Présidentielles : un vote modéré, mais...

Les risques plus prégnants que les chances

Une fois retombée les scories passionnelles de la campagne, le tableau que révèlent les résultats est celui d’une France majoritairement modérée, dont toute la façade ouest traditionnellement chrétienne-démocrate a glissé du socialisme au centrisme, et dont l’Est est un peu perdu entre des influences contradictoires mais plutôt droitières. L’immigration est passée avec armes et bagages chez Mélenchon.

Les Français ont mis fin aux alternances UMP-PS, qui devenaient de plus en plus caricaturales, l’UMP se calquant sur le Front national et le PS sur son extrême gauche et finissant totalement divisés en internes en clans farouches, les primaires éliminant les chefs « naturels » et achevant de diviser leur camp.

Les partis de gouvernements sont devenus des gouvernements partis.

Ils espèrent se reconstituer aux législatives. Pour le PS, la division est insurmontable. Pour les Républicains, on peut craindre que le fait de battre sa coulpe sans dignité sur la personne de François Fillon, vae victis, n’entraîne pas les effets de mobilisation escomptés. Mme Dati, Mme Morano, M. Woerth, M. Estrosi, M. Apparu, M. Wauquiez ou M. Fenech, qui étalent leurs sentiments d’aigre contemption, n’ont très exactement aucun attrait électoral pour personne. Au PS comme à LR, on joue dans la cour des petits qui croient qu’ils ont de l’importance. Les seconds canifs se prennent pour les premiers couteaux.

L’énorme couverture médiatique offerte aux petits candidats n’a servi qu’à mesurer l’inanité de leur campagne. M. Dupont Aignan voulait se faire rembourser ses frais de campagne. C’est raté. Il voulait faire battre Fillon, c’est gagné. Amère victoire.

La remise en cause de l’Europe n’a pas fonctionné en dépit d’une majorité de candidats anti européen. Ce clivage n’a pas été déterminant même si l’attrait européen est désormais plus que fané. Les Français n’ont pas voulu ajouter une crise européenne à leurs malheurs. Ils ont bien fait.

Ils n’ont pas voulu d’une crise institutionnelle. Ils sont attachés à la Ve République et veulent croire que les partis modérés sauront s’entendre pour faire face aux différents enjeux, en se concentrant plus sur les solutions que sur ce qui les divise.

Pour le reste, tout est à craindre.

Certaines options programmatiques de M. Macron sont franchement détestables.

Il fallait laisser en paix la CSG et augmenter la TVA.

Il fallait supprimer totalement l’ISF.

Il faudrait renoncer à l’exonération de 80 % des ménages de la taxe d’habitation.

Il faudrait abandonner l’idée des heures supplémentaires détaxées et déchargées.

Vouloir creuser le gouffre entre une France qui majoritairement ne paie pas d’impôts ni de charges et une France accablée d’impôts est sans doute bon pour le résultat électoral mais il s’agit d’une démagogie primaire qui a depuis longtemps des conséquences déplorables et cela continuera. Privilégier les fortunes mobilières assises sur les bulles et les montages financiers et fiscaux est la garantie que les réformes financières de fond ne seront pas faites.

Ces mesures qui rappellent le début calamiteux du mandat de M. Hollande ne peuvent pas être positives. Elles finiront de faire fuir totalement les classes aisées qui sont au cœur de plusieurs mécanismes utiles au pays : attractivité, dynamisme, créativité, joie de la réussite, initiatives culturelles non publiques, vitalité associative, force des efforts caritatifs…

Une des difficultés du système constitutionnel français, basé sur une hyperpuissance, sans doute déraisonnable du président, est l'émergence de travers graves dans l’exercice du pouvoir gouvernemental :

-          La tendance au bavardage plutôt qu’à l’action

-          Le poids excessif donné à la communication et aux médias dont on a vu qu’ils jouaient leur rôle propre, c’est-à-dire sale, dans la vie politique. S’il s’agit uniquement de gérer de l’image, les idées n’ont plus d’importance.

-          L’hyper-législation émotionnelle avec des textes trop nombreux, trop longs, trop mal rédigés et le plus souvent inapplicables.

-          L’évacuation de tous les sujets qui demandent des diagnostics lourds et difficiles pour un court termine déplorable.

-          L’anéantissement de la justice au profit de campagnes douteuses lancées par des forces presque toujours abusives.

-          Le poids démesuré de la haute fonction publique qui entend régenter un pays qui dépense de plus en plus.

-          Les coups d’éclats à l’extérieur et l’inaction à l’intérieur

C’est comme cela que depuis 40 ans on évacue la question fondamentale de la baisse constante de la croissance et de la poussée de la dette et du chômage.

C’est comme cela qu’on évacue constamment la réflexion sur les principes mêmes qui doivent diriger la construction de l’espace européen, notamment depuis la libération des anciens Pays de l’Est soviétiques.

C’est comme cela qu’on refuse depuis toujours de régler au fond la question d’une immigration islamique intolérante et de l’«affirmative action » arrogante des minorités arabes devenues majorités dans certains quartiers.

C’est comme cela qu’on refuse de voir l’acculturation croissante des Français du fait de l’emprise du show-business anglo-saxon.

Dans tous ces domaines une solution efficace exigerait une longue et lourde concertation avant toute décision. La tendance est de préférer les coups non préparés et les reculades précipitées, avec pour contre coup des élections ratées et pourries par la montée des extrêmes.

On aurait aimé que la catharsis présidentielle que représente cette élection permette d’avancer sur ces sujets cruciaux. Certains aspects du succès de l’épopée électorale d’Emmanuel Macron vont dans la bonne direction.

Malheureusement plusieurs facteurs jouent en sens inverse.

-          La personnalité du jeune président, son ambiguïté conjugale, son goût pour les discours creux, poussent au renforcement du bavardage incertain

-          Le goût pour l’hyper fiscalité contre les petits « possédants » et les retraités au profit des fortunes mondialisées, est fondamentalement malsain,

-          Le « complot des énarques », qui a permis sa victoire, garantit une France suradministrée qui ne se débarrassera pas de son trop-plein de fonctionnaires et de réglementation

-          L’ampleur des soutiens occultes à sa campagne en fait un président obligé de lobbies puissants.

Le pire, en fait, est sans doute le déséquilibre de la constitution française. Sa qualité est de donner un chef au pays et de fixer une ligne politique générale. Mais les contre-pouvoirs et les obligations de préparer, de confronter, de polir, d’amodier, de rendre convenables les mesures prises sont trop faibles. Espérer en une cohabitation est absurde.

Il y a un absolutisme du néant et du superficiel dans la constitution voulue par le Général de Gaulle dont il n’avait certainement pas mesuré l’incidence. La démocratie d’écuries présidentielles est aussi rapidement une république d’incurie gouvernementale.

L’absolutisme présidentiel, avec évacuation partielle du pouvoir vers l’Europe et les régions, peut-il aboutir au redressement national dans un contexte de succès électoral basé sur la démagogie de l’achat de vote mâtiné par le sentiment qu’un peu de modération serait souhaitable ?

On est sorti heureusement d’une course à l’échalote entre droite et gauche de gouvernement sur fond d’impuissance générale, qu’aurait caractérisé un nouvel affrontement Sarkozy-Hollande, pour entrer dans une zone de flou et de brouillard parcourue de courts-circuits donnant une impression d’éclairs.

La situation présente le double risque du n’importe quoi tous azimuts, et du règne occulte de certains lobbies. Et la chance d’une obligation de recherche d’accords de fond pour pouvoir gouverner un peu sérieusement.

Malheureusement le risque est plus fort que la chance. On peut penser que seul le passage à un véritable système présidentiel où les pouvoirs du président seraient équilibrés structurellement par ceux d’un véritable Parlement, puisse aider à surmonter cette triste réalité.

On risque donc de constater à nouveau « le contraste entre l’immensité du pouvoir d’un homme qui a tous les moyens d’agir et une pseudo-communication d’esquive, d’éloge intarissable de soi-même, de reconstruction rétrospective de la réalité, de mise au pas, de revanche et de réprimandes », comme le remarquait, il y a près de trente ans, J. F. Revel. Contraste qui a été porté au plus haut par François Hollande.

On verra dès les premiers six mois si Emmanuel Macron glisse avec dilection sur ce toboggan. La fête à la Rotonde marque un début de dérapage.

Les Français ont voulu croire dans une période sinistre que « tout le monde il est beau tout le monde il est gentil ». Seulement voilà : l’organisation économique mondiale est dysfonctionnelle ; l’organisation européenne l’est aussi ; et la guerre islamiste est en cours. Si une nouvelle crise mondiale frappe, si l’Europe se bloque et si les attentats repartent de plus belle, on ne voit rien, dans le programme et les équipes de M. Macron, qui permette de faire face.

Commentaire
spetsiotis's Gravatar Quand la présence des petites candidatures parasite l’élection.

La nécessité, au nom d’une égalité mal comprise, de leur assurer un temps de parole égal à celui des grands candidats a généré des effets aberrants : 15 minutes par candidat pour faire valoir son programme, quel que soit son poids électoral: c’est totalement ridicule - et gravement nuisible.

Messieurs Poutou, Lassalle, Cheminade, Asselineau et madame Arthaud ont ils ajouté quoi que ce soit d’utile à cette élection ? Sans oublier Dupont-Aignan dont la contribution à l’échec de Fillon est flagrante.
# Posté par spetsiotis | 25/04/17 10:58
Tenez's Gravatar "Les Français ont mis fin aux alternances UMP-PS"

Hein? ah bon? vous re-signez pour Hollande pour 5 ans. Ni plus ni moins. Tres fort d'ailleurs car le president "le moins populaire de la 5eme republique a reussi a se faire re-elire deguise en jeune entrepreneur...qui n'entreprendra rien du tout de bon d'ailleurs. Ce qui me sidere, c'est que ca marche. Mais enfin, quand un peuple vote Sarko, puis Hollande...apres, tout est possible.

Spetsiotis - ce n;est pas l'echec des petits candidats tant que celui de la France, malheuresement. De la meme facon, on peut dire que Hammond a coule Melanchon.

Tenez, votre ami et "relative"!
# Posté par Tenez | 25/04/17 18:22
DD's Gravatar Vous faites une analyse purement politique en fonction de vos options de préférence, qui ont leur logique que nous ne discuterons pas . Ce n'est pas le but de ce post qui est plutôt de comprendre ce que le pays globalement a voulu et qui va peser pendant un temps. Chaque élection présidentielle a envoyé un message :

- 65 : oui mais au Général de Gaulle
- 69 : non à la Chienlit
- 74 : la fin des gaullistes historiques mais la morgue de Giscard fait tourner court la mutation.
- 81 : remettre les socialistes dans le jeu de la 5ième République et sanctionner la crise de 74
- 88 : pas de remise en cause d'un certain acquis social démocrate. Peur d'un plan de redressement.
- 95 : sanction de la crise de 92-93
- 2002 : sanction de la gestion Jospin et du début de crise 2001-2002
- 2007 : sanction du ni ni et espoir d'une action plus déterminée
- 2012 : sanction de la crise de 2008-2009 avec choix d'une sociale démocratie vue comme modérée
- 2017 : refus d'une alternance classique et d'un programme fort de redressement.

Depuis le début des élections présidentielles les Français refusent et les confirmations revanchardes et les élections à risque. En revanche, ils sanctionnent systématiquement quand les résultats ne sont pas là.

Le refus du plan Fillon tient autant au complot politico-administrativo-médiatico judiciaire monté pour lui nuire que du rejet d'une posture d'énergie positive que les électeurs avaient déjà refusé à Raymond Barre.

Les Français aiment la sécurité (culte de la fonction publique, de la sécurité sociale gratuite) et les avantages acquis au détriment des autres. Les impôts ne les gênent pas s'ils pensent que d'autres paient plus qu'eux.

Ils se fichent du programme Macron. Il voit la possibilité d'une sortie sans crise de la sociale démocratie hollandaise purgée de Mmes Belkacem et Taubira, en gardant les avantages acquis pour l'essentiel et les impôts qui les financent, en espérant malgré tout que les problèmes de fond pourront être réglés en coopération avec la droite (en y allant mollo tout de même).

Si cette interprétation est juste, Mme Le Pen n'a strictement aucune chance. Trop de risques.

En revanche, M. Macron sera désavoué dès les élections législatives de juin s'il ne montre pas, à l'occasion de la création de son gouvernement, qu'il est prêt à engager une forme de gouvernement collaboratif (quitte à abandonner les mesures de type "achat de vote"). Les Français ne voudront pas d'un nouveau "capitaine de pédalo", qui aurait simplement enlevé le O , trop content de savourer le plaisir narcissique de régner, et qui entrerait de nouveau dans le "j'm'en foutisme" bavard.

Il pourrait l'être dès le second tour s'il continue sur la pente de la Rotonde. Le pays n'est pas là pour donner des satisfactions d'ego à un "pervers polymorphe et narcissique, factotum d'intérêt privés puissants et sans autonomie par rapport aux forces qui gouvernent l'Europe et la mondialisation", comme diraient les Insoumis. Il faudrait qu'il multiplie les erreurs et que Mme Le Pen le débusque à découvert, tout en démontrant qu'elle est capable d'une action positive et sans risque majeur.

Autant dire que Macron a encore beaucoup de chemin à faire pour montrer qu'il représente un potentiel d'accueil positif vis à vis des solutions indispensables pour faire face aux nombreuses difficultés qui attendent le pays. Il doit se mettre en marche vers des solutions de conciliation avec les tenants du programme économique de F. Fillon qui était le seul (à peu près) à la hauteur des enjeux.

Les quinze jours, puis les deux mois qui suivront, seront intéressants à suivre.
# Posté par DD | 25/04/17 20:15
DvD's Gravatar C'est exactement ça : une élection dans laquelle il y a beaucoup à perdre et peu à gagner. A l'image de certains des parrains de Macron qui mourraient ensevelis sous leurs dettes en cas de second tour entre extrêmes mais devront maintenant partager les fruits de la victoire avec les parrains concurrents.

La contradiction fondamentale entre "modèle social et fiscal français" et participation à des systèmes commerciaux et monétaires européens et internationaux dysfonctionnels qui se traduit en chômage de masse structurel et endettement croissant est laissée inchangée derrière un nouveau visage pour l'incarner. Si Macron est la nouvelle façade, la substance est en effet la même que celle des Giscard, Fabius, Rocard, Balladur, Chirac, Juppé, De Villepin, Hollande, bref "l'énarchie compassionelle de marché" qui n'a pas attendu Macron pour transcender les partis de gouvernement et se maintenir au pouvoir en toutes circonstances malgré des résultats d'ensemble très faibles qui ont fait gagner aux extrêmes des parts de marché inespérées. L'oligopole de "l'énarchie compassionelle" avait déjà dans les faits rendu obsolète la segmentation gauche - droite de gouvernement qui avait perdu depuis un moment portée explicative et opérationnelle pour se réduire à la manipulation de certains totems purement symboliques. Les institutions politiques ne font que s'adapter avec retard aux faits et le nouveau parti qui va se reconfigurer autour de Macron aura au moins le mérite d'une plus grande cohérence du paysage politique : le parti du "consensus de Paris" s'unifie au centre pour se consolider et se maintenir au pouvoir malgré ses pertes de parts de marché au profit des extrêmes. L'honnêteté oblige à dire qu'il en aurait été à peu près de même avec Fillon. Il était simplement plus facile à Macron qu'à Fillon d'incarner, avec l'aide des parrains du business et des médias, un renouveau de façade et de se placer en dehors du précédent découpage pour faire croire à une refondation en trompe l'œil.

Il me semble en effet peu probable que Le Pen l'emporte même si son % devrait doubler par rapport à son père en 2002. Dans cette hypothèse, ainsi élu sur une plateforme de demi-mesures vagues et ambiguës à ce stade (la reconfiguration se formalisant post et non pas pré-élection présidentielle), et coincé des deux côtés par des extrêmes qui aboient d'autant plus fort qu'ils se rapprochent inexorablement du pouvoir à mesure que la contradiction fondamentale persiste, le gamin qui parle pour ne rien dire à une marge de manœuvre des plus étroites.

Souhaitons lui néanmoins bonne chance car nous sommes tous, in fine, dans le même bateau.
# Posté par DvD | 25/04/17 22:58
Tenez's Gravatar D'ou vient d'apres vous cet acharnement, lynchage en fait, des journeaux mainstream sur Fillon? Son cote "trop" catholique peut etre? Je crois surtout que ce qui le distingue vraiment des "progressistes liberals" (le vrai nom du nouveau parti socialiste) a ete sa volonte d'essayer d'entamer des negotiations, voir un rapprochement avec la Russie. C'est a dire une possibilite de sortir du commandement de l'OTAN ou en tous cas d'aller a l'encontre de la volonte americaine (en tous cas de son etat profond). Bizarre en tous cas.
# Posté par Tenez | 26/04/17 16:02
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

Association loi 1901

  
BlogCFC was created by Raymond Camden. This blog is running version 5.9.002. Contact Blog Owner