L’émotion passe à droite

Depuis la Commune, la grande émotion, celle qui traverse de façon fulgurante le peuple ou la population, comme on voudra, est à gauche. Les funérailles du Père Hugo, de Jaurès, de Schoelcher, de Jean Moulin, furent des moments d’unanimité nationale de gauche. On pourrait y ajouter l’hystérie intéressée du PC français lors de la mort de Staline.

Puis la capacité de la gauche à diviniser ses grands leaders s’est effilochée. Les funérailles de Mendès-France furent un effroyable bide, celles de Mitterrand surtout marquées par la multiplicité des compagnes affligées, la révélation d’un enfant de la main gauche et l’importance accordée au chien, descendu in extremis par un avion du Glam. Du mauvais Labiche. A l’étranger seul Allende, eut le droit à une commisération un peu partagée, moins due à sa personne qu’aux conditions de son décès. Mais par les courants de la seule gauche. Le petit cercueil d’enfant de Castro fit plutôt rire, dans sa course finale à travers le pays sur un médiocre camion. « Grâce au ciel, on lui a coupé le micro !» fut la réaction la plus partagée sur l’île de Cuba.

La mort de Diana a montré un glissement des sentiments. La cruauté de son destin, en dépit des errements de son comportement, a mobilisé les chaumières. Aucun message de gauche, dans une vie tournant à la mascarade « jet-set », mais, déjà, l'omniprésence des médias et du « show-biz », avec une magnifique prestation d’Elton John dans une église généralement habituée à des chœurs plus classiques.

En France, De Gaulle ayant choisi, après ce qu’il jugeait être une révocation populaire, après la fin dramatique pour une partie de la population française de la guerre d’Algérie et la tragicomédie de mai 1968, la simplicité d’un enterrement dans l’intimité de ses proches, on imaginait mal que qui que ce soit, à droite, puisse susciter une ferveur populaire. On devait se contenter de « Panthéonisations » politiquement correctes sans le moindre intérêt populaire.

Et voilà que, coup sur coup, deux personnalités que rien ne rattache à la gauche disparaissent soudainement, provoquant une émotion réelle qui culminera avec le grandiose défilé de la dépouille de « Johnny » sur les Champs-Elysées et la cérémonie réussie à la Madeleine, dont le frontispice était à peu près totalement recouvert par une photo christique du chanteur, œil doux et énorme croix sur la poitrine.

La gauche médiatique (celle qui reste, la gauche politique étant à la ramasse) réussit une fois de plus à se raccrocher aux branches lors des cérémonies mortuaires de Jean d’Ormesson. Selon elle, Il avait été un « vilain fasciste caricatural » dans sa jeunesse, mais il s’était constamment amélioré avec l’âge, au point de devenir un charmant parangon du charme littéraire Français. Le Jeune Macron lui offrit un crayon, gonflant sa popularité de cinq points, ce qui mesure l’attachement du pays à un écrivain aux yeux bleus et à la fausse candeur aristocratique, devenu, avec l’âge, une star médiatique. Et puis il aimait Aragon, l’homme qui souhaitait qu’une Guépéou française vienne purger sans pitié le sang national vicié de la bourgeoisie pourrie, en le faisant couler à grands flots, comme le Génial Staline en avait montré le magnifique exemple (quelques dizaines de millions de morts tout de même). Il ne pouvait donc pas être foncièrement mauvais.

La folle mobilisation populaire lors des funérailles de Jean-Philippe Smet, chanteur insubmersible d’origine belge, alias Johnny Halliday pour faire amerloque et enfourcher la mode américaine du rock ‘n’ roll, affaiblie en mouvement yé-yé en France, exilé fiscal, adepte d’une vie plutôt dissolue si on la juge selon des critères conventionnels, amateur de stupéfiants à l’occasion, néanmoins catholique ostentatoire et riche à millions, va laisser la gauche sans voix. Les yeux bleus comme d’Ormesson ? Peut-être !

L’Église catholique en pleine débine, n’hésita pas un instant à offrir la Madeleine, habituée à une clientèle moins sauvage, pour une opération de promotion comme elle n’aurait jamais cru l’opportunité possible. Deo Gratias ! Carole Bouquet délivrant ses intentions, avec guitare aux interstices, restera un moment catholique inoubliable, de même que la volonté exprimée par Lætitia d’agiter l’encensoir et pas seulement le goupillon, redonnant vie à une tradition oubliée depuis Vatican II. Même si la Harley Davidson trônant sur le parvis, et étonnamment éclairée par un rare rayon de soleil d’hiver, donnait à tout cela un air plutôt païen, renforcé par le fait que la marque était à peu près la seule représentée dans le cortège des 700 motocyclistes d’accompagnement. Une bonne promo n’attend pas.

Tout le gouvernement était là comme tous ceux qui voulaient être renforcés par un supplément d’âme médiatique et compassionnel. Le président Macron fut accueilli par des sifflets mais retourna l’audience. Il lui fallait atténuer l’accusation de « président des riches » par un bain populaire émouvant. Ce président gourou est visiblement habité. Après la Sorbonne, le Pnyx, le siège de la CEDH et les Invalides ce fut donc le parvis de la Madeleine. « Entre ici, Halliday, avec ton cortège de rockers, de bykers et de fans… ».

Pour une belle fête ce fut une belle fête. Tous ceux qui y participèrent vous le diront. La tradition catholique et le talent des gens de spectacle se sont conjugués de façon parfaite.

Et la gauche devint muette. Surtout quand la fête se termina dans un flot de dépenses à Saint Barth, le paradis des pauvres comme tous nous le savons.

On se rappela alors que les ouvriers et les classes populaires avaient déjà déserté depuis longtemps les partis de la gauche politique et que la tentative du cynique et excessif Mélenchon d’en rapatrier quelques morceaux par l’outrance verbale avait échoué lamentablement à l’automne. Insoumis… en terre ?

L’émotion n’est plus de gauche. L’espoir non plus. La bascule droitière est partout en Europe.

Quarante années de crise économique non résolue ont fait leur œuvre.

L’économie est partout, même où on ne l’attend pas.

Commentaire
Artiste's Gravatar Bien tourné et bonne analyse manque seulement l'analyse dû pourquoi de l'absence de chances pour la france à ces obsèques ce qui interpelle encore plus et est révélateur du vivre à côté
Et surtout pas ensemble.La preuve est sous nos yeux sauf pour les aveugles médiatiques çà va de soit dirait Brassens
# Posté par Artiste | 14/12/17 16:21
DvD's Gravatar Ah, ce cher pays où l’Inspecteur des Finances en chef fait l’éloge funèbre du plus célèbre « évadé fiscal » quelques semaines après les « paradise papers ». Sa reconnaissance envers Johnny avait l’air tellement sincère, à croire que le Trésor va enfin pouvoir se refaire sur la succession...
# Posté par DvD | 14/12/17 20:36
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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