Le dernier livre d’Henri Guaino : forces et limites

« À la septième fois les murailles tombèrent ! » Le titre du dernier livre d’Henri Guaino (aux Editions du Rocher) est excellent. Il correspond au contenu du livre et crée une inquiétude de départ propice à mettre le lecteur dans une attente fébrile. On aurait pu également choisir : au bord du gouffre ; il est moins une ; dernière station avant l’apocalypse, Les derniers mètres du Titanic…

Le livre décrit et dénonce l’effondrement permanent du pays depuis des lustres et veut avertir que si on continue sur cette lancée, la disparition de la France comme nation, comme grande puissance et comme vecteur universel de civilisation va disparaître à très court terme.

Conjurer l’effondrement définitif, voilà l’ambition.

Après avoir lu le livre nous avons relu le commentaire que nous avions fait d’un grand article du même Henri Guaino, conseiller de Nicolas Sarkozy, en plein dans les suites de la crise de 2008 et de son surgeon proprement européen de 2011. Formidable : rien n’a changé. Même discours et mêmes critiques.

http://cee.e-toile.fr/index.cfm/2011/9/9/Larticle-dHenri-Guaino-dans-le-Monde-du-9-septembre-2011

Henri Guaino a cette caractéristique d’être un Gaulliste non pas de gauche mais qui refuse de solidifier l’aventure dans une affirmation uniquement droitière. Il considère que la création de la Cinquième République, privée de ses dépendances extérieures et rattachée au projet global Européen, est une pensée civilisationnelle où le rôle de la France aurait pu et dû être magnifié. Il constate 65 ans après que le pays est devenu une collection de territoires, qu’il n’y a plus de nation, que le recul économique est évident, que l’Europe s’est écartée du schéma français et a écarté la France de son schéma, que la mondialisation est devenue une tiers-mondialisation de la France, que partout le pays perd pied et que l’ambiance est mortifère.

Il suggère que la cause principale est l’esprit de table rase complété par une approche comptable des questions étatiques. Au lieu de bâtir sur les acquis, on veut tout détruire pour faire autrement. La longue litanie des « tables rases » engagées est la meilleure partie du livre. Ce n’est pas une approche « conservatrice » mais un rappel précieux à concilier le passé et la modernité.

Pourquoi les élites françaises ont-elles cédé aux sirènes de la table rase, partiellement prônée par le « cercle de raison » portant les idées médiatiques dominantes ? C’est là que l’analyse reste faible.

Le rôle délétère des crises économiques et financières, dont le mécanisme n’est pas réellement expliqué, n’est pas compris par Henri Guaino. L’organisation foireuse qui les provoque n’est pas de caractère idéologique mais tient entièrement à la domination américaine. Elle ne ressortit pas de la philosophie mais des relations de force géopolitiques. Si on ne comprend pas que les déséquilibres majeurs de balances de paiements, avec des déficits et des excédents ahurissants, conduisent automatiquement à une financiarisation désastreuse qui travaille pour elle-même sans orienter l’épargne vers l’investissement productif, que les bulles financières artificielles ont vocation à exploser, et que le sous-investissement implique la déchéance des services publics, le déclassement de la classe moyenne, et des poussées de dettes extravagantes, on ne sait rien proposer pour en sortir.

Henri Guaino recentre alors ses critiques sur « l’approche comptable » qui veut que l’on déshabille l’état et qu’on réduise son rôle social. Il reprend la critique du néolibéralisme qui a triomphé avec Reagan et Thatcher et a dominé le monde. Mais il ne veut pas trop se mettre du côté des économistes atterrés et des socialistes antilibéraux. Alors on parle d’approche comptable et on dénonce l’obsession de la droite à vouloir réduire le rôle de l’État. On retrouve le discours que veut incarner Aurélien Pradié : ne pas oublier le social et ne pas se présenter seulement sous la forme d’un rabot antisocial.

Henri Guaino refuse de voir que la fusion des hauts fonctionnaires d’état et de l’élite politique en une caste homogène préoccupée, de plus en plus en famille,  à consolider et étendre ses privilèges, a entraîné à la fois une hausse terrifiante de la dépense publique et la déréliction des services, au profit d’attributions d’avantages divers sans cesse plus généreux à des clientèles sans cesse plus nombreuses. Quand on ne veut pas voir cette réalité, presque tout le reste vous échappe. Il suffit d’écouter un Macron pour voir qu’à chaque sortie il annonce une nouvelle dépense, un nouveau cadeau au peuple, une nouvelle promesse qui ne sera pas tenue de baisse des impôts. La bureaucratie a tout envahi depuis que le couple Giscard-Chirac a pris le pouvoir et l’Enarchie compassionnelle avec eux.

Le poste de premier Ministre est un poste administratif. On y est nommé après une direction de société d’autobus et avant de trouver une autre sinécure. On a ainsi swappé le poste de premier ministre et celui de président de la RATP entre Borne et Castex, sous la houlette de l’énarque Macron et de son conseiller énarque.

La justice n’est plus « républicaine » et s’est autonomisée. Mais Henri Guaino ne comprend pas et ne nomme pas le mal. Le justicialisme est une doctrine et une pratique qui devrait être criminalisée et extirpée. Ici, pas de solutions ni d’analyses. Simplement des constats.

Le livre de Guaino est comme un torrent au milieu des rochers, et on le descend en canoë en évitant avec la pagaïe de se noyer. Mais il n’a pas d’introduction, de développement et de conclusion. On est dans le commentaire, pas dans l’action. Bien sûr on peut espérer que les commentaires déclencheront une réflexion salutaire, mais sans points d’appui programmatiques, on voit mal comment.

La vraie bataille, pour le camp politique dans lequel Henri Guaino bataille, est programmatique. Qu’est-ce qu’on doit faire ? Quelles forces contraires doit-on vaincre et comment ? Quelles sont les grandes actions pilotes capables de bloquer la descente aux enfers ?

N’espérez pas trouver dans le livre des éclaircissements précis sur ces questions vitales.

On retrouve les lacunes de l’article de 2012 alors que l’auteur conseillait Nicolas Sarkozy.

Sans programme précis et sans porter le fer sur des tares bien identifiées, il ne se passe rien.

Compilation n'est pas raison et encore moins action.

Le livre d’Henri Guaino participera peut-être à une meilleure prise de conscience qu’on se laisse entraîner au gouffre par passivité intellectuelle et refus de réagir. Mais il n’aide pas vraiment à reformuler un projet concret pour redresser la France.

Dommage !

 

Didier Dufau, pour le Cercle des économistes e-toile.

 

Soliloquer sans comprendre

Moraliser sans apprendre,

Est une oeuvre de curé

élégamment désespérée.

Prophétiser mais sans agir

Anesthésier sans  ouvrir

N'est pas oeuvre de médecin

et laisse aller le destin.

 

Commentaire
Siem's Gravatar D'accord globalement avec votre réflexion. Vous êtes un peu dur pour la seconde partie. Guaino cherche à comprendre comment on finit par se laisser entraîner dans des guerres et pourquoi les élites sont impuissantes volontairement à force de toujours pouvoir calmer le jeu sans jamais voir la réalité et sans partir des constats objectifs pour faire attention et prévenir les glissements.

Il suffit de constater avec ahurissement l'absolue imbécillité narcissique d'un Macron, pour constater que la communication l'emporte sur l'action, alors que les dangers s'accumulent. Par lâcheté il laisse les difficultés s'aggraver en essayant de manipuler l'opinion. Aucune action proportionnée aux risques. En faisant de Macron l'héritier des inconsciences volontaires politiques et un lâche niant les réalités et mentant à répétition, le livre n'est pas sans intérêt.

Dire : "attention ; on glisse vers l'abîme ! Il faut tenir compte des échecs de l'histoire pour ne pas sombrer par inadvertance ou faiblesse dans des crises démentielles", n'est pas inutile.

- Émeutes de juin : pas de leçon tirée.
- Antisémitsime musulman : pas de leçon tirée.
- Islamisme conquérant en France : pas de leçon tirée.
- Ong malsaines qui poussent à la violence : pas de leçons tirées.
- Gouvernement des juges et laxisme volontaire de juges rouges (une voleur de voiture, sans assurance, sans permis, qui traîne un policier au point de causer un arrêt de travail de 30 jours condamné à quelques jours de TIG est la marque d'une volonté de détruire la société) : pas de leçons tirés.
- Hyperfiscalité qui ruine tout le monde et ne permet pas de vaincre le chômage de masse : mensonge systématique et aucune leçon tirée.
- Coûts délirants d'une transition énergétique entraînant des conséquences dramatiques notamment pour les plus pauvres : Aucune leçon tirée.
- Clientélisme permanent et politique systématique du chéquier : grande satisfaction alors que cela détruit le pays.
- ...
Le livre de Guaino a tout de même l'avantage de montrer que ce genre de politique du chien crevé au fil de l'eau, si commode et si tentante, mène au pire.

Un rappel historique un peu décalé. Mais une vérité incontestable !
# Posté par Siem | 16/11/23 10:27
DD's Gravatar On pourrait vous suivre si la seconde partie était juste un livre d'histoire expliquant des erreurs passées, et laissant à chacun se faire une idée des transcriptions dans le monde actuel. Le livre se veut prescriptif. Et là, on se retrouve toujours avec une absence de projets concrets sur des sujets bien cernés.

On suggère que les erreurs viennent de mauvaises intentions ou de refus de regarder. Alors qu'il y a tout de même des éléments plus précis à faire valoir.

Un exemple : Oui, il y a un gouvernement des juges. Mais pourquoi et qu'est-ce qu'on fait ? Mystère. La notion de "justicialisme" n'est pas explorée ni son rôle dans la déréliction de la sécurité et de la confiance publique. L'analyse n'est pas fausse mais elle est lacunaire et ne conduit pas à des politiques à mener claires.

On explique que nous vivons dans le sous investissement permanent dans le secteur public. D'accord, mais dans le secteur privé aussi. Mais où sont les causes ? Les systèmes monétaires internationaux ne sont même pas évoqués.

On accuse un néolibéralisme mortifère alors que nous sommes dirigés par une caste de hauts fonctionnaires qui ont absorbé la sphère politique en famille, qui ne représentent qu'eux-mêmes, et qui ont poussé les prélèvements à des hauteurs insurmontables et insupportables. On fait quoi ? On évoque 48% du PIB sans se rendre compte qu'une partie du PIB est nourri par le fait qu'on ajoute au PIB les salaires des fonctionnaires en réputant qu'il s'agit d'une production. Si vous enlevez les dépenses pour les fonctionnaires, le taux de prélèvement monte vers les 80%. Le montant de la dépense publique excède même la valeur ajoutée des entreprises du secteur marchand non financier (autour d'1.5 mille milliards d'euros). Où est le néolibéralisme ?

Lire Keynes, c'est bien mais cela ne suffit pas.

Le livre est trop diffus et imprécis pour fabriquer un programme décisif. Le livre remet pas mal de choses en place mais ne débouche pas .

Le fait que le livre ne présente pas de conclusion est symptomatique. Le fleuve de commentaires peut continuer indéfiniment à couler.

Mais il va bien falloir agir !
# Posté par DD | 16/11/23 12:19
Siem's Gravatar Bien d'accord !
# Posté par Siem | 16/11/23 18:49
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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