En relisant les mémoires de J. Chirac

Il y a quelque chose de fascinant à lire les mémoires de Jacques Chirac (Chaque pas doit être un but – Mémoires – Editions NIL – 2009).  Usuellement, les mémoires des grands hommes politiques permettent de comprendre comment certains grands problèmes ont été abordés, pourquoi certaines solutions ont été adoptées ou refusées, les compromis qu’il a fallu faire, les tensions entre les grandes influences etc. ici rien. 485 pages de vide. On sent que le livre a été écrit par une plume, qu’on ne lui a pas confié grand-chose et qu’il a fallu se plonger dans les écrits et les programmes pour documenter la vie du grand homme.

La trace de Chirac se trouve principalement dans les règlements de compte. M. Giscard passe un vilain quart d’heure ! Et dans cette citation de George Suffert :

« M. Chirac est fascinant non par ce qu’il a de compliqué mais par ce qu’il a de simple. Il est ambitieux. C’est tout ».

Le Grand Jacquot, qui a voulu cette citation,  semble entièrement d’accord ! Et ses mémoires rendent compte exactement de cela : une ambition et une vie dont tous les actes n’ont que ce but, la servir. Le titre du livre est bien choisi.

Au passage on voit comment s’est nourri « l’énarchie compassionnelle » que nous dénonçons comme une des grandes tares de la France des quarante dernières années.

Première exigence : la survie. Dans une lettre à Giscard il écrit :

« C’est, avec une action insurrectionnelle fondée sur un large mécontentement que nous n’aurions pas su déceler  ou réduire à temps, le seul accident qui peut mettre  en péril notre réforme », écrit-il à Giscard, en évoquant les actions permanentes lancées par le Président pour tenter de liquider l’UDR, prédécesseur du RPR que Chirac créera un peu plus tard.  On retrouvera cette obsession d’arroser la rue, à la première récrimination, chez Sarkozy et aujourd’hui sous Hollande.

Ici le mot réforme est une litote. Il faut lire « notre pouvoir ». Car de réformes il ne saurait y en avoir qui touche à l’Etat, à l’Enarchie, à la fonction publique. Dès le début des années 70 la vision chiraquienne est formée.

« Ma conviction est que jamais un ordre intelligible clair et rationnel ne sera rétabli face à une administration devenue  aussi tentaculaire que paralysante sans une prise de conscience émanant de la nation toute entière ».

Si la nation ne dit rien, il ne faut rien faire. Donc on ne fera rien car on ne lui posera jamais la question.

« Réduire les attributions de l’Etat me parait largement illusoire ». « Ce serait se payer de mots que d’envisager une déflation administrative ». « Il est tout aussi vain de croire qu’un gouvernement se rendra maître de tous les services qui dépendent de lui ». « Il apparait inévitable de renforcer encore la règlementation en matière de protection de l’environnement et de prévention contre les dangers de certaines activités industrielles ».

Ne rien faire est légitime car réformer l’Etat est illusoire, et la demande de plus de sécurité est forte. La constitutionnalisation du principe de précaution est en germe.

En même temps il s’agit d’être social. C’est le second terme de l’énarchie : la compassion sociale.

« Je ne me suis nullement senti en désaccord avec son (Chaban Delmas) discours réformiste sur la nouvelle société imprégnée des idéaux d’un travaillisme à la française que je défendrai moi-même 7 ans plus tard ». On retrouvera le thème lorsqu’il s’agira d’écarter Balladur lors des élections présidentielles du début 90 par le slogan « réduire la fracture sociale ».  

Déjà lorsqu’il était secrétaire au budget d’un gouvernement sous la présidence du général de Gaulle, se place une anecdote très révélatrice et de la volonté de ne jamais réduire le volume de l’Etat et de prendre des mesures prétendument de « justice sociale ».

Chirac rencontre De Gaulle :

« Un accroissement de la pression fiscale semble à première vue inévitable. Le Général de Gaulle exclut toute décision de cet ordre. M’interrogeant sur le niveau actuel de la pression fiscale, 34.7% du PIB, il me demande de la ramener à 33%. »

Au lieu de cela Chirac provoque un tollé en proposant une hausse des droits de succession : « Je n’ai pas jugé choquant que l’Etat en prenne une part plus équitable ».

Les mots sont importants : l’équité vis-à-vis de l’Etat suppose qu’on prenne plus aux possédants lorsqu’ils meurent.

Notons au passage que De Gaulle, souvent présenté comme un épouvantable étatiste, souhaite baisser l’emprise de l’Etat sur la nation. Nous n’en sommes plus à 34.7% mais à plus de 50% ! Temps bénis !

Bien sûr le socialisme, en tant qu’idéologie prédatrice, va beaucoup contribuer à l’aggravation de l’empreinte fiscale française, mais les mémoires de J. Chirac nous rappellent que l’énarchie compassionnelle est le véritable moteur de la captation par la haute fonction publique de la quasi-totalité de l’accroissement de richesse produit par les Français.

Le septennat raté de Chirac, puis son quinquennat mollasson, rendront évident la passivité chiraquienne en matière de réforme et son souci de l’accroissement régulier de la pression fiscale, de la dette et de l’emprise de l’Etat sous toutes ses formes.

 Sur le plan économique, il était intéressant de connaître l’avis de Chirac sur deux mesures capitales pour l’avenir.

-          Les Accords de la Jamaïque qui légalise le système de changes flottants ; Comme nous cessons de le répéter, ces accords sont à la base de la baisse régulière du trend et de l’aggravation des crises périodiques. Le saccage de la prospérité a été décidé à la Jamaïque en janvier 1976, Chirac étant premier Ministre et conduisant la politique de la nation. Qu’en disent les « mémoires » ? Rien ! Rien du tout. Pas un mot.

-          La relance Chirac sera un terrible échec.  En régime de changes flottants, les relances donnent un coup de fouet et ruinent aussitôt la monnaie et les finances publiques. Il faut vite revenir en arrière. Les mémoires se flattent du volontarisme affiché mais pas un mot sur l’échec, ses causes, les leçons à en tirer.

Chirac était un cavalier, un hussard, énergique, drôle et sympathique. Mon « bulldozer »  dira Pompidou. Mais il était vide d’objectifs, notamment économiques, au-delà de son ambition personnelle. Il est assez effarant de penser qu’il sera premier ministre ou président 16 années entre 1974 et 2007. Il est compréhensible que cette présence ait signifié une hausse constante de la dette, des prélèvements et du champ de l’action publique. « On ne remet pas en cause des avantages acquis » !

Il reste vrai que son gouvernement de cohabitation sera un des meilleurs sur le plan économique. Quelle est la part de Chirac et celle de Balladur, son ministre des finances venu avec  sa camarilla de jeunes ambitieux, dans un résultat qui le mènera malheureusement à l’échec électoral et lui fera aussitôt regretter les mesures prises?  On peut craindre que « le pauvre Jacques » n’ait pas eu trop son mot à dire et qu’il s’y soit facilement résigné. Mais ce serait injuste de ne pas le créditer de ce bon gouvernement.

Chirac, Rocard, Juppé, Jospin, Villepin, Hollande sont presque des clones. Seuls les trois B, Barre, Bérégovoy, Balladur, ont œuvré pour un peu de libéralisme.

A l’heure où les sondages mettent Alain Juppé sur le pavois présidentiel, alors que dettes, fiscalité, et réglementations tatillonnes tuent la France, la leçon mérite sans doute d’être méditée.  Sa quasi unité de pensée  et ses nombreux pas de deux avec Michel Rocard, qui, lui, peut se flatter d’avoir dirigé le pire gouvernement de la période, laissent peu de chances à ce qu’il s’élève au-dessus de ce qu’il est de tout temps.

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