Jacques Chirac et l'Enarchie Compassionnelle

Jacques Chirac nous a quittés sous les larmes et les fleurs. La période des hommages a été suffisamment longue et fournie pour qu’on puisse désormais abandonner sans indécence une attitude de pure hagiographie.

Il a choisi la voie de la grande responsabilité politique. Il est normal que le jugement se porte sur ses réussites et ses échecs. L’analyse de sa personnalité n’a d’intérêt que dans la mesure où elle permet de les comprendre.

Jacques Chirac était un cavalier. Il fonçait sans trop s’occuper des équipages qui pouvaient être à ses côtés. Il avait peu de réels amis. Il préférait la compagnie des femmes à celles des hommes même si cet attrait ne le conduisait pas à être aussi expéditif qu’on le dit. On s’amusait bien dans la foulée de Jacques Chirac. Mais il ne fallait pas s’attendre au moindre attachement.

Très vite il a voulu réussir et, en prenant conscience de son abattage, il a pensé qu’il le pourrait en jouant sa carte à fond. Il a hésité un moment : fallait-il chercher les relations de la haute noblesse en mal de réhabilitation de la vieille Europe ou l’argent de l’Amérique ? Il choisira la première option et une femme qui plaçait en lui des ambitions et des espoirs. Les cavaliers aiment le rôle de cheval de jeu.

Son activité plus que son activisme, qui aurait supposé une volonté précise, inexistante dans son cas, lui a ouvert les portes de la politique au plus haut niveau, auprès d’un ami de son Père, George Pompidou, qui n’avait pas non plus de volonté précise. La mort de son mentor d'un côté et son dynamisme de l'autre,  l’ont mis très tôt (trop tôt ?) en position d'ambitionner une place de chef de parti. Il a choisi de trahir son camp pour le mettre au service de Giscard.

Le document le plus important et révélateur que Jacques Chirac ait jamais écrit est sa lettre à Giscard. Il lui propose une sorte de botte politique. « Si on s’entend on est là pour cent ans. Chercher des économies, réduire la dépense publique ? Foutaises que tout cela. Le bon peuple, au moindre incident, veut que l’État intervienne. La dépense publique est la provende qui permet la réélection ». On pourra trouver dans ce texte un bréviaire presque complet de l’Enarchie Compassionnelle.

Dès qu’il sera élu, Giscard se moquera des ambitions de « l’agité » qui l’aura fait roi. Ce garçon que beaucoup présente comme une superbe machinerie intellectuelle se comportera avec Chirac comme un paltoquet et un crétin, l’humiliant de mille façons dont deux au moins en public, comme la scène grotesque où il refuse de lui serrer la main en conseil des ministres et l'invitation à Brégançon avec son moniteur de ski. Il n’y a gagné qu’une haine inexpiable et la perte de sa réélection.

Il est tout de même malheureux que la principale réussite de Chirac soit d’avoir favorisé la victoire de Mitterrand, désastreuse pour le pays. Ce n’était pas exactement ce qu’on attendait de lui. Sa meilleure prestation politique sera la période de cohabitation où, grâce à Balladur, son gouvernement sera, malgré de multiples avanies internes et externes, plutôt une réussite.

Son échec à la présidentielle suivante et bientôt la concurrence de Balladur, le conduiront à une autre campagne plus vengeresse que constructive qui amènera certes son succès présidentiel mais très vite aussi l’effondrement de son septennat. Avec Jospin il trouve à nouveau l’occasion de la gestion du pays par un couple d’Énarques. Cela tournera au ratage à peu près complet. Cinq ans de gouvernement Jospin, qui ruineront le pays un peu plus avec les 35 heures et le blocage judiciaire des relations sociales, lui permettront de gagner le quinquennat qu’il avait voulu pour garder une chance d’être réélu (il savait qu’il n’avait aucune chance dans le cadre d’un nouveau septennat). Cette nouvelle aventure sera aussi décevante que la précédente, la maladie faisant rapidement son œuvre et confortant une envie de ne rien faire déjà bien ancrée et théorisée.

Jacques Chirac aura été une sorte de Murat de la politique. Actif, manœuvrier, capable et finalement s’élevant au plus haut. Mais sans réelles convictions ni direction établie. Et en acceptant d'affaiblir son camp si son intérêt le lui commandait, point où il se distingue de Murat.

Il n’a pas de bilan, juste une trajectoire.

En cela il est typique de l'Enarchie Compassionnelle, qui sert les intérêts d’une caste ou de certains de ces membres les plus actifs ou les plus astucieux, sans réellement servir la nation.

Le vrai successeur de Chirac est évidemment Macron. Le couple Macron-Philippe a repris le flambeau, avec les mêmes ambiguïtés et la même absence de résultats convaincants.

Commentaire
Artiste's Gravatar Vous oubliez sa pire erreur (crime peut être) le regroupement familial dont nous ne faisons que subir les premiers malheurs.
# Posté par Artiste | 07/10/19 17:26
Laurent Séjourné's Gravatar Analyse fine et bien écrite qui tranche sur les panégyriques un peu débiles que l'on lit un peu partout. Chirac ne savait pas trop où il devait aller. Il s'est d'abord laissé cornaqué. Puis, il a donné à sa clientèle les gages qu'il croyait nécessaire à sa carrière politique pour finalement ne rien faire de bien marquant dans la durée. Quand il a défini son programme présidentiel autour du handicap, des accidents de voitures et de la lutte contre le cancer, il a en effet rétréci le rôle du Président à celui de sous secrétaire à la population civile. Si on se penche sur Paris, à part les crotinnettes, on ne voit pas d'orientations majeures. Au final, c'était un homme politique puissant et notable mais un maire et un président sans bilan. Ce qui est tout de même très étrange.
# Posté par Laurent Séjourné | 07/10/19 19:09
Micromegas's Gravatar C'est toujours délicat de parler de quelqu'un qui vient de disparaître. Mais le problème que vous évoquez est réel. Depuis 1974, rien, exactement rien, n'a été fait pour réduire la bureaucratie et les dépenses publiques et il faut bien indiquer qu'il s'agit d'une philosophie incarnée en France par les Énarques qui se sont succédè parfois en couple en couple, hier Giscard-Chirac, aujourd'hui Macron-Philippe, et qui, dans le cas de Chirac, a été théorisée et écrite. On pouvait lire un article il y a quelque jour qui précisait que la politique d'aide au cinéma disposait de 90 mécanismes. Des couches de démagogie se sont ajoutées à des couches de démagogie en multipliant les mécanismes, alors que le cinéma français inquiète pour son indigence et pour l'enflure d'une production qui n'a plus les qualités qui faisaient sa réputation naguère. L'exemple même d'une culture d’État, prolixe, coûteuse et sans intérêt. Les exemples de ce genre on les trouve sur tous les sujets. Les lois s'empilent sans jamais être fusionnées. Ce qu'une loi exige une autre permet de le contourner. Un mouvement d'enseignants politisés s'indignent que des enfants scolarisés soient expulsés avec leur parent. On n'expulse plus si on a un enfant scolarisé. Un salafiste radical qui vomit la France et supporte le terrorisme est expulsable. Il se marie et scolarise un enfant. Il ne l'est plus. Les Énarques ont considéré que tout frémissement de l'opinion devait faire l'objet d'une réponse. Évidemment on reprend d'une main ce qu'on a concédé. Au bout d'un moment plus personne n'y comprend rien. Et la dépense publique est passée de 35 à 56% du PIB.

Jacques Chirac est celui qui a fini par théoriser qu'il ne fallait rien faire parce que le pays était "fragile". Il a accepté que Jospin bloque l'économie et les relations sociales.

On voit bien aujourd'hui que Macron malgré une incantation constante sur le changement ne fait pas de réformes susceptibles de baisser la dépense publique ou de réduire la bureaucratie. On sait très bien où sont les abus de l'indemnisation du chômage, de la sécurité sociale, de la retraite, de la gestion municipale... On sait très bien que sur 1000 sujets on a créé des dizaines de mécanismes qu'on laisse prospérer en dépit de leur lourdeur, de leur coût, de leur inefficacité.

La France est bien confrontée à la nécessité vitale d'agir enfin pour réduire le champ de l'action publique et simplifier ses mécanismes, pour se concentrer sur des sujets fondamentaux et indiscutables. Rappeler cette nécessité lors du départ d'un homme politique qui a dominé la scène politique pendant 40 ans en faisant exactement le contraire me paraît tout à fait justifié.
# Posté par Micromegas | 12/10/19 02:10
Siem's Gravatar Entièrement d'accord. Nous nous retrouvons leaders mondiaux de la fiscalité sans l'avoir jamais demandé, avec des impositions confiscatoires pour tous ceux qui possèdent quelque chose et à l'occasion de vraies spoliations.

Tant qu'on laissera des hauts fonctionnaires cumuler la maîtrise de l'administration et celle de la politique, rien ne changera. Macron fait de fausses baisses d'impôts totalement arbitraires dans un but simplement électoraliste en jouant sur l'emprunt et en faisant du bonneteau fiscal qui renvoie sur les "classes aisées" comme il dit, les "bourgeois fortunés" une augmentation massive des prélèvements qui a désormais pratiquement gommé les gains initiaux sur l'ISF et la fiscalité des gains d'épargne. Certes, il y a un terreau socialiste à gauche qui pousse plus qu'à droite à la dépense publique sans limite, mais ce clivage politique est aggravé par la capture du politique par des hautes fonctionnaires dont la vocation profonde est de gérer plus de fonctionnaires et de dépenses publiques.

Comme ces hauts fonctionnaires ont accepté la dépossession de l'Etat français par l'Europe, ils ne peuvent plus régler aucun problème majeur. Ils n'ont donc ruiné les finances privées françaises, le dynamisme entrepreneurial, l'emploi et l'identité nationale que pour mener des politiques comme vous dites de "sous secrétaire d'Etat à la population civile".

Rocard, Chirac, bientôt Giscard et sans doute Jospin, plus tard Hollande, encourront tous à leurs décès le même constat. Rocard et la "deuxième gauche" comme Chirac et le "travaillisme (de droite) à la française" font rire aujourd'hui. Ces faux concepts ont été enterrés avec eux. L'Enarchite demeure.

Et elle empire.
# Posté par Siem | 12/10/19 17:13
Micromegas's Gravatar Si on ne peut pas juger du bilan de l'action d'un homme politique à sa mort, quand faudrait-il le faire ?

Chirac témoigne des formes prises par la politique une fois de Gaulle parti. Alors que Mitterrand et Giscard (qui résiste vaillamment aux atteintes de l'âge) témoignent plutôt de la génération post libération. On peut penser qu'on entrera dans une nouvelle étape générationnelle lors du remplacement de Macron, Hollande et Macron s'inscrivant dans la fin du cycle commencé avec Chirac premier ministre et Giscard président (cycle de la bureaucratie fiscaliste et de la destruction du plein emploi).
# Posté par Micromegas | 12/10/19 19:25
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