« C dans l’air » en apesanteur économique

L’émission d’Yves Calvi est une des rares qui se laissent voir dans le PAF poubelle audimatisé.  Comment a-t-il réussi à obtenir que chaque participant respecte la parole des autres est un mystère. Une émission qui cherche à faire de la lumière plus que de la chaleur est une bénédiction qu’il faut souligner.

L’émission qui nous a intéressés portait sur la croissance revenue avec des intervenants qui hantent les médias depuis longtemps.

Marc Fiorentino n’est pas économiste. Ce qui en soi n’a pas d’importance. Il promène une belle gueule qui passe bien à la télé et bonimente façon Bellemare, ce qui le range dans la catégorie des auteurs sympas « vus à la télé » qui vendent bien dans les supermarchés, même si on peut se passer de lire leurs ouvrages. Ces caractéristiques évitent qu’on s’attache trop à ce qu’il dit. En général il amplifie le bruit de fond avec l’air de celui à qui on ne la fait pas. Si le bruit de fond est raisonnable, cela n’est pas grave. Sinon, il aère les sottises façon ventilateur.  C’est un métier.

Eric Heyer est le très estimable animateur de l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques (OFCE), qui publie chaque année une synthèse sur les données économiques française (le dernier : L'économie française 2014 – La découverte). L’OFCE est une excellente initiative de l’institut d’Etudes de Paris. Tout est propre et net dans ses écrits. On y prend bien soin de ne jamais  exprimer une idée contestable ou simplement discutable. Difficile de trouver une erreur dans ce qui est dit. Pas de démagogie non plus. Les évènements sont toujours correctement exposés et décrits. C’est dans l’analyse que cela pèche. Jamais de risque explicatif ! Alors les évènements flottent sans qu’on sache vraiment pourquoi ils se produisent et comment ils s’enchaînent. Ce côté « commentaire propre sur lui », façon Alain Duhamel dans le domaine politique, est un peu la marque de Sciences-Po. On reste toujours sur sa faim.

Nous ne dirons rien de Mathilde Lemoine dont nous n’avons pas lu le livre (Les grandes questions d'économie et de finance internationales. Décoder l'actualité-Mathilde Lemoine Thierry et Philippe Madiès-Ed. De Boeck (2012)).

Nous ne savons rien de Pascal Perri, sinon qu’il a une tête de Ministre des Finances grec.

L’émission passe en revue tous les signes de la reprise avec, comme thèmes principaux, sa réalité, sa solidité et sa capacité à terme de créer de l’emploi. Elle surfe sur la vigueur surprise de la croissance annoncée par l’Insee pour le premier trimestre 2015 : 0.6%. L’Insee avait annoncé dès l’automne 2014 un bon premier trimestre. Mais pas une telle croissance.

La surprise crée l’émotion et stimule la demande d’explication. L’explication banalisée est de justifier la croissance nouvelle par  l’effet de marée de « l’alignement des planètes ». La baisse du pétrole a libéré du pouvoir d’achat. La baisse très forte de l’Euro  a stimulé les exportations. Le taux très bas des emprunts (négatifs parfois) a évité des restrictions budgétaires trop fortes et stimulé les emprunts privés. Les entreprises ont réussi à reconstituer leurs marges.  La reprise nette aux Etats-Unis et au Royaume-Uni a un effet d’entraînement. La hausse de la bourse a créé de l’optimisme.  Etc.

Chacun des intervenants à son tour expose ou commente ces composantes du moment.

Le reportage sur l’Irlande fait valoir certaines opinions : les banques seraient devenues raisonnables : leurs dettes auraient été cantonnées rapidement ;  les efforts budgétaires auraient été payants même si la dette publique s’est envolée ; liée aux économies américaines et anglaises et favorisée par la reprise de ses deux voisins et les avantages fiscaux exorbitants offerts aux multinationales, l’Irlande se serait sortie d’affaires mieux et plus vite que les autres pays européens.

Les commentateurs commentent en fonction de leurs préférences idéologiques mais sur la pointe des pieds.  L’un qui veut des réformes de structure en France souligne qu’elles ont été faites en Irlande. L’autre exonère l’Etat comme source de la crise et incrimine le gonflement de la dette privée dans un pays qui était « le bon élève de l’Europe ».

La reprise sera-t-elle durable ? Chacun souligne la fragilité qui lui tient à cœur. L’un considère qu’il s’agit d’un feu de paille lié à une reprise « mécanique » de la consommation après des années d’abstinence. Mais faute d’une reprise franche de l’investissement, on n’ira pas loin. L’autre souligne que les planètes commencent à se désaligner : baisse de la croissance aux Etats-Unis,  remontée des taux, remontée de l’Euro et remontée du prix du pétrole. Les moteurs de la reprise commencent à crachoter.

Tous s’accordent sur une bonne activité en France pour au moins deux ans avec une accélération progressive en 2016.

Sur l’emploi on retrouve toutes les idées populaires  dans la presse :

-        Ce sont les petits boulots qui reprendront comme aux Etats-Unis, au RU et en Allemagne.  

-        Le manque de compétitivité de la France fera de la reprise de la consommation une aubaine pour les importations pas pour la production française, structurellement désajustée ;

-        La productivité croit plus vite que la croissance ; le progrès n’aura pas le temps de cascader vers les classes populaires.

La France, mauvais élève de l’Europe connaîtra un certain rattrapage mais ne doit pas compter sur une reprise franche et joyeuse.

Dans le fond de l’air grondent quelques méchants orages plus ou moins lointains : la Grèce peut provoquer une crise rapide ; La remontée des taux peut s’avérer tragique pour les marchés financiers ; la sortie du Royaume-Uni de l’Europe  pourrait faire plus mal encore.

Tout cela est le parfait miroir de l’air du temps, ce qui est bien la vocation de « C dans l’air ».

On ressent néanmoins un certain malaise en coupant le poste. Il provient comme d’habitude du caractère pointilliste de tous ces constats  et commentaires. Les évènements sont là et peuvent être expliqués par des éléments à court terme. La vision globale et à long terme manque.

Deux aspects sont presque totalement manquants :

-        La notion de cycle. Tout observateur connait le cycle décennal avec sa phase haute terminale ; Nous sommes dans la phase haute du cycle depuis quelques temps déjà. La vraie question est qu’elle est plus modeste et plus artificielle  à chaque cycle depuis 1971. Savoir si ce sera encore le cas ce coup-ci mériterait des développements un peu plus spécifiques.

-         La notion d’économie baudruche. C’est elle qui explique l’explosion de l’Irlande, qui avait participé à plein à ses mécanismes et c’est la méthode employée pour regonfler la baudruche qui explique aussi la reprise irlandaise qui tient beaucoup à des aspects purement spéculatifs.  C’est elle qui explique la précarité et la lenteur de la reprise.

Si on tient compte de ces deux éléments, l’issue de la période de « haute conjoncture » fait problème. Elle sera nécessairement explosive. L‘alternance connue des crises dures et molles en fin de cycle laisse penser que ce sera une récession boursière forte avec une récession des PIB modérés.  Ce point n’a pas été discuté, même si l’apparition de quelques bulles a été dénoncée.

On comprend que des schémas explicatifs globaux puissent paraître trop théoriques dans ce genre d’émission. D’autant que les pronostics  sont voisins : 2015 et 2016 devraient bien être plutôt meilleurs que les années précédentes.

Mais la question posée est d’être préparé à la fin de cycle car la France n’a plus aucune garde pour y faire face et l’ultime phase de haute conjoncture sera trop faible pour donner des marges de manœuvres. Le calendrier politique, de ce point de vue, est exécrable. Les cadeaux électoraux commencent à s’accumuler. Le dernier : la promesse de revenir sur les petites économies faites au Ministère de la culture  par Manuel Valls  qui ne pensait sans doute pas qu’à faire plaisir à sa musicienne de femme.

Un krach obligataire peut se produire à tout moment. La bourse américaine atteint des sommets qui ont plus à voir avec les 80 mille milliards de dettes américaines qu’à la hausse des profits des entreprises cotées qui, en 2014, sont…en baisse significative, avec des chiffres d’affaires également en baisse !

On a rajouté 57 mille milliards de dettes à la dette mondiale initiale, compensée largement par la baisse des en-cours des banques.

Tout cela reste très artificiel et  tient avec des bouts de ficelle.  

 Personne n’a tenté de dire pourquoi. Personne n’a évoqué les changes flottants et la désorganisation monétaire  mondiale. Seuls les défauts de la gouvernance européenne et française ont été évoqués. Sans approfondir.

La meilleure émission d’information télévisuelle reste dans le commentaire light ex-post. Sans que les experts invités prennent le risque de théoriser un peu profondément les évènements. Résultat ! Personne ne comprend rien et le doute reste fort ; il devient impossible de juger les politiques menées en l’absence de tout cadre méthodologique.

Le téléspectateur est Gros-Jean comme devant, mais il a désormais la température du fond de l’air.  

Commentaire
david's Gravatar Cher ami
On peut faire le même constat que vous sur toutes les émissions télé ou radio.
Les constats que vous faites sont le b-a-ba de l'économie dès lors qu'on a compris PIB = C+I+X-M avec les effets de dettes et d'épargne associés.
Je me demande toujours si cela est fait sciemment ou si c'est l'ignorance crasse des journaleux et des pseudos experts qui s'agite.
Je penche pour l'instant sur la 1ere hypothèse. Car dans les faits, si on aborde le problème sous l'angle du commerce international et de la monnaie, on se rend compte en 5 minutes de ce qui cloche et on tend vers des solutions dites "hétérodoxes" autrement dites anti-doxa. Et ça c'est pas bon pour une carrière de journaleux ou de pseudo expert. La conclusion est que cette situation arrange les élites nationales, européennes et mondiales, d'ailleurs ça tombe bien, personne ne les met en cause et on tourne en rond sur le catéchisme économique comme des rats dans une cage, on ne culpabilise plus sur nos pêchés mais sur notre manque de compétitivité et sur nos comptes "déséquilibrés"...
La parole médiatique est comme la parole d'évangile, il faut la croire et ne pas se poser trop de question, le latin ? ben ça rapproche de jésus, ah, il parlait araméens, tu poses trop de questions, tais toi et pries pour ton salut en silence stp!
La républico-démocratie est un système religieux sans dieu avec ses évangiles, ses tables de la loi et ses prêtres. L'emission de Calvi, c'est une messe où on vient communier ensemble sur la main invisible du divin marché, les saints patrons et les "zélus" sont les nouveaux monarques de droit divin, l'Etat c'est eux. Amen donc !
# Posté par david | 20/05/15 15:47
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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