique. Jospin arrive au moment de la phase haute du cycle. Et il ne s'en rend pas compte. Pendant tout 97 nous nous égosillons sur le site du Monde.fr pour signaler que l'emploi est en pleine expansion et que partout dans le monde les courbes économiques se redressent.  L'ombre portée de la récession de 93, la première depuis la guerre,  est si forte que personne ne veut y croire. C'est l'époque où l'énarque Seguin parle du Godot de l'emploi qu'on attendrait en vain, alors qu'il se manifeste déjà avec une grande force démonstrative.  C'est l'époque où l'énarque Rocard préface le livre ridicule de Rifkin qui prétend que c'est la "fin de l'emploi". Eternel décalage entre la réalité et l'hystérésis des sentiments.

Cette myopie, encouragée par un enveloppement idéologique particulièrement brumeux dans le camp qui est le sien, est la cause de deux erreurs absolument délirantes qui disqualifient radicalement son expérience de chef de gouvernement.

* Il ne voit pas que la croissance a sa conséquence habituelle : compte tenu de la progressivité globale du système fiscal les recettes augmentent plus vite que le PIB !  L'incroyable coup de massue fiscal de l'énarque Juppé est considéré comme insuffisant alors qu'il était déjà surdimensionné. On aboutira à l'affaire dite "de la cagnotte"  qui parait secondaire alors qu'elle est fondamentale. Nous en sommes arrivés à de tels taux de prélèvements que la conjonction d'une haute conjoncture internationale et d'une aggravation des impôts a des conséquences immédiates et terribles : l'Etat dépense tout sans se rendre compte qu'il étouffe le pays. Lors de la récession suivante, non prévue elle non plus par Jospin et qui le frappe avant la fin de son quinquennat,  l'étranglement fiscal du pays sera total. Seul Fabius, pour des raisons électorales, verra le danger. Mais il était trop ,tard. Et le choix de réduire la TVA sera une grave erreur. C'est pendant le gouvernement Jospin que le taux de prélèvement atteindra son sommet historique.

* Ne voyant pas la reprise très forte de l'emploi partout dans le monde, il se trompe, ici encore lourdement, de politique du travail. Il multiplie les emplois administratifs précaires, contribuent à stériliser une part notable des réserves de productivité française et il bloque pour l'avenir la croissance avec les 35 heures. La manière presque fasciste avec laquelle l'affaire des 35 heures est menée est révélatrice de l'état de la gauche. Le socialisme est mort. Il n'y a plus de programme. On n'a plus d'idée, alors on choisit en urgence avant une élection un gadget qui peut plaire aux masses, un "cadeau au peuple", et lorsque la surprise d'une élection donne le pouvoir on passe outre à tous les avertissements pour mettre en œuvre la promesse honteuse de façon autoritaire. Les 35 heures sont un nœud coulant autour du cou de l'économie française. Qu'on  ne dise pas que les conséquences ont été une surprise. Nous n'avons cessé de batailler contre cette chimère d'un présupposé idéologique et d'une manœuvre électoraliste démagogique.   La mesure est mise en place d'une façon très progressive qui fait qu'elle ne fera sentir ses pleins effets qu'à partir de 2000, c'est à dire à l'arrivée de la phase de récession du cycle.  La France ne parviendra pas à sortir de la crise de 2001-2003 : "la haute conjoncture de 2005,6 et 7"verra des taux de croissance infimes.

Accessoirement, mais pour donner sa pleine mesure sociale, Jospin, très trotskiste dans ses appréciations, considère qu'il doit mettre la force de l'Etat au service des "faibles" contre les "vilains capitalistes". Le droit social devient une jungle. Tout est bloqué.  Adapter le tissu économique aux nouvelles réalités devient ou impossible ou tellement coûteux que personne ne veut plus se risquer à l'investissement.

Au total le gouvernement Jospin bénéficiant d'une conjoncture internationale jamais vue depuis 1974 écrase le pays d'impôts à contretemps, laisse filer la dépense publique d'une façon telle qu'il aggrave l'endettement de mille milliards de Francs, crée un chômage structurel phénoménal, bloque l'investissement productif et étouffe pour longtemps l'économie et les relations sociales.

Il s'agit bien d'un désastre. Mais qui n'est pas perçu à la hauteur de ce qu'il est parce que Lionel Jospin a exercé sa gestion au meilleur moment de la conjoncture. 

Alors c'est bien beau de toujours se présenter comme "un grand honnête homme" qui aurait fait une politique "digne".  Jospin est un ignorant un peu trop torturé par sa prédestination et ses nombreuses contradictions (révolutionnaire mais énarque, trotskiste mais secrétaire général du PS, modeste mais candidat à la présidence de la République, honnête mais menteur pour sa tranquillité, socialiste mais ne détestant pas les facilités de l'argent, aimant les intellectuelles mais à peu incapable de parler un français correct etc.), qui a mené une politique suicidaire pour la France.

Est-ce que cela aurait pu être pire ?

Oui, assurément.  Notamment si DSK avait pu se maintenir au pouvoir. Heureusement ses turpitudes dans les milieux de l'assurance des étudiants, tondus ras par des voyous sans aucun scrupule, l'ont écarté du pouvoir, permettant, trop tard mais tout de même, une certaine correction de trajectoire. Les juges comme dans l'affaire Dray ont considéré qu'on pouvait piller la jeunesse sans conséquences pénales. Mais au moins ont ils permis  un temps qu'un changement d'homme génère une réorientation utile de la politique.  De même on créditera Jospin d'une certain réserve dans l'expansion des dépenses des administrations centrales. Les débordements les pires concerneront les collectivités locales (qu'on ne cherche pas à brider), le monde associatif subventionné (les copains et les coquins) et la sécurité sociale, où aucune réforme n'est engagée malgré l'urgence.

Au total Jospin a fait perdre son temps à la France tout en l'enfonçant dans l'endettement et le chômage structurel, alors qu'il bénéficiait d'une période hyper favorable pour résoudre à l'intérieur certains des problèmes structuraux provoqués par "l'énarchie compassionnelle" et le socialisme mitterrandien et à l'extérieur pour faire prendre conscience des dangers du système monétaire et financier international basé sur les changes flottants. On ne peut pas en même temps faire rire de sa ringardise dans les congrès socialistes internationaux et avoir un poids économique quelconque dans les instances économiques mondiales. 

Il est un des symboles de l'effondrement intellectuel français, dont les élites sont désormais incapables de se porter à la hauteur des enjeux nationaux et internationaux. 

Monsieur Jospin vous vous considérez dans l'article donné ce dimanche au JDD, comme un protestant ayant su gardé toute sa dignité et son quant-à-soi. Votre troisième place à l'élection présidentielle de 2002 aurait du vous prévenir contre cette forme de narcissisme extrême. Votre échec tient entièrement au fait que les Français dans leurs tréfonds ont parfaitement compris que vous avez gâché les quelques chances de la France qu'il aurait fallu à tout pris sauvegarder.

Votre pas de danse avec Chirac marque la fin de l'imposture de l'énarchie compassionnelle, lancée par le couple Giscard - Chirac en 1974,  qui a vu des hauts fonctionnaires s'emparer du pouvoir en croyant qu'ils sauraient apaiser la société  par leur arbitrage alors qu'ils n'ont fait que la châtrer. Vous êtes le dernier maillon d'une chaîne délétère qui a vu la France sortir de l'histoire faute d'avoir tiré toutes les conséquences du renversement des équilibres mondiaux qui se sont produits en 1974.

Vos mémoires, comme celles de J. Chirac, sont le témoin du chemin de croix qu'a suivi la France sans nécessité aucune.

Vraiment pas de quoi pavoiser !

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile



Commentaire
SD's Gravatar Le passage de Jospin sur les medias (près de quarante interventions) a commencé. "Je suis honnête ; je suis compétent ; je n'ai pas fait d'erreurs ; j'ai perdu à cause des autres, ceux qui dans mon camp l'ont divisé". En un mot on ne le méritait pas !

Pas un seul journaliste pour lui rappeler les erreurs ruineuses de sa gestion ! Les seules choses qui les intéressent : va-t-il en fin fendre l'armure, va-t-il se représenter ?

On s'en contrefiche de l'armure de Jospin, personnalité psycho-rigide incapable de se remettre en cause qui croit que son gouvernement était une dream team et que des nabots ont entravé son dialogue très protestant entre lui et sa prédestination.

Et non ! Lionel dit à Jospin qu'il a fait perdre 5 ans à la France et qu'il l'a endetté en pleine phase de haute conjoncture tout en la bloquant pour la suite ! Jospin ! dit à Lionel que le temps du narcissisme infantile est terminé.
# Posté par SD | 09/01/10 09:27
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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