"C dans l’air" : l’art de commenter sans jamais expliquer
Beaucoup de journalistes font un excellent travail en présentant les faits : on trouve presque toutes les informations nécessaires à un bon diagnostic économique dans la presse. Les commentaires sont le plus souvent intelligents (pas toujours). Seulement voilà : Il manque systématiquement les schémas explicatifs. On glose, on ne perce pas à jour. On expose mais on ne décrypte pas. Le téléspectateur reste sur sa faim et ne peut rien conclure.
Prenons l’émission C dans l’air du 6 janvier 2016 : la fin ou le début de la crise ? Le sujet est excellent. Depuis plus de deux ans, on nous explique que les meilleurs sont sortis de la crise et depuis un an, que même la France, en dépit d’un début de mandat que tout le monde s’accorde désormais à trouver catastrophique, va s’en sortir grâce à l’alignement des planètes. Et boom : rien ne s’est passé comme prévu et la crise financière chinoise inquiète.
Bien sûr Marc Fiorentino est à l’économie ce que Pierre Bellemare est à la criminologie. Beau physique, beau parleur, il diffuse du bruit de fond avec l’assurance d’un boursicoteur de media prétendument initié. Ce qu’il dit n’a aucune importance mais permet de prendre la mesure de la sottise ambiante.
Avec Philippe Dessertine, l’affaire est plus sérieuse. Brillant universitaire, dans le domaine de la gestion et de la finance, ce n’est pas à proprement parler un économiste. Il dirige l’IHF, l’Institut de Haute Finance. Il est Président du Cercle de l’Entreprise, Vice-Président du Cercle Turgot et Membre du Grand Jury du Prix Turgot et participe à de nombreuses instances gouvernementales, permanentes ou occasionnelles. D’un physique avenant et d’une élocution claire, il a fait son trou dans les médias et notamment à la télévision. Où il parle essentiellement d’économie, et non pas de droit, de comptabilité et de gestion financière, ses disciplines de référence. On touche là une des ambiguïtés générales qui expliquent bien des dérives : certains ont fait de la « finance » une discipline à part de l’économie qui s’y serait même substituée. Les ringards feraient de l’économie, les modernes de la finance.
Du coup notre commentateur va se trouver extrêmement gêné dès lors qu’il s’agit d’énoncer des critiques vis-à-vis des systèmes financiers mis en place dans ces dernières années et dans l’impossibilité de véritablement remettre en cause l’organisation monétaire et financière mondiale, source des crises à répétition que nous connaissons. Si la finance, c’est le bien, alors il ne faut rien dire qui fâche vraiment. Alors on présente, souvent très bien. Alors on commente, souvent avec talent. Alors on fustige, parfois avec raison. Mais on n’explique rien, surtout sur les sujets qui pourraient fâcher.
Les bourses chinoises dégringolent. La bourse, c’est de la finance. Vite inviter des spécialistes de la finance et de la bourse. On ne peut rien reprocher à Yves Calvi.
Sur quoi ces « experts » peuvent-ils se mettre d’accord ? Sur l’idée que nous serions dans un nouveau monde où tout est changé et où rien ne marche comme avant. Les ringards doivent se faire une raison : il faut se projeter résolument dans les nouvelles réalités en laissant tomber les vieilles peaux du siècle passé. De nouvelles lois de l’économie (qu’on ne précise pas) exigeraient qu’on abatte les vieux systèmes notamment de protection sociale et « qu’on s’engage résolument dans le XXIème siècle ». Nos malheurs viendraient non de cette modernité, bonne en soi, mais du fait navrant que nous n’avons pas su la maîtriser.
Quels sont les mots qui reviennent ? Mutation, crise différente, changement d’époque, on a jamais vécu çà , voyage en terre inconnue, situation paradoxale ; raisonnement du passé inadapté, France en retard, cancre comme la France, où sévit un « amateurisme économique fabuleux », pas de pression de faire des réformes, risques pires qu’en 2007, les valeurs n’ont plus de sens, impuissance si cela part en vrille, dominos écroulés en cascade, situation tendue…
On ne peut pas plus anxiogène On culpabilise ainsi le téléspectateur à qui l’on demande de changer ses anciennes visions. On fait de la chaleur autour d’attitudes.
Mais on n’explique rien. Et finalement on ne prévoit rien. Sans diagnostic, pas de pronostic et pas non plus de thérapeutique. Cela occupe le retraité inquiet pour son bas de laine, qui de surcroît, pense qu’on le défend. C’est un genre. Rien à dire. Cela fait un peu d’audience et cela nourrit quelques familles.
Quelle est l’erreur fondamentale ? C’est de croire que l’économie est une saine réalité qui s’impose à nous et qu’on doit affronter son nouveau cours avec courage, comme un plaisancier de rivière devrait ajuster ses méthodes pour faire face à une tempête en mer. En vérité, l’état de l’économie dépend des institutions et nous sommes non pas dans une économie nouvelle mais dans une économie malade.
Cette vision change tout. Les organes ne suivent pas un cours nouveau symptomatique d’une nouvelle biologie ; ils s’étiolent sous le coup de la maladie. Nous n’avons pas à nous adapter à une nouvelle vie, mais à retrouver la santé en agissant sur les causes de la maladie. Nous n’avons pas affaire à une nouvelle normalité mais aux effets anormaux d’une situation dégradée par des défectuosités gravissimes.
L’intérêt se porterait sur le diagnostic et la pertinence des intervenants serait associée à la capacité de l’exposer et de proposer des remèdes. L’affaire serait moins anxiogène et plus centrée sur les obstacles à vaincre pour que le traitement démarre.
La crise chinoise est exactement du même type que la crise allemande lorsque ses réserves abusives se sont retrouvées en danger, et que la crise du Japon quand son système bancaire a été tué par les pertes accumulées sur les créances extravagantes accumulées dans les années 80. Il n’y a pas de loi nouvelle de l’économie mais répétition d’un mécanisme connu. Comment a-t-on pu laisser ces excédents gigantesques s’accumuler alors qu’ils sont interdits par les statuts du FMI ? Voilà la question. Elle ne sera pas posée. Trop dangereux. Cela supposerait de revenir sur le système monétaire déviant et dangereux mis en place par soumission aux Anglo-saxons. Finies les belles carrières de journalistes conformes ; les jolies conférences aux Etats-Unis ; les nominations avantageuses.
Le merveilleux défricheur d’un monde nouveau deviendrait un ennemi de l’Amérique et de la modernité. Un attardé qui veut revenir en arrière, un dangereux qui fait porter une responsabilité directe à des organisations puissantes jugées défaillantes ; un ennemi ! L’aimable lanceur d’alerte qui suggère à tous de courber l’échine et de s’adapter, ne peut pas se convertir en imprécateur qui veut remettre en cause des modes de fonctionnement dangereux mais rentables, à court terme, pour quelques-uns.
Alors va pour des commentateurs à belle gueule, bonne élocution et pensées conformes ! L’air est vicié. Mais c’est dans l’air.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Il n'existe aucun commentaire pour ce message.
[ Ajouter un commentaire]