Des maux d’origine monétaire traités comme des gros mots

Deux des troubles les plus graves qui agitent l’Union Européenne sont purement et simplement causés par des violations lourdes de la réglementation internationale en matière de grands déficits et de grands excédents.

Les statues du FMI et de multiples traités répètent qu’il est interdit de cumuler les grands déficits et les grands excédents. Les déséquilibres de balance des paiements ont un effet délétère que tout le monde condamne depuis au moins 80 ans.

Le dysfonctionnement majeur de l’Eurosystème tient au fait que rien n’est prévu en cas de gros excédents et que les excédents allemands ont atteint un niveau totalement extravagant.

Le dysfonctionnement majeur du système monétaire international est qu’il ne prévoit rien, sinon l’action des marchés et des banques centrales pour corriger les déséquilibres.

Dans la pratique les États-Unis ont fait du dollar la monnaie du monde et fournissent la liquidité mondiale par la grâce de déficits gigantesques dont ils se moquent puisqu'ils les financent dans leur propre monnaie. La monnaie du monde ne devrait JAMAIS être la monnaie nationale d’un acteur. Les déficits ont une contrepartie automatique dans les excédents des autres.

Il est donc clair que les excédents allemands pompent toutes les liquidités en Europe, laissant les pays déficitaires dans une difficulté constante. En utilisant en masse leurs excédents dans des opérations immobilières spéculatives, notamment en Grèce, en Italie et en Espagne, ils ont endetté les « pays du Club Med » à des niveaux intenables. En rachetant massivement le capital des entreprises non allemandes, ils ont capturé illégalement des parts de marché abusives.

Les Allemands savent d’ailleurs parfaitement que c’est abusif : dès que les Chinois qui ont des excédents du même ordre que l’Allemagne, ont essayé de ramasser le capital des entreprises fleurons du Mittelstand, ils ont immédiatement sorti la mitrailleuse et les interdictions. L’Allemagne veut bien faire ce qu’elle interdit à la Chine ! Lorsque le commissaire européen Günther Oettinger décrète que les « marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter », il tient un propos indéfendable mais surtout doublement faux. Ce ne sont pas « les marchés » qui sont à la manœuvre dans cette affaire, mais les créanciers qui ont renfloué les caisses des banques italiennes, c’est-à-dire les États européens. Et c’est la BCE qui aura le dernier mot en dernier ressort, en appliquant au choix la doctrine grecque (un mince courant de liquidité au comptoir des banques) soit la méthode chypriote de vol pur et simple des dépôts.

Trump a parfaitement raison de réagir : les pays excédentaires doivent être sanctionnés. Mais il a tort puisque ses déficits volontaires de balances de paiements sont la contrepartie de ces excédents.

La bonne solution est donc toute simple. Il faut imposer une réforme de l’organisation monétaire européenne et mondiale qui permette d’empêcher quasiment automatiquement les gonflements de balances déficitaires et excédentaires. La solution la plus simple est de mettre en place une chambre de compensation associée à un mécanisme qui stérilise automatiquement et de façon progressive les gros déficits et les gros excédents, rendant sans intérêt les politiques mercantilistes et la création monétaire mondiale par un seul pays.

Évidemment vous ne trouverez jamais ce débat dans les médias qui se contente de commenter les pugilats, en espérant des petites phrases riches en polémique. Aujourd’hui, c’est le seul qui compte. Le moment des grandes réformes approche. Les pugilats façon entre- deux-guerres n’ont aucun intérêt. C’est la guérison des maux qui comptent et pas les gros mots.  

 

Didier Dufau pour le Cercle des Economistes e-toile

Commentaire
DvD's Gravatar Le système de chambre de compensation que vous préconisez est celui là même que Keynes a défendu à Bretton Woods en 1944 et qui a perdu face aux plan américain proposé par White. Plan américain qui a presque aussitôt montré sa faiblesse, ce qui conduisit le Président américain Nixon à le torpiller en 1971 en supprimant la convertibilité-or du dollar. Plan Nixon qui a presque aussitôt montré sa faiblesse en conduisant à des déficits extérieurs massifs et persistants pour les États-Unis, ce qui mène tout droit à son successeur Trump essayant aujourd’hui de réduire ces déficits. L’americain Trump est certes confronté au mercantilisme Allemand, Chinois, Japonais, Koréen, etc, mais aussi et peut être avant tout aux erreurs américaines à répétition en matière d’organisation du système monétaire international. Erreurs dont on ne peut pas encore affirmer qu’il les corrigera, Trump semblant privilégier la voie moins prometteuse des tarifs douaniers plutôt que le voie plus prometteuses des taux de change et de la chambre de compensation internationale.
# Posté par DvD | 02/06/18 18:55
DvD's Gravatar La position décrite par Ange plaçant la responsabilité première sur les pays déficitaires est précisément celle du plan White adopté en 1944 à Bretton Woods (les États-Unis étaient alors en excédent extérieur et considéraient que l’ajustement était l’affaire des pays déficitaires), plan qui a échoué pour être abandonné en 1971.

Dans le cas des Etats-Unis, le dollar étant monnaie de réserve internationale dans le système, le déficit extérieur devenait obligatoire si les autres pays devaient pouvoir disposer de moyens de paiements internationaux. C’est le dilemme exposé par Triffin dans les années 1960, dilemme toujours non résolu à ce jour et qui s’oppose à la tentative de résolution des déficits américains telle que Trump l’envisage. La responsabilité des Etats-Unis pour ne pas consommer plus qu’ils ne produisent n’a que très peu de choses à voir avec son déficit extérieur, essentiellement d’origine monétaire lié au statut international du dollar.

De plus, les pays excédentaires ont tous eu recours très délibérément à des politiques limitant volontairement la part des salaires, donc la part de la consommation, dans la production domestique et favorisant la part des investissements tournés vers l’export, se mettant ainsi quasi mécaniquement en position d’excédent extérieur. Une fois cette position d’excédent extérieur initialement acquise, il suffit de la recycler en achetant des titres libellés en devise des pays déficitaires (les Etats-Unis principalement), pour maintenir la devise du pays excédentaire compétitive par rapport au pays déficitaire et perpétuer ainsi l’excédent extérieur indéfiniment, rendant par la même très difficile l’ajustement du pays déficitaire et ne le rendant en fait uniquement possible qu’au prix d’une forte déflation interne de type 2008-2009. Les pays excédentaires peuvent très facilement, par accumulation de réserves monétaires sur les pays déficitaires, bloquer ou compliquer singulièrement leur ré-équilibrage. L’opposition allemande au rachat de titres allemands par des intérêts extérieurs s’entend très clairement dans ce sens, et l’achat de titres étrangers par des intérêts allemands aussi. Il a bien une asymétrie allemande à ce sujet.

S’agissant de la zone Euro, que des pays avec des niveaux de compétitivité très différents au moment de leur adhésion et avec des évolutions de compétitivité très différentes depuis partagent une même monnaie ne peut que rendre très difficile les ajustements, le seul moyen possible étant la encore la déflation interne des pays déficitaires si l’Allemagne refuse de bouger, ce qui est le cas. Les pays du « Club Med » en sont à 10 ans de déflation interne, ce qui commence à avoir quelques conséquences politiques (Syriza, Liga, Mouvement 5 étoiles, etc...). La France se rapproche inexorablement de ce groupe du « Club Med ». Les tensions internes à la zone Euro ne sont pas prêtes de s’atténuer, au contraire.

Pour conclure, placer la responsabilité première de l’ajustement sur les pays déficitaires a un effet déflationniste puissant très dangereux au niveau d’endettement actuel du système. Y compris et surtout pour les pays excédentaires qui cumulent dans ce scénario effondrement de la demande extérieure et contraction de la demande intérieure. À ce stade, où la plupart des grands pays en excédents extérieurs sont également très endettés (Chine, Japon, ...), il n’existe en fait probablement déjà plus de moyen d’éviter une crise de la dette massive. Le seul espoir de solution repose sur une action conjointe et coordonnée des pays excédentaires et déficitaires, à la fois sur le plan de leur politique intérieure (légèrement restrictive pour les pays déficitaires et légèrement expansive pour les pays excédentaires) et sur le plan des taux de change (dévaluation progressive pour les pays déficitaires et appréciation progressive pour les pays excédentaires), le tout accompagné d’allégement de dette là où cela s’avère nécessaire et possible et d’un soupçon d’inflation pour huiler le tout. Autrement dit, très très très difficile à délivrer entre tous ces pays coincés entre agenda domestique et agenda international. Il va falloir un miracle. Mais ça vaut le coup d’essayer car l’alternative est nettement pire.

S’agissant de l’équation de la compensation, il me semble que Keynes en avait fait une présentation détaillée mais je ne sais pas où la trouver.
# Posté par DvD | 03/06/18 10:29
DvD's Gravatar Ange,

Nul besoin d’être abstrait. Ce que vous préconisez - que l’organe de gestion du pays déficitaire limite les importations aux exportations - est pratiqué au sein de la zone Euro, l’organe du dit pays concerné étant en fait l’Eurogroupe. En effet, plusieurs pays peu compétitifs de la zone sont revenus ces 10 dernières années d’une situation de déficit extérieur à une situation d’équilibre voire de léger excédent au prix d’une récession longue et profonde, d’un chômage massif et d’un effondrement de leur système bancaire. Situation qui perdure encore largement à ce jour. Malgré ces efforts, leur endettement absolu et relatif n’a pas diminué. Dans le même temps les excédents allemands ont continué de progresser. La solution que vous préconisez a donc été mise en pratique et n’a pas conduit à une résorption satisfaisante des déséquilibres.

Les pays du “Club Med” européen représentent ~ 30% du PIB de l’Eurozone, soit ~ 6% du PIB mondial. Je ne vous fais pas un dessin que l’on ne peut pas généraliser ce type de procédure à tous les pays déficitaires, et surtout pas aux plus grands (les États-Unis) et surtout pas en même temps sans faire s’effondrer l’économie mondiale.

Je suis donc très convaincu qu’il ne faut surtout pas faire ce que vous préconisez.
# Posté par DvD | 03/06/18 21:56
DvD's Gravatar Ange,

Je ne dis pas que les pays déficitaires ne doivent pas faire d’efforts pour améliorer leur production relative à leur consommation.

Je dis que si tout l’effort de ré-équilibrage est porté exclusivement par les pays déficitaires, alors l’effet pour eux est au mieux peu marqué et très graduel et les flux de capitaux recyclés par les pays excédentaires peuvent très facilement compenser via les taux de change les améliorations de compétitivité ainsi obtenues par les pays déficitaires. L’effet global est déflationniste, surtout si tous les pays déficitaires font le même effort tous en même temps, ce qui est dangereux à ce niveau d’endettement global.

Je dis que le meilleur moyen de mettre en œuvre ce ré-équilibrage de façon équilibrée (et donc avec moins de risques politiques) est qu’il soit porté conjointement par les pays déficitaires et par les pays excédentaires, les premiers améliorant leur production relative à leur consommation tandis que les seconds améliorent leur consommation relative à leur production (ce n’est pas un hasard si la consommation chinoise représentait encore tout récemment uniquement 35% de son PIB, soit le plus bas niveau jamais constaté de toute l’histoire économique mondiale, sauf erreur de ma part). L’impact global de cette façon de faire est bien moins récessif et déflationniste que de faire porter l’effort de ré-équilibrage exclusivement par les pays déficitaires.

Les équations comptables sont les mêmes mais la dynamique est très différente. Pour être réaliste, il vous faut prendre en compte la dynamique du ré-équilibrage et les contraintes (fortes) liées au bilan sur-endetté de l’économie mondiale.
# Posté par DvD | 06/06/18 15:39
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