En écoutant Claudia Buch

"Le comité scientifique consultatif du Comité européen du risque systémique a relevé de nombreux signes de surcapacités dans le secteur bancaire européen, en particulier une forte hausse du volume de crédit par rapport à la performance macroéconomique. En fin de compte, un secteur financier surdimensionné peut avoir une répercussion négative sur la croissance économique réelle."

Cette phrase, énoncée par la vice-présidente de la Bundesbank est tout à fait intéressante. Elle aurait pu être répétée tous les ans depuis 1971, c'est-à-dire depuis que l'on a dynamité tous les contrôles macroéconomiques des balances extérieures (commerce et paiements). L'économie mondiale est devenue une" économie baudruche" comme nous en avons fait la théorie pendant des lustres. De crises en crises, de baisse de croissance en baisse de croissance, d'endettement massif en endettement insoutenable, la baudruche a fini par exploser. Nous vivons dans un système non réformé et mis à plat par la dernière crise, entre perpétuation des anciens maux et épongeage des effets du collapsus de 2008.

Alors oui, chère Claudia, la baudruche recommence à se remplir, tout en fuyant de toute part. Mais là n'est pas l'important. Ce qu'on attend de vous c'est d'indiquer les causes au long cours de la situation. Et là vous êtes muette comme une carpe allemande par grand froid.

Votre constat serait important si vous ajoutiez : les excédents allemands alimentent une création monétaire malsaine par recyclage dans des circuits financiers non directement connectés à la production, des gains qui proviennent d'un excès de compétitivité prix. Alors vous pourriez ajouter qu'il faut prévoir en zone Euro des mécanismes de pénalisation de ces excédents. Les excédents seraient taxés et enlevés du système financier au profit de l'investissement productif dans les pays en perte de compétitivité. L'Allemagne aurait alors intérêt à relancer sa consommation, relever ses salaires, pousser ses importations intra-européennes, perdant en compétitivité mais faisant croître la prospérité générale sans imposer de lourde récession à ses partenaires.

Que Claudia Buch se souvienne des suggestions allemandes de chambre de compensation faite en été 1940. Bien sûr, c'était de sales nazis qui voulaient mettre en place un système dont ils espèrent tirer parti par la force en ne régularisant jamais leurs positions. Mais "une variante honnête" comme disait Keynes serait sans doute la meilleure solution aujourd'hui.

Pour couvrir le dispositif, chère Claudia Buch, il faudrait même aller un peu plus loin : imposer un système de ce genre à l'échelon mondial en proposant de taxer les grands déficits et les grands excédents. Du coup la politique européenne d'ajustement n'entraînerait plus de risques globaux.

Il ne faut pas seulement dire que le roi économique est nu. Il faut l'habiller.

Et la "fashion week" doit commencer au plus tôt aussi bien au sein des banques centrales que des grandes instances économiques internationales.

Qui peut ne pas être lassé de voir que le seul courage autorisé dans les instances dites "de régulation" est de dénoncer un fait sans jamais voir l'image globale ni proposer de solution.

D'accord si vous vous lanciez dans ce travail vous seriez virée dans la minute de votre poste. Mais vous êtes universitaire. Vous avez l'indépendance. Cela vaut tous les honneurs. Sans doute préférerez-vous une carrière du type de celle qu'a connu votre prédécesseur, Beatrice Weder di Mauro, dont la carrière a été éclatante mais entièrement dans les jupes américaines et n'a, pas plus que vous, osé s'attaquer aux questions qui fâchent et notamment celles qui mettraient en colère les maîtres de Washington.

Au-delà de son énoncé, la phrase de Claudia Buch met en lumière la manière dont les économistes sont soumis aux diktats américains. Le but de ces déclarations n'est pas de promouvoir les réformes nécessaires mais de contrer Mario Draghi qui est considéré par les Américains comme dangereux puisqu'il fait baisser l'Euro par rapport au dollar. Elle permet également de se valoriser par rapport au board de la Bundesbank qui prône un certain rigorisme, tout en admettant les énormes excédents allemands. le tout sous couvert d'examiner les risques systémiques pouvant toucher la finance.

Tout cela finit toujours par des invitations au Groupe Goldenberg, rassemblement des "élites politiquement compatibles avec l'idée américaine de la globalisation" et tremplin pour les plus belles affectations.

Il faudrait qu'en matière économique l'opportunisme atlantiste cède un peu la place à une réflexion de fond et des études de réformes un minimum sérieuses. Les nominations sur la base du "genre" et non de la compétence, aggravent encore les phénomènes traditionnels de soumission. On l'a vu avec la nomination de Mme Lagarde à la tête du FMI, "parce que c'était au tour des femmes". Aussitôt tout risque de pensée non conforme est bloqué pour des années.

Et l'économie baudruche perdure indéfiniment avec des discours de régulation qui, au mieux, ne servent que de cache-misère pour masquer le vide de toute réflexion approfondie sur des réformes de structure.

Commentaire
DvD's Gravatar L'Allemagne est en effet prise entre deux feux :

- Dans le cadre du système européen, son "excès de compétitivité prix" est réel et pèse lourdement sur ses "partenaires" avec lesquelles elle est liée par la parité fixe de l'Euro. Il est exact que le financement des déficits des "partenaires" par recyclage des excédents allemands a alimenté de nombreuses bulles comme celle de l'immobilier espagnol par exemple qui a explosé en 2008. Il est également exact que, en l'absence de nouveaux crédits une fois la capacité d'endettement des emprunteurs saturée, la résorption de ces déficits à l'intérieur de l'Euro ne peut se faire que par récession et déflation.

- Mais l'Allemagne est coincée de l'autre côté dans le cadre du système international, soumise aux vastes possibilités d'arbitrage salarial ouvertes à ses entreprises. En effet, si l'Allemagne augmentait significativement ses coûts salariaux pour accroître sa demande intérieure et réduire ainsi ses excédents extérieurs, elle soulagerait certes grandement ses "partenaires" de la zone Euro, mais elle risquerait de déplacer ses industries et ses emplois vers des pays à moindre coûts salariaux, peut être à l'Est, réduisant ainsi sa croissance, ses créations d'emplois (son sous-emploi, bien que plus faible que les autres pays européens grâce à ses excédents, n'est pas exactement minuscule...) et augmentant son endettement.

Ainsi, les déséquilibres des deux systèmes européens et internationaux se cumulent.

Refusant de reconnaître explicitement cette contradiction entre les deux systèmes, les "dirigeants" sont incapables de proposer quoi que ce soit d'utile et ne "dirigent" donc plus rien du tout. Ce faisant, ils ouvrent un grand boulevard orné d'un magnifique tapis rouge aux extrémistes de tout poil.
# Posté par DvD | 22/10/16 13:47
DvD's Gravatar Les américains considèrent Mario Draghi comme dangereux ? C'est très amusant sachant que Draghi a été formé à l'économie dans une prestigieuse université américaine et que son principal fait d'armes à la BCE fut de se mettre à la remorque de ses homologues américains dans la formulation et la mise en œuvre de la politique monétaire. Ce qui ne veut bien sûr pas dire qu'il n'est pas dangereux...
# Posté par DvD | 22/10/16 14:13
DD's Gravatar Qui, à la tête de l'UE, n'a pas fricoté avec Goldman Sachs ? La liste est longue :

José Manuel Barroso
Otmar Issing
Lucas Papadopopulos
Mario Draghi
Mario Monti
Romano Prodi
Carlos Boedas
Peter Sutherland
...
Tous font partie de la phalange pro américaine eet atlantiste qui tient aussi bien l'UE que la majorité des hebdomadaires français. Il n'y a pas besoin d'idée complotisme pour le constater. Ils le disent eux-mêmes.
Mais cela n'interdit pas les conflits.

Otmar Issing poussait plus que fortement au nom de la morale à la sortie de la Grèce de la zone Euro, alors que Goldman avait pris des positions en ce sens. Autant pour la morale. Et Draghi a accepté de sauver le système financier européen global en achetant des dettes "pourries" et en relâchant toute discipline monétaire et en permettant de financer directement des Etats, violant toutes les règles établies...par Issing.

Issing est furieux et vaticine contre la politique menée qui doit amener à "la destruction de l'Euro". Destruction de l'Euro qui permettra de juteuses spéculations et des refinancements d'Etats particulièrement juteux.

Tout cela est plutôt inquiétant.
# Posté par DD | 27/10/16 10:10
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