Hommage à Sylvie Kaufmann

Il est agréable de complimenter un journaliste, qui s’avère plus que sérieux, héroïque. On sait que le défaut, certains disent la tare, de certains journaux, est de vouloir formater l’opinion. Les évènements sont l’occasion non pas de réfléchir et de comprendre mais de fabriquer un miroir biaisé de la réalité et de gloser sur ces déformations intéressées, en espérant qu’on ne s’apercevra pas de la grossièreté du procédé ou qu’on l’approuvera dans l’idée que cela permettra de maintenir une fraction de l’opinion stupide ou pressée dans la dépendance de l’attitude qui vous sied. On est d’accord de tricher pour la bonne cause. Il sera toujours plus tard, beaucoup plus tard, d’adopter une attitude plus conforme à la réalité des faits. Ces journaux n’informent plus. Ils professent le bien penser. Ils indiquent les bons chemins de la bien-pensance.

Face à une opération de ce genre Sylvie Kaufmann, dont on connait le tempérament et les qualités, a réussi non seulement à dire une forme de  « stop aux âneries » mais à l’écrire dans l’édition du journal le Monde daté du 31 octobre 2019. Cela fait tellement de bien de lire de tels articles ! Ils sont si rares. Le plus souvent, les yeux montent au ciel : « Ah non, pas encore ! Pas ça ! Pas ça encore ! ».

Que dit Sylvie ? En ces temps de commémoration de la chute du mur de Berlin et plus généralement du « rideau de fer », il faut éviter deux erreurs : la première est de croire qu’il s’agit d’une seule affaire berlinoise ; le rideau a craqué partout au bout d’un long processus.  « Les coups de pioche avait commencé bien avant ». Tout le mur s’est effondré en commençant par la Hongrie, qui a permis aux Allemands de l’est de quitter la RDA en masse. Ensuite le château de cartes s’est esclaffé dans tous les autres pays de l’est, Roumanie, Bulgarie, Pays Baltes… L’effondrement du communisme n’est pas accidentel. Il est le fruit d’un processus de décomposition impossible à arrêter, même pour les Faucons de l’URSS.  

Seconde erreur, faire semblant de croire que la libération de la RDA a été une mauvaise affaire génératrice de nostalgie, et, qu’en fait, il serait justifié de penser à rétablir un système magnifique que les populations concernées préféreraient au néolibéralisme, tout bien pesé.

Sylvie Kaufmann pousse le bouchon assez loin. Elle part de la réalité et de la situation d’un village : Siedlce. Elle y montre ce que tout le monde sait : un formidable progrès qui a changé la vie des habitants. Elle aurait pu citer les statistiques qui prouvent que le niveau de vie a doublé en RDA. L’énormité du changement a évidemment laissé des amertumes et des frustrations. Mais la porte ouverte a été formidablement positive et personne ne songe à revenir en arrière.

On sait qu’une partie de la frange socialiste ne s’est jamais remise de l’effondrement de ce qu’elle voyait comme le débouché scientifique de la lutte des classes. Même les socialistes modérés de l’Est ont cru que leur temps était venu. Ils ont été balayés. Les populations voulaient la liberté, la consommation et le capital. Plus la garantie de l’OTAN. Pour, eux, pas de socialisme soft et surtout pas de retour de la Russie !

Alors on a vu partout ces derniers jours, dans la presse écrite, radiodiffusée et télévisée, sous domination socialiste, des reportages orientés, des commentaires partisans, chantant, tous, la même chanson : la chute de Berlin ? Un malheureux malentendu ; une réponse impromptue malheureuse d’un apparatchik dépassé ! La RDA : un malheureux pays phagocyté sans pitié par la RDA, immonde et impitoyable colonisateur.  Les Aussies : des malheureux qui réalisent combien c’était mieux avant ! Les partis en Allemagne ? Saisis par une dérive hitlérienne !

Ces sornettes, tout le monde les entend depuis quelques jours absolument partout. On a même vu Mélenchon qui ressemble de plus en plus à Déat avec le verbe de Doriot, inverser totalement la réalité pour expliquer que l’Ouest avait aliéné la liberté des gens de l’est. Et Vive la Stasi !

Des dizaines de journalistes-curés ont récité ce missel de façon plus ou moins habile plus ou moins sordide dans tous les médias sans exception.  C’est si facile de répéter les éléments de langage décidés par la petite coupole qui croit être l’arbitre des élégances à gauche. Même si cela vous force à expliquer que l’affranchissement est un asservissement, la prospérité un méfait, la liberté électorale un poison pour la vraie démocratie. Être socialiste aujourd’hui c’est être obligé d’avaler toute la suite de ce genre d’oxymores.

Pour ceux qui ont connu les années cinquante et soixante, des gens comme Pierre George, géographe dit actif et surtout pro communiste, expliquait déjà dans les colonnes du Monde que la RDA était « presque aussi efficace » que la RFA, alors qu’on a vu le désastre industriel et écologique ahurissant dès que le regard a été autorisé. Malgré l’effondrement du communisme, trente ans après, cela continue contre toute évidence. Les journalistes-prêtres « de gauche » ne renoncent jamais à leurs mensonges et manipulations.

Tous sauf Sylvie Kaufmann. Qu’elle reçoive ici la marque de notre hommage et de notre admiration ! Être capable de commenter, y compris dans un journal national « de gauche », un évènement important en s’appuyant sur une réalité qu’on a pris la peine de connaître et de mesurer est la propédeutique du bon journalisme dans un pays sans Stasi. Il était bon, de le rappeler.

Finalement cet article nous a paru plus nécessaire encore que la commémoration de la chute du mur.

Encore bravo !

 

 

 

Commentaire
DvD's Gravatar J’ai débranché tous les médias français il y a bien longtemps, bien avant que la lutte contre la pollution ne soit à la mode. Navré de voir que rien n’a changé dans ce petit monde corrompu.
# Posté par DvD | 11/11/19 22:54
Siem's Gravatar Il est tout de même navrant qu'on soit obligé de rendre hommage à un journaliste simplement parce qu'il refuse d'être outrageusement malhonnête !
# Posté par Siem | 13/11/19 10:18
Micromegas's Gravatar "La France est en train de connaître une double évolution mortifère : les médias dominants créent une atmosphère de mensonge permanent où la réalité est totalement filtrée et manipulée pour servir une vision idéologique et politique. Les journalistes sont devenus des curés qui servent la soupe idéologique en quêtant le soutien des partisans : ai-je été habilement servile ? La bulle psychologique ainsi créée isole totalement la majorité des Français de la réalité globale. Ils ne connaissent plus que leur réalité proche et évidemment, elle n’est pas glorieuse. Pendant ce temps-là, l’Énarchie règne, se présentant comme un rempart contre les « sociofascistes » à qui on laisse malgré tout le terrain médiatique et la rue (plus les ZAD). Pendant ce temps là une bande de hauts fonctionnaires rackettent le pays par des impôts démesurés, tout en s’étonnant qu’ils aient étouffé la reprise modeste qui se profilait.

La France des médias est frappée par le syndrome albanais."

Une hirondelle ne fait pas le printemps. Mais lire l'article de SK fait effectivement du bien.
# Posté par Micromegas | 13/11/19 12:53
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