Paul Krugman : brutale arrivée au "terminal des prétentieux" !
Alors que le mort de Lautner remet en pleine lumière la farce des "Tontons flingueurs", film dont le titre initial était "le terminal des prétentieux", il est amusant de porter son attention sur le combat de coqs qui oppose Paul Krugman et un certain Niall Ferguson.
Niall Ferguson est un historien anglais de l'économie, spécialisée dans la finance. Il a écrit un texte fort critique sur la politique économique d'Obama. Pauf Krugman qui au NYT représente la tendance keynésienne anti-"Republicains" l'a vertement remis à sa place. En retour, Ferguson a commis une étude au vitriol en reprenant "post mortem" tous les textes de Paul Krugman et prouvant qu'il avait annoncé n'importe quoi et concluant que, vu le florilège de sottises et d'erreurs, la voix de Krugman n'avait aucune autorité et ne devait pas être écoutée.
Pourquoi entrer dans cette querelle ? La raison est simple : les difficultés proviennent principalement d'un système de changes flottants et de domination assumée du Dollar roi, et donc pour une large part des Etats-Unis. Essayez de percevoir dans le champ du débat anglo-saxon, les éléments d'une prise de conscience, est un exercice nécessaire, même si les résultats sont consternants.
Bien sûr nous n'avons rien à faire du débat droite-gauche, façon locale : je suis démocrate assumé et keynésien, je supporte Obama ; J'ai une vision un peu plus responsable de l'économie, je suis plus pour une nouvelle sagesse américaine en matière de déficits. Donc je suis Bushiste. Le débat droite gauche américain est aussi pauvre que le débat droite-gauche français. Savoir qui est le vilain canard ne peut séduire qu'un vilain canard qui veut se voir en gentil canard.
Une des vraies questions est celle de savoir si Paul Krugman a bien vu venir la crise de 2007 puis l'éclatement de 2008. La réponse est non. Comme Stiglitz, Krugman prétend avoir tout compris d'avance parce qu'il était critique vis-à-vis des politiques économique républicaines. "Comme j'étais contre, j'étais nécessairement dans le vrai puisqu'il y a eu la crise".
En vérité ni l'un ni l'autre n'a vu venir quoi que ce soit. Il aurait fallu pour cela qu'ils aient une clé d'interprétation et qu'ils aient essayé de l'introduire en temps utile, c'est-à-dire avant la crise, dans les mécanismes du réel.
Nous-mêmes avions fait l'effort de développer ces outils. Ils étaient basés sur deux constatations. La première était la réalité du cycle décennal. Depuis la révolution industrielle, un cycle de huit dix ans du crédit impose une succession des corrections légères et lourdes. La seconde était le mécanisme de double pyramide de crédit permis par les défauts du système monétaire international basé sur les changes flottants et qui avait provoqué la montée du taux d'endettement global de moins de 200% à plus de 400% du PIB dans la totalité des pays de l'OCDE.
La superposition de ces deux analyses permettaient de voir que les crises périodiques étaient de plus en plus graves, alors que le trend s'affaiblissait continument. Cette clef d'interprétation nous avait permis de contester l'idée de Maurice Allais que la crise de 97-98 était la grande crise qu'il craignait. Pour nous il s'agissait d'une simple crise des changes flottants, avec repli massif des capitaux flottants vers les Etats-Unis, laissant les pays émergents dans une grave crise de liquidité. Nous pensions que la crise décennale se déclencherait début 2000 et qu'elle serait plutôt "légère". Ce qui fut le cas. Cette même clé d'interprétation nous a conduit a annoncer une crise très grave lors du quinquennat de Sarkozy, cette annonce étant faite publiquement sur le site du Monde (où une partie est encore lisible) et envoyée à M. Guaino et aux équipes du candidat. Sans réponse naturellement. Nous l'attendions pour 2009. A l'été 2007, nous avons compris que la crise du marché interbancaire impliquait un effondrement du système bancaire plus précoce et nous l'avons prévu pour septembre 2008 !
A partir du moment où les banques fonctionnaient sur un système de dettes pyramidales dépassant quatre fois la réalité de la production, en cas de blocage du marché interbancaire, qui avait été la base de nombreux refinancements spéculatifs, la crise décennale ne pouvait qu' être catastrophique. Nous avons annoncé une crise de type 1992-93 mais fortement aggravée par les en-cours monstrueux de dettes qui s'étaient accumulés depuis.
On peut contester cette analyse. Certains économistes récusent la notion de cycle de huit dix ans. D'autres considèrent que les dettes sont toujours la contrepartie d'un actif et donc que leur niveau n'a pas d'importance. Nous croyons qu'ils ont tort et que notre clé d'interprétation fonctionne. C'est tout le débat de ce blog.
En revanche où sont les outils d'interprétation de Paul Krugman ou de son contradicteur ?
Nulle part. C'est la raison pour laquelle ils n'ont rien prévus et rien compris. Ni l'un ni l'autre.
Ils s'envoient des horions idéologiques ou posturaux comme on voudra mais ne donne aucune clé, aucune explication, aucune solution.
Paul Krugman a expliqué qu'il fallait sauver la finance avec les deux leviers traditionnels : lâcher tout à la banque centrale, avec recapitalisation des banques ruinées ; utiliser la dépense publique et les déficits pour relancer l'économie. Il l'a demandé sans nuance, justifiant des déficits publics qui sont devenus rapidement ingérables dans les pays faibles. Il refuse tout plan d'austérité, considérant qu'en matière de déficit il n'y a aucune limite.
Paradoxalement, il pensait que la zone Euro allait immédiatement disparaître, reprenant les thèses de son ennemi Milton Friedmann. Elle n'a pas disparu. Il donne aujourd'hui un satisfecit à la gestion Hollande pour n'avoir en rien réduit la dépense publique et pour avoir augmenté massivement les impôts. C'est une position purement idéologique. Il ne connait rien de la situation française, de la perte de compétitivité des entreprises, de la démoralisation fiscale du pays, de l'étouffement provoqué par les mesures haineuses de l'automne 2012.
Son adversaire relève ces contradictions et ces erreurs de jugements autant que de prévisions.
De toute façon, sans système de pensée précis avec un relais fort par l'observation des faits, les avis d'idéologues prisonniers de leurs postures n'ont strictement aucun intérêt.
Ce que marque cette querelle, c'est que les Etats-Unis ne disposent pas d'un corpus économique assez solide pour permettre à leurs universités de sortir des ghettos idéologiques sur lesquels elles prospèrent.
On en reste de toute façon à : "ce qui est bon pour les Etats-Unis est bon pour le monde et allez tous vous faire voir chez Plumeau pendant qu'on s'engueule entre Démocrates et républicains". Un constat sinistre. Presqu'aussi sinistre que la carence des économistes officiels français qui ne pensent qu'en terme marxiste de destruction du capitalisme par l'impôt, ou qu'en terme de libéralisme folâtre qui évite toutes les questions difficiles.
Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Voilà ce qu'a produit 5 ans de réflexion économique intense de ceux qui s'autoproclament "meilleurs économistes de Wall Street" : On efface ce qui s'est passé en 2001-2002 et en 2008-2009 et on recommence. Tant que ça dure, on touche quelques millions de $ de rémunération annuelle (pensez donc, pour une recherche d'une telle qualité, c'est donné).
En attendant, on n'est pas près de trouver des solutions au double problème du sur-endettement et du sous-emploi puisqu'on n'a pas encore commencer à chercher... C'est Wall Street qui paye et Wall Street veut une bulle d'actif. Et en plus, la banque centrale est à fond pour !
La pensée économique a fait des progrès fulgurants ces 5 dernières années. Les leçons de l'expérience ont été bien comprises et assimilées.
Le transfert aux Etats-Unis de l'essentiel de la recherche économique n'a abouti à rien, tant les passions partisanes et le poids des lobbies sont forts dans ce pays.
Cet incroyable déchet se traduit dans le vide intersidéral qui règne chez les "économistes" du FMI et des banques centrales. L'incohérence totale du support des économistes officiels aux politiques gouvernementales est évidente.
La crise actuelle est une crise intellectuelle. D'abord une crise intellectuelle, l'esprit et l'observation ayant été asphyxiés par les considérations de pouvoirs ou d'idéologie.
- La crise française est entièrement due à son syndrome d'hyperfiscalité délirante qui fait que depuis maintenant des lustres les Français actifs paient en moyenne plus de 80% de leur revenu en impôts, et que la dépense publique correspond grosso modo à la valeur ajoutée des entreprises du secteur marchand, ce qui est une configuration structurellement intenable et qui a mis la France dans une situation presque désespérée lorsque la crise a éclaté en 2007.
Cette phrase, prise à froid, est des plus sensée, mais elle appelle néanmoins la réflexion sur la question de savoir à quoi sert une dette, et, au-delà, comment la société qui la crée est structurée.
Prenons, à cet égard, le modèle suédois d’avant la chute du communisme-
Les Suédois payaient effectivement 80% d’impôts sur leur revenu. Mais, en contrepartie, ils avaient des soins gratuits, l’enseignement gratuit, des crèches gratuites pour les tout petits, des routes de qualité, un réseau ferroviaire de qualité, des entreprises privées aidées dans leurs recherches par l’Etat, et beaucoup d’autres choses encore.
Tout cela pour dire que la part de l’Etat, dans l’économie, n’est un handicap que si la société ne dispose pas des valeurs d’éthique nécessaires pour confier à ce même Etat, non seulement des missions de service public, mais des missions ayant également un caractère économique.
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Contrairement donc à l’opinion selon laquelle l’Etat gaspille des ressources qui pourraient être mieux utilisées par les entreprises privées, il se trouve que quand les projets d’investissement portent sur les technologies du futur, l’incertitude de ces missions oblige l’Etat à les assumer - car aucune entreprise privée ne va prendre sur elle une pareille responsabilité -, et que quand les investissements portent sur la sécurité du pays, l’Etat assume lui-même cette sécurité en raison de sa nature très particulière.
Ceci dit il ne faut pas confondre ce genre d’investissement avec un Etat glouton qui entretiendrait, comme fonctionnaires, 80% de la population active. Car il est évident que cet Etat là représente une entrave, pour le développement économique du pays, si celui-ci est impliqué dans la compétition mondiale.
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Tout cela pour dire que si l’Etat s’endette, ou se surendette, le chiffre lui-même, de l’endettement, est moins important que la substance qui en constitue le fondement.
Et puisque vous évoquez, vous, M. Dufau, dans vos billets, les cycles de l’économie capitaliste, vous conviendrez avec moi qu’une partie de l’endettement actuel est né du renflouement de certaines grosses banques privées par les Etats, à la suite de la crise des subprimes, et que, sachant cela, la question est de savoir quelles mesures les autorités publiques doivent prendre afin qu’une pareille situation ne se reproduise plus à l’avenir.
Certes, on peut toujours critiquer les Etats d’avoir voulu sauver ces banques, mais s’ils ne l’avaient pas fait, le monde connaîtrait, aujourd’hui même, la même dépression que celle qu’ont connu ceux ayant vécu durant les années trente.
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Et si, pour en revenir à la France, on peut critiquer ce pays en arguant que tel régime socio-politique, ou socio-économique, est meilleur que tel autre (parmi les modèles suivants : libéral, républicain, centriste, libéral social, social libéral, social démocrate, chrétien démocrate, socialiste, communiste, FN, etc.), pour créer du dynamisme, il se trouve que l’absence de dynamisme, précisément, que connaît la France, en ce moment, est due, à mon avis, au fait que les gens préfèrent faire de études qui, parfois, ne les emmèneront vers rien (puisque seuls les meilleurs occuperont les postes plus importants et les plus gratifiants à la tête du pays - que ce soit dans les entreprises, les banques, ou dans les grands corps constitués de l’Etat.
Or ce pays a besoin, au contraire, que l’on donne plus de poids et d’attention aux professions manuelles (le mot doit être ici déconnecté de son aspect péjoratif) ainsi qu’aux métiers spécialisés dans tous les secteurs d’activité.
Ce qui présuppose une revalorisation des métiers assumés, aujourd’hui, par les PME/PMI, grâce à des dotations budgétaires qui ne peuvent être financées que par des réductions de salaires versés aux ministres, parlementaires, préfets, hauts fonctionnaires, PDG des grands groupes ou des grandes entreprises plus ou moins contrôlées par l’Etat, et, finalement, à tous les membres de cette classe qui, en France, dirige le pays sous le nom de partitocratie, et qui incarne, à mon avis, la négation même du dynamisme qu’un pays doit posséder sur le plan économique et industriel afin d’assurer son développement à moyen et long terme.
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Tout cela pour dire qu’augmenter ou diminuer les dépenses de l’Etat ne veut rien dire si l’on ne tient pas compte du cadre dans lequel s’effectue de telles opérations, y compris quand celles-ci se proposent de modifier le cadre en question.
Telles sont les réflexions, Didier Dufau, que le texte cité plus haut a suscité de ma part lorsque j’en ai pris connaissance.
Claude Gétaz.
Le Cercle n'a jamais défendu que l'Etat devait être écarté de la gestion de l'économie. Au contraire il s'élève régulièrement contre le concept et la pratique de la "gestion par la norme", confiée à des personnalités non élues et contre l'utopie de l'idéologie des marchés, notamment pour le marché des devises.
Dans le pur domaine économique :
L'Etat a un rôle contra-cyclique.
Il doit gérer la monnaie et contrôler son émission et son change.
Il doit veiller aux grands équilibres.
Actuellement ces missions ne sont plus assurées ou sont vaguement contrôlées par des organismes non démocratiques.
L'action de l'Etat doit rester dans des limites strictes pour éviter que l'Administration ne s'empare de la richesse nationale directement ou en contrôlant des entreprises qui ne vivent qu'en liaison avec elle. Dans certaines forme de gouvernance dévoyée, ce sont les Oligarques qui jouent le même rôle. Voir l'Ukraine.
S'il y a confusion entre pouvoir adminsitratif et pouvoir politique, on entre dans une dérive permanente. Cette dérive déjà sensible à la fin de la Troisième République avec des mouvements comme X-crise, s'est développée sous la Quatrième avec les gouvernements Gaillard et Bourgès-Monoury. Elle s'est épanouie sous De Gaulle qui a un peu trop considéré que seuls les fonctionnaires avaient une haute idée de l'Etat et a tout emporté à partir de Giscard.
Vous trouverez certains éléments de réponse à vos questions dans "Dépenses publiques : les cinq non-dits", le dernier billet édité à ce jour.