Plan Macron : accords et désaccords

Nous avons connu plusieurs Macron. Le Macron ministre contestataire de la contestation interne du PS, tentant d’introduire un peu de réalisme dans l’enflure idéologique du PS. Le Macron de Révolutions, un livre vide et attrape tout qui ne pouvait que laisser sur sa faim le lecteur un peu attentif. Le Macron candidat avec un programme honteux d’électoralisme et s’appuyant sur une conjuration d’énarques. Le Macron élu, tenté par la posture. Le Macron tacticien politique, tentant la destruction totale des Républicains et du PS dans toutes les assemblées. Nous connaissons aujourd’hui le Macron de rentrée, qui, après un tassement sensible dans les sondages et un été à la godille, compte tenu du caractère contradictoire de son programme électoral, se replace au centre de l’échiquier politique en donnant les orientations détaillées de son mandat.

Que penser de ce nouvel avatar ?

« On ne fait pas les choses en cent jours ». D’accord ! Nous avons ici même dénoncé cette croyance idiote qu’un programme lourd devait être exécuté en trois mois dont deux d’été. Cette faribole qui date de Guéna en 1988 peut être écartée.

On a vu que le programme de « restauration de la confiance » ne proposait que des mesures propres à rendre impossible une carrière politique pour les non-fonctionnaires. Supprimer les cumuls, les emplois de proches, les attributions de subventions aux parlementaires, modifie certainement le paysage politique. La qualité du personnel politique en sera-t-elle améliorée ? On peut en douter. Seuls pourront faire carrière ceux qui ont de solides appuis financiers extérieurs ou qui peuvent continuer à travailler en valorisant leurs mandats.

La loi travail a abandonné ce qui faisait l’ineptie de la loi El Khomry : l'affirmation de principes clivants accompagnée de mesures dérisoires. On offre une loi mille feuilles, type première loi Macron, avec un flot de mesures, allant du nécessaire au marginal, avec peu d’effets réels à en attendre, mais qui détendent un peu le cadre pénal mis en place par le PS pour museler l’entreprise. On en revient à la négociation par branches avec quelques possibilités virtuelles de s’organiser dans l’entreprise. L’effet sur l’emploi sera infinitésimal. Mais on aura, un peu, débloqué « la machine à interdire sous peine de sanction » qui a été construite par Mitterrand, Rocard, Jospin et Hollande.

Le troisième trimestre aura donc été une démonstration qu’on pouvait faire bouger des petites choses qui n’avaient en fait pas trop d’importance mais dont l’effet à terme sera non seulement modeste mais parfois problématique. Les vraies réformes, celles qui auraient eu un impact fort, ont été ignorées.

Il fallait faire sauter les seuils afin de mettre fin à la tentation de ne jamais dépasser 50 personnes et dépénaliser les relations courantes du travail.

Il fallait interdire à un fonctionnaire de toucher deux rémunérations et d’être élu dans des instances qui gèrent sa rémunération.

Certains principes ont été affirmés qui sont inacceptables : on continue de surpénaliser les licenciements dès qu’une « minorité » est en cause. Les homosexuels, les femmes, les Juifs, deviennent des sur citoyens. Tous les contentieux vont donc tourner autour de ces caractéristiques. J’ai été licencié par ce que je suis juif ou arabe ou noir. J’ai été licenciée par ce que je suis une femme. Résultat : les entreprises vont éviter de les recruter. Et il faudra les « dénoncer » pour discrimination. Exactement comme pour le marché de la location d'appartement.

Macron a toujours cédé au politiquement correct et il persiste. « Pas d’ennemi du côté des minorités sociétales agressives ». Il se coule dans la tendance vertueuse venue des États-Unis en faveur des tous les affranchissements. Le Macronisme est un conformisme. Mais ce n’est plus l'Observatore Romano qui donne le la. On a changé de curé. La peur du qu'en-dira-t-on a changé de sujet pas de force de contrainte.

« Nous sommes un pays de conquête et il ne faut pas céder un pouce aux esprits chagrins ». Donc il ne faut pas écouter Monsieur de premier Ministre qui parle de « réparer la France ». Le Président en rajoute : « Nous sommes le seul pays qui n’a pas vaincu le chômage de masse ». Elle serait donc cassée et « incapable de se réformer » ? Voilà bien des concessions aux « déclinistes honnis » !

 Il faut comprendre la cause des difficultés pour les résoudre. Où est le diagnostic ? Macron ne fait jamais aucun diagnostic. Le « hourra football » a ses vertus comme la « hourra politique ». Qu’on nous permette de nous tapoter le menton.

« Nous sommes entrés dans une économie de l’innovation, de la compétence et du numérique ». Toute l’économie moderne depuis le début du XIXe est une économie de l’innovation et de la compétence (qui est l’art d'accommoder l’innovation). L’informatique, elle, est passée de la mécanographie dans les années cinquante, aux systèmes centraux dans les années soixante, au temps réel dans les années soixante-dix, à la micro-informatique dans les années quatre-vingt, à l’internet dans les années quatre-vingt-dix, à la jonction avec le monde du téléphone dans les années 2000. Cela veut dire que le numérique est là depuis… soixante-dix ans. Surjouer le « modernisme » en affirmant que tout a changé est de pure tactique politicienne. Si on doit changer, c’est surtout à cause de l’étouffement socialiste qui a bloqué l’économie française. Le fait qu’on ne dise plus programmeur mais codeur ne change rien à l’affaire.

« Je veux passer d’un système Bismarckien d’assurance sociale financée par des cotisations au modèle de solidarité par l’impôt ».

Au nom de quoi ? Cette approche détache totalement la dépense de son financement et ne permet plus aux réflexes individuels d’économies de jouer. Elle donne le sentiment qu’il suffira de demander plus « à l’autre » pour avoir plus d’avantage. Elle conduit donc au gâchis et à la haine sociale. C’est sur ce point doctrinal qui explique pas mal des mesures démagogiques de Macron qu’il faut réagir. Le premier point d’application est la taxe d'habitation. On la transfère sur la CSG, sur l’impôt sur le revenu, et sur la dette. Ce sera la même chose pour la maladie, la retraite, etc. On entre dans un système de type soviétique où plus aucune responsabilité individuelle n’est évoquée, puisque tout est apparemment gratuit et « qu’il s'agit de savoir quelle société on veut ».

Là nous touchons un vrai noyau dur et spécifique du Macronisme que personne n’a vraiment commenté. À notre avis il est désastreux. La vraie solution est celle des Suisses : faire sortir de l’entreprise tout ce qui dépend du citoyen et créer un lien étroit entre dépense et financement.

On ne peut pas imaginer divergence idéologique plus forte et désaccord plus profond.

« Une indemnisation plus forte du travail ». Curieuse phrase. Le travail doit donc être indemnisé, comme le non-travail. Cette vision est totalement folle. Que personne ne le relève est une curiosité. Cette philosophie politique nouvelle, unique au mode, justifie que l’on prenne leurs économies aux retraités, qui ne peuvent plus travailler, pour gonfler la feuille de paie de ceux qui travaillent. Une hausse de 25 % de la CSG y pourvoira. On va continuer comme cela ? À quel rythme ?

Une fois encore nous sommes totalement opposés à cette vision : la hausse des rémunérations du travail ne peut venir que d’une hausse de la productivité et d’une baisse des dépenses publiques financées par le revenu des citoyens y compris au travail. Ne faire aucune hausse de productivité, faute de réformes de structure, et transférer de l’impôt d’un groupe social à l’autre ne conduit à rien de positif, ni de durable.

La question sociale sera réglée par « l’accès et la formation », pense M. Macron. On retrouve le verbiage sur la croissance « inclusive ». D’accord pour démanteler le système de formation mis en place dans les années soixante-dix, encore une erreur de Giscard, qui n’a jamais servi à rien sinon à financer les associations patronales et syndicales. Mais bonjour les dégâts si seule la formation est la clé de l’emploi et l’emploi la seule solution à la misère.

« Un plan d’économie de 20 milliards est prévu en 2018 avec 10 milliards pour l’État, 7 sur la Sécurité sociale, et 3 sur les collectivités ».

Rappelons que la dépense publique en 2018 sera proche de 1 300 milliards. C’est un effort de 1 % sur un an qui sera obtenu surtout en retouchant les systèmes de subventions au logement, à l'emploi et à la santé.

Il n’y a aucune réforme lourde des structures ni de l’ampleur de l’action étatique. Les résultats seront sans doute différents de ceux annoncés, puisqu’on va compliquer la vie de ceux qui sont habitués aux systèmes d’aides actuels, qui vont hurler, sans réduire ce qui compte : l’extravagance du champ des politiques publiques et le nombre des étages administratifs.

En ne touchant pas aux fonctionnaires et à leur temps de travail, on ne fait que reporter sur les Français les efforts financiers d’économie.

Tout cela est très insuffisant.

François Bayrou, dans un rare éclair de lucidité, a bien vu que « les hauts fonctionnaires ont pris le pouvoir ». Ceux qui lisent ce blog savent que ce diagnostic est le nôtre. La France a subi un « pronunciamiento des hauts fonctionnaires ». L’Énarchie Compassionnelle triomphe.

Qu’en dit notre Président ? « Cette République a très bien fonctionné à une époque où les fonctionnaires devenaient ministres ». « J’ai voulu redonner de la dignité à la haute fonction publique ». « Ce sont les politiques qui décident des textes préparés par les hauts fonctionnaires ».

La prise du pouvoir par la haute fonction publique date de l’arrivée de Giscard et Chirac au sommet de l'Etat. Depuis tout a été de mal en pis. On ne savait pas que la dignité des hauts fonctionnaires fut à ce point malade. Naturellement si les politiques sont aussi des hauts fonctionnaires (Par exemple, Macron, Philippe et Le Maire) le travail des hauts fonctionnaires est validé par des hauts fonctionnaires. C.Q.F.D. !

Moins convaincant, on ne peut pas.

« L’Europe s’est spécialisée dans l'immixtion bureaucratique » alors que « L’Europe est le niveau approprié pour retrouver notre pleine souveraineté ». Il faut « un budget européen qui représente plusieurs points de PIB » Il sera « gagé progressivement par l’attribution d’une part de fiscalité nationale ».

La fuite en avant européiste est une idéologie. Pour la rendre possible et acceptable, Macron tire sur le plombier polonais.Il veut mettre des limites à l'idéologie de la concurrence totale en interne comme à l’extérieur, et croire que l’Europe ne sera plus seulement un espace où on ne prend pas de mesures discriminatoires contre les autres européens, mais aussi une zone où les règles fiscales et économiques seront unifiées.

Cela veut dire céder un peu plus le pouvoir à un gouvernement de Bruxelles travaillant en solo avec les députés de Strasbourg, les politiciens français devenant inaptes à changer le cours de quoi que ce soit.

Ce serait cela la « nouvelle souveraineté », une absence devenue totale de souveraineté (avec la perte de la monnaie, du droit, transféré aux cours européennes, des lois touchant le quotidien, de la diplomatie économique externe, et désormais du budget, partiellement transféré et sous tutelle pour le reste).

Tout cela est dans les limbes et devra être observé au fil du temps. Mais on doit déjà s’inquiéter : quand on règle les problèmes par des antiphrases, c’est mal parti. Le souverainisme français passant par Bruxelles est un concept qui reste à explorer.

À total le Macronisme est bien une doctrine : gratuité sociale financée totalement par l’impôt payé par une minorité, européisme débridé, maîtrise de la nation par les hauts fonctionnaires. Cela commence à être une pratique. La doctrine permet tous les opportunismes, pourvu qu’on respecte les vaches sacrées et le politiquement correct. Les partis politiques ont maintenant de quoi fixer leur réflexion.

La vraie question est de savoir si cette conception permet de sortir la France « cassée » de son itinéraire délétère. Nous verrons mais nous sommes très sceptiques. Réparer le doigt cassé d’un conducteur accidenté en train de mourir de traumatismes multiples et incarcéré dans sa voiture, est certes « un pas dans la bonne direction ». Est-ce que cela suffit ?

Commentaire
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