Stagnation économique mondiale : l’impatience monte au Figaro !

Il est rare que la presse quotidienne nationale donne le ton de l’opinion publique. Les médias dits « sociaux » sur Internet sont, et de loin, la vraie caisse de résonnance des émotions qui traversent les couches de la population. Les journaux de la  PQN confortent  en général les tendances de leur lectorat en considérant que leur fonction politique (et leur avenir commercial)  tient à ces caresses incestueuses.

L’article de Jean-Pierre Robin  dans la livraison du 12 août 2016, est tout à fait remarquable. Il est un de nos derniers journalistes économiques de qualité, depuis que les Patrons de presse ont commis l’erreur énorme de confier les rubriques économiques à  quelques universitaires officiels aussi outrecuidants qu’insignifiants,.

Le Figaro n’est pas connu pour la contestation économique de la mondialisation et entend  défendre « le système » contre des attaques considérée assez généralement comme de gauche. N’attendons pas de ce grand journal traditionnaliste de se lancer dans des philippiques contre le « néo libéralisme forcené et destructeur » ni d’ouvrir ses colonnes à la condamnation des « Oligarques » qui forment le fond de panier idéologique du « rectosomnambulisme marxo-gauchistes à tendance verbeuse, incantatoire et amante de piloris» qui fait la joie des soixante-huitards septuagénaires français, pourvu qu’ils aient été sensiblement enrichis par l’argent public  depuis cinquante ans.

Alors, lire que  « l’économie mondiale est plombée par l’impuissance de ses dirigeants politiques » est un mouvement de plume d’autant plus fort qu’il est plus rare.  Voilà une forme de « contestation des élites » pour le moins inattendue.  D’autant que l’article insiste : partout, dans ce qu’il est convenu d’appeler le monde occidental, les dirigeants sont désavoués. Ailleurs ce n’ezt guère mieux.L’Afrique sombre comme l’Amérique du sud dans la mal-gouvernance (c’est-à-dire la corruption généralisée).    Sur les 20 personnages qui vont se réunir au G.20 de Hangzou, en Chine, « ceux qui peuvent se targuer du leadership à l’intérieur même de leurs frontières nationales se comptent sur les doigts d’une main ».

« La crise », un concept qui serait bon de clarifier, a fini par corroder le bon vouloir des peuples les plus démocratiques et la patience des journalistes les mieux disposés.

Jean-Pierre Robin insiste là où cela fait mal. Le diagnostic est clair et il met d’entrée de jeu le curseur sur le défaut majeur du système : une situation absurde  « avec d’un côté des pays qui accumulent des excédents extérieurs  vertigineux atteignant 3 à 8.5% de leur PIB et de l’autre des économies en déficit de 2.6% à 5.2% ».

Et oui ! Là se trouve, en contradiction avec toutes les chartes, statuts et accords internationaux, la cause principale des difficultés où nous nous trouvons. Nous en avons fait la preuve détaillée dans notre livre « L’étrange désastre » que l’on voudra bien nous pardonner de citer.  Malheureusement l’article omet de dire quand et pourquoi ce système insane et contraire aux traités  a été accepté et, selon quelles modalités ses défauts  sont  reliés à nos malheurs.

L’article aurait mieux fait de s’arrêter là et de creuser. Il aurait alors pu conclure que l’abandon des disciplines de Bretton Woods sous la pression américaine était la source principale des difficultés et qu’il faut revenir sur le non système monstrueux qui a été mis en place au seul profit des Etats-Unis, profit d’ailleurs douteux, et de plus en plus jugé comme tel par les économistes américains eux-mêmes. Là est la source directe des trois composantes universelles de la crise : l’endettement phénoménal, les crises périodiques de plus en plus sévères, et la baisse du trend jusqu’à la quasi-stagnation actuelle.

Au lieu de cela l’auteur préfère citer toute la litanie des déséquilibres dénoncés par le FMI qui sont, pour le coup, des conséquences et non pas des causes : écarts de revenu entre gagnants et perdants de la mondialisation, endettement des Etats, réaction crispée des populations devant des réformes de structures dont elles ne voient pas le but sinon de s’adapter à une système malade.

L’auteur revient à l’essentiel sur la fin : « Les déséquilibres actuels sont contre productifs » ; « Les disparités nationales sont pénibles pour les pays et collectivement nuisibles pour la croissance mondiale ». Mais bien sûr ! Il insiste sur l’incapacité des dirigeants « pâlichons » à sortir de la défaillance où ils sont chez eux et de l’incapacité de coopérer internationalement. Il explique que du coup, ils ont tout délégué aux banques centrales qui sont, en vérité, impuissantes.

L’article conclut sur « les inconséquences de nos soi-disant maîtres du monde ».

Tout cela est exact et significatif : l’impatience gagne devant la léthargie générale sur fond de crise illimitée qui entame la stabilité politique du monde  et le fait entrer dans une phase extrêmement dangereuse. Même les parties les plus conservatrices de l’opinion commencent à s’inquiéter. On ne peut pas continuer comme cela.

Nous, nous l’affirmons depuis  des années. Qu’on relise simplement sur ce site le message : http://cee.e-toile.fr/index.cfm/2008/7/6/Crise-conomique--les-quatre-erreurs--viter

Huit ans déjà !

Disons à J-P. Robin que la dénonciation des dirigeants ne suffit pas. Il faut comprendre pourquoi on en est là et pourquoi l’espère de pseudo « ordo-libéralisme » qui a été mis en place à Kingston en Jamaïque, en 1976, doit être abandonnée.  

Le nœud de la solution passe par l’obligation faite aux Etats (pas à la masse des producteurs, des financiers  et des consommateurs)  de tenir un taux de change fixe, mais ajustable et d’éviter et les grands déficits et les grands excédents.  Telle est la clé de voûte de toute solution. Le système monétaire international doit être stable et ne doit pas dépendre d’une monnaie nationale.

Commençons par là et le reste s’ordonnera.

Cher Jean-Pierre Robin, ouvrez donc les colonnes de votre journal à ces idées fondamentales. C’est là où est la vraie audace et où il faut vaincre de vraies difficultés, tant la soumission aux ordres américains est difficile à surmonter.  Vous verrez alors que les fantômes politiques qui se réunissent le 5 septembre en Chine sont peu différents de  tous les ectoplasmes qui n’osent jamais entrer dans les débats de fond  par peur d’y perdre… leur plume.

Nous aimerions tant vous aider. Nous savons, après vingt-cinq ans de combat, que si le diagnostic est désormais presque partagé par tous ceux qui se posent honnêtement la question, le passage à l’acte demande tellement de courage qu’il y a peu de chance qui se produise.

Dommage et merci tout de même pour cet article encourageant !

Un dernier mot pour rappeler que votre article omet de parler de la zone Euro qui souffre encore plus des énormes déficits et excédents internes de ses membres.

Depuis que nous sommes passés à un système de « fiat  money » et d’interventionnisme massif des Etats dans l’économie (rappelons que la dépense publique française excède notablement la valeur ajoutée des entreprises françaises du secteur non financier), la stabilité du monde dépends de la politique conjointe des Etats et de leur banque centrale qui ne peut être bâtie qu’autour d’un concept simple : les excédents comme les déficits doivent être prévenus, bannis, sanctionnés internationalement  afin d’obtenir des politiques étatiques cohérentes et collaboratives. Tout le contraire de ce qui se passe actuellement.

Quand on fait l’inverse de ce qu’il faut, on obtient les résultats inverses de ceux qu’on pourrait espérer.  Nos dirigeants ne sont impuissants ou défaillants que parce qu’ils ne veulent pas, ou ne peuvent pas, porter ce message fondamental.

Et effectivement leur impuissance ou leur défaillance conduisent le monde au chaos.  Il ne suffit pas d’être impatient. Il faudrait aussi commencer à être pertinent et, dans le contexte actuel, courageux.

Didier Dufau pour le Cercle des Economistes E-toile.

Commentaire
Micromegas's Gravatar Pour qui vous suit, comme moi, depuis les années 90, c'est un régal de constater que toutes vos analyses ont été validées par la réalité et que votre diagnostic a toujours été à la fois constant et sûr. Il est progressivement admis de façon générale. Il est fascinant de voir qu'en effet tous les textes internationaux proscrivent les grands déficits et les grands excédents mais que personne n'en tient plus compte. De tout temps on a considéré qu'un excédent était une preuve de mâle supériorité et qu'un déficit était la preuve d'une faiblesse. Il a fallu l'entre-deux guerres pour comprendre que les deux anomalies étaient de même gravité et que le pays en excédent avait la plus grande responsabilité pour sortir l'ensemble du trou. Mais aucun État excédentaire n'est prêt à jouer le jeu. Et on ne voit trop comment les y contraindre.
# Posté par Micromegas | 15/08/16 12:14
stéphane's Gravatar La base de la croissance économique, c'est l'accumulation de capital efficace.

Penser comme vous le faites qu'il suffit de rétablir une monnaie saine et des balances commerciales équilibrées pour que tout reparte est faux.

Même avec cela, l'emprise économique des états qui s'apparente clairement à du socialisme continuera à détruire de la richesse.

IL est bien plus efficace et primordial de réduire l'emprise économique, fiscale, réglementaire des états sur l'activité économique, et ce que vous mettez comme préalable deviendra une conséquence.

Mettre les conséquences en préalables ne résoudra pas le problème, vous faites fausse route, le vrai problème mondial est dans le manque de libéralisme.
# Posté par stéphane | 16/08/16 15:27
DvD's Gravatar Dans les premiers temps, les communiqués du G20 ont provoqué partout dans le monde l'hilarité générale. C'est qu'ils commençaient immanquablement par ces mots "We, the leaders..." suivis d'un grand néant d'idées et de propositions à la hauteur de l'enjeu. Quand on pense à ces tonnes de petits fours et ces hecto-litres de champagne engloutis en vain ... une vraie orgie de platitudes réchauffées.

À présent, après des années d'absence de résultats et de perpétuation des mêmes déséquilibres, on atteint clairement les limites du comique de répétition...

Bien sûr, on ne peut exclure qu'un patient travail d'explication finisse à la longue par emporter l'adhésion sur la nécessaire réforme du système commercial et monétaire international actuel, responsable de la baisse du trend de croissance mondiale, de la hausse de l'endettement global, du sur-investissement, de la spéculation improductive et des distorsions indues de richesse et de revenus. Revenir à des taux de change qui équilibrent les balances courantes respectives autour d'un étalon monétaire réellement transnational est la condition indispensable pour que le commerce international soit mutuellement bénéfique à toutes les parties au vu de leurs avantages comparatifs et de la compétition induite.

Mais, je ne crois pas que le fond du problème soit l'ignorance ou l'incompétence des "dirigeants", ni même la difficulté (bien réelle) à se coordonner. Le fond du problème me semble relever du conflit d'intérêts des dirigeants : le système actuel leur est favorable, directement ou indirectement, même s'il est défavorable à l'intérêt général. Il est la source de leur pouvoir et de leur richesse. Les propositions de réformes - que tout le monde connait dans les cercles dirigeants - ne sont donc pas les bienvenues. Elles sont ignorées et ostracisées depuis des décennies et même la grave crise de 2008-2009 n'y a rien changé du tout. Dans ce cas, il est à craindre qu'il faille en passer par une catastrophe économique et / ou politique d'une autre ampleur qui balaye les dirigeants actuels et la technostructure qui les supportent (avec les risques que cela comporte inévitablement) avant que les bases d'un système plus équilibré et plus propice à la prospérité puissent être jetées. On est bien, me semble-t-il dans une situation similaire aux années 1920s. A la fin des années 1920s.
# Posté par DvD | 19/08/16 23:19
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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