Pire que le CETA, le TFTEA

Les Etats-Unis veulent se substituer aux institutions multilatérales

On a vu que la traité commercial avec la Canada a poursuivi son chemin européen dans le dos des gouvernements et des peuples, pour être avalisé par le Parlement Européen. Rappelons que lors des élections européennes aucun des candidats n’a exposé de programme. On a voté pour des étiquettes. Etiquettes sans véritable sens, puisque le Parlement Européen cherche une certaine unanimité gauche-droite. Aucun des candidats élus ne s’est présenté en chantant « vive le CETA ». Ou quoi que ce soit d’autre. A droite, ils ont dit : « Je suis de droite et très européen, c’est pour cela qu’on m’a choisi comme candidat ». A gauche ils ont dit : « Je suis de gauche et très européen ». Idem pour les différentes nuances de centristes, toute fédéralistes. Jamais la moindre question sur le programme.

Rappelons que M. Hollande s’est opposé au CETA ainsi que toute la gauche auto-présentée comme « vraiment de gauche » ainsi que la droite de Fillon à Mme Le Pen. Le seul candidat aux prochaines élections présidentielles françaises  qui a souscrit au CETA sans même savoir ce que contenait le traité est M. Macron, qui a annoncé un soutien inconditionnel à l’Europe et à l’Euro avec des cris éraillés que d’aucun, naguère, aurait comparé à ceux du plus scabreux des cabris.

Il est intéressant de constater l’inexistence pendant ce processus de tout article ou émission dans les médias français, qui, de fait, ne couvrent pas le travail des institutions européennes.  Au moment où le CETA était discuté, une émission publique comme C’est dans l’air a traité 18 fois sur 20, sur le mode chasse à l’homme, le dossier de Mme Pénélope Fillon et jamais du CETA, comme si cela n’avait aucune importance.  Il faut dire qu’aucun des grands rapports économiques qui sont tombés récemment n’ont fait l’objet de la moindre analyse un peu poussée.

Il semble que pour les journalistes français, à quelques exceptions près, la question la plus importante soit aujourd’hui d’apprécier les effets électoraux de l’alliance phénoménale celée par un inconnu nommé Jadot et un ancien ministre, de toute petit envergure,  démissionnaire d’un gouvernement Hollande, ou de peser les risques et avantages électoraux, pour M. Macron, du ralliement d’un vieux ouistiti de la politique politicienne dont l’actif électoral est d’avoir pulvérisé façon puzzle les formations politiques qu’il était parvenu à diriger. Jouer au petit cheval électoral est sans conteste plus amusant que s’attaquer aux questions nationales et internationales les plus graves. 

C’est sans doute pour cela que personne en France ne connait la Section  701 du Trade Facilitation and Trade Enforcement Act de 2015. Le TFTEA est sans toute la législation américaine la plus significative de l’effondrement du monde rooseveltien mis en place à la fin de la guerre de quarante. Il annonce Trump avant Trump. Si vous en parlez, sans préciser les dates, vous constaterez que interlocuteurs ont tous la même réaction : « Ce Trump quel sale type, il est en train de tout casser ».  L’ennui est qu’il s’agit d’une loi Obama. La seule nouveauté est l’annonce par Trump qu’il va s’appuyer sur ses dispositions pour attaquer les pays avec qui les Etats-Unis ont un  déficit afin de pouvoir les soumettre à des sanctions diverses.

Il est à noter qu’aucun organe de presse français, ni aucun média radio diffusé ou télévisés n’ont jamais parlé de ce texte, en dépit de son caractère totalement abusif, nationaliste et hystérique. Seul Le Temps aura eu la bonne idée de soulever ce lièvre, parce que la Suisse se retrouve aujourd’hui dans le collimateur. 

Que dit donc ce TFTEA ?

La loi prévoit des outils  de reporting et de monitoring qui permettent de mesurer et de sanctionner les pays qui pratiquent une politique de change que les Etats-Unis considèrent  comme nuisibles aux intérêts américains. En fait, compte tenu du caractère structurellement déficitaire des comptes extérieurs américains, la seule question qui est examinée est la sous-évaluation alléguée de certaines monnaies. Le but est de forcer le « partenaire » en excédent à prendre lui-même des mesures visant à brider son excédent vis-à-vis des Etats-Unis. 

Les pays qui ne se soumettent pas peuvent faire l’objet plusieurs types de  sanctions :

-       Arrêt des financements américains

-       Arrêt des achats dans le pays

-       Action auprès du FMI

-       Blocage des négociations commerciales tant que la question monétaire n’est pas réglée 

Un conseil de neuf membres est chargé de faire des observations en fonction des statistiques et des faits relevés.

Ce texte a été voté définitivement le 24 février 2016 et donc a force de loi depuis un an exactement.

 

Ce texte en apparence peu problématique pose deux questions fondamentales :

-       Il appartient normalement au FMI de surveiller les relations monétaires internationales. Pourquoi faut-il qu’un pays particulier double son action ?

-       Les statuts du FMI condamnent et les gros déficits et les gros excédents. Pourquoi a-t-on toléré qu’ils enflent pendant quarante cinq ans et pourquoi les Etats-Unis ne parlent-ils que des pays en excédent ?

Même si le texte fait sa génuflexion devant les règles du  FMI, il montre que les Etats-Unis  sont prêts à imposer leur propre interprétation et veulent pouvoir agir de leur propre chef en dehors de tout contexte multinational. C’est une violation totale de l’esprit du monde voulu par Roosevelt à la fin de la seconde guerre mondiale. Le multilatéralisme est remplacé par l’analyse et l’action unilatérales des Etats-Unis.

Les Etats-Unis ne retiennent des statuts du FMI qu’une seule face : les gros excédents vis-à-vis d’eux. Mais ils laissent de côtés les gros déficits. Or les gros excédents et les gros déficits vont ensemble et ils sont le fruit à la fois de décisions dans le pays excédentaire et dans les pays déficitaires. Une politique équilibrée est d’agir sur les deux côtés à la fois. La loi viole les statuts du FMI tout en faisant semblant de les appliquer. Plus hypocrite, on ne peut pas !

C’était au FMI d’agir. Il en a les moyens. Mais depuis l’abandon des accords de Bretton Woods, après la voie de fait commise par les américains qui ont refusé d’honorer leur engagement de conversion en or des créances internationales en dollar, ce qui s’appelle un défaut, les changes flottants sont censés fixer le cours des devises. En vérité le marché des devises est totalement entre les mains d’un très petit nombre d’opérateurs comme quelques scandales récents l’ont montré, et la flottaison créée une instabilité artificielle.

Si les résultats ne sont pas conformes aux intérêts américains, c’est, pour les Etats- Unis, qu’un pays voyou trouble le libre jeu du marché. Tout cela est une fable puisque le dollar est la monnaie du monde et finance les transactions internationales. Il faut donc un déficit américain pour fournir la liquidité internationale. Ce défaut est structurel et non lié à l’action de vilains à sanctionner.

Les Américains se croient suffisamment forts pour avoir le beurre et l’argent du beurre : la monnaie internationale qui leur permet de financer leur déficit dans leur monnaie ; l’obligation pour les autres de corriger inlassablement la contrepartie de ce laxisme abusif. De même qu’ils se savaient assez forts pour imposer au monde le non remboursement en or de leurs dettes. Au passage, si un pays quittant l’euro proposait de rembourser sa dette internationale dans sa monnaie nationale, ce serait faire exactement comme les Américains en 1971. 

Conformément à la loi les autorités américaines viennent de produire leur première revue du comportement de leurs « partenaires ». On peut le lire à l’adresse ci-dessous.

 https://www.treasury.gov/resource-center/international/exchange-rate-policies/Documents/2016-10-14%20%28Fall%202016%20FX%20Report%29%20FINAL.PDF

Plusieurs pays ont été ciblés dont la Suisse et l’Allemagne. On sait que Schaüble, le ministre des finances allemand,  a déjà répondu au rapport en expliquant que le change de l’Euro lui échappait complètement. La BCE est indépendante, n’est-ce pas ?  La Suisse, elle,  déjà lourdement sanctionnée à plusieurs titres par le gouvernement américain, s’inquiète sérieusement.

Très clairement une guerre est en cours qui vise à imposer aux partenaires créditeurs des Etats-Unis d’accroître de facto leurs importations américaines.

Plus grave, les Américains se flattent d’avoir imposé leurs vues aussi bien au FMI, que dans les différents G, G7, G8, G20, ainsi que lors de la discussion de plusieurs traités comme le Traité Transatlantique.

Nous considérons cette soumission à la puissance américaine comme choquante et  inacceptable.

 

La bonne réaction devrait être la suivante :

 

-       Nulle monnaie nationale ne peut être la monnaie de facto du monde, car sinon les déficits deviennent automatiques

-       Les changes flottants ne fonctionnent pas et ont permis d’énormes excédents et d’énormes déficits conjoints, en violation des statuts du FMI. L’idée que les marchés donnent une image pure et vraie des changes est totalement fausse et le sera toujours quand une banque centrale peut émettre un montant de monnaie supérieur au PIB d’un pays et que l’Etat collecte plus ou moins la moitié du PIB.

-       L’effort doit venir également des pays en déficits et de ceux en excédents

-       Il faut recréer un système monétaire basé sur les changes fixes et un mécanisme automatique de sanction des grands excédents et des grands déficits. Par exemple 15% de l’excédent serait prélevé par le FMI et 10% des déficits. Les sommes collectées serviraient à alimenter un fonds de stabilisation permettant de vaincre toute spéculation.  

-       Ce même mécanisme doit être instauré au sein de la zone Euro : avec une pénalisation un peu plus forte compte tenu de la difficulté des ajustements (on ne peut plus dévaluer).  Des pénalités de 30% pour les gros excédents et 15% pour les pays avec de gros déficits seraient raisonnables.

En attendant, il faut cesser de passer tout accord commercial tant que l’objectif monétaire n’est pas atteint. C’est pour cela que l’affaire du CETA est grave. La France et l’Europe n’ont rien fait rien dit et cette soumission a empêché que la question monétaire soit posée.

Les Etats Unis ne peuvent pas dire que l’Europe n’a pas le droit de lier monnaie et commerce : leur propre texte institue cette règle !

Il y a bien là une voie de sortie de la crise.

Personne dans les médias français n’en parlera. Je ne suis même pas sûr que, dans les allées des pouvoirs européens, il existe une seule personne sensibilisée à cette problématique. Ignorance et soumission sont les tétons de la France et les mamelles de l’Europe.

 

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile.

Commentaire
Micromegas's Gravatar Le TFTEA est une législation complexe et même incompréhensible pour un non initié. Est-ce que vous pourriez préciser de façon synthétique ce que vous reprochez à ce texte qui est tout de même prioritairement destiné aux importateurs américains ?
# Posté par Micromegas | 27/02/17 17:07
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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