La France et les deux faces du Dieu Hermès

Le Dieux Hermès a des chaussures avec de petites ailes aux pieds, symbole à la fois qu'il est le Dieu du vol (piquer et fuir) et du commerce (ne jamais rester bloqué dans une activité en déclin et voguer vers les nouveaux marchés à toute allure).

Le malheur, c'est que l'on ne peut jamais avoir l'avers sans le revers. 

Prenons le choix, imprimé au plus profond des neurones de la gauche française, de la promotion d'une organisation de la production sans "bougisme" ni tension, sous la houlette, soit d'une administration bienveillante et soumise, façon socialisme municipal, soit d'un "contrôle populaire" pas bienveillant, comme on dit au NPA, le nouveau parti anticapitaliste. Il est sûr que des activités ainsi gérées sont verrouillées dans la glaise de leur organisation initiale  et ne savent  faire aucune mutation sans catastrophe. Tout le drame de la SNCF, SNCM, SEAFRANCE, HBL, RATP, Banque de France, France Telecom, UAP,  Poste, etc. est là. Il ne faut jamais confier une fonction commerciale à un système qui ne permet aucun ajustement de produits, de marchés, d'effectifs ni de capitaux. C'est une première leçon du mythe d'Hermès.

L'ambivalence du Dieu grec joue aussi malheureusement son rôle du côté du libre commerce. L'arrivée d'Internet a démultiplié l'aspect traditionnel du dommageable "hit and run",  mais a aussi conduit une nouvelle définition du marketing : "seduce or bully". Ce merveilleux concept perce dans certains  séminaires de management pour "grands comptes", centrés sur la "maîtrise statistique de la masse". Le client n'et plus roi. L'attention à son service ne figure même plus parmi les préoccupations des grands chefs. Le mot clé est "RAF", rien à foutre, en clair. L'important est d'imposer un avantage statistique, générateur de profits immédiats et faciles, le contraire de l'individualisation.

Vous voulez un tout petit exemple ? Vous êtes Orange. Vous ne voulez plus payer d'équipes chargées d'encaisser des TIP. Tout le monde doit payer par prélèvement. Si vous faites en sorte que les TIP ne soient pas remis en banque, vous créez un incident de paiement et bloquez la ligne.  Après les habituelles péripéties du support (sic) téléphonique puis d'une visite, stérile, en boutique, le "client" qui a tout fait bien, et ne veut pas et payer un TIP et repayer par carte bancaire, devient fou. Des voix suaves insisteront : "payez par prélèvements qui évitera tellement d'ennuis". Et hop, c'est gagné. Cela s'appelle faire une pression "statistique" sur le client captif. Avec un minimum d'investissement vous pouvez obtenir que la masse des clients passent par vos arcanes. On fait mal (un peu) au client exprès, par tactique. Vous direz : et la concurrence ? Que fait SFR ? Cette société ne veut plus vous envoyer de facture-papier. Elle vous coupe le service sans rien vous demander. Le fisc vous demande les factures ? Vous n'avez qu'à imprimer vous-même ! Il faut appeler pour annuler cette décision unilatérale. Vous le faites. C'est payant. Au bout des drames habituels à l'usage d'un centre d'appels, vous tombez sur quelqu'un de très gentil qui vous demande mille choses avant de s'enquérir de votre question. Vous coupez court au blabla pour demander le rétablissement des factures papier. Il dit "bien sûr", vous demande d'attendre en ligne une seconde. Deux minutes après, cela coupe. La facture papier n'est toujours pas rétablie le mois d'après. Ce ne sont pas des incidents mais des politiques. Etudiées-pour, enseignées, mises en œuvre. Sans aucune faiblesse. Jamais admises. Il n'y a pas de preuves possibles n'est-ce pas ? Alors pourquoi se gêner ? Cela fait des millions d'économies.

Seul le règlement et les "class actions" associées, pas la fuligineuse "régulation", mot qui ne veut rien dire et faire prendre aux gens des vessies pour des lanternes, pouvent durement sanctionner une entreprise qui couperait un service pour non paiement sans avoir averti au préalable du problème de paiement, ou d'une façon incompréhensible , ou qui se dispenserait unilatéralement de produire des factures-papier. Avec des sanctions automatiques et très dures. Le libre marché est impuissant à faire ce travail.

Il est absolument nécessaire que les pratiques commerciales déloyales soient étudiées, interdites, poursuivies et sanctionnées.

De même est-il simplement tolérable qu'une entreprise quelconque puisse s'introduire dans vos systèmes informatiques personnels sans l'expression d'une volonté d'accord de votre part? Lorsque Canal plus dans son nouveau système réinitialise le décodeur alors que vous êtes en train de regarder quelque chose, avec un accord par défaut dont vous n'êtes même pas conscient, est-ce normal ? Lors que mille et un fournisseurs de logiciels légaux, (on ne parle pas ici des voyous), installent sur votre machine des services dont vous ne savez rien et font des traitements sur vos données personnelles sans même vous demander votre avis, est-ce normal ?

Spéculer sciemment sur la négligence des gens est déjà douteux, mais les forcer à faire des choses qu'ils n'ont jamais envisagées de faire, cela s'appelle du viol.

Seule la loi peut maîtriser le viol, surtout s'il est commis par des grandes multinationales "gérées par des "porcs" et qui ne pensent qu'à leur prochaine prime et leur retraite chapeau", comme on écrit au NPA, ce qui, au passage, est sans grande importance mais parfaitement exact. Pas besoin d'être socialiste, anarchiste ou anti-système pour le dire. La seule légitimité du profit est le service rendu. L'enrichissement sans autre cause que le dol et le viol est condamnable.

C'est encore plus vrai dans le domaine du placement, traditionnellement le paradis des plumeurs de fortunes. Dans un espace financier mondialisé, les sous-jacents sont pratiquement inconnus du profane, qui n'a d'ailleurs strictement aucun moyen de s'orienter dans la jungle des différents "produits" et des classes d'actifs indéfiniment diversifiées. Mais il n'y pas plus de vraie technicité au sein des organismes financiers. Ils ne travaillent pas avec leur argent propre et ils agissent en fonction de signaux extrêmement pauvres : La hauteur d'un taux d'intérêt, la mode, la réputation d'un intervenant, le sens du troupeau.

Collectivement la profession a cherché à avoir des avantages cachés vis-à-vis des "clients". Le plus clair est la rétro commission. "Je place l'argent là où on me donne le plus et je me fiche du reste. Je présente de toute façon mes résultats client en net de mes rémunérations. Personne ne sait  combien je me suis fais de plumes sur le dos du canard". La règlementation commence à arriver sur ce sujet. Heureusement ! UBP a ratissé comme cela du Madoff qu'elle a collé pour  5%  de la valeur dans les portefeuilles clients, qui n'en savaient strictement rien. Les énormes commissions versées n'ont jamais été restituées au client qui a encaissé sa perte avec un minimum de compensation de la part de cette banque. "Seduce and/or bully !"

Quand on s'élève encore au dessus, en prenant le monde et l'histoire des quarante dernières années à témoin, on voit qu'un système monétaire et financier défaillant a permis de faire monter à plus de 400% le taux d'endettement moyen des pays de l'OCDE, chiffre intenable qui a provoqué une perte irrécouvrable de près de 12.000 milliards de dollars. La course des comportements individuels et collectifs a été suicidaire dans ce cadre. On cherche aujourd'hui à résoudre, pour le futur, la difficulté en "régulant l'amplificateur", attitude imbécile et coûteuse. La même qui veut qu'on s'attaque exclusivement  à tous les automobilistes, tout le temps, au lieu de redessiner les points noirs !  

Donc oui, certaines réglementations étaient  absurdes. Mais le contexte s'est largement créé, dans l'affaire qui nous occupe, par la libre action d'acteurs sans contrôle.

Un autre aspect est visible depuis l'arrivée de la micro informatique, précurseur de tous les exemples suivants, associés à la technologie. Un champion capte un créneau de la technologie et devient seul possesseur du créneau grâce à la traîne qu'il a su constituer et qui verrouille les usages. Il n'y a pas d'autre traitement de texte que Word et de Tableur qu'Excel. Le "marché" ne veut pas enseigné, recruté, et échangé en dehors du standard principal qui emporte tout. Depuis 30 ans ! Microsoft domine dans le PC, à 80% des OS. Google tient le marché de la recherche sur Internet, Amazon la vente sur Internet, Ebay, les enchères sous internet, SAP la gestion intégrée informatisée,  etc. D'ailleurs toutes les "start-up" cherchent à valoriser rapidement des "barrières à l'entrée", c'est-à-dire à se retrouver en situation de monopole inexpugnable le plus vite possible. Or le monopole crée une rente au détriment du consommateur une fois que le marché est installé. Une fois encore la "protection de l'innovation" et  la "libre concurrence" ne peuvent jouer avec bénéfice que si un cadre légal est mis en place.

Les marchés ne peuvent être laissés sans organisation ni vigilance, mais ne doivent pas être étouffés par démagogie en prétendant aider le locataire contre le loueur, l'employé contre l'employeur etc. Le consumérisme n'est pas la guerre sociale. Sinon il n'y a plus d'emplois, plus de locaux à louer etc. On peut voler les fruits du passé pas utiliser ce qui n'a pas été créé. L'Union Soviétique est morte de ce constat. L'économie est un flux accélére par des volontés individuelles et collectives.

La production ne doit être non plus laissée à des systèmes figés, où la motivation de changement est inexistante et les possibilités d'ajustement des plus réduites.

Guidés par un instinct très sûr, les Français ont fait exactement l'inverse. Au nom du contrôle des relations de domination, leur obsession plus que les inégalités, ils ont rendu quasiment impossible tout lien contractuel privé, faussant toutes les décisions et tous les comportements. Ils ont développé un secteur protégé gigantesque, où l'Etat est impuissant à bien faire et où les ajustements sont catastrophiques. Ils ont créé un complexe politique, administratif, culturel, bancaire et industriel au dessus de toutes vraies contraintes, en particulier celles de la démocratie. L'abus et l'inefficacité sont partout.

Il faut connaître les deux faces du Dieu Hermès et en tenir compte. Quand on connait ses Dieux grecs on les honore !

 

Didier Dufau pour le Cercle des Economistes E-toile

Commentaire
Louis Schneider's Gravatar Lu dans le Temps à propos de l'affaire SIKA :

"Mais les «vertus» étatiques sont souvent pires que les vices privés. Le dommage causé par l’intervention de l’Etat est souvent plus grave que celui qui est provoqué par les errements d’une seule entreprise"
# Posté par Louis Schneider | 17/12/14 09:28
stéphane's Gravatar Si un opérateur téléphonique se comporte mal, il perd un client.

Tout ce que vous décrivez est vrai, sauf que le libre marché est parfaitement capable de mettre fin tout seul à ces dérives : l'arrivée de Free et le comportement parfaitement versatile du consommateur concernant les abonnement téléphoniques et internet en sont la preuve.

Le seul vrai monopole est celui appuyé sur le monopole de la force, cad sur l'état.

Google a une rente de situation ? c'est bien possible, mais comme son service est gratuit pour le consommateur, et plus efficace que les autres moteurs de recherche qui existent, il n'y a pas vraiment monopole, seul un monopole de la compétence ...

Les grandes multinationales peuvent faire ce qu'elles veulent, la seule chose que toute organisation humaine doit respecter, c'est les droits fondamentaux des individus, et si elles ne les respectent pas, elles doivent être sévèrement sanctionnées.

La sanction la plus efficace sera celle du consommateur, car comment espérer d'un Etat, première et plus importante organisation humaine a ne pas respecter les droits fondamentaux des individus (en contradiction avec la constitution), qu'il les fasse respecter pour les autres ?
# Posté par stéphane | 17/12/14 10:50
Ron's Gravatar << Si un opérateur téléphonique se comporte mal, il perd un client.>>

=> Non, malheureusement, car il y a des clients captifs; le concept de "client captif" ça existe. L'informatique avec les formats de fichiers propriétaires sont un exemple... parmi tant d'autres...
On peut aussi indiquer l'immobilier et le marché du neuf. Vous voulez acheter du neuf? Signez une réservation pour un F2-F3, avec un maximum de 7 à 14 jours de délais de rétractation et en signant pour un bien qui n'est pas encore construit susceptible de modification lors de sa réalisation.... Inouïe! Qui imaginerait acheter une voirure pas encore construite et dont les plans peuvent changer au gré du constructeur après votre signature? Vous faites jour la concurrence avec l'achat de véhicule? Vous en avez les moyens? Tant mieux pour vous.

<< Tout ce que vous décrivez est vrai, sauf que le libre marché est parfaitement capable de mettre fin tout seul à ces dérives : l'arrivée de Free et le comportement parfaitement versatile du consommateur concernant les abonnement téléphoniques et internet en sont la preuve.>>

=> Le marché est parfaitement capable de faire aussi le contraire...! Les ententes commerciales, ça existe! Le client est parfois bien incapable de faire fonctionner la concurrence. Ca a bien été montré par de nombreux économistes et parfois des Nobel...
Les entreprises elles-mêmes délèguent à d'autres entreprises le soin d'évaler les produits en concurrence qu'elles souhaitent acquérir.
L'enseignement, aussi; à moins de suivre (si on en a les moyens) deux enseignements en parallèle pour faire leurs évaluations, c'est impossible dans la pratique simplement par le fait qu'il n'existe que 24h dans une journée.

<< Le seul vrai monopole est celui appuyé sur le monopole de la force, cad sur l'état.>>

=> Ah bon? Les entreprises utilisent pas la force? Vous avez déjà fait une grève?

<< Google a une rente de situation ? c'est bien possible, mais comme son service est gratuit pour le consommateur, et plus efficace que les autres moteurs de recherche qui existent, il n'y a pas vraiment monopole, seul un monopole de la compétence ...>>

=> Efficace? Il a quasiment éliminé la concurrence. Comment déduisez-vous alors son efficacité? Microsoft aussi est largement répendu et tous les informaticiens savent que son OS est mauvais par rapport à UNIX. Ce n'est pas parce que c'est plus vendu que c'est meilleur. Principe Darwinnien: c'est celui qui survit le mieux parce qu'il se reproduit plus vite; même si c'est un boiteux... et un canard à 3 ailes.

<< Les grandes multinationales peuvent faire ce qu'elles veulent, la seule chose que toute organisation humaine doit respecter, c'est les droits fondamentaux des individus, et si elles ne les respectent pas, elles doivent être sévèrement sanctionnées.>>

===>> Qui payent les avocats? Au prix d'un avocat d'affaire c'est du gâteau pour une multinationnale. Jeremy Bentham, pas soupsonné de marxisme disait qu'avec les avocats on était victime deux fois: du préjudice qui nous fait prendre un avocat, et du prix de l'avocat après....


<< La sanction la plus efficace sera celle du consommateur, car comment espérer d'un Etat, première et plus importante organisation humaine a ne pas respecter les droits fondamentaux des individus (en contradiction avec la constitution), qu'il les fasse respecter pour les autres ? >>

==>> Ben voyons! Et c'est qui qui applique la sanction à l'entreprise coupable? L'entreprise coupable elle-même? Elle aime l'auto-flagellation?

C'est qui le Troll Stéphane?
# Posté par Ron | 20/12/14 14:50
Flumeri's Gravatar Vous êtes des Trolls tous les deux.
A vous lire, tout est perdu pourri et il n'y a rien a faire ....vous attendez que d'autres fassent pour vous? Parler écrire .'.faire c est mieux ....que faites vous ? où êtes vous dans quelles organisation ou association qui réfléchissent proposent, agissent ..... mettent en place...constater et comprendre est une bonne chose ....faire de la propagande pas uniquement avec ce média .... où êtes vous sur le terrain? je vous rejoins de suite si tan t est que vous ayez vraiment envie et besoin que les tendances soient comprises d'une part et surtout que l'on bâtissent des solutions.
# Posté par Flumeri | 30/12/14 14:52
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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