Monnaie : une erreur qui devient agaçante !
Les professeurs universitaires d’économie ont toujours eu du mal avec la monnaie. Jusqu’à l’écœurement, ils répètent depuis des lustres qu’avant la monnaie, il y avait le troc et ses incroyables limitations. Et soudain la monnaie parut et Aristote la codifia ! On est alors entré dans le monde merveilleux de l’économie triomphante.
Tout cela est totalement faux. L’organisation économique et sociale antérieure à l’apparition de la monnaie est basée non pas sur le troc mais l’affectation autoritaire des rôles et la compensation. Pas sur le troc, même s’il y a du troc. L’énergie : l’esclavage. La paysannerie : le servage. La religion et les armées dirigent. Les sociétés primitives sont basées essentiellement sur une répartition des rôles autoritaires et la force des religions. La mortinatalité serait considérée aujourd’hui comme un fléau intolérable, ce qui pousse à organiser la reproduction de façon intensive et à protéger le gynécée. La durée de vie moyenne hors mortinatalité est de 30 à 40 ans selon les régions. On ne fait pas de vieux os et la mort est omniprésente, donc les Dieux qu’il s’agit d’amadouer et le clergé qu’il s’agit de faire vivre. La liberté dans toutes les sociétés ou primitives ou antiques est une notion peu opérationnelle. On est ce qu’on naît, sauf accident brutal de la vie et il y a beaucoup d’accidents.
Le troc est tout à fait minime dans ces sociétés. Les soldats se rémunèrent sur les rapines et les razzias ou carrément sur les pillages. Il faut donc des guerres fréquentes. Ce sont les guerres qui changent les rapports de force. Les biens sont rares. Il est facile de définir des abaques, c’est-à-dire des ratios d’échange. Elles n’ont pas nécessairement un rôle économique : elles servent à régler les questions religieuses et de justice d’abord. Tout se payant en nature, il faut étalonner la valeur avec des échelles d’équivalence. Un canard vaut deux poulets depuis des temps immémoriaux. Le bœuf est une référence étalon. La sanction judiciaire et l’offrande sont codifiées. On sacrifiera un bœuf ou un mouton ou n’importe quel animal, mais pas n’importe comment. La religion pousse à l’abaque, comme la justice qui est basée sur la compensation : on se libère en donnant des biens dont la hiérarchie de valeur doit être établie. Ce n’est pas simple et cela concerne tout ce qu’on a sous la main. On peut payer en esclave et en jeune fille pubère. Ce qui s’échange sur des marchés, ce sont les surplus des réquisitions obligatoires et des nécessités de la vie quotidienne. Les rapports de valeur sont largement fixés par les autorités ou la coutume, et généralement, ils bougent très peu, sauf en cas de guerre et d’épidémie.
La seule disruption dans ces routines vient de ce qu’on pourrait appeler les échanges internationaux. Mais tous les peuples qui ont dominé ces activités liées en général au transport et ses investissements très lourds, n’ont pas eu besoin de la monnaie pour travailler pendant des siècles. Le nombre de produits concernés était très faible et il fallait des sécurités que seul le prince pouvait fournir. Les peuples soumis doivent payer tribut et se libérer de leurs dettes, comme les autres, en nature. L’artisanat et le développement d’une bourgeoisie urbaine étaient une autre source de sortie des mécanismes ancestraux. Mais là encore, la richesse étant terrienne, et entre les mains du clergé et des princes tout était codifié et relativement stable.
On comprendra que dans ces conditions il était peu probable que l’innovation monétaire se fasse à la base, sur les marchés. Et tel n’a pas été le cas. La monnaie est née au confluent de la ritualité funéraire et des besoins de la rémunération des soldats. Elle a ensuite révolutionné la justice. On est dans le 100 % régalien et aucunement dans le commercial ! Elle se répandra par la soldatesque et les prostituées autour… des temples. Elle va provoquer des conséquences d’abord sur les sacrifices. Il devient inutile de tuer des bêtes ou de sacrifier des humains, en général des jeunes femmes vierges. Elle ne pourra véritablement jouer un rôle économique que lorsque la liberté prendra son effort. D’où les deux expressions : l’or est le sang des dieux, marquant le caractère religieux des symboles et le sommet dans la valeur ; la monnaie est de la liberté frappée, marquant que sans liberté elle n’a pas de rôle indispensable.
Lors d’une longue conversation avec un des conservateurs du musée numismatique de Berlin, il y a bien des années, la question qui nous agitait concernait les petites billes d’or qui servaient à une multitude de cérémonies sacrées, en Égypte et dans tout l’est de la Méditerranée. Par exemple, on mettait en Égypte dans le tombeau des princesses des tenues avec de nombreuses billes d’or. La tradition de la petite billette d’or dans la bouche des défunts était également généralisée notamment dans l’environnement dominé par les Grecs. L’observation montre que ces billettes étaient relativement codifiées. Leur poids évolue dans des limites assez strictes
L’or comme l’argent ne circulent pas dans la vie courante. Leur valeur est beaucoup trop grande par rapport au revenu moyen. Seuls les princes en possèdent et momentanément les artisans qui les transforment. Ils ne servent que dans les grandes occasions.
Lorsqu’en Lycie, lieu de la rivière aurifère Pactole au temps de Crésus, tous noms devenus des symboles encore utilisés aujourd’hui, on s’avise de prendre ces petites billettes d’or et de les presser en leur donnant une valeur constante et officielle par le grammage d’or, ce n’est pas pour améliorer le commerce et dynamiser les marchés. D’abord on a l’habitude de créer ces billettes quasi normalisées qui sont expédiées un peu partout dans le monde méditerranéen. Les sceaux on connaît. Presser la billette et y mettre un sceau n’est pas un saut technique phénoménal, même si le résultat le sera. La monnaie ne naît pas sur une place de marché mais dans une contrée riche en or et diffusant ce métal dans un but religieux en général sous forme de perle d’or relativement standardisée.
Le but est de rassembler des troupes pour battre le voisin du nord est qui est de plus en plus embarrassant. Donner une pièce d’or peut attirer les mercenaires. La pièce en électrum, un alliage permettant de durcir l’or, ne va pas rester thésaurisée par les soldats, on s’en doute, avec les conséquences qu’on a signalées sur le type et les lieux de la dépense principale.
Le royaume de Lycie perdra sa guerre et sera dissous. La pièce restera, d’abord comme moyen des états, si ce vocable s’applique bien aux pouvoirs de l’époque et surtout deviendra fondamentales dans deux domaines fondamentaux : la justice et la religion. Désormais on peut éteindre ses dettes avec de la monnaie, ce qui est beaucoup plus commode qu’en cédant des biens ou des enfants, ou en sacrifiant du bétail. C’est une révolution qui permet de réécrire tous les codes.
Et le commerce dans tout cela ? Il va se saisir de l’innovation en fonction de la place de la liberté dans la société. Il faudra plusieurs siècles avant que l’usage ne devienne général. À Athènes il faut deux cents ans pour que l’affaire se consolide. Mais à Sparte on se moque de « ces pédés d’Athéniens et leur monnaie ». On y considère la finance, les gains sur la spéculation permis par la monnaie, comme une licence. Une des activités qui résistera le plus longtemps est le commerce international. Les Phéniciens mettront quatre cents ans avant d’utiliser la monnaie.
Une fois le mouvement installé, il emportera tout et permettra l’émergence du capitalisme, tout en faussant les perspectives. La monnaie, toujours principalement régalienne, sera confondue avec la richesse. Il faudra les physiocrates et les premiers économistes classiques pour bien faire comprendre que la richesse est d’abord la production qui permet la consommation.
On voit aujourd’hui qu’un pays comme la France a fini par payer presque tout le monde pendant la crise du Cvoid avec de la monnaie administrative sans quasiment aucune production. La monnaie est restée régalienne et permet en apparence toutes les folies bureaucratiques. Et la promotion sur une base quasi religieuse de l’« écologie » a fait perdre de vue que la richesse réelle était l’énergie et la production.
On revient tranquillement à une forme de société basée sur la contrainte et la répartition, avec restriction des libertés. Bienvenue dans la nouvelle protohistoire, où le sacrifice aux Dieux était la base de la vie intellectuelle et la rémunération du clergé sous la protection de l’armée la forme la plus achevée de l’organisation sociale. On y aura plus besoin de monnaie, seulement des tickets de rationnement.
À Carthage, lors des sécheresses, les élites offraient leur fille adolescente et vierge naturellement au sacrifice rituel. Il fallait amadouer le Dieu Baal. Cela ne changeait pas grand-chose à la pluviométrie mais cela permettait de calmer la volonté de vengeance sur les élites de la populace affamée.
Là on offre en holocauste au Dieu climat la prospérité générale, sans aucun sacrifice des élites politiques qui elles se gobergent sans limite. On a gardé l’idée sacrificielle des Carthaginois mais sans que les élites ne paient le prix. La distribution de monnaies à toutes les clientèles semble être suffisante. Les libertés fondent avec la valeur de la monnaie et les passes-énergétiques.
Une fois de plus l’histoire nous administre la preuve que la monnaie légale est une affaire plus régalienne que marchande. Ce qui n’est pas sans conséquence sur l’appréciation du phénomène et la manière d’appréhender son avenir, surtout avec les perspectives ouvertes par la numérisation et la déconnexion totale de la création de monnaie du processus de production et l’ampleur de la thésaurisation associée.
Didier Dufau pour le cercle des « économistes e-toile »
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Là ou l' Etat monopolise la création de monnaie, il y a abus ( Philippe Le Bel rognait les piéces d'or et d'argent . La revolution décret la faillite des 3/4 de la dette publique et paye le 1/4 restant en assignats ) le phénoméne devient infini avec la fiction d'une banque centrale soi-disant autonome par rapport a l'Etat dont elle prend les Obligations en pensions contre avance de liquidités .
Les crypto-monnaies reviennent a leur valeur initiale proche de zéro ( faute d'autorité regalienne ) . Et l'etat qui cherche a plumer le citoyen va imposer la CBDC ( central bank digital currency ) pour confisquer toute circulation non controlée . A bas l' Etat cannibale
Ils savent comment s'organisent les sociétés, la valeur des biens, la religion et les rites...
Bref, rien ne leur est inconnu, et même à la préhistoire !!!
Vous ne faîtes que de la spéculation !
De toutes façon nous sommes habitués avec les "intellectuels".
Ils préfèrent raconter des conneries plutôt que d'avouer: nous ne savons pas !
PS: Et ce n'est pas en creusant quelques trous dans le sol que l'on sait ce qu'il se passait il y a des millénaires...
Ce qui gène, ce n'est pas que l'histoire soit lacunaire, mais qu'on l'oublie par idéologie dans le développement d'une discipline plus récente.
Ce qui manquait, c'était le croisement des disciplines. L'historien ne connaissait pas l'économie et manquait de concepts pour l'analyser. L'économiste manquait de connaissances historiques lointaines.
Le mouvement de rapprochement est bien avancé depuis cinquante ans. Et il importe que ceux qui parlent de monnaie s'imprègnent de ces travaux. Les musées numismatiques sont et des leçons d'économie et des leçons d'histoire.
Un peu de complexité historique permet de mieux comprendre le monde actuel et les erreurs qui s'y commettent.
Lorsqu'il est devenu clair que la terre était ronde et non pas plate, il était agaçant d'entendre dire le contraire de façon routinière. Rappeler le fait ne visait personne. Bien sûr il y a toujours une idéologie derrière des erreurs persistantes.
L'idée que la monnaie n'est pas née au sein de la communauté marchande est une vérité d'observation qui ne peut guère être contestée. Dès le départ c'est une institution d'état destinée au régalien et au religieux pas au profane et encore moins au commerce. Et tout le problème depuis que la monnaie existe est de savoir comment le régalien doit ou ne doit pas créer et utiliser la monnaie, ce qui pose des questions nationales et internationales depuis l'antiquité et qui est devenu fondamental depuis que les monnaies sont devenues purement administratives de facto depuis 1919.
Les classiques ont su distinguer la richesse des nations et la détention de monnaie, tout en laissant croire qu'avant, sans la monnaie le troc lamentable triomphait. Du coup la monnaie devenait un adjuvant uniquement destiné à mettre du liant dans les processus d'échange. Un simple progrès dans la sphère économique qu'il fallait bien comprendre pour tenir à distance l'état parasite. Bas les pattes et tout se passera bien. De même dans le champs international, les devises seraient une simple affaire de marché libre. Ce qui est une parfaite sottise et conduit à des crises périodiques et effets de domination tout à fait dommageable.
Mieux vaut considérer que la monnaie comme un instrument étatique polyvalent de régulation sociale, et définir les conditions d'une action légitime et non spoliatrice de création et de distribution de la monnaie par les États. Plutôt que laisser croire que ce n'est qu'un instrument économique que l'on peut laisser aux banque centrales sans intervention des États ou que la valeur des devises peut s'établir spontanément sur les marchés.
On peut rêver d'un monde sans état, sans police, sans justice, sans soldats et sans monnaie, une anarchie spontanéiste où les interactions rationnelles et affectueuses des individus permettraient la survenue du meilleur des mondes.
On peut aussi rêver qu'un état peut déléguer sa monnaie sans conséquences, car ce n'est pas une affaire d'état mais de huilage approprié des rouages de l'économie.
On peut aussi rêver que la monnaie est le symbole du capitalisme et qu'il faut la détruire pour faire advenir la société vraiment socialiste.
Mais à chaque fois on part de prémisses fausses et on aboutit à rien.
Actuellement les systèmes monétaires nationaux, transnationaux et internationaux sont dysfonctionnels ce qui appelle des réformes cruciales venant des États.
Ajoutons les possibilités techniques nouvelles de "cryptoactifs", dépendant ou non des banques centrales et nous nous retrouvons avec un chantier où le caractère fondamentalement étatique de la monnaie est au cœur des débats.
"La monnaie progrès technique de la sphère marchande pour mettre fin au troc " est dans cette optique une conception aussi fausse que contreproductive.