Les banques centrales tentées par la monnaie numérique.
Aujourd’hui, il existe deux types de monnaies : la monnaie créée par les banques centrales, dite monnaie banque centrale et la monnaie créée par les banques de crédits dite monnaie de banque. La monnaie banque centrale est détenue sous deux formes :
- Des comptes ouverts à la banque centrale par les banques de crédit
- Des espèces : billets et pièces.
La monnaie de banque est inscrite dans les registres des banques qui en garantissent l’existence et en assure la conversion en espèces sur simple demande ou le transfert à une autre banque, en compensation directe ou via leur compte à la banque centrale.
Les espèces sont anonymes et non traçables. Les banques ne les aiment pas, car elles les obligent à faire intervenir leur compte à la banque centrale, ce qui a un coût et représente une « fuite » dans leur écosystème. En cas de perte de confiance du public, elles peuvent être ruinées par un « bank run », une panique bancaire qui voit tous les clients retirer leur argent en compte pour les convertir en espèces. L’Etat ne les aime pas non plus car ils permettent évasions fiscales et transactions interdites. La suppression du billet de 500 euros en témoigne. Le rôle des monnaies en métaux précieux a été progressivement réduit et lor a disparu de la poche des particuliers depuis la guerre de 14-8, puis des transactions internationales entre banques centrales, de facto en 71, puis de jure en 1976. Nous sommes en régime de « Fiat Money », ou monnaie administrative, assis sur le pouvoir libérateur général accordé par l’Etat à la seule monnaie officielle contrôlée par l’institut d’émission.
Pourquoi diable vouloir ajouter une « monnaie numérique » ? Le terme n’est pas clair. A l’exception des billets et pièces, toutes les monnaies sont tenues dans des registres électroniques et manipulées majoritairement à partir de terminaux numériques. Ce sont donc des monnaies « numériques » par construction. La nouveauté, radicale, serait qu’on en finisse avec les espèces, ce qui, associé à la disparition du chèque, créerait un système monétaire entièrement numérique.
. Quels en seraient les modalités et l’intérêt ?
Plusieurs banques centrales s’étant engagées dans des réflexions qui ne sont pas toutes les mêmes et que nous n’avons pas le loisir de détailler ici, disons que l’idée commune semble être de créer, à l’instar du Bitcoin, un système de comptes décentralisés (c’est-à-dire non stockés sur les ordinateurs de la banque centrale) fiabilisés par le cryptage, accessibles en mode « pair à pair », sans centralisation auprès d’un « intermédiaire de confiance » et totalement anonymes. Les moyens de paiement modernes pourraient se brancher sur ces comptes pour les achats de produits de consommation, l’investissement dans des actifs réels ou financiers, le financement de prêts ou de dons etc.
Quand on y regarde d’un peu plus près, les suggestions balancent entre deux conceptions :
- Organiser un simple « porte-monnaie numérique » ne permettant que des mouvements de fonds limités
- Se débarrasser des espèces et permettre un usage illimité de la monnaie numérique.
A notre avis, un système de simple porte-monnaie électronique n’a pas à être géré par les banques centrales mais par les banques commerciales. Elles ont montré avec les cartes bancaires qu’elles savaient mettre en place des systèmes de paiements novateurs. Les banques centrales ont pris peur lorsqu’elles ont vu que Visa entrait dans le projet Libra qui lui, était basé sur un panier de monnaies et donc surpassait la monnaie officielle des Etats. Si le danger de Libra est reconnu, il suffit de l’interdire et de laisser les banques s’organiser selon les règles officielles et autour d’une monnaie officielle. Le changement sera cosmétique, comme l’a été le passage des paiements du chèque à la carte de crédit ou de la carte de crédit au téléphone portable.
Si, en revanche, on crée une monnaie numérique banque centrale que les utilisateurs peuvent utiliser sans limitation, l’affaire devient une révolution.
Ce dispositif peut présenter, selon ses adeptes, plusieurs intérêts :
- La suppression des billets et des pièces est source d’économie pour les banques centrales. En France on peut supprimer la fabrication du papier monnaie à Vic le Compte et des Billets à Chamalières, deux sites forts coûteux. Cela évite de gérer la qualité des billets, en les collectant, les comptant, les triant, avec remplacement des billets usagers. Le transfert de liquidité par des camions sécurisés disparaît. Les commerçants n’ont plus à verser leurs encaisses à la banque, pour alimenter leurs comptes bancaires ni à chercher périodiquement des espèces en fonction des besoins d’encaisse. L’activité des agences bancaires deviennent très restreintes. On peut supprimer tous les GAB. Les faussaires et les voleurs de liquidités devront changer de méthode. Les frais de transaction deviennent apparemment très faibles : le coût d’un mouvement électronique sous internet. Les frais de stockage de la monnaie numérique sont réels mais totalement distribués et marginaux. Les monnaies numériques privées, par nature volatiles et instables, perdront de leur intérêt, puisqu’on pourra faire tout ce qu’on pouvait envisager de faire avec elles mais pour une valeur stable en monnaie de référence. On pourra étouffer gentiment dans l’œuf un projet aussi dangereux que celui de Libra.
Ces avantages ne sont pas nuls, même si les coûts sociaux sont considérables et la syndicalisation du secteur étouffante, à la Banque de France par exemple. Mais les gains sont répartis sur toute l’Europe et cela finit par faire des sommes colossales quand on a autant de banques centrales concernées.
Pour les usagers de monnaies de poche, l’utilisation d’une monnaie numérique n’a pas beaucoup d’intérêt. Elle exige des outils numériques, des comptes ouverts sur Internet et des connexions téléphoniques. La disponibilité de petite monnaie est dépendante au bon fonctionnement du système global. On crée une fragilité systémique.
Pour ceux qui paient déjà par téléphone, le gain est nul.
Pour les banques de crédit, s’ouvre un gouffre dans leur modèle économique. Les déposants peuvent préférer garder leur liquidité loin des risques bancaires, couramment ou à l’occasion de crises du type de celle de 2008. S’ils le font, les crédits qu’elles distribuent devront être couverts à 100% par de la monnaie banque centrale. Leur pouvoir de création de monnaie de façon presqu’indépendante devient nul. On peut même se demander à quoi servirait d’ouvrir un compte. Pendant des lustres, la majorité des transactions se sont faites loin des banques et la « bancarisation » est finalement très récente (en France, la généralisation du compte chèque date des années 60). Les banques dites de crédit veulent qu’on limite drastiquement le porte-monnaie en monnaie numérique directement émis par la banque centrale et qu’on leur en confie le chargement et la gestion. On les comprend. Mais le pouvoir de création de monnaie ex nihilo par les banques est condamné depuis longtemps par de nombreux économistes qui ont largement démontré que la plupart des récessions récentes ont une origine dans la création intempestive de monnaie par le système bancaire.
Pour l’Etat lui-même, la question est un peu gênante : si les revenus sont versés dans des comptes numériques anonymes et si les paiements d’achat ou de placement sont faits de façon anonyme toutes les fonctions Tracfin confiées aux banques tombent. L’argent peut partir partout dans le monde et vivre sa vie loin des yeux du Trésor. Il est donc intéressé, lui aussi, à limiter l’emploi des liquidités en monnaie numérique au strict minimum.
Pour les entreprises, la question est de savoir comment elles se financeront dans un tel système. Pour les capitaux longs il faudra passez par les bourses comme d’habitude, mais pour le crédit à court terme, l’affaire est plus complexe. Il faudra obtenir des financements via Internet, ce qui ne posera pas de problème si l’intelligence artificielle permet de faire un screening efficace des risques, sinon ce sera le rôle des fonds de placements, ou de banques qui devront collecter l’épargne mais cette fois-ci en rémunérant les dépôts. On peut donc certainement s’attendre à une certaine hausse structurelle des taux d’intérêt, ce qui dans le climat actuel de dettes astronomiques ne sent pas très bon pour les pays et les sociétés trop endettés. Si on ne crée qu’une « porte-monnaie » en monnaie centrale numérique, rien ne change.
Les effets macro-économiques dans chaque zone monétaire, sont plus difficiles à cerner. Le risque le plus important est celui de la thésaurisation. Lorsqu’un déposant bancaire décide de laisser ses liquidités inertes, cela n’empêche pas la banque de travailler. Si elle les laisse dormir dans un compte numérique décentralisé, ce capital est stérilisé de la même façon qu’un tas d’or caché dans le matelas.
Pour la banque centrale, il devient impossible de collecter des taux d’intérêt négatifs sur la monnaie numérique, comme elle le fait sur les dépôts des banques de crédit, sauf si on renonce à l’anonymat.
Les effets sur le marché des changes sont difficiles à évaluer. Il y aura une moindre « intermédiation », probablement des coûts de transaction plus faibles. Il est clair que l’interconnexion des marchés monétaires mondiaux sera profondément changée.
Les conséquences écologiques peuvent être terrifiantes ou non. Cela dépendra de la technique retenue. On fera cuire la terre si on utilise la technique du minage liée à la blockchain pour valider les transactions, même si on noie les centres au fond des océans ou dans les glaces de l’Antarctique.
On peut s’amuser dans le climat actuel d’épidémie à estimer l’impact de la monnaie numérique sur la transmission du virus. Médicalement, la monnaie centrale numérique a un impact. Le coronavirus a accéléré le souci d’une monnaie qui ne puisse pas transporter la peste. Il est certain que pièces et billets sont des objets qui circulent et qui sont particulièrement sales. Surtout le billet de cinq euros qui reste dans les encaisses des commerçants et ne revient pas aussi souvent que les autres coupures à la banque d’émission pour échange avec des billets neufs et qui est un cluster à microbes et virus à lui tout seul !
Juridiquement il faudra des modalités adaptées pour d’une part assurer la preuve des transactions et des avoirs, avec un toilettage des textes.
Si, pour réduire les inconvénients, on renonce à l’anonymat, le projet perd l’essentiel de son intérêt : cela revient à ouvrir des comptes courants à la banque centrale au lieu des banques de dépôts. On conserve au Bitcoin le monopole du secret. Les monnaies numériques privées indépendantes des autorités reprennent de leur intérêt.
En attendant les projets de Central Banks Digital Currency, CBDC pour les anglophiles, MNBC, Monnaie Numérique de Banque Centrale, pour les autres, se multiplient. Qui passera à l’acte le premier ? Avec ou sans blockchain ? Avec ou sans anonymat ? Avec ou sans conservation des pièces et des billets ? Avec ou sans interdiction des systèmes analogues de monnaies privées ? Sous forme de simple porte-monnaie ou en autorisant des volumes d’épargne libres ? La question qui était encore largement confinée à quelques têtes pensantes il y a deux ans prend de l’ampleur même si le grand public est encore largement tenu à l’écart.
Le fond de l’affaire est de bien définir les objectifs et les moyens. Pour le moment, l’ambiguïté règne et aucune solution un minimum consensuelle et partagée par l’ensemble des banques centrales ne s’est imposée.
La Chine prétend émettre son crypto-yuan extrêmement rapidement pour faire la guerre au dollar. Rien que cela ! « Les premiers tests de cette monnaie numérique souveraine ont été annoncés officiellement le 8 juillet 2020 par le géant du VTC chinois Didi Chuxing et la Banque centrale du pays. Didi Chuxing va donc tester pour la première fois l’utilisation d’une monnaie virtuelle créée par le gouvernement chinois » indique un site spécialisé.
Les petites îles habituées aux mouvements bancaires peu surveillés annoncent des mises en place encore plus proches, mais, pour ce qu’on en connait, il s’agit plus de porte-monnaie électroniques, de monnaies faibles avec des montants limités.
« L’Europe est en retard » dit Mme Lagarde, au même moment ou le Président de la Banque de France s’active dans les médias sur le sujet.
Le Royaume-Uni a une curieuse position qui laisserait une chance au Libra comme monnaie concurrente de la sienne propre ce qui serait une erreur gigantesque. En revanche elle ne veut pas se faire dicter une technique. L’esprit du brexit est toujours là !
L’année 2021 sera sans doute un tournant sur le sujet.
Notre position est plutôt flottante sur les aspects techniques mais claire sur les objectifs acceptables d’une monnaie numérique banque centrale.
- S’il s’agit de créer un simple porte-monnaie électronique avec un logiciel de paiement, les banques de crédit sont bien capables de s’en occuper, comme elles le font pour les cartes bancaires. L’intervention de la BCE dans le processus n’a aucun intérêt.
- S’il s’agit de créer un actif anonyme, garantie par la BCE, alimentant des comptes numériques sans plafond de montant, permettant de conserver de façon sécurisée ses encaisses, et de les utiliser à toutes fins facilement, et d’un coût énergétique maîtrisé, pourquoi pas Mais les gains seront nuls si on conserve les billets et les pièces, ce qu’il faudra bien faire au moins pendant une longue période de transition.
- Il faut interdire absolument la Libra.
- Il faut exiger des banques centrales et des ministres des finances que dans ce dossier ils parlent clair, aussi bien sur les objectifs que sur les moyens.
Affaire à suivre.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Je vous cite : " Il faut exiger des banques centrales et des ministres des finances que dans ce dossier ils parlent clair, aussi bien sur les objectifs que sur les moyens."
Dieu se rit des gens qui se plaigne des conséquences dont ils chérissent les causes.
Encore une fois, le problème n'est pas la monnaie, ou les changes flottants (qui n'ont jamais existé, c'est juste des jeux de convertibilité entre banques centrales, entre états) ou les crypto monnaies.
Le problème vient des états et des hommes politiques qui ne savent faire que 2 choses : faire la guerre et faire faillite, pour eux et pour leurs administrés.
La solution ne sera jamais de travailler sur la monnaie, mais d'enlever tout pouvoir aux états/hommes politiques/bureaucrates.
Tel est le vrai fond du problème.
Et pour cela, il faut une atomisation progressive des états par démembrement progressif, le phénomène est en route depuis la fin de la seconde guerre mondiale, nous sommes passés de 50 états à plus de 200, et cela continue.
Peut-être un jour nous débarrasserons nous des scories de la Révolution Françaises, qui ensanglantent le monde depuis 200 ans (nationalisme et socialisme/étatisme)
Pour les économistes un peu plus engagés dans le processus, l'idée est bien plus grandiose : mettre fin aux cycles de crédits en empêchant les banques de créer sans rationalité des masses de monnaies à contretemps qui à la détruire un peu plus tard également à contre temps. Mais cela supposerait une action concertée de toutes les banques centrales agissant en même temps.
Pour les complotistes, la question principale est le Libra et ses dangers.
Plane sur ces monnaies numériques le risque de voir apparaître une monnaie synthétique, disons le Mondio, basée sur un traker incluant un panier de devises de références et une organisation qui permette de convertir sans frais ou avec des frais très faibles le mondio en monnaie locale. Le Bitcoin est trop dangereux pour tenir ce rôle. Etats-Unis et Chine essaient de préempter le jeu dans leurs sphères d'influence. Mais il n'y a pas assez de confiance dans le dollar ni dans le Yuan pour que cela marche facilement. Mais la compétition accéléré le mouvement.
Ce qui est intéressant c'est qu'on a d'un côté un phénomène géopolitique capital et de l'autre une réforme minimale des porte monnaies électroniques. Il faudra bien que cette ambiguïté soit levée un jour ou l'autre. On est très au delà de la simple technique monétaire.
Pas besoin d'avoir un compte bancaire (just une app), alors que pour utiliser le paiement par telephone mobile wechat et alipay, il faut connecter son compte en banque chinois.
Avec cette monnaie numérique sans compte en banque adieu FATCA. (impossible d’ouvrir un compte en banque si vous n’êtes pas resident), vous pouvez payer les magasins, mais aussi transférer a toute personne qui a l'appli, sans que un état extérieur par exemple bloque votre avoir, sans que le fisc soit au courant.
Si je vais a Paris (j'habite en Chine) et je fais du business avec un Chinois, qui a l'apli , je lui dit écoute je te paye sur l'appli, tu me fais une reduc, on n'a pas besoin de la TVA, l'argent est transfere sans transiter par le réseau bancaire.
Les etats qui ont des legions de fonctionnaires qui foutent rien et qui vivent sur le dos des entreprises prives, vont se faire déchirer.
Avec cette appli le paysan au fin fond de la Chine peut vendre sa production et se faire payer avec l'appli.
J'ai pas encore l'appli, je suis a 50 kms de Canton, 3eme plus grande ville du pays, et ici, la moitie des petits magasins n'ont meme pas de caisse enregistreuse ! La banque la plus proche est a 30 minutes de bus, avec l'appli plus besoin d'aller déposer des espèces a la banque.
Je téléchargerais l'appli a ma prochaine virer a Canton, et je vous en dirais plus.