La France, entre blocage et utopies.

La marque des grandes périodes de stagnation est la montée des utopies et le verrouillage des situations acquises. Blocages et songes grandioses se mêlent pour créer un sentiment contradictoire de résistance et de changement.

La Sécurité Sociale en France est un immense échec. Au lieu de permettre l'émergence de solutions responsabilisantes et décentralisées sur chacun des grands risques, avec un foisonnement de solutions en concurrence mettant le citoyen au centre des décisions, les Hauts Fonctionnaires français ont imposé depuis Pétain la construction d'un Moloch technocratique fonctionnarisé qui a défini tout le secteur social comme relevant du service public, donc d'eux-mêmes, qui étouffe la société et l'emmène droit dans le mur.

On oublie souvent que la Sécurité Sociale n'est pas née du Conseil National de la Résistance, mais du régime de Pétain. Comme pour la banque, l'idée de manœuvre, basée sur le "fascio", était d'assurer la domestication du privé par l'Etat. La modalité, dans un cas comme dans l'autre, se fondait sur l'idée que le pion avait des obligations ou plus exactement des sujétions, et que l'Etat concédait à des intermédiaires sous tutelles des monopoles pourvu qu'ils admettent la tutelle la plus complète de l'Etat donc des Hauts Fonctionnaires.

Réduire les libertés et la responsabilité individuelle a été pour l'Enarchie Compassionnelle une constante qui a transcendé tous les régimes et qui prend aujourd'hui des dimensions anti républicaines que l'on peut considérer comme gravissimes, même si le public ne s'en rend pas compte, tant l'information est biaisée.

De brefs cris d'horreur s'entendent lors de chaque étouffement. Ils ne sont relayés par personne. Le message lénifiant du Leviathan, bassiné par une presse sous tutelle financière, finit par créer un cocon qui étouffe toute contestation. Un exemple tout récent ? Les gardiens d'immeuble étaient libres de s'assurer comme ils l'entendaient. Ils choisissaient leur mutuelle, la nature et l'ampleur de leurs garanties, ainsi que les coûts afférents. C'était leur affaire. Intolérable pour la haute fonction publique. Le domaine social est leur monopole et il importe d'empêcher la liberté de choix. Une loi nouvelle, a donc imposé aux syndics de prendre une assurance obligatoire pour leurs salariés. Et là, scandale : les prestations étaient déconnectées totalement des désirs individuels, moins intéressants et plus chers. On aboutissait souvent à des résultats totalement saugrenus : le revenu net de l'assujetti baissait, sa couverture également, et en plus il lui fallait prendre une assurance complémentaire pour des prestations qui n'étaient pas couvertes. Mieux encore, le système coûtait plus cher pour les copropriétaires : salauds d'employeurs !

On a donc réglé bureaucratiquement un problème qui n'existait pas, en favorisant des activités stériles pour un coût supérieur pour la collectivité. Le moteur de cette folie : l'idée qu'un système unifié et universel, totalement maquereauté par des intermédiaires sous tutelle est la seule solution. Quiconque dit le contraire est un "salaud" au sens sartrien du terme et probablement un "fasciste", tant la Reductio ad Hitlerum fonctionne en France, alors que la mesure est typiquement "fasciste" au sens originel du terme.

Les secteurs de la banque et de l'assurance sociale sont donc les deux modèles du développement en fascio en France, l'un dominé par l'Inspection des Finances et l'autre par les Conseillers d'Etat ou ceux de la Cour des comptes.

Le blocage fasciste, au sens propre, de ces deux secteurs, est couvert moralement par une conception disons extensive de la notion de service public et de protection de l'épargne pour l'un ou de la santé pour l'autre. Il dérive l'un et l'autre vers l'absence complète de vrais choix des assujettis, et une taxation constamment aggravée, entraînant les secteurs dans une spirale mortifère.

On a souvent étudié sur ce blog l'évolution du secteur bancaire. Ceux qui suivent ce blog savent que notre premier article concernait la sécurité sociale : "sécurité sociale : la réforme impossible".

Les Français ont compris que l'organisation bancaire française était un déni d'à peu près tous les principes républicains, et qu'elle était en risque majeure d'explosion avec perte de la totalité des comptes bancaires, assurance vie comprise.

Ils sont loin d'être aussi familiers avec les dérives "fascisantes" de la sécurité sociale. L'affaire n'a rien à voir avec une quelconque division droite -gauche. Le drame du RSI, l'intégration dans la sécurité sociale du régime des travailleurs indépendants, a été concocté par deux conseillers d'Etat de droite, députés UMP :  Dutreil et Bas. Sarkozy a cru un moment qu'il allait être le glorieux créateur d'une quatrième branche de la sécurité sociale. L'absence de moyens l'a fait reculer.

La sécurité sociale est devenue un enfer bureaucratique, une machine à créer du chômage de masse et une usine à dégrader la qualité des soins et la liberté des citoyens. Mais elle est sanctifiée et donc aspire à être sanctuarisée.

Le système étant à bout de souffle et prêt à exploser, il est intéressant de voir se développer diverses utopies destinées à le remplacer. On aurait tort de les rejeter du pied avec mépris ou nonchalance parce qu'elle nous projette dans un monde totalement nouveau. On aurait également tort de se défouler des difficultés actuelles en se réfugiant dans la seule utopie.

Une idée intéressante mais fort délicate à manier, est celle du revenu universel garanti, connu sous de multiples appellations et couvrant des réalités souvent très différentes, mais dont le principe est toujours le même : les multiples allocations disparaissent au profit d'une allocation unique indiscriminée. À charge pour les individus de faire leur choix. En rester là, ou faire plus et mieux en travaillant.

La force du concept tient à la fois à la responsabilisation des citoyens et à la facilité de la distribution. Finis les centaines de milliers d'emplois dans le contrôle et la distribution d'aides multiples et diversifiées. Fini le paritarisme. Fini la pression sur le salaire net. L'allocation universelle est donnée à tous et financée par l'impôt. Elle ne pèse plus sur l'entreprise. Finies les cotisations salariales et patronales. Adieu aux organismes de sécurité sociale. Adieu les contrôles et les investigations quasi policières des Urssaf. Le citoyen sera tenu de s'assurer. À lui de déterminer son assureur et le détail de ses prestations. Fini le tiers payant. Fini la gratuité universelle.

Chacun fait ce qu'il veut sachant qu'au pire, il sera au revenu universel garanti.

Il est amusant et facile de faire des projections en se basant sur les dépenses réelles constatées, puis de construire des systèmes plus ou moins affriolants.

L'exercice a au moins l'intérêt de s'éjecter loin de la dictature de l'existant. Surtout il permet de refonder bien des choses sur des principes alors que les institutions du moment dérivent de plus en plus vers le n'importe quoi opportuniste, du fait de l'emballement des résultats désastreux et intenables.

Il est bon que la pensée s'ébroue même au risque de l'utopie. L'Union Soviétique a eu bien du mal à sortir du soviétisme faute d'avoir caressé ce que pourrait être la transition vers un système capitaliste.

En revanche il faut garder un œil sur les dégâts que pourrait causer l'utopie si elle venait à conduire à des réformes trop rapides.

Le revenu universel garanti pose structurellement la question de son champ d'application et de la protection de cet espace. Qu'on l'imagine à 750 euros par mois ou à 2 500, il faut tout de même se rappeler que des centaines de millions de ménages ne vivent actuellement que sur la base d'un revenu disponible mensuel inférieur à 150 euros. Vive les frontières ! Sans protection, l'appel d'air serait phénoménal. Les Suisses ont instauré un système d "achat de sa bourgeoisie" pour mettre un frein à l'accès aux bénéfices variés de la sécurité sociale. On offrant une créance universelle à tous les citoyens du monde sur sa propre richesse, un pays qui institue le revenu universel garanti se met en grand danger.

L'autre grande question est la validité de l'hypothèse que, garanti à vie, le citoyen contribuera à la production. Vivre pauvrement en ne faisant rien, sachant que beaucoup de satisfactions nouvelles peuvent arriver par lnternet, sous forme de jeu, de vidéo attractive, de partage avec des "amis" et que le capital acquis permet à des enfants de familles peu nombreuses de se loger à bon compte, n'est pas sans attrait.

Quiconque a un peu de bouteille sait à quel point l'esprit humain peut profiter des cadres subventionnés et les détourner à son profit.

Nous avons déjà raconté ici comment dès le lendemain du passage de la loi Chirac sur l'indemnité chômage de deux ans à 90 %, les ingénieurs en chefs d'une grande société de conseil américaine sont venus réclamer  leur licenciement économique, et dès le lendemain du passage de la loi sur les indemnités de licenciement négociés, il y a quelques années, un couple de cadres supérieurs d'une société française en haut du CAC 40 a décidé de réclamer des indemnités de départ négociées importantes (près de 150 000 euros) et s'est mis en situation de toucher près de 12 000 euros par mois, tout en s'installant confortablement dans une jolie petite île méditerranéenne où la famille avait une maison "pour bien élever notre enfant pendant deux ans". Près de 500 000 euros payés par les autres sans travailler : formidable. Ils sont très fiers de leur bon tour fait à la société.

Comme la banque qui est à la fois malade et fondée sur le viol permanent des principes qui l'ont fondée, la sécurité sociale a été totalement subvertie et doit à nouveau être totalement refondée sur des principes nouveaux et clairs. Continuer sur la voie du "fascio" anti démocratique et piloté par l'Enarchie compassionnelle mène directement au désastre.

Mais il faut casser les blocages sans passer par l'étape utopie.

Commentaire
DvD's Gravatar Les atteintes à la liberté en matière d'assurance maladie sont souvent justifiées par des "motifs d'intérêt général". Le conseil constitutionnel se fonde sur cet argument en dernier recours dans les cas trop flagrant de violations des libertés garanties par la Constitution. Bien sûr, le conseil constitutionnel n'a jamais pris la peine de définir "l'intérêt général" ni de démontrer en quoi exactement les mesures prises y contribuent. Du reste, son embarras se comprend aisément : au vu de la montée inexorable du sous-emploi, de l'endettement et des déficits, de la pression fiscale, de la misère, au vu de la baisse inexorable de la croissance du revenu par habitant, quiconque essaierait de suggérer sans rire que la France a été gouvernée dans le respect de l'intérêt général ces dernières décennies s'exposerait à une perte complète de crédibilité ; les juges constitutionnels ne peuvent assurément prendre un tel risque incompatible avec leur statut de "sages". Mais, si on peut le comprendre, on ne saurait l'accepter : une décision fondée sur une conformité non démontrée à un intérêt général non défini est simplement une décision arbitraire. Et, dans un état de droit, les décisions arbitraires n'ont aucune valeur. Le conseil constitutionnel doit donc arrêter de louvoyer et prendre ses responsabilités : soit il comprend qu'il ne peut plus laisser passer des mesures anti-constitutionnelles au motif de l'intérêt général sans incorporer à sa jurisprudence une définition claire de ce qu'est réellement l'intérêt général du pays et sans justifier de la conformité effective avec l'intérêt général ainsi défini ; soit il assume ouvertement la dérive autoritaire qu'il permet d'ores et déjà de façon inavouée en se cachant derrière une façade juridique en papier mâché. Gageons que, dans leur légendaire sagesse, les "sages" préféreront éviter de trancher et poursuivre tranquillement leurs petites contorsions linguistiques.

Quant aux banques, cette législation du bail-in en vigueur depuis le 1er janvier 2016 au moment même où la contraction du cycle du credit mondial débute du fait de l'éclatement de la bulle des matières premières financée à credit, c'est encore une idée géniale de ces juristes dépourvus de la moindre expérience du monde réel qui trustent les instances gouvernementales. On voudrait jeter la suspicion sur les banques de la zone euro et renforcer ainsi le credit crunch, on s'y prendrait très exactement de cette manière. De là à penser qu'un dénouement à la Chypre est possible (pleinement justifié bien sûr au motif de l'intérêt général), il n'y a qu'un pas qu'on ne peut pas exclure de franchir. Les précédents chypriotes et grecs sont hélas clairs : ceux qui ont retiré leurs billes aux premiers doutes sont les seuls à les avoir gardées, même si ce sont eux bien sûr qui précipitent la chute des banques.

En réalité, une très grosse partie du blocage et de la défiance vient de la qualité ridiculement faible des dirigeants à qui personne n'accorde la moindre confiance.
# Posté par DvD | 04/02/16 08:18
stephane's Gravatar Sur le revenu universel, ayn Rand s'était exprimée et avait déjà tout dit :

Dans la mesure où les choses dont l'homme a besoin pour survivre doivent être produites, et où la nature ne garantit le succès d'aucune entreprise humaine, il n'y a pas et il ne peut pas y avoir de garantie d'une sécurité économique. L'employeur qui vous donne un emploi n'a aucune garantie que son entreprise va rester en activité, que ses clients vont continuer à acheter ses produits ou services. Les clients n'ont aucune garantie qu'ils auront toujours la capacité et l'envie d'échanger avec lui, aucune garantie de ce que leurs besoins, choix et revenus seront dans le futur. Si vous vous retirez dans une ferme autonome, vous n'avez aucune garantie vous protégeant des conséquences d'une inondation ou d'un ouragan sur vos terres et vos cultures. Si vous laissez tout aux mains du gouvernement et lui donnez tout pouvoir pour planifier l'économie dans son ensemble, cela ne garantira aucunement votre sécurité économique, mais garantira l'abaissement de la nation entière à un niveau de pauvreté misérable – le résultat pratique que toutes les économies totalitaires, communistes ou fascistes, ont démontré.
Moralement, la promesse d'un impossible "droit" à la stabilité économique est une infâme tentative d'abrogation du concept de droits. Elle ne peut signifier et ne signifie qu'une seule chose : la promesse de réduire en esclavage tous les hommes qui produisent au bénéfice de ceux qui ne travaillent pas. "Si certains hommes ont le droit de bénéficier des fruits du travail des autres, cela signifie que ces autres sont privés de droits et condamnés à travailler en esclaves." Il ne peut y avoir de droit de réduire en esclavage, i.e. de droit de détruire les droits.
Ayn Rand, "The Ayn Rand Letter" ; *Ayn Rand, "Capitalism: The Unknown Ideal".
# Posté par stephane | 08/02/16 11:45
DD's Gravatar Il suffit de lire la livraison du jour de l'Express pour comprendre le rôle de l'utopie. Un article sur le revenu universel (encore un), un article sur les robots bénéfiques, un article sur les petits génies français de l'intelligence artificielle (discipline qui couvre tout et rien, vantée depuis au moins trente ans et qui n'a créé que des désillusions), un article sur Watson , l'ordinateur qui doit révolutionner le diagnostic "mais la décision restera au médecin", etc.

Le Point fait dans l'optimisme sur la guérison de la dépression.

Au moment même où la falaise de dettes accumulées depuis 1971 s'effondre encore un petit peu, la presse tient à nous rassurer. Le cocon tient encore. Merci beaucoup pour le soin que vous prenez de notre moral.
# Posté par DD | 14/02/16 12:03
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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