Le journalisme bananier

Il est toujours intéressant de relire des livres de prospective avec trente ans de de retard. En général l’avenir n’a pas été celui prévu mais pas toujours. Alvin Toffler a parfaitement vu que la révolution des médias qui s’esquissait n’allait pas dans le bon sens et il ne connaissait pas Internet.  Il ne voyait pas dans la multiplication des canaux un vrai progrès mais un risque de révolutionnarisme permanent de la bassesse, armée par l’émotion, indéfiniment fractionnée et empêchant toute conduite politique d’un pays particulier. Il avait raison. Le spectacle donné par les médias lors des présidentielles françaises de 1917 porte témoignage d’une dégradation des mœurs journalistiques qu’il convient d’analyser. Pour le dire avec un peu de cruauté : de même qu’il y a des républiques bananières, ne doit-on pas constater l’émergence d’un journalisme bananier ?

Qu’est-ce qu’une république bananière sinon un « régime » où la volonté populaire ne peut plus s’exercer tant la corruption des mœurs politiques bloque la libre circulation des idées, l'honnêteté des actions et la rationalité des mesures prises. Plus rien n’a de sens. Dans la folie générale aucune politique n’est plus possible.

Qu’est-ce qu’un journalisme bananier sinon un journalisme où l'honnêteté a fui, où les seuls intérêts immédiats jouent, où plus personne ne croit à un minimum d’objectivité, où les langues et les plumes sont totalement serves et où cette servitude n’est même pas le fruit d’une oppression idéologique ou autre mais naît de la simple envie de ne pas risquer son poste dans un milieu qui nourrit bien et permet, à peu de mérite, de cumuler notoriété et prospérité.

À côté du « mur des cons » qui fait si bien dans le décor politique français, ne devrait-on pas inventer un « mur de la banane » où serait épinglée la crème des journalistes bananiers ?

On n’évoquerait pas cette question dans un blog économique si les conséquences économiques ne risquaient pas d’être gravissimes. Pour un journaliste bananier, l’économie est l’ennemi qui a honteusement envahi l’espace politique. Alors il a fallu l’évacuer avec beaucoup de férocité et de perversité, pour permettre au n'importe quoi et au n’importe qui de s’installer en maître.

Prenez BFM, pour l’ensemble de son œuvre ! Tant d’application dans la malhonnêteté intéressée laisse pantois. On sait que M. Drahi, franco israélien expatrié, résident suisse couvert de dettes, qui vient de racheter la chaîne, évidemment à crédit, a encore besoin de M. Macron (République Bananière) qui l’a aidé dans sa conquête problématique. Tous les journalistes (bananiers) de la chaîne vont donc, dans la joie et le bonheur, se lancer dans la défense et l’illustration de M. Macron avec des finesses d’éléphant qui feront la joie de ceux qui voudront écrire une thèse de plusieurs milliers de pages sur la malhonnêteté dans les médias.

Absolument toutes les réunions publiques de M. Fillon, par exemple, auront été présentées par un « correspondant sur place » qui décrira une salle vide et une assistance décevante, divisant par trois, quatre ou cinq le nombre de présents comptés par les organisateurs. Le comble sera la couverture de la réunion de la porte de Versailles où la caméra de BFM s’attachera à filmer le hall d’entrée, évidemment vide, ayant permis d'accéder à la salle de la réunion où se pressaient entre 15 000 et 25 000 personnes. Comme il fallait bien donner quelques images de la salle bondée, le « journaliste » indiquera que l’organisateur utilisait une caméra truquée qui permet de « faire semblant qu’il y a du monde » !

Le sommet de l'objectivité « drahie » sera naturellement le sondage fourni par l’officine douteuse dont M. Drahi finance les services (ELABE : Essai LAmentable de BErner) pour expliquer que, lors de la confrontation de tous les candidats, c’était M. Macron qui avait gagné le débat avec plus de 10 points d’avance sur le suivant, alors qu’il était clair que Mélenchon avait marqué les esprits, ce que confirmeront tous les autres instituts et la suite de la campagne, Macron fléchissant aussitôt après le débat dans tous les sondages.

Un tel plongeon dans la propagande indécente (saloper l’image de l’un, glorifier l’image de l’autre) ne s'était plus vu depuis l’URSS, et en tout cas jamais dans une démocratie.

« C dans l’air », sur la 2, comme France-Inter, a fait beaucoup d’effort pour donner au concept de journalisme bananier un contenu épatant et complet.

Ce n’est pas tant la jouissance extrême montrée par les deux animateurs de l’émission, Caroline Roux et Bruce Toussaint, à « se payer le Fillon » à longueur d’émission quotidienne (plus de 50 émissions à faire du vent mauvais sur Fillon et « les affaires », et près de 50 heures passées en trois mois à cet intéressant exercice de destruction d’image), ni le fait qu’on a vu arriver sur le plateau d’illustres inconnus(e)s recruté(e)s uniquement pour dégoiser sur le même candidat, qui font réfléchir sur l’état de totale déliquescence d’une partie de la presse et des médias, mais un incident qui est sans doute passé inaperçu de tous.

Lors d’une rare émission non consacrée à détruire du Fillon, la question est posée aux présents : quel est le programme le plus susceptible de relancer l’emploi. En fait tout le monde sait qu’il en a qu’un seul qui présente une petite chance d’avoir un réel effet : justement celui de Fillon.

Rappelons rapidement pourquoi cet avis n’est pas une simple opinion. L’économie a des droits !

Dans un système où le change ne peut plus être manipulé, et où il est irréaliste, compte tenu de la situation très dégradée de la situation financière du pays, d’abandonner l’Euro sans conséquences gravissimes, la seule solution est de revenir sans faiblesse sur toutes les mesures accumulées qui ont tué la compétitivité française : gonflement apocalyptique des effectifs publics, et donc des impôts et charges, diminution des temps de travail, hebdomadaires, annuels et sur l’ensemble du cycle de vie, réglementations étouffantes et absurdes des relations du travail, préférence pour le chômage un peu partout. On ne peut rien redresser sans augmenter le temps de travail dans les fonctions publiques, sans revenir drastiquement sur les effectifs démesurés notamment dans les régions et les collectivités locales, sans transférer une partie des charges non spécifiquement liées à la production sur la TVA pour les sortir de la formation de nos propres coûts de production nationaux, sans revenir à une imposition du capital non spoliatrice permettant de libérer l'investissement, …

Les prélèvements publics en France sont égaux à la valeur ajoutée des entreprises non financières privées de plus d’une personne (en un mot les entreprises privées). L’État français prélève 100 % de ce que le secteur privé français produit ! Intéressant, non ? N’espérez-pas que ce constat soit fait un jour à la télévision. C’est interdit : pour travailler dans le milieu il faut crier vive l’impôt et vive la merveilleuse dépense publique (qui finance les avantages fiscaux des journalistes et qui permet aux journaux et aux chaînes de survivre). Le journalisme bananier a une dimension fiscale marquée !

Cette réalité a une conséquence que le quinquennat de M. Hollande a soulignée : il faut spolier fiscalement les Français pour réduire la glissade dans la dette, saquer drastiquement les subventions aux collectivités locales et fermer les dépenses des ministères et notamment celui de la culture. Hollande l’a fait sans se vanter : qui sait que les crédits pour le patrimoine sont passés de 1.2 milliards en 2010 à 750 en 2015 ? Couper presque en deux des crédits de la Culture ! Imaginez les réactions des journalistes bananiers si une telle glissade s’était produite sous une présidence de droite ? Qui sait que la francophonie est à l’abandon ainsi que toute l’action culturelle du Ministère des Affaires Étrangères ? De nombreux ministères centraux sont ainsi à l’os pour conserver des conditions de salaires, de durée de travail, de retraites totalement intenables. Tout en ruinant le secteur privé en sous-investissement permanent depuis des lustres. Et en laissant filer une dette aggravée et heureusement refinancée sans frais grâce à la BCE. Pour l’instant.

La vulnérabilité de la France est plus que certaine. Nous sommes à quelques encablures de la falaise grecque. Si on s’y fracasse, c’est là que le pays va « cracher le sang ».

Le plan Macron n’a de crédibilité ni politique ni économique, même s’il va dans une meilleure direction que les autres programmes socialistes (Le Pen, Mélenchon, Hamon, Poutou, Arthaud). On ne peut pas réussir une politique sérieuse en faisant le grand écart entre Madelin et Hue, avec des demi-mesures enrobées dans du pur baratin lénifiant, et sans soutien cohérent au Parlement.

Tout cela est tellement évident, qu’aucun « expert » même autoproclamé, même bouffé par l’esprit partisan, même attaché à l’OFCE de Sciences Po, ne peut répondre à la question posée sur le meilleur plan de lutte contre le chômage autre chose que : « le plan Fillon », nécessaire même si non-suffisant.

Dessertine a failli le faire et il s’est brusquement arrêté sentant que la réponse ne serait pas admise et qu’il risquait de ne plus jamais revenir. Alors le voilà qui explique qu’on ne peut pas répondre à la question sans dévoiler son vote et que par conséquent il ne le fera pas ! Gêne générale sur la planète des singes. Suivront cinq minutes grotesques où chaque brillant journaliste bananier ira de sa suggestion anorexique, cherchant quelques microbiques mesures pouvant présenter « un potentiel » pour l’emploi dans les programmes des candidats « convenables ». On n’ose pas faire la liste de ces suggestions ici pour ne pas couvrir de plus de ridicule ces glorieux intervenants (Lenglet, Fressoz, et un certain Bernard Vivier).

Le plus drôle est naturellement que le sondage express fait par la chaîne pour appuyer l’émission démontrait de façon formelle que la très grande majorité des auditeurs pensaient que le programme Fillon était le meilleur pour l’emploi ! Cela ne sera pas dit à l’antenne…

Le citoyen spectateur n’a pas eu le choix durant cette campagne. Où qu’il s’est tourné sur les radios et les télés, il est tombé sur le même mur bananier, interdisant toute réflexion sur les programmes.

On n’est pas couché (mais vautré dans la bananeraie), sur Antenne 2, a atteint des sommets dans l’exercice de l’évitement de toute réflexion politique objective, en réunissant ses anciennes doublettes de « chroniqueurs », pour maltraiter les candidats n’ayant pas la bonne idée d’être « vraiment de gauche ». Quasiment toutes ces éminences, sauf peut-être Zemmour, ont vu :

-        De la « sincérité » dans les propos de Mme Arthaud, « agrégée » d’économie et donnant au passage la mesure du niveau de cette agrégation, dont la langue de bois rancie par 75 ans de pratique communiste pro génocidaire est pourtant un modèle d’insincérité,

-        De la « fraîcheur » dans les propos de M. Poutou dont la langue est du même bois que la précédente et le discours tellement convenu qu’il nous ramène également 75 ans en arrière, une belle fraîcheur.

-        De la « gentillesse » désarmante chez M. Hamon, alors que toute sa campagne a été passée à stigmatiser des démons, des traîtres, …

Pour Fillon, à l’exception du vieux briscard de Zemmour qui sait la politique et en a vu d’autres, on eut droit à la vomissure habituelle. « Vous vous rendez compte, Mme Michu, il a fait travailler sa femme comme 220 autres parlementaires en tant qu’attachée, et s’est fait offrir des costumes un peu chers par un type douteux, mais moins de costumes Arnys que Mitterrand tout de même. En plus il a osé créer une société de conseils, comme une centaine d’autres. Hou le vilain ! Même pas la peine de parler de son programme ». Même la brave Polony s’est crue obligée d’aller de son couplet, expliquant que son programme était ringard car dignes des années soixante-dix ! Elle a soudain compris que le mondialisme financier mettait à vif les rouages économiques français. Donc il n’y avait plus de solutions de droite. Seulement un retour au Franc et au nationalisme étatique ? Heu ! Ben ! Heu ! L’important, c’était de hurler avec les loups et de filer un coup de pub à une création journalistique méritante, mise en ligne par ses soins, peu de temps avant, sur Internet (ce Fillon quel cupide !).

Macron a posé quelques problèmes de conscience à ces âmes d’élite. On sait que pour Ruquier, Macron souffre comme Hollande d’un grave défaut : les artistes ne l’aiment pas et veulent « une gauche vraiment de gauche ». La loi Macron2, rebaptisée en El Khomri pour épargner le favori du Président, et la déchéance de nationalité, indignent ces âmes étincelantes comme un linceul argenté (Le contrepet Ruquier l’a rendu milliardaire). Seulement voilà, il ne faut pas insulter l’avenir quand les sondages font de Macron le gagnant obligé des prochaines élections. Alors, ce fut drôle. Comment dire : « il n’est pas assez de gauche » tout en affirmant que : « ce n’est pas trop grave » ? Un exercice de style qui a donné au journalisme bananier ce vernis français si caractéristique.

Le grand homme, c’était naturellement Mélenchon. Pour le coup même Zemmour était séduit. Il parle français, lui, pas comme tous ces jeunes bobos qui croient que la Guyane est une île. Et puis il est contre l’Europe, enfin presque. Bien sûr, il a été pris dans une malheureuse affaire d'emploi fictif et le népotisme en faveur de sa fille fait toujours jaser. Mais on ne va pas lui faire subir le traitement Fillon, d’autant plus qu’il est bien plus riche que Fillon et paie l’ISF. À peine si les moins soumis se sont laissés aller à remarquer que dans l’euphorie de l’élan sondagier, le nouveau héros poly holographique avait un peu tendance à oublier son attachement au chavisme et au castrisme, deux bavards ruineux du même métal que lui et qui ont fait tant de bien à leur peuple. La prospérité, la dignité et la sécurité, dans ces paradis mélenchoniens,  sont devenues, elles, totalement holographiques. Une tranche fiscale à 100 % du revenu en revanche, cela, c’était bien. Enfoncé Hollande et ses 75 % qui font rire encore aujourd'hui de la France partout dans le monde.

Restaient les « gaullistes » souverainistes, vent debout contre la Finance, l’Europe de Maastricht, l’Euro et même l'Otan. De la valetaille qui arrivera bien à enlever 5 % de voix à Fillon, « ce qui est le principal », dira Mme Pulvar, l’ancienne petite amie plaquée d’un ex-ministre de l’économie promoteur de la qualité vraiment française et socialiste, converti dans le meuble étranger « low cost ». À propos, quelle était l’ancienne définition d’un journaliste objectif ?

Après ces quelques heures, si le bon peuple n’est pas parfaitement informé sur les enjeux de l’élection, c’est à décourager du journalisme bananier de compétition.

Le plus drôle : si le second tour voit Le Pen et Mélenchon s’affronter, ils diront qu’ils ne comprennent vraiment pas comment cela a été possible. Mais si, ils ont déjà la réponse ! C’est à cause de ce satané Fillon qui a pollué le scrutin avec ses costumes.

En fait plus rien ne sera drôle. Qui, jamais, a prétendu qu’une république bananière ou son journalisme du même fruit, soient drôles ?

Le « mur des cons » non plus n’était pas drôle.

La falaise grecque le sera encore moins.

Commentaire
DvD's Gravatar Enfin une explication cohérente aux difficultés de la Guyane : la quantité de bananes augmentant exponentiellement, les cours s'effondrent !
# Posté par DvD | 20/04/17 21:13
Pierre Lafond's Gravatar Certains journalistes commencent à s'interroger sur leur rôle. Mais la vérité est claire : la République est à l'encan. M. Macron est un factotum. Une minorité appuyée sur les moyens de l'Etat confisqués à leur usage exclusif règne indéfiniment en sachant qu'il y a maintenant deux Frances : celle qui paie et celle qui vie aux crochets des autres. Celle qui paie est maintenue automatiquement par la démagogie à l'écart du pouvoir. Cela suffit à la petite minorité de conserver ses pouvoirs et son argent, un pied dedans et un pied dehors de la France. Pendant que la France s'effondre.

Qui aurait pensé que l'effondrement français serait aussi rapide et aussi prononcé ? Qui aurait pensé qu'on aurait pu dégoûter aussi facilement les jeunes Français de la France.
# Posté par Pierre Lafond | 23/04/17 18:56
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