Changer la "globalisation" ?

L'explosion en plein vol de l'économie baudruche qui a gonflé inlassablement à partir de l'abandon des disciplines de Bretton Woods en 1971 a eu comme première conséquence, que nous n'avons cessé de souligner dès 2008 et qui a été totalement sous-estimée par les commentateurs, l'arrêt des financements internationaux, chaque banque cherchant son salut dans son pré carré national et ses autorités de tutelles. L'arrêt de l'énorme spéculation sur les matières premières internationales, y compris le pétrole, associé au repli des banques, a désorganisé les flux commerciaux usuels.

Comme souvent, les mentalités ont été en retard sur les faits. On demande de partout une "pause dans la globalisation" alors qu'elle est largement arrêtée depuis plusieurs années !

Tout le monde n'a pas été aveugle :

"Le ralentissement prononcé de la globalisation est en partie conjoncturel, lié aux effets de la crise, ainsi qu’au ralentissement de l’économie chinoise". « Il est aussi le résultat de la multiplication des barrières aux échanges et du protectionnisme ainsi que des limites atteintes par la baisse des coûts du transport », ajoute Thomas Held, auteur d’un article annonçant en 2012 que « la déglobalisation a commencé ».

La campagne réussie de Donald Trump, venant après le Brexit, met à mal une autre vue conventionnelle : la "mondialisation néolibérale" aurait été une exigence des "Anglo-saxons". Pour une bonne partie des observateurs dans les médias ou les institutions officielles, "l'horreur de la globalisation" est née de l'élection de Thatcher et Reagan. Et on nous annonce une "horreur de la déglobalisation" associée à l'élection du "monstre" Trump…

Du coup, voilà qu'on demande de partout une "nouvelle globalisation". En France et à gauche, c'est Picketty qui s'y colle dans un article du Monde.

Pour lui il ne faut pas revenir au temps des replis, identitaires et économiques, mais lier les négociations multilatérales commerciales avec "des objectifs plus élevés". Le commerce : pouah ! Mais, puisqu'il en faut, assujettissons à son développement des objectifs dignes d'une humanité supérieure. Dans son esprit, la lutte contre le réchauffement climatique et les inégalités.

Il se trouve que nous-mêmes proposons depuis très longtemps de lier l'ouverture des échanges internationaux à une  autre réforme : celle du système monétaire international. La solution est logique : un achat est toujours constitué d'un mouvement de monnaie et d'un mouvement de marchandise. On ne peut pas s'intéresser à un seul pan de la transaction, en imaginant que la monnaie est un "voile", une huile de graissage, permettant de faciliter les échanges. Si les échanges sont très déséquilibrés cela veut dire que des stocks d'excédents monétaires se forment et on sait très bien, notamment depuis Rueff, qu'ils provoquent des doubles hélices de crédits et poussent l'économie mondiale dans le fameux mode baudruche que nous avons connu pendant quarante ans, avec explosion finale. On doit donc associer le développement des échanges internationaux avec des institutions et des règles qui permettent la stabilité relative des changes, l'absence de spéculation désordonnée sur les monnaies, et l'atténuation des déséquilibres des échanges. Oui, CETA et TAFTA auraient dû être associés à une refonte du système monétaire international.

Pour Picketty, obsédé par le contenu de l'assiette du voisin, ces questions ne se posent pas. Les inégalités sont le problème fondamental. Mais voilà, la globalisation a provoqué  une réduction des inégalités :

« La globalisation a fortement réduit la pauvreté dans le monde et accru le niveau de vie dans tous les pays ouverts aux échanges, en particulier en Suisse. C’est elle qui a permis d’atteindre les objectifs de développement des Nations unies », renchérit Martin Eichler, chef économiste de BAK Basel.

Il est très difficile, pour un socialiste, de constater que les Républiques Socialistes de l'Est et de l'Orient avaient réduit leurs peuples à la misère de masse. Lorsque ces régimes sont tombés, comme l'URSS, ou se sont profondément réorganisés, comme la Chine et l'Inde, un énorme écart est apparu entre les niveaux de vie occidentaux et ceux de ces pays. Une femme vivant à la campagne en Ukraine ne gagnait pas plus de 100 euros par mois ; une paysanne collectivisée chinoise pas plus de 50. La fin des guérillas communistes dans les pays pauvres d'Afrique et d'Amérique du sud, a également permis une reprise de la prospérité. On a donc assisté à un rattrapage économique dans toutes ces nations qui s'est traduit globalement par une réduction massive de la pauvreté et des inégalités. Il faut vivre dans une bulle obsessionnelle pour ne pas voir que la globalisation est, historiquement, une baisse massive des inégalités mondiales  et que ce rattrapage a eu pour conséquence des difficultés certaines pour les secteurs ouvriers occidentaux, mis en concurrence avec des pauvres bien décidés à rattraper leur niveau de revenu et de consommation. On peut analyser en partie le rejet de la mondialisation dans les pays développés comme une révolte des classes moyennes mises en concurrence avec les parties plus pauvres du monde. Si on n'avait pas connu 75 ans de socialisme, le besoin de rattrapage aurait été moindre et les tensions en Occident moins sensibles. C'est malheureusement le genre de constat , en dépit de l'énormité de son évidence, qui ne peut pas être simplement imaginé par un socialiste marxisant.

Non M. Picketty la question de la mondialisation n'est pas la création d'immenses inégalités, puisque ce sont les immenses inégalités imposées par le socialisme violent qui s'estompent avec la globalisation !

Quant au réchauffement climatique, il tient à tellement de comportements qui n'ont rien à voir avec les échanges commerciaux, qu'on ne voit pas ce qu'ils devraient faire dans une négociation commerciale. On retrouve là la tentation permanente des ONG de l'ONU de faire de la morale avec des instruments qui n'ont rien à voir. On l'avait déjà constaté avec la taxe Tobin, sujet technique, transformé, avec mauvaise foi, en instrument de financement de toute une série d'objectifs d'abord sociaux puis écologiques. Dans sa dernière formulation elle devrait permettre de financer la transition énergétique des pays du sud. Sortir le monde de la pauvreté d'un claquement de doigt n'est plus à la mode !

La COB 21 a démontré que des conférences internationales ad hoc avaient leur efficacité. Pourquoi détourner d'autres négociations pour traiter des mêmes questions ? Lorsqu’on parle d'échanges de produits, il est vrai que les normes de production interviennent, qu'elles soient de santé publique ou sociales (travail des enfants par exemple). Mais les négociations actuelles entre Occidentaux concernent essentiellement le secteur des services qui n'a aucune influence climatique avérée. Quant à la Chine, la question actuelle est de savoir s'il faut lui reconnaître le statut d'économie de marché, avec des conséquences de compétition aggravée et dans le système actuel, un risque aggravé de déséquilibres massifs. L'écologie n'a pas sa place dans cette discussion. En revanche les énormes excédents chinois, leur formation et leur emploi, ainsi que le choix de la monnaie internationale à utiliser en Europe pour échanger avec la Chine, sont des thèmes de discussions aussi majeurs que totalement mis à l'écart. Là est le scandale.

Il faut associer la relance de l'économie internationale à une refonte profonde du système monétaire international, avec condamnation effective des gros excédents et des gros déficits. Mais, décidément non. Il ne faut pas fourvoyer les discussions sur le commerce international et la globalisation des échanges dans des discussions qui ressortissent d'un autre registre.

Si on avait, dès le changement de stratégie économique de la Chine, imposé un contrôle de l'équilibre des échanges commerciaux et évité les énormes déficits américains et leurs excédents symétriques en Chine, la Chine aurait cru un peu moins vite et en contrôlant mieux sa pollution et les classes moyennes américaines auraient moins souffert, avec un dérapage moindre des inégalités de rémunérations. Les classes moyennes européennes aussi. Ce qui vaut pour la Chine vaut aussi pour tous les pays à rattrapage.

Réformer le système monétaire va donc dans le sens d'une moindre pollution et de moindres inégalités dans les pays développés. C'est à cette bataille-là que Picketty devrait se joindre, car là est le chemin.

 

Didier Dufau pour le Cercle des Economistes e-toile

Commentaire
Micromegas's Gravatar Il me parait évident que si on imposait une limite aux gros excédents et aux gros déficits extérieurs, beaucoup de soucis disparaîtraient. La difficulté provient de trois faits (au moins):

- les Américains ne veulent pas se soucier de leurs déficits payés dans leur monnaie
- Les Chinois veulent conserver la valeur de leur stock de dollars.
- L'Europe et globalement excédentaire, à cause notamment de l'Allemagne.

Comment sortir de ces trois pièges ?
# Posté par Micromegas | 17/11/16 19:51
DvD's Gravatar Le livre de Piketty était en effet décevant à cet égard. Si un gros travail de collecte de données fiscales a été fait pour de nombreux pays, ainsi qu'un réel effort de mise en perspective historique, son explication de pourquoi et comment r > g était assez faible. Pas un mot sur comment l'arbitrage salarial permis par la globalisation entre pays de niveaux de vie très différents dans des conditions de taux de change n'équilibrant pas les balances commerciales et encore moins les balances en emplois aboutit à une ouverture massive de l'échelle des salaires dans les pays développés entre les emplois peu qualifiés mis en concurrence frontale avec les pays "low cost" et les emplois indexés sur la part croissante des profits dans la valeur ajoutée (dirigeants d'entreprises, actionnaires). Dans ces conditions déséquilibrées, la globalisation a en effet aboutit à une forte diminution des inégalités entre pays en même temps que les inégalités augmentaient fortement à l'intérieur des pays.

Bien plus qu'une taxe globale sur le capital, je crois que votre idée de ré-équilibrer les échanges internationaux via un système de taux de change égalisant les balances commerciales croisées est effectivement susceptible de maintenir en bonne partie les bienfaits de la mondialisation (la baisse des inégalités entre pays) tout en corrigeant en bonne partie ses méfaits (hausse des inégalités à l'intérieur des pays, ralentissement de la demande mondiale liée à la baisse de la part des salaires dans la production globale, hausse de l'endettement pour tout de même permettre à la demande mondiale d'absorber la production mondiale malgré la baisse de la part des salaires). Par ailleurs, ce ré-équilibrage se traduira par un volume d'échanges moindre, la part des volumes liée à de purs arbitrages de coût du travail se trouvant diminuée. Cela se traduira donc par des tonnages transportés moindre et donc par une empreinte écologique moindre.
# Posté par DvD | 18/11/16 08:18
Micromegas's Gravatar Tout cela est fort logique. Mais pas un mot dans la presse.
# Posté par Micromegas | 18/11/16 17:57
Julien L.'s Gravatar Cette condamnation des gros excédents et des gros déficits vaut aussi bien pour le monde que pour l'Europe.

Si le retour aux statuts du FMI était imposé, le premier pays qui devrait réagir ne serait pas la Chine mais l'Allemagne qui entraîne toute la zone Euro dans les excédents globaux. Il lui faudrait relancer massivement son économie interne , soit par hausse des salaires soit par de lourds investissement dans l'ex RDA. Cette hausse entraînerait aussitôt l'ensemble de la zone euro vers plus de croissance. Pour éviter que cette croissance gonfle les excédents Chinois, il faudra nécessairement passer soit par une négociation avec la Chine pour modérer ses exportations et la conduire vers plus de développement en interne, soit imposer des taxes à l'import temporaire dans l'attente du retour à un meilleur équilibre des échanges. Quant aux Etats-Unis, ils doivent en effet se lancer dans une politique d'investissements publics forts, avec un certaine baisse du dollar qui et surévalué. L'Europe devrait imposer sa monnaie dans ses propres échanges et interdire l'usage du dollar avec les pays en excédent vis à vis d'elle.

Une fois un certain rééquilibrage effectué, il sera temps de créer un nouveau système monétaire international basé sur des changes fixes et ajustables et la parité des droits et des devoirs. La réforme du FMI sera alors envisageable, avec une seconde réflexion sur le système de taxation automatique des grands excédents et des grands déficits dans une chambre de compensation globale proposé par Keynes, mécanisme qu'il y aurait intérêt à mettre en œuvre aussi au sein d'une zone euro réformée.

Mais ne me demandez pas comment on y parvient !
# Posté par Julien L. | 21/11/16 10:47
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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