Le "macronisme" vu d'un pays voisin

La réserve montrée vis-à-vis du phénomène Macron nous a valu un certain nombre de critiques. Nous avons demandé Sylvain Dieudonné que nos lecteurs historiques connaissent bien, d’utiliser sa neutralité belge pour proposer un point de vue dégagé des passions proprement françaises.

 

La France ne manque pas de bons analystes politiques et nul doute que le phénomène Macron, qui a balayé le champ politique français avec une belle intensité, offrira à leur talent un champ de travail pour de longues années. Pour les Européens membres de l’Union, les questions de politique intérieure des autres pays membres ne sont pas déterminantes. Le niveau économique extrêmement bas de la France pose en revanche un problème collectif. Il n’y a aucun doute que de nouvelles difficultés françaises feront disparaître l’Euro et provoqueront une sorte de tsunami également mais moins agréable.

De ce point de vue l’approche « macronienne », fourmillante et ambiguë, discursive et posturale, séductrice jusqu’à l’enflure marketing, tout en prétendant aller au fond des choses, pose une difficulté. Les difficultés sont des rocs. François Hollande a vu ses discours initiaux se déchiqueter sur des maux plus forts que les mots.

Il est intéressant d’isoler ces écueils qui sont autant de défis incertains compte tenu du flou dans la bonne volonté générale qui s’est exprimée.

Premier défi : Macron est vu comme le produit d’une caste, la bourgeoisie d’État, qui s’est associée à la haute bourgeoisie de la finance et des affaires, qui détient le pouvoir médiatique en partage avec l’État. Il doit nécessairement s’en distancier pour ne pas paraître rapidement comme un factotum. La prise de distance sera-t-elle d’apparence ou non ? Telle est la question. On peut attendre Macron à quelques virages :

-          Va-t-il décloisonner la haute fonction publique et la séparer étroitement du politique ? Les grands corps sont trop nombreux, surannés, trop figés sur les classements de fin d’études et dotés de privilèges extravagants, dont le vulgaire n’a même pas idée. Va-t-il réformer ?

-          Va-t-il réduire le champ de l’action publique et son intensité qui sont excessifs en France et réduire réellement les effectifs des fonctions publiques ? Une baisse de 2 % en 5 ans est évidemment d’une très grande modestie. Mais peut-on faire même aussi peu sans allonger le temps de travail des fonctionnaires ?

-          Va-t-il réduire les incroyables subventions publiques accordées à la presse et aux journalistes ou continuer à arroser le secteur en favorisant la poignée de dirigeants qui tient le secteur privé tout en réduisant les ambitions déraisonnables et les partis pris d’un secteur public bouffi et constamment en expansion ?

Sur tous ces sujets le nouveau Président a commenté, tournicoté, envisagé des pistes, slalomant entre les piquets en accumulant les oxymores, liés par des « en même temps » qui font sa réputation dialectique. Va-t-on, comme pour le droit du travail vers des demi-mesures où on ne prend aucune option de clarté idéologique mais seulement des arbitrages « pragmatiques » qui ne changent pas grand-chose ?

On dira : ces questions sont certes des écueils mais on peut les traiter comme des bancs de sable, où on s’enlise durablement.

Second défi : le courage fiscal. La folie des hauts fonctionnaires, et en particulier dans la variante socialiste, est d’avoir poussé les prélèvements à des niveaux intenables et de l’avoir uniquement concentrée sur la fraction aisée de la population. Macron a aggravé les choses en proposant des mesures démagogiques d’achat de vote, alourdissant violemment la CSG, sans effet sur la compétitivité des entreprises. L’exonération de la taxe d'habitation, autre mesure sans aucun intérêt économique et destructeur d’unité nationale, n’a qu’un objectif électoral mais va déstabiliser beaucoup de choses. Avoir renoncé à supprimer l’ISF est une autre marque de lâcheté électoraliste.

Macron peut encore violer ses promesses. Ce serait bien. Il ne le fera probablement pas. Les conséquences seront nécessairement funestes.

Compte tenu de la dégradation des comptes publics en dépit de la petite reprise actuelle, qui fait rentrer de la TVA et de la CSG, les marges sont inexistantes. La crainte est que l’on continue la méthode « hollandaise » : étrangler là où on peut et où on a un prétexte de le faire, sans faire aucune réforme de fond.

Les Enarques français sont les rois de la défausse. Ils savent renvoyer sur les autres les difficultés du pays, qu’ils les aient créées ou non.

Troisième défi : l’influence internationale. On voit généralement le nouveau chef de l'Etat bien armé dans cet aspect du combat pour la prospérité. Mais comme le Cercle ne cesse de le dire, nous vivons dans un double désastre :

-          Le système de changes flottants et de déséquilibres systématiques imposés par les États-Unis depuis 1971

-          L’organisation de la zone Euro que nous jugeons depuis l’origine comme dysfonctionnelle.

Sur ces deux plans Emmanuel Macron n’a rien analysé, rien proposé. C’est le silence total. Et que se passera-t-il en cas de crise ?

On demande aux Français de la confiance. Mais comme pour François Hollande, on ne voit rien de déterminant dans le programme du nouveau Président et la seule carte que l’on joue est l’espérance d’une reprise mondiale durable. Pour beaucoup, le programme Macron, c’est Hollande moins les Frondeurs, un social-libéralisme sans véritables marqueurs de changement où l’on noie le poisson avec beaucoup d’eau tiède... Surtout pas d’aspérités !

Emmanuel Macron a obtenu un chèque en blanc, avec une cohorte de « marcheurs » qui sur tous les sujets précis n’ont aucune réponse claire et partagée. « On verra. Faites confiance. La bonne volonté par-delà les clivages entre gauche et droite, est bien là ».

Que peut dire l’observateur étranger à un pays ami qui en appelle ainsi à la foi dans un messie ?

Rien d’autre que « wait and see ».

 

Sylvain Dieudonné pour le Cercle des économistes e-toile.

Commentaire
Micromegas's Gravatar Salut Sylvain. Heureux d'avoir de tes nouvelles. Et très bon texte. Je crains que nous tenions en Macron un excellent slalomeur fort doué pour l'évitement.
# Posté par Micromegas | 16/06/17 12:49
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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