Après l’Argentino, l’Ellenikos ?
Les spécialistes se souviennent de la crise monétaire argentine. Le pays avait choisi de mettre fin à un laxisme monétaire endémique en mettant en place un régime monétaire très particulier : « le currency board ». Le Peso était aligné sur le dollar avec une parité de 1 pour 1. Pour maintenir cette parité aucun peso ne pouvait être créé sans contrepartie en dollar. C’est l’excédent de la balance des paiements en dollars qui justifiait la création de monnaie banque centrale en peso. Toute demande de conversion d’un peso en dollar était donc d’une certaine façon garantie. La masse monétaire en Peso était équivalente aux réserves en Dollar.
Le système était possible parce que le Campo argentin était structurellement exportateur. L’agriculture argentine alimente le monde.
Ce système a eu un résultat initialement miraculeux : l’inflation a aussitôt cessé. Jusque-là le pays vivait au rythme des poussées d’inflation à deux chiffres et des blocages de prix, avec des conséquences parfois farfelues : le prix des voitures importées était bloqué mais pas celui des volants. Le volant finit par coûter le prix de la voiture dont le prix officiel ne comportait pas de volant qui était en option mais obligatoire à l’achat du « package » !
Ce système de caisse monétaire très particulier revenait à une semi dollarisation de la monnaie nationale mais sans la honte d’utiliser en interne la monnaie d’un autre pays. Il était plus fragile que la dollarisation puisqu’il restait une monnaie nationale et une banque centrale. On sait depuis Copernic, repris par Gresham, que la mauvaise monnaie chasse la bonne et que tout reposait sur la solidité d’un lien administratif entre Peso et Dollar qui pouvait être dénoué par la politique.
Le « currency board » n’avait été utilisé que dans le cadre colonial ou par de petits pays vivant en symbiose avec un gros voisin.
Dans un système mondial de changes fixes mais ajustables, et pourvu qu’on soit structurellement exportateur, le système est viable.
Dans un système de changes flottants, l’initiative devenait autrement plus aventurée. Si les pays destinataires du Campo dévaluent, la compétitivité de ce dernier est entamée. La masse monétaire se trouve réduite et peut même se contracter violemment, entraînant une déflation problématique.
Lorsque le dollar s’est envolé après le tremblement de terre de Kobé, doublant à peu près contre toute monnaie, le Peso argentin a ipso facto été réévalué d’autant, ce qui a bloqué les exportations de l’Argentine, donc la création monétaire.
Quand le principal partenaire de l’Argentine, le Brésil, a dévalué massivement le Real, la situation monétaire argentine est devenue catastrophique. Il aurait fallu dévaluer le peso mais il était lié au dollar qui flambait.
Les Argentins ont commencé à craindre pour le Peso et ont demandé la conversion en vrai Dollar. La création de monnaie de banque avait été faite en pesos. La contrepartie en dollar de la masse monétaire globale y compris les dépôts créés sur le sol argentin par les banques n’existait pas. Les réserves de la banque centrale furent bientôt menacées puis le blocage est survenu.
Le gouvernement a cru un temps qu’il pourrait résister. Puis les mesures d’exception commencèrent avec l’apparition du fameux « corralito ». Les comptes en dollars furent partiellement gelés. Les comptes en peso devaient seuls fonctionner. On espérait que la course au dollar s’arrêterait et que le pays fonctionnerait sur les pesos que les banques pouvaient éventuellement créer en développant le crédit. Mais la fuite devant le peso avait asséché la trésorerie des banques et le marché interbancaire s’était bloqué. On demanda au FMI de la liquidité. Mais la quantité de dollars à fournir était hors de proportion pour faire face à la fuite devant le Peso. Les gouvernements régionaux commencèrent à faire circuler des reconnaissances de dettes pour ne pas contracter leurs dépenses, avec des noms plus ou moins explicites. L’Argentino, fut une de ces reconnaissances de dettes circulantes. Pas la plus importante mais la plus symbolique.
Au bout d’un moment tout le dispositif craqua à cause des remboursements des prêts internationaux privés ou publics. Les créanciers voulaient de bons dollars pas de l’argentino. La conversion forcée des comptes en dollar en peso puis le défaut vis-à-vis de l’étranger, puis le retour au peso seul, très fortement dévalué, s’ensuivirent. Le Campo recommença à exporter mais les dollars ne rentrèrent plus au pays. L’Argentine n’eut plus accès aux marchés de capitaux internationaux. Les investisseurs étrangers, grugés et spoliés, quittèrent le pays (notre EDF national y laissant de gigantesques plumes).
Les derniers épisodes sont connus :
- Mme Kirchner pillant la banque centrale
- Les hedge funds qui avaient racheté de la dette bradée exigeant le remboursement auprès de la justice américaine et gagnant.
- La déréliction générale de l’Argentine.
Un pays qui ne sait pas gérer sa monnaie est livré nécessairement ou à ses créanciers et/ou au chaos.
La Grèce se trouve dans une situation similaire, parce qu’elle n’a plus sa souveraineté monétaire et que l’émetteur de monnaie banque centrale et le superviseur des émetteurs monnaie de crédit est étranger.
La trésorerie des banques grecques est à sec parce que les Grecs ont déplacé leur argent à l’étranger soit en Euro soit en devises étrangères (beaucoup en Franc suisse). La valeur des dépôts est passée de 220 milliards à 140 milliards ces dernières années. Ces sorties n’ont été possibles que parce que la BCE a accepté de fournir jusqu’à 140 milliards d’euros aux banques grecques. La loi de l’euro veut qu’on ne puisse pas refuser la sortie des capitaux en euro ! Il faut bien que quelqu’un intervienne.
L’affaire de Chypre, où la BCE a imposé le vol d’une fraction importante des dépôts, inquiète naturellement les Grecs qui ne conservent en banque que le strict minimum.
Le gouvernement grec n’a plus la ressource de créer de la monnaie pour lui-même. Les banques ne peuvent plus lui prêter, faute de trésorerie. Il est donc à la gamelle et attend constamment des subventions européennes qui ne lui sont données qu’au prix d’un « assainissement de la dépense publique » qui tourne évidemment à l’assassinat économique. La dette dépasse le PIB et s’aggrave !
La tentation devient très forte de recourir aux mêmes facilités que les gouvernements régionaux argentins : faire circuler des certificats de dettes et leur donner le pouvoir de payer les impôts.
Au passage notons que la monnaie est toujours de la dette !
Ces certificats s’appellent des IOU (I owe you) en jargon anglo-saxon, de simples reconnaissances de dettes.
Sur le modèle de l’Argentino parlons plutôt d’Ellenikos.
La question juridique du droit d’émettre de l’Ellenikos et de lui donner un pouvoir de règlement n’est pas si nette que cela. Imaginons que le gouvernement décide finalement d’émettre « provisoirement » des reconnaissances de dettes en Ellenikos à hauteur de ses besoins internes tout en conservant l’Euro. Est-ce que cela pourrait marcher ?
Les fonctionnaires n’auraient pas le choix : ils seraient payés en Ellenikoi et les commerçants seraient sans doute forcés par la loi de les accepter. La mauvaise monnaie chassant la bonne, les étrangers venant en Grèce seraient sans doute obligés de payer leur hôtel en Euros. Pour éviter que les recettes ne repartent aussitôt à l’étranger, il sera nécessaire de mettre en place un contrôle des mouvements de capitaux, lui totalement exclu par les traités.
De même que faire des 100 à 200 milliards d’Euros déposés à l’étranger ? Difficile de ne pas imposer leur retour ou un contingentement façon « corralito » : montant en euro que l’on accepte de voir détenue par les Grecs en Grèce ou à l’étranger. Là encore, les traités seraient violés.
Il est à noter que les Ellenikoi seraient libellés… en Euros. Ne pas confondre avec un retour à la Drachme.
La Grèce comme l’Argentine n’a de ressources extérieures que via le tourisme et l’agriculture. C’est la seule source d’euros.
Les exportateurs recevront donc de l’Euro mais ne pourront pas l’utiliser en interne. Il faudra les convertir en Ellenykoi sur un par de un pour un.
En revanche pour convertir les Ellenikoi, il faudra passer l’office des changes de la banque centrale de Grèce qui ne donnera de l’euro que pour des motifs limités (licence d’importation).
Peu importe si le marché noir qui permettra de convertir de l’ellenikos en euro marque une décote par rapport à la parité.
L’émission d’Ellenikoi mettra fin à la déflation sans recourir à des prêts en euros. Les recettes extérieures en euros permettront de rembourser progressivement des dettes d’Etat en Euros.
A terme le gouvernement pourra racheter contre euro les ellenikoi ; sur la base de la parité ou avec une décote.
En dix quinze ans l’affaire pourrait être réglée.
Cela éviterait tous les ennuis actuels, récession terrifiante, injures réciproques, tentatives de vendre les biens agricoles en Russie en profitant de la surprime de violation des règles d’embargo, etc.
Les banques grecques verraient leur bilan en Ellenikoi enfler sans avoir recours aux prêts de la BCE. L’Etat grec ne serait plus asphyxié mais devrait rester extrêmement prudent. Evidemment les prêts en ellenikoi risquent d’être problématiques. Mais actuellement les banques grecques ne jouent pratiquement plus qu’un rôle de banque de paiement. Plus personne ne veut de leur papier sinon la BCE.
La banque nationale grecque n’émettrait pas d’ellenikoi sinon par conversion de tout euro en ellenikos. Seuls les déficits du gouvernement grec et les exportations créeraient de la monnaie. Une différence avec le cas argentin ; Il y aurait naturellement une certaine inflation en ellenikos des prix à la consommation. Cela vaut mieux que la déflation.
D’accord, toutes les règles de l’Euro auraient été violées. Mais que fait-on depuis sept ans, sinon violer toutes les règles absurdes mises en place après Maastricht ? L’expérience argentine ne laisse pas d’inquiéter. La double monnaie n’a pas résisté longtemps. Mais en fait c’était un système à monnaies multiples : dollar, peso et monnaies substitutives. Ici il n’y aurait pas de Drachme.
Dernière remarque : le dollar n’avait pas avant 1971 de valeur intrinsèque : il donnait accès à l’or sur la base de 35 dollars l’once. Comme les Ellenikoi donneraient accès à leur valeur faciale en Euros. De même, qu’un temps, les billets de banque donnaient accès à leur contrepartie en pièce d’or.
L’avantage du système est qu’il donnerait un certain espoir. Après tout il existerait une perspective de s’en sortir sans tout casser.
Mené avec intelligence et doigté un tel système pourrait conduire à un retour à l’Euro finalement assez vite. La situation actuelle en revanche est sans issue.
Une autre solution serait que la BCE crée elle-même la monnaie nécessaire à l’état Grec et provoque dans ce pays une inflation en Euro. Certains commencent à envisager la solution. De toute façon il faudrait mettre en place un contrôle des changes.
Créer un Ellenikos serait une meilleure solution car elle éviterait le risque de contagion ou seulement dans des pays si petits (le Portugal) que cela n’aurait guère d’importance.
La France ne pourrait pas mettre en place ce système-là. Mieux vaut qu’elle se réforme et restaure sa compétitivité.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
- L'entrée de la Grèce dans l'Euro en 2001 faisait suite à 20 ans de fonds structurels payés par le budget européen à la Grèce depuis son adhésion à l'Union Européenne en 1981 pour moderniser son économie et dont on peut légitimement se demander où ils sont passés. Même remarque pour le Portugal, l'Irlande, etc. Le premier dysfonctionnement est donc que les transferts budgétaires semblent être en grande partie gaspillés sans que cela conduise à la moindre remise en cause de ces mécanismes aussi coûteux qu'inefficaces.
- La Grèce est entrée dans l'Euro en 2001 sur la base de comptes publics maquillés à l'aide de transactions structurées par des banques d'affaires, c'est à dire sur la base d'un respect tout à fait contingent et éphémère des critères de Maastricht. Le deuxième dysfonctionnement est donc que des décisions lourdes comme celle pour un pays d'abandonner sa monnaie et de faire monnaie commune avec d'autres pays sont prises sur des bases fragiles en se satisfaisant dans ce cas de quelques trimestres de déficit public bidouillé pour être dans les clous. Sitôt dans l'Euro, la Grèce a repris ses habitudes de mauvaise gestion et l'Allemagne a accentué ses efforts solitaires de surplus commerciaux qui ont joué leur rôle dans les déséquilibres internes de la zone Euro sans que plus rien ne se passe pendant 10 ans. Un beau matin, la Grèce s'est réveillée en faillite.
- Le cumul de mauvaises décisions à la désagréable habitude d'avoir un coût exponentiel. Et donc en 2012, il a fallu restructurer la dette publique grecque : il y a eu un "haircut", les créanciers privés ont perdu une partie de leur investissement et ont été remplacés en très grande partie par le secteur public européen soit via des prêts bilatéraux des autres gouvernements, soit par des prêts du Mécanisme Européen de Stabilité Financière lui même financé par les gouvernements, c'est à dire les contribuables. Le taux d'intérêt consenti à la Grèce a été fortement réduit, les prêteurs officiels ne répercutant que leur propre coût de financement, très inférieur à celui de la Grèce. La quote part du contribuable français dans cette affaire est d'environ 42 milliards d'euros si ma mémoire est bonne et doit naturellement s'ajouter à la quote part du contribuable français dans le financement des transfert de fonds structurels à la Grèce ces dernières décennies. Le troisième dysfonctionnement ici est que le contrôle démocratique de ces transferts et mutualisation budgétaires est inexistant. Le peuple français sait-il qu'il est engagé pour 42 milliards en Grèce et qu'il risque de ne jamais en revoir la couleur ? Est-il d'accord ? Le peuple grec était-il d'accord pour s'engager dans cet accord de prêt avec l'Europe ? On ne le saura jamais car les velléités de référendum de Papandréou ont vite été calmées par Sarkozy et Merkel. Les bureaucrates européens savent mieux que le peuple ce qui est bon pour lui. Et donc bien sûr, moins de trois plus tard, nous y revoilà toujours avec le même problème toujours non résolu.
- La terrible dépression économique en Grèce a porté Syriza au pouvoir sans coup férir. Le contraire eu été étonnant. Si les ajustements économiques ne peuvent se faire que par la dépression au sein d'une zone euro dépourvue de pilotage, il faut s'y attendre. Et cela sape bien sûr l'adhésion des peuples au projet européen pour la transformer en antagonisme. Le contraire du but initialement recherché.
- Il faut cependant reconnaître à Syriza une responsabilité dans le regain de tension actuel : en utilisant une réthorique très axée sur la renégociation des dettes (dette publique et dette des ménages en situation difficile) durant la campagne, Syriza a déclenché des comportements contre-productifs : les arriérés de paiement sur les emprunts bancaires ont opportunément augmenté pendant la campagne électorale, fragilisant le système bancaire et entraînant donc une vague de retrait de dépôts, accentuant encore la fragilisation des banques. Même chose pour les arrières d'impôts qui ont augmenté pendant la campagne électorale. Cette situation s'est retournée contre Syriza dès le lendemain de l'élection, les fuites de capitaux des banques grecques les mettant dans une position de négociation délicate vis à vis des partenaires / créanciers européens, le temps jouant contre eux.
- Certes, la Grèce a 340 milliards d'euros de dette publique pour un PIB de 180 milliards d'euros. C'est énorme. Mais le taux d'intérêt est très faible, 1.8% en moyenne si ma mémoire est bonne. Le service de la dette est donc supportable. Ce qui ne va pas c'est que de grosses échéances de remboursement tombent en 2015 qu'il faudrait mieux repartir dans le temps. Bien sûr les choses ont été arrangées comme ça exprès en fonction du calendrier électoral grec pour contraindre les marges de manœuvre du nouveau gouvernement issu des élections. Mais Syriza aurait sans doute pu obtenir quelque chose en ce sens s'ils n'avaient pas fait tant de surenchère durant la campagne électorale. On voit bien maintenant qu'ils sont totalement écartelés entre leurs promesses de campagne et leurs créanciers européens. Si Syriza venait à échouer et la dépression économique grecque à se prolonger, il ne faudrait pas trop s'étonner que la situation politique se radicalise encore davantage, peut être avec le parti grec d'extrême droite Golden Dawn.
- La position intransigeante de l'Allemagne ("la Grèce doit payer") n'est pas sans rappeler celle de la France après la guerre de 1914-1918 ("l'Allemagne doit payer") et on voit mal comment elle pourrait être utile au contribuable allemand car, en asphyxiant la Grèce, elle augmente le risque de défaut et de radicalisation politique ; on voit aussi mal comment elle pourrait être utile à la construction européenne car aucune leçon n'est tirée des dysfonctionnements successifs et des déficiences congénitales de l'Euro qui ont conduit à cette situation. La France, pourtant deuxième créancier derrière l'Allemagne, est quasi inexistante dans cette affaire. Le déficit de vision et de leadership est ici encore absolument criant. La France sent-elle plus ou moins consciemment qu'elle est sur la même pente que la Grèce et qu'elle peut se retrouver dans cette même situation dans une dizaine d'années en continuant sur cette lancée ? On voit bien que le gouvernement français ne fait que maintenir des apparences complètement contradictoires : se mettre à la remorque de l'Allemagne en tant que créancier tout en multipliant les marques de sympathie vis à vis de la Grèce qui en est arrivée là en suivant précisément la politique que suit le gouvernement français.
- Compte tenu de cette impasse dangereuse dans laquelle se trouve la situation, vous avez peut être raison qu'une monnaie parallèle mériterait d'être tentée.
- Je trouve aussi que dans la guerre verbale qui s'est rapidement déclenchée entre la Grèce et l'Allemagne, on n'a pas assez (pas du tout) parlé des mérites éventuels d'une idée évoquée par Varoufakis, le ministre grec des finances, à savoir des prêts indexés sur la croissance du PIB grec. Plus la croissance est forte, plus la Grèce rembourse, et inversement si la croissance est faible. Cela permettrait peut être de sortir de l'impasse en alignant mieux les intérêts des créanciers européens et ceux des agents économiques grecs qui doivent maintenant produire la valeur ajoutée nécessaire au service de la dette sans se désespérer davantage. Apparement, ce type d'instrument a également été utilisé dans une restructuration de dette en Argentine. Qu'en pensez vous ?
Un pays ne peut sortir d'une situation d'endettement que par la croissance globale de l'économie. Croire qu'on peut le faire par la récession est une sottise. Donc oui, il y a nécessité de lier croissance et désendettement. Dans le cas de la Grèce, on trouve deux aspects très différents :
- La liberté des mouvements de capitaux étant statutaire dans la zone euro, la masse des dépôts dans les banques grecques a fondu de plus de 205 milliards à 140. Ces dépôts étaient la justification d’une valeur de crédit de près de 6 fois cette somme. La fuite des déposants a donc creusé un trou de près de 350 milliards de dollars, provoquant un « crédit crunch » gigantesque par rapport aux dimensions du pays, avec perte de la valeur des banques, pertes prises de plein fouet par le Crédit Agricole, par exemple. La faillite totale du système bancaire grecque a été empêchée par les prêts de la BCE. Cet aspect là est entièrement indifférent à l’usage de bons indexés sur la croissance. Le vrai problème est de faire revenir les capitaux qui ont fui le pays. Le droit européen interdit toute mesure un peu violente en ce sens. Tant que ces capitaux ne reviendront pas, la Grèce aura du mal. Le gouvernement Tsipras a d’ailleurs été aussitôt semoncé par la BCE qui a menacé de ne plus soutenir les banques grecques ce qui aurait provoqué aussitôt la faillite chaude de l’ensemble du système bancaire grec. Depuis, il galèje mais ne bouge plus.
- La seconde question est celle des dettes du gouvernement grec, liées à la gabegie habituelle du pays et à la récession très forte du PIB avec une perte de ressources fiscales de près de 25% partiellement compensée par les hausses d’impôts. Impossible de prêter au gouvernement sans réduire la gabegie. Des prêts à échéance inconnue et aléatoire risquent d’empêcher cette nécessaire mutation.
- La perte de recette fiscale liée à la récession et la réduction de la dette en Euro impose que l’économie reparte. Sachant que la recette extérieure de la Grèce est intégralement liée au tourisme et à la vente de produits agricoles, la seule solution est de stimuler ces exportations. On ne peut guère le faire que par une baisse des coûts relatifs, donc la déflation des salaires, si on conserve l’Euro. L’ennui est que cette méthode fonctionne mais elle est longue et douloureuse. Là encore les bons indexés sur la croissance n’ont pas d’intérêt.
Des prêts dont le remboursement et l’intérêt seraient renvoyés à « meilleure fortune nationale » risquent surtout de permettre un retour de la gabegie gouvernementale. C’est d’ailleurs pourquoi Varoufakis les a proposés.
Si on veut sortir du système actuel, il n’y a pas d’autres solutions que de sortir temporairement des règles de Maastricht, même si on ne sort pas de l’Euro. C’est toute la question de la création d ‘un poste de chancelier de la zone euro et de la création d ‘instruments nouveaux permettant de juguler ce genre de situation sans renoncer à l’Euro (contrôle temporaire des changes, affermage des recettes d’exportation, monnaie interne temporaire substitutive etc.).
A ce stade, il me semble plus réaliste de partir du constat que, en l'état actuel, la dette publique grecque n'est probablement pas intégralement remboursable. D'une part, parce que Syriza à un mandat clair de ne plus couper ni les salaires ni les retraites (et il est peu probable qu'un autre parti obtienne un mandat différent) et, d'autre part, parce que les retraits du secteur bancaire étant actés, la contraction de crédit s'accentue de nouveau et renvoie l'économie grecque en récession. Cette spirale est d'ores et déjà enclenchée. La question est donc : dans l'éventail des possibilités qui va de la mise en œuvre stricte du programme d'ajustement sous l'égide de la Troïka d'un côté jusqu'au défaut grec à l'autre extrémité, y a-t-il des scénarios de restructuration de la dette grecque qui minimisent la perte finale ? Une restructuration de la dette qui (i) allègerait la charge immédiate alors que l'économie grecque est à nouveau en récession, (ii) serait susceptible de rassurer les déposants qu'un défaut et / où une sortie de l'Euro est évité et qu'ils peuvent donc replacer leurs liquidités dans les banques grecques et (iii) qui préserverait un retour à meilleure fortune pour les autres contribuables européens créanciers ne serait peut être pas, de ce point de vue là, la plus mauvaise des solutions. Bien sûr, votre préconisation d'introduire en Grèce une monnaie parallèle à l'Euro à usage interne, assortie d'un contrôle des mouvements de capitaux pour éviter d'autres sorties va exactement dans le même sens. De toute façons, il faudra toujours de nombreuses années de bonne saison touristique et des milliards d'hectolitres d'huile d'olive exportée pour résorber la dette.
"Impossible de prêter au gouvernement grec sans réduire la gabegie". C'est vrai, sauf que l'on prête déjà. Il ne s'agit pas bien sûr de prêter davantage mais d'essayer de minimiser la perte finale sur les crédits déjà engagés. Surtout que, depuis 2011, c'est le contribuable européen qui est engagé, sans qu'on lui ait rien demandé (comme d'habitude) et alors qu'il a quelques autres menus soucis par ailleurs. A ce moment là, il aurait mieux fallu laisser la Grèce faire défaut en 2011 en laissant les créanciers de l'époque supporter pleinement les conséquences de leur prise de risque. La Grèce (~ 2% du PIB de l'Eurozone) n'était pas et n'est toujours pas systémique. La socialisation des pertes par les contribuables qui, combinée à l'appropriation privée des gains, constitue un véritable transfert des pauvres vers les riches pour des milliers de milliards d'euros ne peut pas continuer beaucoup plus longtemps sans provoquer de sérieuses tensions.
Faire baisser les coûts relatifs, donc les salaires. Certes, sauf que la Grèce à les avantages comparatifs - tourisme, agriculture - d'un pays en développement et des coûts, y compris salariaux, libellés en Euro. L'Euro baisse contre le $, la £, le Franc Suisse, le Yuan et même le ¥ depuis peu, mais pas contre la Lire Turque qui est le véritable concurrent international de la Grèce pour le tourisme et la culture des olives.
Mais, peut être que le temps des solutions constructives aux problèmes posés par des décisions antérieures fondamentalement erronées est déjà passé. Il semblerait qu'un défaut soit maintenant imminent. Les communicants sont peut être déjà en train de rédiger les traditionnelles annonces que "tout ceci ne coûtera pas un centime au contribuable français". Pas un centime, certes, juste quelques dizaines de milliards d'euros... Pour l'amitié entre les peuples - le but premier de l'union européenne - on ne peut pas mieux faire ...