Le coût délirant des erreurs monétaires

Pour le prouver, inutile de remonter trop loin dans le temps, encore qu’une grande part de l’histoire mondiale depuis l’antiquité soit déformée par les questions monétaires.

Le XXe siècle est suffisamment éclairant pour prouver le rôle de la monnaie non pas comme voile , comme l’ont assuré les classiques et néoclassiques, mais comme  ferment des drames de  l’économie et de l’histoire.

La guerre de 14-18 a entraîné le développement massif des monnaies fiduciaires d’État, avec une concentration de l’or aux États-Unis. Que faire de cette création monétaire aussi artificielle que gigantesque ? Par habitude de pensée, la majorité des pays ont voulu revenir à l’étalon-or. La fixation d’un taux de la Livre en or irréaliste a plongé le Royaume-Uni dans des affres économiques déplorables. C’est une des grandes erreurs de Churchill. Le coût pour les Britanniques a été fort lourd. La volonté des États-Unis de ne pas faire jouer les mécanismes de l’étalon-or, a provoqué des troubles qui ont fini par la crise de 1929, crise de pure spéculation. Les erreurs des banques centrales ont fait de cette crise une terrible dépression. La réponse malheureuse des gouvernements français du début des années trente a provoqué une déflation coûteuse qui a amené le Front Populaire puis l’effondrement de 1940. L’Allemagne a voulu résister aux « réparations » en faisant fondre sa monnaie. Mal lui en a pris. Elle sera ruinée durablement par une hyperinflation modèle du genre qui fera venir Hitler et, à peine dix ans plus tard, la destruction de plusieurs générations de jeunes allemands et d’une large partie du pays historique.

La réforme de Bretton Woods était excellente à de nombreux points de vue mais elle comportait un défaut majeur : elle faisait d’une monnaie nationale le pivot du système.Le systèmel ne pouvait survivre que si les États-Unis menaient une politique financière raisonnable et la maintenaient dans la durée. Ils choisirent le « benign neglect », ce qui peut se traduire, à ce niveau de responsabilité par « l’indifférence criminelle ». Ils dévaluèrent le dollar par rapport à l’or en 71 (nous en sommes à 96 % de dévaluation aujourd’hui) et imposèrent les changes flottants à Kingston. On connaît le résultat : ce que nous appelons « La Crise » : baisse tendancielle continue du trend, dettes en hausse fulgurante, sévérité des crises périodiques. Le monde a dû encaisser trois crises gravissimes et une multitude d’autres épisodes parfois tragiques. L’économie baudruche a fini par exploser en 2008 provoquant des ravages politiques à la mesure des dégâts, notamment dans les pays développés.

Ce à quoi on assiste aujourd’hui, c‘est aux effets tragiques du non-système monétaire imposé en 1976 à Kingston par les États-Unis.

Les États-Unis se considéraient victimes des empires européens sous Roosevelt et ont entrepris de les casser. Ils se sont vus à nouveau comme des victimes en été 1971. Et ils ont cassé ce qu'ils avaient eux-mêmes créé : les Accords de Bretton Woods. Maintenant qu’ils voient que la compétition sous régime de changes flottants ne tourne pas à leur total avant, ils veulent encore casser le système des échanges, cette fois-ci en s’attaquant au libre-échange qui était leur mantra depuis les années trente.

Le G20 a été l’occasion officielle de l’affirmer au monde. On pourrait l’appeler le : « G20 % à vous imposer ». Mieux encore, les États-Unis commencent à s’en prendre au FMI. Déjà sous DSK, les fantaisies du chef du FMI avaient été extrêmement mal vues. Il ne s’agit pas ici de ses performances hôtelières mais de l’engagement hors de toute légalité du FMI dans les affaires intérieures de la zone Euro. Aujourd’hui, un certain Bill Huizenza, illustre inconnu, parlementaire au Capitole, dénonce l’aide du FMI à l’Europe et menace de clore le financement américain de l’institution s’il n’a pas gain de cause.

Le FMI qui par dépendance quasi-totale et soumission aux États-Unis a accepté tous les viols de ses statuts, se voit récompenser par des menaces et un chantage financier explicite.

Le concept de « commerce juste », avec coup de gourdin à la clef est le même que celui d’utilisation juste du dollar qui a valu des milliards de dollars d’amende à la plupart des grandes banques européennes, et cette "juste" conséquence que tous les grands financements internationaux échappent désormais aux banques non européennes.

Nous avons souligné que le TFTEA, la base législative qui permet au gouvernement américain d’agir, est la pierre angulaire de cette invraisemblable action de force. Dans l'indifférence générale il faut bien le dire. La loi n’a pas été prise par Trump mais Obama.

Les changes flottants et la création d’une finance internationale dérégulée, au seul profit des grandes multinationales américaines, ont fini par détruire totalement l’œuvre de Roosevelt. Ne faisons pas de ce grand président un total altruiste. Malgré tout il avait des valeurs et un certain degré d’altruisme. Le multilatéralisme n’aurait pas eu ce développement sans lui. Il n’en reste plus rien.

La violence de l’attaque américaine met en porte à faux tous les gouvernements  favorables aux États-Unis. L’Allemagne et le Japon qui vivent dans la soumission depuis 1944 se retrouvent floués une nouvelle fois. Pour l’Allemagne il lui est même impossible de réévaluer sa monnaie. Les fédéralistes européens, longtemps soutenus par les États-Unis désireux de casser les empires européens, sont également fort mal. Ils risquent d’apparaître pour ce qu'ils sont : de simples auxiliaires de la finance américaine.

Les désordres monétaires prennent une fois de plus leur rançon. Faute d’avoir réformé à temps la gestion de la zone Euro, et l’avoir laissé à la connivence de la Banque Centrale Européenne, dirigée par un Goldman Sachs, les méfaits du système, qui sont  les mêmes que ceux des changes flottants, l’apparition de déséquilibres internes gigantesques et maîtrisables sans déflation forcenée, l’Europe risque de se trouver attaquée de l’extérieur et de l’intérieur. Beau résultat !

Décidément oui, la monnaie compte. Mais il ne faut pas compter sur elle quand on organise mal sa création, son investissement, son change et son emploi par la puissance publique.

Le seul espoir d’éviter cette séquence mortifère aurait une réaction conjointe du G20, du FMI, de la BRI et de l’OCDE, en 2008 et 2009. Il fallait revenir d’urgence à un système coopératif d’échanges, interdisant effectivement les grands déficits et les grands excédents, stabilisant les monnaies, encadrant l’activité bancaire, le tout basé sur les changes fixes et une unité de compte internationale indépendante d’une monnaie nationale.

Peut-on le faire à chaud aujourd’hui et pire encore demain, lorsque le bâton américain aura commencé à casser des dos et marqué de façon honteusement indélébile l’incroyable sujétion générale aux diktats américains ? Ce qu’on risque c’est l’achèvement de la dislocation du commerce mondial, déjà bien avancé, l’explosion de la zone Euro et le retour à des guerres de change et de commerce.

La France, qui a choisi une sorte de suicide national, en se laissant couler dans le béton socialiste et fiscal, risque elle-même la dislocation.

Bravo à nos « élites » politiques et administratives.

Didier Dufau pour le Cercle des Economistes E-toile.

Commentaire
DD's Gravatar A signaler un débat ahurissant sur BFM Business entre Peyrelevade et quelques autres, où finalement tout le monde convient après le changement de pied des Etats Unis que les équilibres sont importants et que les déloyautés sont possibles. Sans jamais faire intervenir dans les déséquilibres ce qui revient en premier lieu au système des changes.
# Posté par DD | 21/03/17 03:15
stephane's Gravatar @ l'auteur :

Vous vous voilez la face en attribuant à la monnaie des pouvoirs qu'elle n'a pas.

La baisse tendancielle du taux de croissance des pays développés n'est pas uniforme ni même avérée pour certains pays et certaines périodes.

Comme dirait Ludwig Von Mises, comment peut-on influencer la productivité marginale des acteurs économiques en faisant varier la valeur d'achat d'une monnaie ?

C'est exactement ce que vous êtes en train d'affirmer.

Varier le taux de change d'une monnaie par rapport à une autre ne fait que déplacer la demande et la production mondiale d'un coin vers un autre, sans autre incidence sur le taux de croissance mondial.

Non, ce qui fait baisser la productivité marginale et donc la croissance, c'est la hausse continue de l'intervention de l'état dans l'économie.

En luttant contre l'accumulation de capital par des impôts fortement progressifs, par des normes et réglementations délirantes, l'état détruit la croissance économique.

La baisse tendancielle du taux de croissance que l'on observe est toujours parfaitement corrélée avec la hausse de l'intervention des états dans l'économie.

si demain on règle tous les problèmes de monnaie sans régler le problème des états, on continuera à observer une baisse du taux de croissance.

L'URSS, en tant que pays autarcique, n'a pas fait varier sa monnaie sur le plan intérieur pendant 70 ans, et pourtant il n'y avait pas de croissance.

La GB a connu de la croissance à partir de 1978, avec 20 années d'effondrement (l'homme malade de l'Europe) liée à une politique socialiste.

Ces cas concrets contredisent votre thèse, la vérité ne contredit pas une définition vraie (Aristote).

Croire qu'un état ou un règlement ou un organisme trans-étatique pourra être bien géré et gérera bien la monnaie, c'est ce que Hayek appelle "la présomption fatale".

La seule solution, c'est de libérer la monnaie de l'emprise des états, et de libérer les acteurs économiques de l'emprise des états.

"L'état ce n'est pas la solution, c'est l'état le problème" REAGAN.

Bien cordialement,
# Posté par stephane | 21/03/17 09:51
Micromegas's Gravatar "L'URSS, en tant que pays autarcique, n'a pas fait varier sa monnaie sur le plan intérieur pendant 70 ans, et pourtant il n'y avait pas de croissance."

Le circuit de la monnaie, celui des prix et celui de la production étaient totalement disjoints en URSS. Les magasins étaient vides et des queues immenses se formaient pour acheter quelque chose quand il y avait quelque chose. Le porte monnaie était plein d'une monnaie que vous ne pouviez pas utiliser. Et les produits d'équipements, comme les voitures, étaient à un tel prix qu'il fallait des années edt des années (plus quelques circonstances) pour les acheter. Les recettes des entreprises n'avaient aucune importance puisque les décisions d'investissements et les achats étaient décidés par le plan. La monnaie était une forme de mensonge : je fais semblant de te payer. En contrepartie le salarié faisait semblant de travailler. Dans la pratique, le système fonctionnait sur le rationnement.
Mais sans carte de rationnement, ce qui explique les queues (quasi permanentes dans les pays soviétiques). Premier arrivé lors d'une éventuelle livraison, premier servi. La nomenclatura elle avait accès aux marchandises dans des magasins réservés.
# Posté par Micromegas | 21/03/17 16:29
DvD's Gravatar Le coût des erreurs monétaires est en effet proprement exorbitant. Et ce indépendamment de la place de l'Etat dans l'économie. La grande depression de 1929-1932, d'origine monétaire, en reste à ce jour la meilleure preuve, alors même que le rôle de l'Etat dans l'économie américaine était alors très faible. C'est en fait cette crise qui a légitimé le rôle accru de l'Etat dans l'économie. On pourrait donc dire à Stéphane que c'est précisément un des coûts des erreurs monétaires que d'avoir suscité la (trop ?) grande place pris par les États dans l'économie. Oui la monnaie et la dette comptent. Oui, c'est une institution qui peut être largement améliorée pour mieux servir la prospérité.
# Posté par DvD | 22/03/17 08:21
Mad max's Gravatar Analyse remarquablement claire. Mais pourquoi rien de tout cela n'est-il discuté dans la presse sous une forme aussi méthodique et rationnelle ? Ces thèses sont-elles marginales ou hétérodoxes ?
# Posté par Mad max | 22/03/17 19:58
Julien L.'s Gravatar @Mad Max

Bonne question. Pour me l'être posée un certain nombre de fois, j'en suis venu aux réflexions suivantes :

- sachant que les Etats-Unis ont un pouvoir de veto, personne ne croit que cela vaut la peine de se battre pour des idées qui, de toute façon, ne seront pas reçues.

- les questions monétaires sont difficiles et leur dimension internationale les rendent encore plus sophistiquées. Autant ne pas risquer de passer pour un imbécile.

Il n'est pas nécessaire de tomber dans le complotisme pour voir qu'aucun journaliste ne peut utilement se saisir de ces questions, ni aucun politique, ni même aucun économiste avec des prétentions officielles.

Vous avez noté que, lors du débat des présidentielles, personne n'a parlé des sources internationales et monétaires de la dégringolade de la croissance et des causes de la crise de 2008.

Il n'y aura jamais de catharsis publiques sur ces questions. Trop technique pour le grand public. Trop incertain et dangereux pour les spécialistes.
# Posté par Julien L. | 23/03/17 11:56
DD's Gravatar @Julien L.

Vous avez probablement raison. C'est d'autant plus surprenant que l'économie comme discipline est née avec Copernic (un génie plus large que ce que l'on dit généralement) d'une réflexion sur les relations entre Etat, monnaie et économie, dans un monde qui était finalement aussi ouvert qu'aujourd'hui aux relations internationales.
# Posté par DD | 24/03/17 12:49
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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