Les effets pervers de l’impôt progressif

Il est des vérités que vous pouvez ressasser indéfiniment. Elles glisseront sur l’opinion comme la pluie sur une aile de canard. Personne n’en tiendra jamais compte, alors que l’effet sur « la vie quotidienne des Français » et « le pouvoir d’achat » est absolument fondamental.

Si on peut pardonner de citer quelques expériences personnelles, la première fois que j’ai été confronté aux effets pervers de l’impôt progressif ne date pas d’hier. Lorsqu’en 1969 je travaillais ma thèse sur la prévision à long terme, j’étais un peu déconfit de constater qu’elle était à peu près impossible, sauf partiellement, dans le domaine démographique. En revanche il était facilement prévisible que la progressivité fiscale entraînerait mécaniquement une hausse de la part des impôts dans le PIB.

En fait il s’agit d’une loi d’airain ; un pilier ; une réalité impossible à masquer.

Si vous mettez en place une fiscalité non proportionnelle au PIB, c’est-à-dire avec alourdissement plus que proportionnel en fonction du revenu, en cas de croissance économique la part de l’impôt augmente que vous le vouliez ou non si vous ne créez pas de mesures de correction.

Ce mécanisme est aggravé par l’inflation, la progressivité s’appliquant à la hausse fictive du revenu.

Il l’est aussi par un mécanisme un peu plus subtil mais à peine : la croissance est toujours une succession de phases d’accélération et de récession. Après l’arrêt des politiques de stabilité mise en place par les accords de Bretton Woods, le cycle récessions, emballements est revenu, au départ avec une inflation forte. Les phases d’emballement ont entraîné des croissances très fortes des recettes fiscales, justifiant des dépenses insensées : c’est le mécanisme de la « cagnotte ». Les mauvais dirigeants en ont toujours profité pour dépenser à tout va. Mais la récession suivante mettait tous les comptes à découvert : la progressivité joue aussi à l’envers. Du coup il fallait emprunter et éventuellement aggraver la fiscalité. Lors de la reprise suivante la double progressivité jouait : celle de base plus celle des nouveaux impôts avec une aggravation immédiate du taux de prélèvements.

Le Général de Gaulle a demandé à George Pompidou de conserver le taux de prélèvement autour de 32 % et il a commencé à s’énerver lorsqu’il a atteint 35 %. Il est vrai que la croissance était de 3.5 à 4 %, ce qui entraînait une croissance de la recette fiscale de près de 7.5 %. Giscard était du côté de la fiscalité aggravée. Mai 1968 allait mettre l’exigence de Gaulle à la poubelle. Le Septennat Giscard sera entièrement un septennat fiscal avec l’effet de l’inflation (à 15 %, soit 20 % de recettes fiscales en plus), du reliquat des trente glorieuses et un accablement permanent d’impôts nouveaux. Arrive alors le programme Commun d’aveuglement et de fiscalité. La pression fiscale dépasse les 40 puis atteint 45 % du PIB.

Le tournant reste le gouvernement Chirac Balladur de première cohabitation. Pour la première fois, le gouvernement supprime des impôts et cherche à réduire la dépense publique devenue folle. Catastrophe, Mitterrand et réélu. Nous aurons bientôt Rocard, l’imbécile le plus surestimé de l’histoire récente, qui va profiter de la reprise forte de la croissance pour non seulement encaisser les surplus fiscaux de la progressivité revenue à sa pleine production mais créer des impôts supplémentaires lourds et débrider totalement les dépenses. Un total inconscient révéré par quelques idiots pour des raisons obscures. C’est le pire gouvernement de la cinquième république. Tout est aggravé. Lorsque la récession arrive en 93, tout explose. Balladur est obligé de laisser filer la dette. Chirac se trompe sur tout et avec Juppé ne voient pas arriver la reprise de 97. Ils dissolvent l’assemblée à contretemps. Jospin gâche les dernières chances du pays de revenir à la normale. Il encaisse tous les fruits de la haute conjoncture en matière fiscale tout en réduisant le temps de travail et en aggravant les relations du travail. La cagnotte fait son entrée dans le langage commun. Tous les énarques socialistes se vautrent dans la dépense à tout va.

Le taux de prélèvement finira par culminer à 47.5 % du PIB en 2020. L’INSEE en reste à 45 % mais son calcul est biaisé. Celui d’Eurostat est plus complet et donc meilleur.

Il faudra la terrible récession de 2020 à 2022 pour faire revenir le taux autour de 44 % avant de remonter malgré les rodomontades d’Emmanuel Macron qui met en avant ses baisses d’impôts en trompe-l’œil et en attrape gogo. La reprise rapide de la croissance par simple rebond, accrue par une poussée jamais vue de l’endettement et de la dépense publique, provoque une croissance massive des rentrées fiscales, 20 % plus rapide en 21 comme en 22 que la croissance du PIB.

Le « fiscaliste caché » a encore frappé. La pression fiscale est à nouveau sur le chemin des 45 % (INSEE), 48 % (Eurostat) en attendant mieux.

Cela fait désormais un demi-siècle qu’à titre personnel je cherche à convaincre

-        Qu’un système progressif doit être accompagné par des stabilisateurs automatiques de la pression fiscale

-        Qu’un retour à l’organisation mise en place à Bretton Woods pour éviter le stop and go et la succession de croissances trop rapides et de récessions est souhaitable.

-        Qu’il faut mettre un terme à l’anomalie française de « l’énarchie compassionnelle », les hauts fonctionnaires tenant à garder perpétuellement le mécanisme qui aggrave la pression fiscale.

Ces trois mesures vont ensemble. Elles forment l’armature de la démarche de notre cercle.

Rappelons que les trente glorieuses sont basées sur un taux de prélèvement de 20 à 25 % qui était déjà considéré comme excessif. Un Etat fort n’a pas besoin de plus de 20 % du PIB pour faire face à ses besoins régaliens en régime de paix. 47 % c’est de la démence pure. On ne cherche plus à produire mais à arracher des parts du gâteau fiscal. Tout le monde attend le Godot de la cagnotte. Un peuple de feignasses qui attend tout de l’argent des autres en créant les conditions du déclassement économique et social du pays donne une image de lui-même proche de l’abjection.

D’autant qu’il est assez facile d’imaginer des solutions.

Le retour à la proportionnalité, seule réellement constitutionnelle, est une première solution. Un impôt unique de 20 % est un choix radical mais efficace.

Si on tient à conserver la progressivité, il suffit de mettre en place des mécanismes compensateurs :

-        La surcroissance des recettes peut être donnée à un fonds souverain, qui restituera tout ou partie de l’argent à l’état en cas de récession et d’inversion du mécanisme fiscal. Ce fonds ne devra pas dépasser une certaine importance et l’argent de l’excédent doit être restitué. L’ennui de la solution est qu’il stérilise une partie des revenus de la croissance et fausse l’équilibre économique.

-        Tous les seuils peuvent être automatiquement corrigés du taux de croissance. La progressivité demeure mais au profit de l’État.

-        Etc. Il y a des milliers de formules.

Ce n’est pas ce que le débat public fait apparaître. La course au faux pouvoir d’achat distribué par l’État reste l’obsession psychiatrique de la société française alimentée par l’information construite voulue par l’Enarchie.

Personne ne veut voir que l’effondrement de la Santé, de la Justice, et de l’Enseignement accompagne non pas une volonté de rigueur, mais la conséquence même du taux de 47 % de prélèvement. Quand on prélève pour des dépenses improductives la moitié du PIB, et qu’on ajoute 3 000 milliards de dettes, il est impossible que quoi que ce soit ne fonctionne. Impossible !

La question posée par les mécanismes délétères associés dans la durée de la progressivité n’est pas dans le débat public et n’y viendra pas.

50 ans de censure des débats sur ce sujet ont prouvé que la haute administration ne lâchera jamais.

Suicide français ?

Oui !

Le Français né malin…

 

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile



Commentaire
Raphael's Gravatar Suicide français ( Zemmour ) La Chute ( Baverez ) etc..le diagnostic est établi depuis longtemps. Que font les politiciens ? Des scénettes de Vaudeville , tu es dans l'opposition , alors moi j'y suis pas ( Nupes / RN )...lalalére ... Au LR c'est a nouveau la clarté dans la confusion : Pécresse s'est planté: exit - Jacob s'est planté ; exit . Copé revenant de loin offre sa béquille a Macron ...RN refuse de voter la censure ; alors pourquoi faire avez été élu ? La trouille de perdre leur siége les paralyse ... le RN a besoin d'argent frais ( 89 salaires reversés en partie au RN )...A ce jeu de compromission RN finira comme le LR; meeting dans un Abribus ...
# Posté par Raphael | 11/07/22 08:42
Gaulliste's Gravatar A noter : la moitié de la dérive concerne le septennat de Giscard !
# Posté par Gaulliste | 11/07/22 15:00
Gérald Lenormand.'s Gravatar Tous les services publics sont à la ramasse avec un taux de prélèvement de près de la moitié du PIB ! Au début je trouvais que c'était un paradoxe. Maintenant je vois que c'est une explication. Une économie asphyxiée par les impôts ne peut plus subvenir à ses fonctions régaliennes. Avec 60% des élus qui pensent qu'il faut "réhabiliter" la dépense publique pour fournir du pouvoir d'achat et des services régaliens.

On nage en pleine folie.
# Posté par Gérald Lenormand. | 11/07/22 16:20
Siem's Gravatar L'important dans cette affaire est que l'on comprenne qu'un pays qui perd la moitié de son PIB donné à l'Etat ne PEUT paradoxalement PAS financer des politiques sociales et régaliennes importantes. C'est comme si on disait : je vais vider mon coureur sur 100 m de la moitié de son sang, et il va gagner.

Il faut revenir sous la limite des 35%.
# Posté par Siem | 17/07/22 11:51
Simone L.'s Gravatar Vos articles sont réjouissants. Il manque à vos considérations la prise en compte du mouvement de "déconjugalisation". Les députés viennent de voter la déconjugalisation des conditions de la prestation adulte handicapée. Cacher ce mariage et les solidarités qu'il représente ! L'individualisme a tout crin ! La femme, le handicapé, ne doivent plus voir leurs allocations conditionnées par le revenu du mari. Sale type ! "Non seulement je suis ta bonne mais en plus tu me prives de mes allocations naturelles !"
Si on déconjugalise l'impôt sur le revenu et l'IFI, on risquerait moins d'aller dans les tranches hautes. Mais à qui affecter les enfant et les parts correspondantes ?
Notons qu'on a aussi déconjugalisé les pensions alimentaires désormais prises en charge par l'Etat quand l'ex est défaillant. Le démantèlement du mariage et du couple protecteur de l'enfance, sera bientôt complet.
En vérité dans un pays socialiste les effets de seuils représentent une injustice criante pour les personnes qui passent une borne et qui voit soudain les subventions d'écrouler. En bas de l'échelle, l'injustice est évidente et suscite la haine. Alors on bricole des artifices bureaucratiques délirants. On passe son temps à supprimer des impôts qu'on ne fait que déplacer. Quand on frôle les 50% de PIB en prélèvements, on est obligé aux mensonges et aux astuces pour survivre.

Dans cette affaire de la déconjugalisation des allocations adultes handicapés, on a insisté sur les gains pour les familles concernées. Et on a totalement exclu de l'information la question de l'origine de l'argent nécessaire ! La dette, la TVA et l'IR en prennent un petit coup de plus. "Si t'es pas content prend mon handicap".
# Posté par Simone L. | 22/07/22 10:58
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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