La grande valse des tabous économiques

Certains se sont étonnés de la place que nous accordons ici aux « attitudes », notamment celles dont  la presse témoigne. On attendrait d’un blog économique, semble-t-il, une technicité éloignée de telles fantaisies. Justement, ce blog a été construit pour traiter de questions qui n’étaient pas posées ou mal posées dans les médias où triomphent, malheureusement trop souvent, des erreurs intéressées mais faciles, ressassées mécaniquement.

Ce qu’on appelle l’opinion publique est important en économie, et surtout en France où le poids idéologique est très fort et la concentration de la presse à la frontière de l’asphyxie de la démocratie qui exige un minimum de diversité et de débats. Les livres récents, commentés ici, montrent combien l’économie a du mal à s’extirper de la frénésie castratrice des gardes rouges et des gardes noirs.  Le rachat de toute la presse, y compris sur internet,  par des nababs cherchant exclusivement  à conforter leur maintien dans les allées du pouvoir ne peut pas ne pas avoir de conséquences aggravantes.  

Les grandes questions économiques mondiales, européennes et françaises ont un mal fou à s’insérer dans le carcan des idéologies ou des stratégies de pouvoir. Le monde de l’édition et de la presse écrite, radiodiffusée et télévisée est tellement cadenassé que les faux consensus naissent de l’auto censure autant que des ordres donnés.

Sur tous les grands sujets qui conditionnent les politiques économiques, la dictature du médiatiquement correct éditorialiste est particulièrement étouffante.  Il faut savoir qu’en France ce qui se dit, s’écrit, se publie,  voire ce qui s’enseigne, est sous la coupe d’à peine cinquante personnes vivant en connivence.

Ce qu’on appelle l’information est un roman vaseux construit par des scénaristes prudents et dépendants. La dynamite, ce sont, en général, les faits et les élections. Le terrain n’a plus guère le choix : son avis ne comptera que dans la mesure où il rejettera massivement la pâtée dont on le gave. Et même là, le bloc médiatico-politique fera tout pour obtenir un second vote conforme aux intérêts de la sorte d’oligarchie qui fabrique l’opinion publique. Quant aux faits, on voit que leur pédagogie met du temps à provoquer les prises de conscience nécessaires. Les « éléments de langage » des « médiacrates », appuyés sur l’énarchie compassionnelle d’un côté,  et la complaisance aux gros intérêts de l’autre, le tout enrobé dans l’européisme et l’atlantisme, avec un zeste de social-sociétalisme, ont longtemps empêché toute observation vraie et tout débat utile permettant de « décoder » les phénomènes économiques.

Le côté intéressant de la période est dans les fractures qui commencent à entamer ce bloc. Huit années  de régression sociale, de vol fiscal et de stagnation économique, suivant quarante années de délires bancaires et financiers, et de mondialisation déséquilibrée, ont fini par obtenir leur dû. Les tabous sont à la dérive. Les faux consensus s’étiolent. Le vide organisé pour des raisons d’asepsie nationale, populaire, économique et sociale ne parvient plus à se maintenir.

L’abaissement des nations voulue par Roosevelt et intégré dans le projet européen de dissolution des anciens empires européens, a  conduit à la révolte des peuples qui recherchent à nouveau un minimum d’emprise sur leur destin.

La libre circulation des hommes, des biens et des capitaux qui est à la fois la religion et le modus operandi  des institutions internationales hors sol démocratique est désormais rejetée violemment. L’affaire du CETA qui voit l’Europe des fonctionnaires internationaux  chercher inlassablement à baisser toutes les frontières, en annonçant des gains phénoménaux qui ne se matérialisent jamais, est tout de même instructive.  La CEDH est contestée dans la vocation qu’elle s’est elle-même attribuée de former la règle en matière d’interprétation des droits de l’homme.  La voici qui interdit de sanctionner l’insulte à Président de la république, qui prétend définir les droits électoraux des prisonniers condamnés à de longues peines, qui refuse que l’on sanctionne le vagabondage et l’immigration illégale, qui s’engage à fond en faveur des Roms en interdisant que l’on sanctionne la mendicité organisée, pourvu qu’elle ait une apparence familiale, qui interdit le contrôle des romanichels sans domicile fixe qui , du coup, ne peuvent plus être recherchés en cas de délits prouvés.  Voici donc cinq gus, généralement issus de faux pays comme le Lichtenstein, Andorre, Monaco, Saint Marin, Malte, Chypre  ou la Moldavie, voire de démocraties aussi indiscutables que l’Azerbaïdjan, l’Albanie ou la Bosnie, capables de dire la loi aux millions de citoyens de grandes nations démocratiques, jusque sur des questions comme la GPA ou la PMA , qui, à notre connaissance, n’ont rien à voir avec la sanction des grands crimes contre la démocratie qui sont à la base de la création de la CEDH, dont le rôle initial était de civiliser l’URSS. Le protocole 16 en cours de discussion ira encore plus loin : les autorités juridiques nationales pourront (bientôt : devront)  demander  l’avis de la CEDH avant de prendre la moindre décision.  Son rôle normatif au dessus du Conseil constitutionnel, qui s’était lui-même autoproclamé juge suprême des droits de l’homme  serait ainsi avalisé.. L’abandon de la souveraineté juridique et politique sur les questions les plus graves du droit s’effectue par grignotage insidieux. Tout cela se fait dans le silence des médias et hors du champ de la politique

Seulement voilà : les dettes abyssales, les systèmes bancaires en faillite sauvés en rançonnant les usagers, les impôts confiscatoires, le chômage de masse, l’envahissement par des immigrés non souhaités, la délinquance non poursuivie, non sanctionnée lorsqu’elle l’est, laissée en liberté quand la sanction a été prise,  la perte de l’industrie, la régression sociale subie, font exploser les verrous médiatiques.

Au nom de la création d’une zone européenne sur le modèle américain et totalement inféodée à son maître, dont le seul but est de permettre à des multinationales d’asseoir leur pouvoir sur le monde, en s’affranchissant de toutes contraintes, on a créé un véritable enfer économique et social et engendré le dépérissement de la démocratie.  Et il faudrait ne pas le dire ?

Comment comprendre les succès d’un Zemmour, d’un Onfray, d’un Finkielkraut  sans constater qu’il brise une forme d’omerta subie ? Comment comprendre la contestation des partis socialistes par des excités, sans voir qu’il est tout de même difficile à gauche d’admettre une telle soumission ? Comment comprendre la percée des « populistes » un peu partout  en Europe, sans voir l’abandon des populations « périphériques »  et les effluves de décivilisation qui s’élèvent des trottoirs envahis par des hordes  peu soucieuses de s’adapter aux règles du pays de passage ou de subvention ?

Alors la valse des tabous a commencé, d’autant plus débridée que même le peuple américain s’y met, qui découvre que des multinationales basées dans des paradis fiscaux ne représentent pas la forme ultime de l’efficacité sociale et économique et que l’ouverture totale à la Chine et au Mexique a certes enrichi les entreprises à succès de la mondialisation, mais  a ruiné la classe moyenne. 

Sur un mode mineur, regardons la page 15 du Figaro daté du lundi 30 octobre 2016. On y trouve un premier article qui évoque « le retour en grâce de la politique budgétaire » et un second qui s’alarme de la « souffrance de la libre circulation ».

Un petit retour historique s’impose pour comprendre le caractère révolutionnaire du premier. A partir de l’abandon des accords de Bretton Woods, imposé brutalement par Washington, par pur intérêt national, on a considéré qu’un étalon dollar de fait serait une bonne chose, chaque pays abandonnant sa politique financière et monétaire au profit « des marchés ». Du coup les banques centrales se sont trouvées en première ligne au détriment des trésors publics. De fait, les relances budgétaires ont cessé immédiatement de fonctionner comme l’échec de Giscard et Chirac l’a montré en France dès 1975.  Il appartenait aux banques centrales indépendantes de gérer les merveilleux marchés idéalement libres et non faussés des changes et des taux d’intérêts. On a vu le résultat : des marchés de maquignons peu nombreux et  sans scrupules et la création d’une économie baudruche qui a fini par exploser en 2008.

Nous avons écrit, dès cette année 2008, (http://cee.e-toile.fr/index.cfm/2008/7/6/Crise-conomique--les-quatre-erreurs--viter)  qu’il fallait retrouver une politique globale équilibrée et que le recours aux banques centrales ne suffirait pas. Nous y sommes. Les banques centrales, lancées dans des solutions folles et sans avenir, comme les intérêts négatifs, reconnaissent leur impuissance et appellent les Etats à la rescousse et pas seulement pour demander aux contribuables de renflouer les 13 mille milliards de pertes accumulées dans le monde. Même le FMI s’y met.

L’autre article « découvre » que « la liberté d’établissement dans une structure complexe telle l’union Européenne prend du temps. Elle a besoin de règles…».   Ah ! Ces Christophe Colomb  des nouvelles franchises ! Un peu long à la détente peut-être. Mais ça y est ! En partant de l’histoire de la Suisse qui vient justement de voter contre l’immigration étrangère et qui s’en prend aux frontaliers français et pas seulement aux vilains Musulmans !  Le peuple dit : « assez » !  On lui répond : « complexité à gérer ».  Naturellement  il faut encore s’excuser d’une telle audace : « La liberté du commerce et la liberté d’établissement ont le potentiel de surmonter la stagnation économique ».  Sortez un cierge et faites trois génuflexions ! 

Avant de se lancer dans de telles incantations il faudrait avoir formulé un diagnostic de la crise.  Mais là pas question. Per fide non per ratione.  La foi couvre la raison.

Dans le même ordre d’idée voici l’Allemagne outrée par l’achat par la Chine des trésors de son économie. Elle a laissé la Chine accumuler, en fraude de tous les accords internationaux, des excédents démentiels. Et voici qu’elle les emploie à racheter le capital sacré du cœur de l’industrie allemande ! 

Si on élève en idole sacrée la liberté de mouvement des capitaux, sans réfléchir une seconde aux conséquences, les achats chinois sont légitimes. En vérité, et c’était la règle dans le cadre des accords de Bretton-Woods, les échanges auraient dû être équilibrés.  Cela veut dire qu’on aurait échangé,  entre nations, produit contre produit, travail contre travail. Un pays ne pouvait pas et ne devait pas accumuler des ressources monétaires excédentaires de façon massive et ensuite racheter les entreprises de son débiteur.  Cette règle était sage. A quoi rime d’être pillé par des pays qui ont maintenu leur monnaie à des taux bien trop bas ?  A quoi rime d’être rançonné par des pays pétroliers cartellisés et de leur permettre de racheter vos pépites avec la rançon ?

Une fois de plus, la liberté se chérit mais les libertés s’organisent, notamment entre nations concurrentes et souveraines.  Il est légitime de canaliser la liberté de mouvement des personnes, des capitaux et des biens.

Une écluse laisse passer ce qu’il faut de la  liberté de l’eau pour que son pouvoir bénéfique s’accomplisse sans qu’inondations et sécheresses incontrôlées ne deviennent  ruineuses. 

Le temps est à la canalisation (et non à l’étouffement) des forces de la liberté.  Les tabous qui s’y opposent sont à la dérive. Tant mieux !

Il faut un nouveau Bretton Woods, capable de dépasser les causes de l’échec de la formule initiale et de créer un cadre monétaire et commercial, les deux étant liés, basé sur des principes d’équilibre, de coopération et de parité  qui évitent toutes les dérives dont nous subissons les conséquences chaque décennie de façon plus grave.  Reste à en réunir les conditions.  On est encore loin du but.  L’implosion actuelle des idées fausses  est un heureux préalable. Aucun des articles qu’on lit aujourd’hui n’aurait été écrit l’année dernière.

La valse des tabous n’en est qu’à son début.  Encore un effort !

Didier Dufau pour le Cercle des Economistes E-toile.

Commentaire
DvD's Gravatar J'aime bien votre saga sur les gardes rouges et gardes noirs et je trouve en effet qu'elle a toute sa place alors que, précisément, on cherche encore quelles nouvelles idées économiques vont remplacer les anciennes dont l'échec est maintenant flagrant.

On voit clairement que, si les extrêmes recrutent quasi mécaniquement parmi le nombre croissant de désillusionnés des idées fausses précédentes, ils sont eux mêmes fort démunis pour fournir une explication cohérente et complète de la crise, et donc fort démunis pour proposer des solutions pertinentes. Syriza en Grèce a d'ailleurs démontré la parfaite inutilité d'une alternance à l'extrême gauche. On n'a pas été loin de faire exactement le même constat en Autriche avec l'extrême droite si la fraude d'abord puis un problème technique avec les bulletins de vote ensuite n'étaient pas fort opportunément intervenus...

Ainsi donc, le diagnostic de la crise n'est correctement formulé par aucune famille politique et ce débat reste fort mal posé, en France comme ailleurs. Les grilles de lecture idéologiques, loin d'éclaircir la discussion, l'obscurcissent. Moins de passion partisane (beaucoup moins) et plus de rigueur dans le développement d'une analyse compatible avec tous les faits observables (beaucoup plus de rigueur) sont nécessaires. Il est heureux que ce site contribue à cette réflexion urgente. Il est malheureux que ce ne soit encore qu'un effort très minoritaire.
# Posté par DvD | 05/11/16 11:22
DD's Gravatar La bataille a déjà commencé entre libéraux mondialistes et réaction disons "socialiste". On le voit dans la page d'idée du Figaro où la parole a été laissée à des défenseurs de la mondialisation heureuse qui a créé mille richesses et sorti de la misère des centaines de millions de personnes, aidé à soigner des milliers de maladies, provoqué une hausse de la durée de vie inespérée, supprimé de nombreuses pollutions etc. Leur position se résume à : "lI n'y a pas de victimes de la mondialisation, seulement des malheureux qui sont attente des bienfaits de la mondialisation". Le Point a fait un numéro pratiquement entièrement conçu autour de ce thème en profitant de la parution d'un livre récent.

De l'autre côté les armes fourbies sont un peu fourbues : l'inégalité, déclarée croissante et auto destructrice de la croissance, croissance par ailleurs mortelle pour la planète. La taxe sur les transactions financières ayant été essayée (malheureusement) et avec les effets nuls que l'on sait (on appelle cela en politique : lever une hypothèque !), le débat se déplace vers l'interdiction faite aux banques de créer de la monnaie. Les banques diabolisées ne le sont plus avec des banquiers à nez crochu trop reconnaissables. Mais on n'en est pas loin. Ce qui permet de fédérer les deux extrêmes. Du coup on entend mobiliser la nuit et debout sur une mesure somme-toute d'une extrême technicité qui est de savoir qui doit s'accaparer le seigneuriage ! Seigneuriage, seigneur ! Voici les avec-culotte culottés à l'attaque d'une nouveau château fort virtuelle à forme de coffre fort !

Personne ne semble comprendre que le système actuel est dysfonctionnel en beaucoup d'endroits et qu'il suffirait de corriger ses défauts pour que beaucoup des difficultés actuelles soient gommées. Un congrès d'économistes à Lyon aurait permis de tracer ce chemin. Hélas, il ne s'agit que de redorer le blason d'une profession divisée et désormais déconsidérée.
# Posté par DD | 07/11/16 13:45
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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