La fausse "exemplarité" du marché des devises

Parmi les lubies de l'époque, et cela dure depuis la libération complète des mouvements de capitaux en 1990, figure l'exemplarité du marché des changes, présenté un peu partout et en particulier dans les cours d'économie financière, comme le parangon d'un marché quasiment parfait, permettant une confrontation à la seconde de millions de décisions  d'achat et de vente, et l'allocation optimale des ressources, en liaison avec le marché des taux d'intérêt.

Depuis cette époque nous ne cessons de répéter que cette doctrine est totalement aveugle aux réalités.

Le marché monétaire est l'exemple même d'un marché doublement imparfait :

- Il est dominé par quelques banques centrales qui peuvent intervenir avec des moyens tels que les changes n'ont que le sens qu'on veut bien leur donner (ou qu'elles veulent bien qu'on leur donne). On l'a vu avec la banque centrale suisse, qui a émis presque la valeur d'un PIB national pour arrêter la hausse des cours du Franc Suisse. On l'a vu avec l'émission de monnaie de la Banque centrale du Japon qui a noyé de liquidité les marchés pour faire baisser le Yen. Ne parlons pas de la FED et maintenant de la Banque Centrale Européenne qui ont émis près de 10.000.000.000 de dollars de monnaie gagée sur rien du tout en 7 ans.

- Les opérateurs au quotidien sur le marché des changes sont très peu nombreux et peuvent se coaliser facilement pour monter des coups permettant des gains faramineux en quelques heures ou quelques jours. Les gains sont minimes en taux mais les capitaux mobilisés sont tels et la durée des opérations si courte,  que les rendements sont extravagants.

Que constate-t-on aujourd'hui ?

- La condamnation des principales banques ayant manipulé le cours de certaines monnaies clés permettant de fixer des "trackers" sur lesquels on a pris des positions spéculatives à très court terme. On se rappelle que le Libor avait déjà été manipulé de la même façon. Cours de change et taux d'intérêt ont donc été constamment manipulés pendant vingt cinq ans. Merci pour l'allocation optimale des ressources !

- La danse de Saint-Guy actuelle des monnaies dont les cours sont manipulés par les banques centrales ou les Etats, ou de celles qui ont été affectées par des éclatement de bulles spéculatives. Le cours du pétrole, entièrement dominé par la spéculation, a fini par s'effondrer,provoquant aussitôt la chute de monnaie surévaluée comme par exemple le Rouble russe, lui-même victime de faits politiques. Le Real brésilien se porte mal du fait de l'arrêt des achats chinois qui avait permis une spéculation éhontée sur les "classes d'actifs" brésiliens dont la monnaie. L'Euro a fortement baissé par rapport au dollar du fait de l'action de M. Draghi.

Encore une fois, où voit-on un marché libre, liquide et parfait ?

De toute façon dans une économie boursouflée par la création monétaire massive, que nous avons appelé "baudruche", les marchés de capitaux n'ont aucun sens "réel". L'argent ne se place pas dans des projets de production mais dans des espoirs de gains en capital sur des valeurs nominales dépendant directement des émissions monétaires.

Tant qu'on n'a pas mis fin au mécanisme qui permet un gonflement des crédits  hors de tout contact avec les investissements de production, et qu'on laisse les banques centrales se faire la guéguerre monétaire, enveloppée dans l'encens des réunions périodiques sacralisées et pseudo consensuelles, les sanctions juridiques n'ont aucun sens.

La seule solution est d'en revenir à l'essentiel : les Etats doivent être rendus responsables de l'équilibre de leurs balances extérieures et du change de leur monnaie, avec des mécanismes de contrôle et d'aide pour limiter les effets des ajustements éventuels.  L'énergie est trop importante pour qu'on en laisse le prix flotter au gré de la spéculation. Il faut revenir à un système de monnaie internationale de référence, gagée sur des valeurs réelles, dont le pétrole mais aussi l'or, avec des monnaies au change fixe et ajustable par rapport à cette monnaie internationale.

Cette organisation, conforme aux statuts du FMI et aux accords de la Havane, mais corrigée par rapport au système de Bretton-Woods (suppression de la référence obligée au dollar, parité des droits et des devoirs au sein du FMI, intégration des grandes valeurs économiques de référence comme l'énergie, interdiction du "short" sur les monnaies, interdiction de la cotation continue), est la seule capable de mettre fin à l'économie baudruche et de canaliser le dégonflement de la masse d'endettement global qui frôle toujours aujourd'hui dans l'OCDE les 400%.

Cette réforme est SINE QUA NON.

Vouloir faire croire que la crise est circonstancielle et liée à l'action condamnable de quelques malfaisants est, au mieux, une naïveté.   

La crise a éclatée en juillet 2007. Sept ans après, l'empilage de dettes n'a pas été réduit. Le marché des monnaies est en pleine folie. "L'allocation optimale des ressources" est, comme la fameuse main censée la guidée "clairement invisible". En revanche la stagnation perdure ; les désordres perdurent ; le chômage s'étend ; les politiques économiques restent de pure panique.

Et pas un mot de la part des responsables pour faire le constat de ce sinistre tableau ni prendre la moindre mesure corrective. Où est M. DSK, l'ancien président adulé du FMI ? En train de tenter de se sortir d'un engagement fumeux dans la spéculation internationale. Où est Madame Lagarde ? En train de tenter de se libérer de son inculpation dans l'affaire Tapie. Où est le Président de la République Française ? En train de tenter de se sortir des mille et pièges qu'il dresse et dans lequel il tombe avec un certain plaisir. Où est M. Juncker, le Président de la Commission Européenne ?  En train de tenter de se sortir de l'affaire des avantages fiscaux donnés aux multinationales par le Luxembourg qu'il dirigeait, au détriment des autres pays d'Europe. Où est Poutine ? En train de reconquérir par la force une partie de l'Ukraine. Où est M. Abe ? En train de tenter d'interpréter la Constitution Mac Arthur pour construire la bombe atomique. Où en sont les Chinois ? En pleine exaltation du national-socialisme Han. Où est M. Obama ?  Qui est M. Obama ?

L'esprit de coopération économique et monétaire international a totalement disparu, noyé dans le "libre" marché des capitaux et la perte de toute réflexion économique collective sérieuse.

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile

Commentaire
DvD's Gravatar Le communiqué du G20 de ce week-end est parfaitement en ligne avec le jugement de Paul Volcker de mai dernier : " ce n'est pas assez - cela ne signifie pas grand chose sans un accord substantiel sur la nécessité d'une réforme monétaire et les modalités pratiques pour y parvenir." En fait, pas un seul mot dans le communiqué sur la guerre des taux de change qui sévit actuellement. Quant à Hollande, que ce soit dans les salons du centre de conférence de Brisbane ou sur les plateaux de la télévision française, il est égal à lui-même : totalement transparent, totalement dépassé, totalement "moi pas président" (sauf pour la petite pension à vie bien sûr, on ne transige pas sur les "valeurs républicaines"...). Au moins y a t il quelque chose qui dévalue encore plus vite que le Yen et le Rouble : la valeur des diplômes d'HEC et de l'ENA...
# Posté par DvD | 16/11/14 14:00
Micromegas's Gravatar Qui s'occupe encore du G.20 ?
# Posté par Micromegas | 16/11/14 19:47
DvD's Gravatar C'est en effet le sens de la remarque : le G20 ne signifie pas grand chose ... sauf pour les 20 contribuables concernés bien sûr qui payent les factures d'hôtels, les limousines, le champagne, le traiteur, les petits fours... Peut être économise-t-on un peu sur les escort girls depuis que DSK n'y participe plus ? Faudrait demander à la cour des comptes, on ne devrait avoir aucun mal à trouver quelques inspecteurs volontaires pour cette mission, vous ne croyez pas ? Mais, me direz vous, qui s'occupe encore de la cour des comptes alors que ceux-ci sont dans le rouge depuis 41 ans ?
# Posté par DvD | 16/11/14 20:22
DvD's Gravatar L'actualité économique de la semaine écoulée confirme parfaitement votre billet sur la manipulation des devises :

- Le Japon constate l'échec de sa tentative de dévaluation du Yen et retombe en récession. Sa dette étant entièrement domestique libellée en Yen et la structure de son commerce extérieur post Fukushima étant peu sensible à un Yen faible (importateur de 100% de ses besoins énergétiques et de l'essentiel de ses besoins alimentaires, le tout libellé en Dollar), cette stratégie n'avait guère de chance de marcher. Avec 400% de dette sur PIB (soit le maximum permis par des taux à 0%), le Japon est dans une situation d'échec et mat dont la responsabilité initiale repose sur sa banque centrale et son erreur de 1985 d'ouvrir grand les vannes du crédit pour déclencher la bulle de l'immobilier et des actions dont l'éclatement en 1990 a mis le Japon sur la voie de la faillite.

- Bien sûr, ce n'est pas parce que la stratégie de la Banque Centrale Japonaise s'avère un échec cuisant qu'il ne faut pas l'imiter. Ce que fait la Banque Centrale Européenne avec beaucoup de persévérance, son président Mario Draghi intervenant maintenant quasiment quotidiennement pour faire baisser l'euro et faire monter les marchés financiers. Il l'a encore répété vendredi dernier.

- Seulement, vendredi dernier, à peine Draghi avait-il fini de parler que la Banque Centrale Chinoise annonçait une baisse surprise de ses taux d'intérêts. La Banque Centrale Chinoise envoie ainsi le message qu'elle commence à trouver sa monnaie un peu trop forte, ce qui nuit à sa compétitivité internationale à un moment où la Chine commence elle aussi à trouver le fardeau de la dette un peu lourd et où les créances douteuses commencent à plomber son système bancaire, conséquence là encore de l'ouverture en grand des vannes du crédit en 2009. Autrement dit, là où le Japon et l'Europe veulent exporter leur déflation vers le reste du monde, la Chine leur répond qu'ils peuvent non seulement se la garder mais que la Chine cherche elle aussi à exporter la déflation vers le reste du monde.

Quelques observations :

- Heureusement qu'il y a eu un G20 le week-end dernier, sinon on aurait la nette impression d'un manque total de coopération et d'une stratégie de chacun pour soi des différentes autorités économiques et monétaires. Ce qui est bien sûr le cas, le G20 ayant non seulement échoué à formuler une stratégie coopérative de résorption des dettes mondiales mais ne s'en étant même pas rapproché un tant soi peu. C'était juste du théâtre. Comme d'habitude. (Avec Juncker prônant la transparence fiscale au nom de l'Union Européenne, c'était même carrément "les fourberies de Scapin").

- On entre maintenant dans la phase où le poids de l'ajustement économique mondial est renvoyé majoritairement vers les Etats-Unis, le dollar s'appréciant et la bulle financière enflant du fait des flux de capitaux spéculatifs replaçant en dollar qui s'apprécie des fonds empruntés en yen, en euro ou en dollar australien qui se déprécient. Dans quelques temps, l'économie américaine va trouver ce poids insupportable et va à son tour entrer en récession. L'oscillateur amplifié qui représente le mouvement des actifs financiers repartira alors dans l'autre sens. Ce sera le krach et la récession.

- On n'a pas avancé d'un iota depuis 2008. Seulement tourné en rond. Vainement.

- Pendant ce temps, la France se préoccupe des questions essentielles : qui participera aux primaires au PS et à l'UMP pour accompagner la France dans son déclin de 2017 à 2022 ? Fascinant.
# Posté par DvD | 22/11/14 16:02
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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