Crise : un meilleur diagnostic officiel ? Enfin ?

L’essentiel de notre analyse, telle que nous l’avons développée depuis 1997 sur le forum du Monde puis sur ce blog et enfin dans notre livre « l’Etrange Désastre »  est basée sur l’inversion de la courbe de l’endettement global depuis 1971-72.  Cette courbe en U est pour nous le phénomène  le plus important de l’histoire économique contemporaine, celui dont l’explication conditionne fondamentalement la solidité des réponses aux questions devenues dramatiques que pose l’avenir économique du monde.

Ce phénomène a été aussi massif qu’il est passé, de longues décennies, totalement inaperçu. Nous considérons qu’il est l’élément fondamental de ce qu’on appelle « la crise » que nous définissons comme la conjonction de trois faits reliés entre eux :

-          La poussée d’un endettement délirant de moins en moins accordé avec la production

-          La baisse tendancielle de la croissance

-          L’aggravation des crises périodiques notamment dans leur épisode dur.  

C’est parce que le taux d’endettement global par rapport au PIB a atteint, courant 2007, 400% en moyenne,  niveau de la fin de la guerre de 40,  que le système financier global s’est effondré, avec d’abord un blocage du marché interbancaire en été 2007, puis une suite de faillites bancaires culminant avec  l’effondrement de Lehman Brothers en septembre 2008.

Sans explication réellement scientifique de « la crise », impossible d’en sortir autrement que par des expédients à court terme. Notre livre l’Etrange Désastre avait comme unique objet cette explication de fond, en évacuant les simplismes du genre « c’est la faute aux subprimes » ou « c’est la faute au pétrole ».

Nous avons conclu que la cause majeure du retournement de la courbe de la dette globale était le renoncement aux  disciplines de Bretton Woods  et l’acceptation d’énormes déficits et d’énormes excédents dont le recyclage faisait automatiquement monter l’endettement global jusqu’au point où une baudruche financière, sans rapport avec la production, gonflait inlassablement jusqu’à l’éclatement inévitable.

Le doute n’étant pas permis sur les causes, restait à comprendre pourquoi le diagnostic n’était pas fait, en tout cas officiellement,  et aucune réforme entreprise portant sur les mécanismes précis de la crise.

L’explication que nous avons avancée était la suivante : l’occultation du débat n’était pas liée à un quelconque conflit d’idéologies économiques, l’affrontement théorique entre keynésiens et néolibéraux étant largement artificiel et sans intérêt.  Les postures ne sont pas des analyses. Aucune personne sérieuse ne peut conjecturer que la Théorie générale soit un ouvrage scientifique parfait ni que la tentative d’expliquer le tout par la partie, le macroéconomique par le microéconomique,  ait abouti à quoi que ce soit de sérieux. Quant à Milton Friedmann, que nous aimons beaucoup par ailleurs, il suffit d’observer la réalité pour constater que toutes ses prédictions sur les changes flottants se sont révélées fausses.  Les changes flottants, c’est comme le socialisme : cela n’a jamais marché, cela ne marche pas et cela ne marchera jamais.

Si on écarte les postures et les faux débats, il ne reste qu’une vérité désagréable mais  « incontournable » comme on dit aujourd’hui : les Etats-Unis ont imposé un système désastreux et non coopératif parce qu’ils ont considéré qu’il était à leur avantage et permettait mieux d’atteindre leurs objectifs de puissance.

La crise a une origine politique ou géopolitique, comme on voudra. Elle est désagréable et dangereuse à dénoncer. Déplaisante parce que l’anti américanisme primaire existe et que personne de sérieux ne souhaite s’inscrire dans ce délire.  Dangereuse parce que l’énoncé public et officiel d’une telle dénonciation peut vous valoir de possibles ennuis de carrière et d’accès aux médias.   De toute façon, l’opinion publique ne veut rien entendre des questions monétaires compliquées.  L’étalon or est une option ringardisée.  « Alors quoi ? Qu’on nous fiche la paix ».

La vraie responsabilité intellectuelle se situe au FMI et à l’OCDE. Mais ces deux institutions sont sous influence. Aucune des deux ne peut dire ouvertement : « Messieurs les Américains,  le système non coopératif que vous avez imposé est une horreur qu’il faut abandonner et d’abord dans votre propre intérêt car vous voyez bien que, vous aussi, vous vous remettez très difficilement de la crise. Votre propre société est de plus en plus rétive aux conséquences comme le montre la campagne présidentielle actuelle. Vous n’avez plus de réel horizon et votre poids international baisse».

L’OCDE a refusé net d’expliquer la crise. Le choix a été d’illustrer des symptômes sans jamais en chercher des causes.  Les évènements surviennent  on ne sait pas trop pourquoi. Les agents commencent à avoir des comportements dangereux, sans qu’on décrive le moteur de ces déviances.  La mise en cause du système monétaire y est strictement impossible et vaudrait au malheureux aventurier qui passerait outre un parcours peu appétissant.

Le FMI est exactement dans la même situation. On aurait pu penser que DSK avait le poids pour peser dans le débat. Il avait visiblement d’autres chats à fouetter.  Ensuite, le choix à la tête du FMI d’une femme parlant anglais, mais sans connaissance économique, semblait garantir une certaine docilité.

Bref on en est réduit depuis 2007 à guetter les étincelles et les lueurs d’analyse qui marqueraient un début de prise de conscience et de prise de parole, sur les causes réelles de la crise et son mécanisme.

Sœur Anne ne vois-tu pas venir au loin une certaine convergence avec nos analyses ?

Et bien si !

Le dernier rapport du FMI alerte sur les perspectives mauvaises de l’économie à court et moyen terme et présente la fameuse courbe en U de l’endettement avec sa montée catastrophique vers des sommets intenables qui rendent une  reprise forte quasiment impossible dans la durée. Le graphique aurait pu être en première page de l’Etrange Désastre.

La dette passe enfin en tête des préoccupations du FMI (après que des auteurs américains s’en soient préalablement inquiétés, comme nous l’avons récemment relevé. Il fallait cela !). Avec deux faiblesses insignes :

-          Le FMI ne parle que de la dette des Etats. Mais la dette privée est quatre fois plus importante. Et la dette publique a largement été gonflée par transfert de dettes privées pour sauver le système bancaire mondial. La dette globale n’est d’ailleurs pas un concept intellectuellement maîtrisée, transcrit dans la statistique à travers le monde ; ce travail, comme nous cessons de le répéter dans ce blog, est le rôle du FMI et il ne joue pas. Du moins pas encore.

-          Le FMI ne cherche pas à analyser le renversement de la courbe au début des années 70.  

L’affichage de la courbe porte en lui-même une pression vers une explication officielle. Nous avons la nôtre. Nous attendons la leur.

Autre signe de convergence, l’apparition dans les commentaires de presse, d’analyses proches de ce que nous rabâchons dans le désert depuis la crise sévère de 92-93.

Eric Zemmour rend compte du livre de Jean-François Gayraud dans la livraison du 14 avril 2016 du Figaro. On y parle de guerres économiques qui « saccagent ». On signale que les désordres ont commencé « avec la décision de Nixon de sortir des accords de Bretton Woods ». On dénonce une fuite de la théorie économique dans la « mathématisation et la complexification ». On critique le « maillage serré de hauts fonctionnaires, politiciens, lobbyistes échangeant information et postes qui, à Washington et à Bruxelles et même à Paris, garantit la prééminence de la banque ». On signale que le masque de cette domination est « la liberté ». Zemmour pointe que « si la finance peut asservir les Etats, c’est parce qu’elle bénéficie du soutien de la force militaire américaine qui terrifie les plus farouches ».  « Notre ennemi serait les Etats-Unis d’Amérique ». On croirait notre texte, presqu’au mot à mot. Bien qu’Odile Jacob ait eu entre ses mains notre manuscrit dès 2014, nous ne crierons certainement pas au plagiat. Bien au contraire, nous sommes heureux de cette convergence et que des idées que nous défendons depuis des lustres commencent à émerger dans l’édition et les commentaires de la presse, même si les raisonnements économiques sous-jacents manquent cruellement dans le cas cité. L’auteur n’est visiblement pas économiste.

Retenons seulement qu’en une seule journée on a vu enfin s’afficher une analyse du FMI montrant la grande bascule de la dette et un commentaire soulignant le caractère politique des causes de cette bascule.

Il ne reste plus aux officiels qu’à approfondir la réflexion et tenter de comprendre comment on peut sortir de ce piège. Et il faut que les institutions françaises, européennes et internationales ad hoc parviennent à nourrir un projet cohérent de sortie de crise basé sur une réflexion sur les causes et non sur des expédients.

Il a fallu huit ans pour que, de-ci de-là, certains officiels mettent prudemment un pied en dehors du cocon des simplismes. Combien en faudra-t-il encore pour sortir des expédients et en venir à une vraie analyse partagée des causes et, immédiatement après, aux réformes nécessaires ?  

Eric le Boucher (Les Echos samedi 16 avril 2016) écrit en commentant un texte de France Stratégie qui a souligné l’effondrement de la croissance : « cet effondrement est sans explication ». « Ou plutôt avec pléthore d’explications contradictoires ».  En vérité les économistes officiels en France ne souhaitent pas aller au-delà de petits constats sans danger ou démagogiques, parce qu’ils se souviennent du traitement innommable réservé à Maurice Allais qui lui, avait été à l’essentiel et annoncé l’explosion du système monétaire et international : « ce qui doit arriver arrive ».  Qu’on ne dise pas que les mécanismes de la crise n’ont pas été analysés. Ils sont clairs depuis 20 ans. En tout cas pour ceux qui ont étudié les causes de la crise mondiale de 92-93. Nous-mêmes n’avons fait qu’amplifier et actualiser cette analyse. Mais, cher Eric, pourquoi ne pas prendre le risque de vous en faire l’écho dans Les Echos ?  Après tout, le journalisme c’est de dire avant les autres ce que tout le monde viendra à constater un peu plus tard…  

Encore un effort !

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile



Commentaire
stéphane's Gravatar le néo libéralisme, comme l'ultra libéralisme, est un terme vide de sens, ne recouvrant aucune réalité ni courant économique (Friedman, c'est du monétarisme).

C'est une sorte de croque mitaine utilisé par les nostalgiques de l'URSS après son effondrement pour attribuer au libéralisme tout ce qui ne va pas.

Un économiste ou journaliste sérieux ne doit pas utiliser ce terme.
# Posté par stéphane | 18/04/16 15:22
DD's Gravatar A noter la demande de Lorenzi d'un "nouveau Bretton Woods". Ainsi que plusieurs commentaires précisant que les banques centrales ne peuvent pas tout et en particulier pas sortir le monde de la crise. Une thèse que nous défendons depuis des lustres ( voir http://cee.e-toile.fr/index.cfm/2008/7/6/Crise-con...), alors que tous les théoriciens du libre marché laissaient entendre que seul le régulateur bancaire était nécessaire. La pédagogie par l'échec finirait-elle par marcher ?
# Posté par DD | 19/04/16 10:20
Stéphane's Gravatar @ DD :
contradiction dans votre affirmation :

les théoriciens du libre marché ne peuvent pas demander un régulateur bancaire...

Et les théoriciens du libre marché el sont aussi concernant la monnaie, donc contre l'existence de banques centrales...

A ce titre, Friedman n'était pas vraiment un théoricien du libre marché, contrairement à ses enfants et petits enfants (libertariens)
# Posté par Stéphane | 19/04/16 11:21
DD's Gravatar @Stéphane

Vous vous identifiez à un courant de pensée économique que j''appellerai sans connotation négative "micro libérale", en ce sens qu'elle fait reposer toute la sagesse de la doctrine libérale sur des relations non médiatisées des agents économique.

Dans l'histoire économique récente, les principaux organisateurs du système qui s'est mis en place en 1971 n'appartenait pas à ce courant de pensée. Il ne remettait pas en cause le rôle des banques centrales ni même celui des Etats. Nixon voulait "donner une leçon" aux vilains qui attaquaient le stock d'or de Fort Knox, sans tenir compte du rôle mondial des Etats-Unis dans se lutte contre l'empire du mal communiste. Le flottement du dollar compte tenu de sa position hégémonique dans les échanges internationaux se ferait au profit des Etats-Unis, les autres n'ayant qu'à s'adapter à la nouvelle donne. Après la réaction des pays pétroliers, ruiné par la baisse du dollar, le système a totalement dérapé dans l'inflation par les coûts. C'est la banque centrale américaine qui a bloqué cette évolution en provoquant une récession plus importante aux Etats unis que partout ailleurs. Et c'est encore la banque centrale, sous Greenspan, qui allait accompagner un fort mouvement de croissance des valeurs d'actifs par une création phénoménale de monnaie et présider au recyclage cumulatif des excédents, allemands puis japonais puis chinois dans l'économie américaine.

L'idée s'est alors imposé qu'une croissance continue serait possible grâce à l'action de la FED et à la dynamique créée par les déséquilibres croisés des États-Unis et de la Chine. C'est cette erreur là que nous dénonçons sans relâche, ainsi que l'idée fausse que la crise de 2008 pourrait être jugulée par l'intervention exclusive des banques centrales.

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# Posté par DD | 19/04/16 18:10
Stéphane's Gravatar mon courant de pensée économique, c'est l'école autrichienne d'économie....

"micro libéral" ça ne veut rien dire.
# Posté par Stéphane | 19/04/16 18:37
DvD's Gravatar A vrai dire, les questions de chapelle sont accessoires à ce stade. L'important, c'est qu'il y a une situation existante, c'est un système commercial et monétaire international non coopératif basé sur la compétitivité salariale, la compétitivité change autour du $ et la duplication monétaire plutôt que sur de réels avantages comparatifs à balances commerciales et comptes de capitaux équilibrés. Ce système entraîne nécessairement un ralentissement de la demande mondiale par rapport à l'offre et une hausse de l'endettement relatif. Or, la dette mondiale atteint aujourd'hui des niveaux dangereusement élevés qui font que cette situation va nécessairement prendre fin à plus ou moins brève échéance. La seule question importante à ce stade est de savoir si cela va se passer de façon organisée et favorable à la croissance comme après la seconde guerre mondiale ou de façon conflictuelle et dépressive comme durant la crise de 1929-1933 ? Une fois que cette épineuse et urgente question sera réglée de manière satisfaisante, on aura tout loisir de peaufiner le vocabulaire et de discuter oisivement des mérites de telle ou telle école de pensée.
# Posté par DvD | 19/04/16 23:19
DD's Gravatar Ce qui est clair, c'est que la politique suivie par les instances internationales depuis 1971, sous la baguette américaine, ne correspond à aucune doctrine économique et en tout cas pas à la doctrine des économistes libéraux autrichiens. On est dans la voie de fait. Pas dans la construction réfléchie d'une système économique que l'on croit optimal pour tout le monde.
# Posté par DD | 20/04/16 18:33
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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