Le blocage incompris du marché interbancaire Chinois

Le 8 mars 2009,  nous avions tenté de faire comprendre que la CHINE était plus un problème qu’une solution (voir   http://cee.e-toile.fr/index.cfm/2009/3/8/Non-la-Chine-ne-nous-sauvera-pas-). A cette époque, dans le désarroi intellectuel général, certains commentateurs « autorisés » avaient repris les inepties de quelques analystes qui pensaient que les réserves chinoises allaient servir à relancer l’économie mondiale.  

Il y aura toujours, en toute époque, et à tout moment, de fins esprits pour croire que l’abondance de liquidité est la garantie d’une reprise rapide de l’activité. La Chine était gorgée de liquidités : la reprise serait là  et se ferait par-là ! En vérité, la Chine, après le Japon, après l’Allemagne, découvrait que l’accumulation d‘actifs en dollars la rendait vulnérable à des pertes abyssales. Elle allait donc gigoter dans tous les sens pour ne pas trop perdre, déstabilisant de nombreux marchés sans permettre de vraies reprises des échanges.

Il ne faut pas confondre panique et commerce.

Aujourd’hui les mêmes analystes restent sans voix : pourquoi le système bancaire chinois, gorgé de liquidité, est-il en grand danger ? Ils n’ont pas la clé d’interprétation d’un phénomène qu’ils ont pourtant devant les yeux depuis 2007, et qu’ils n’ont jamais voulu comprendre.

Alors ils développent les mêmes arguments que lors de la crise appelée à tort « des pays émergents ». On se souvient qu’à l’époque il était de bon ton de critiquer le « cronyism » supposé des systèmes financiers émergents. S’ils étaient en crise, c’était de leur faute et ils n’avaient qu’à mettre de l’ordre dans leur système. En fait la crise de 98 était une crise du dollar dans un environnement de changes flottants et de mouvements de capitaux à court terme totalement libres. Craignant l’Asie et surtout le Japon après le tremblement de terre de kobé, les spéculateurs étaient revenus en masse sur le dollar provoquant une double spéculation sur le dollar et sur la bourse américaine, notamment pour les valeurs technologiques. Rien à voir avec la gouvernance des banques des pays émergents qui seront VICTIMES dans cette affaire et traitées en voyous.

D’où la conclusion de l’article du Monde : « selon les analystes seules de vraies réformes structurelles du système bancaire…avec épuration des créances douteuses  et lutte contre la corruption, permettront d’éloigner vraiment le risque de crise ».

On a envie de demander à Marie Charrel, qui signe l’article, qui sont ces « analystes ».  On sait bien que ce sont les mêmes qu’en 1998 : les analystes des banques anglo-saxonnes en général et des banques américaines en particulier qui prêchent pour leur paroisse.

 

La crise actuelle en Chine est exactement du même type que la crise de 2007 dans les pays de l’OCDE. Le marché interbancaire s’est bloqué, comme en juillet 2007, au moment où les banques ont soudain compris que leurs partenaires étaient vulnérables et que tout prêt était en danger de ne jamais être remboursé. En 2007, après des mois d’incompréhension, la cause avait été trouvée : « ce sont les subprimes » !  Comme nous l’avons rabâché depuis, les « subprimes » ont joué le rôle d’allumettes mais la masse explosive venait d’ailleurs et était ailleurs.  

Notre thèse, reprenant les observations de Jacques Rueff, était que le blocage provenait de la double hélice de crédits qu’avaient permis le système des changes flottants, associés à la liberté totale des mouvements de capitaux.

Si un pays accumule des déficits colossaux, un autre pays accumule des excédents colossaux. Que faire de ces excédents ? La tentation est de les replacer dans le système bancaire du pays déficitaire. La nouvelle liquidité reçue génère une augmentation du crédit dans le pays déficitaire qui le devient de plus en plus. L’augmentation des actifs bancaires dans le pays excédentaire y permet le développement du crédit. L’endettement global ne cesse plus d’augmenter.

Pour les pays de l’OCDE, le taux d’endettement global est passé de moins de 200% à plus de 400%, créant une situation d’explosion, en dépit des purges périodiques provoquées par les crises décennales fortes (73-74, 92-93).

Regardons la réalité chinoise : le Monde du 24 décembre 2013, reprenant les informations du FMI,  la montre dans fard. « Les prêts classiques et les « crédits non traditionnels » s’élèvent aujourd’hui à 200% du PIB contre 130% en 2008 ». L’effet de la double hélice de crédits, en l’absence de toute réforme, continue à s’exercer. L’endettement américain a été soutenu par le « Quantitative Easing » aux Etats-Unis. La Banque de Chine  lâche 300 milliards de Yuan pour éviter le blocage du marché interbancaire Chinois. Le parallélisme est saisissant, même si les faits sont décalés du fait de l’administration stricte de la finance chinoise par les autorités.

La Chine confrontée à la fois aux risques de ses avoirs en dollars et aux effets de la création monétaire induite par les excédents est en difficulté.

Automatiquement en difficulté.

Il ne peut y avoir de surprise.

Les changes flottants sont un système nocif qui n’a jamais marché, ne marche pas et ne marchera jamais. C’est cela que la réflexion devrait commander d’écrire à Marie Charrel. Elle ne le fera pas. Elle tient à sa place. On peut la comprendre.

Mais quel désastre intellectuel !

Commentaire
DvD's Gravatar La Chine est l'exemple parfait du caractère dysfonctionnel du système international commercial et monétaire :
- En 2001, la Chine entre dans l'OMC sur la base d'un taux de change sous évalué.
- De 2001 à 2007, la China accumule des excédents commerciaux et des réserves monétaires gigantesques, dont la contrepartie est la montée du chômage et de l'endettement en Occident, la nouvelle dette étant souscrite par la Chine comme investissement de ses réserves monétaires. Ce réinvestissement par la Chine permet de maintenir les taux d'intérêts bas et permet ainsi au consommateur américain et européen de continuer à consommer (en achetant des produits made in China) en s'endettant malgré la montée du chômage et la pression salariale. Il permet également aux gouvernements de s'endetter pour faire face au budget croissant du traitement social du chômage. Enfin, les taux d'intérêts bas permettent la relance par l'effet richesse cher aux banques centrales et conduit au développement de la bulle immobilière en 2005 en particulier aux Etats-Unis. On nous explique alors que le futur appartient à la Chine (comme il appartenait au Japon dans les années 80 ou aux Tigres asiatiques dans les années 90). Greenspan ne comprend pas ce qui se passe et parle de "conundrum".
- En 2008, quand l'endettement insoutenable de l'Occident conduit finalement à la crise, la China a accumulé $ 3000 milliards de réserves contre $ 0 en 2001.
- En 2009, comme ces réserves monétaires (largement des emprunts d'Etat américain et occidentaux) servent de base à son propre système domestique de crédit à réserve fractionnaire, la Chine est capable de financer un plan de relance gigantesque en augmentant les octrois de crédit à l'économie de +34%, soit une croissance des prêts 4 fois supérieure à la croissance nominale de l'économie. C'est ce plan de relance qui sort le monde de la récession en 2009.
- De 2009 à 2013, la croissance du crédit en Chine reste proche de +20% par an, largement plus rapide que la croissance nominale de l'économie.
- En 2013, après 4 ans d'expansion débridée du crédit, la Chine qui avait l'un des bilans les plus solides du monde en 2008 a très largement détérioré sa solvabilité qui est maintenant au même niveau que l'Occident en 2007. En particulier, on s'aperçoit qu'une partie des prêts librement octroyés en 2009 n'est pas recouvrable, ce qui explique les tensions actuelles sur le marché interbancaire.
- Dans les 12 ans depuis l'entrée de la Chine dans l'OMC, le système commercial et monétaire mondial - dont la logique même permet l'accumulation de déséquilibres commerciaux gigantesques financés en empilant de la dette sur de la dette - a conduit non seulement les pays développés mais aussi la Chine a la faillite.
Joli résultat. Evidemment, amender un tel système n'a été a l'agenda d'aucun des nombreux mertings du G20 qui se sont tenus depuis 2008. On s'efforce plutôt de relancer l'économie en préparant activement la crise suivante.
# Posté par DvD | 25/12/13 20:58
DvD's Gravatar Article de Boursorama ce jour : "Bourse : Shanghai a déçu en 2013, plombée par la pénurie de liquidités".

L'octroi de nouveaux crédits par le système bancaire chinois va friser les $ 2000 milliards en 2013, à comparer à une croissance du PIB de l'ordre de $ 540 milliards. Il y a donc un excédent massif de liquidités plutôt qu'une pénurie. Mais, il n'est écrit nulle part que les excès de liquidité se dirigent naturellement dans le lit haussier de la bourse. Il y a d'autres canaux d'écoulement. Ainsi, la valeur de l'immobilier explose en Chine, en même temps que les taux de vacances d'ailleurs, ce qui pose un léger problème.

Plus fondamentalement, c'est le modèle de croissance Chinois - fondé sur l'investissement à outrance à destination de l'export et financé par des taux d'intérêts réels négatifs - qui atteint ses limites. Comme les déficits extérieurs globaux des pays occidentaux se réduisent car eux mêmes ont atteints leur limite d'endettement et donc leur limite d'importation, l'investissement Chinois - qui dépasse les 50% du PIB - se retrouve totalement surdimensionné par rapport aux besoins pourtant considérables du marché domestique. Le fameux ré-équilibrage de la croissance Chinoise vers la consommation intérieure dont parlent les dirigeants depuis plusieurs années ne s'est pas du tout produit. Au contraire, la consommation a continué de chuter en valeur relative pour atteindre 34% du PIB en 2012.

Dans ces conditions, ces investissements Chinois ne créent pas la valeur escomptée et les entreprises et collectivités locales se retrouvent avec un manque de cashflows pour assurer le service de la dette qui les a financés. Ce n'est pas une crise de liquidité, c'est bien une crise de solvabilité, conséquence directe de la mauvaise allocation de capital à laquelle a conduit inéluctablement une politique monétaire trop accommodante destinée à financer une course en avant vers toujours plus de déséquilibres commerciaux. Si les entreprises ne créent pas de valeur par leurs investissements et que leur endettement augmente, on comprend que la bourse baisse.

L'évolution de la situation en Chine va être cruciale. Soit les dirigeant acceptent une décennie perdue pour la croissance économique, le temps que les surcapacités industrielles et immobilières se résorbent, et continuent la réorientation vers la consommation intérieure en continuant l'appréciation graduelle de leur devise. Soit, ils refusent le décrochement de la croissance et dévalue leur devise pour relancer. Auquel cas, ce sera au détriment des économies occidentales.

Où l'on découvre que la gestion désastreuse de l'après 2008 par les membres du G20 a conduit à généraliser le problème du sur-endettement au niveau mondial. Une fois que tout le monde est sur-endetté, il n'y a malheureusement plus tellement de solutions coopératives possible. Tout le monde va essayer de se refiler le mistigri. C'est ce qu'annonce la généralisation du quantitative easing par toutes les principales économies de la planète.

Un beau gâchis à vrai dire.
# Posté par DvD | 31/12/13 18:11
DvD's Gravatar La Chine publie ce jour ses statistiques de crédit. En 2013, la création de nouvelles dettes s'élève à 17.290 milliards de Renminbi contre une croissance nominale du PIB de 5.400 milliards. Le ratio Dette / PIB incremental est ainsi de 320% en 2013. A ce rythme, la Chine continue de dézinguer son bilan : à fin 2013, le stock de dette totale atteint 205% du PIB nominal, soit le niveau des Etats-Unis mi-2005. Et ce n'est pas fini : avec une base monétaire de 31.800 milliards de RMB (dont 23.300 de réserves de change), le multiplicateur dette totale / base monétaire reste très faible à 3.7x. On peut aller très loin si la banque centrale de Chine ne devient pas très restrictive. Ce qu'elle ne peut pas faire sans risquer de bloquer le refinancement de son système bancaire. Echec et mat?
# Posté par DvD | 15/01/14 20:31
vigneron's Gravatar J'ai - euphémistiquement - quelques difficultés à discerner la cohérence logique de l'affirmation : « L’augmentation des actifs bancaires dans le pays excédentaire y permet le développement du crédit. » L'actif banque centrale (ici les titres en $ et € de la Banque Popu de Chine), à la limite, sinon ?
# Posté par vigneron | 01/02/14 13:03
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