Éric Zemmour, le destin français et l’économie

On connaît Éric Zemmour. Son mérite, immense, est d'avoir accepté de se faire injurier, excommunier, ostraciser pour introduire un peu de réalité dans le discours bien-pensant médiatique. Il a pris sur lui moralement, financièrement, juridiquement, de dénoncer une dérive de la société française qu’il considère, avec quelques arguments, contraire à la grandeur et au destin de la France. Ce courage a été récompensé puisque, dans le fond et le tréfonds du pays, son propos a trouvé de l’écho. L’énorme succès du livre « Suicide Français » a été la récompense de son acharnement et de son talent, car il n’y a aucun doute qu’Éric Zemmour représente une forme haute du talent journalistique.

Que Zemmour soit réactionnaire, aucun doute non plus. Il est en réaction contre la féminisation de la société. Il est en réaction contre l’islamisation de la société et plus généralement contre le grand remplacement de la nation blanche par l’immigration africaine ; il est en réaction contre le masochisme de la société française qui ne cesse d’accepter de faire pénitence ; il est en réaction contre les « pédagogues » qui ont détruit l’école de la République Française ; il est en réaction contre le consumérisme de la société ; il est en réaction contre le politiquement correct américain ; il est en colère contre les conséquences économiques pour la classe moyenne de l’ouverture de nos frontières à une concurrence dommageable ; il est en réaction contre le gouvernement des juges ; il est en réaction contre la dissolution de la souveraineté française du fait de la construction européenne. Pour synthétiser le tout, il est contre les trois libertés de circulation des hommes, des marchandises et des capitaux qui forment le credo moral du moment et le pilier juridique des institutions, françaises, européennes et onusiennes.

Il est naturellement en colère contre tous ceux qui promeuvent ce contre quoi il est en réaction. Il le leur dit, en face et sans douceur. La classe journalistique s’étant trouvée heureuse de jouer les curés chargés de prévenir les mauvais instincts des lecteurs et des auditeurs, et d’occulter tout ce qui pourrait leur donner de mauvaises pensées, cette rébellion a été jugée dans le milieu comme une diablerie. Il était bon pour l’audience qu’on lui laisse une petite place mais juste suffisante pour alimenter et justifier un boniment politiquement correct sourd et aveugle aux réalités françaises. La presse écrite, radiophonique et télévisée s’est mise à considérer le lecteur auditeur comme un Dupont-la-joie incorrigible, dont il était important qu’il paie pour les faire vivre, mais qui devait être morigéné et corrigé de sa « beaufitude ».

Ils ont repris une partie du discours et la totalité de la méthode des contempteurs socialistes du capitalisme mais qui eux, avaient leurs saintes écritures dans l'œuvre de Marx, Lénine et Engels et des saints, certes aux mains rouges du sang de dizaines de millions de victimes innocentes, mais dont on se devait d'admirer le rôle méritoire dans l’accélération d’une évolution scientifique du sens de l’histoire. Naturellement nos journalistes curetons, n’ont, eux, aucune bible à disposition sinon le devoir « de ne pas faire le jeu du Front national », un peu comme les précédents ne voulaient pas « désespérer Billancourt ».

L’Église considérait qu’il fallait donner une longue formation à des jeunes sélectionnés et formés dans des séminaires avant de leur donner le droit de prêcher. Et, en contrepartie, elle leur demandait un sacrifice, pour prix de leur crédibilité. Savoir et souffrance comme sources de la transmission de la foi ! Elle a abandonné le prêche, laissant vide la Chaire. La chair s'est vengée. L’église meurt, déconsidérée. Elle laisse les Chrétiens en mal d’un message qui parle du bien, et beaucoup gobent le prêchi-prêcha médiatique dominant même s’il s’est affadi en un simple politiquement correct qui admet l'incorrection des mœurs et qui les rejette dans un ghetto obscurantiste et dévoyé.

Les « cultureux » de gauche (désolé pour le pléonasme) ont fait, pour aider Zemmour, leur part de travail, d’abord en transfigurant le « bourgeois » en salaud incorrigible dont il fallait dénoncer en permanence la noirceur. Puis ils ont pris le tournant qui fâche notre auteur : c’est à la destruction du mâle blanc qu’ils se sont attelé, tueur de femmes, violeur d’enfants, colonisateur, belliqueux, nationaliste, pétainiste et émule d’Hitler même quand il dit le contraire, voire quand il l’a combattu. Comme disait le premier numéro de Hara-Kiri, avec une quatrième page évocatrice, « nous sommes heureux de vous offrir cette page de vomi ». Mais le vomi n’est pas une référence très porteuse.

Contre cet affaissement, Eric Zemmour a voulu montrer que lui avait une bible. Destin Français, son dernier livré rassemble ses Saintes Écritures. Les Français doivent savoir que ce qu’ils entendent de lui n’est que la partie émergée de l’iceberg. La partie immergée est bien plus profonde et bien plus dense. Alors il a sorti sa lampe de poche et il nous fait parcourir le labyrinthe sacré, celui qui doit conduire la France à cette prise de conscience : la France a un destin. On ne peut galvauder l’héritage dont nous sommes les insouciants bénéficiaires. Une somme pour nous sommer d’être français au lieu de disparaître.

Disons-le : la promenade est passionnante et apprendra beaucoup à bien des lecteurs. L’auteur ne se préoccupe pas d’être gentil. Ce qui nous vaut des portraits sans grâce et même plus que chargés de tous ceux qu’il considère comme les fossoyeurs du Destin français. On lira avec délectation celui de Germaine de Staël. Zemmour a la détestation féroce. Il a le panégyrique moins facile. On trouvera logiquement plus de déboulonnages que d’élévations sur piédestal. Certains portraits à charge sont ridicules, comme celui d’Eiffel. D’autres très bien vus comme ceux conjoints de Sartre et de Simone de Beauvoir. Certaines réflexions sont mieux qu’excellentes, comme son retour sur le message de Bossuet ou l’analyse de l’échec de Maupeou.

Le risque de ces fresques est évidemment la simplification. On ne glisse pas à travers les siècles sans dérapages et imprécisions avec des raccourcis certes saisissants mais tellement marqués de généralisation et de sélection qu’ils deviennent sinon des anathèmes du moins des affirmations pour le moins sans nuance. Par exemple :

« Les nouvelles élites (celles qui se succèdent après l’élimination du général de Gaulle – N.D.L.R.) seront aux antipodes de ceux qui l’avaient suivi : des enfants de la paix et non de la guerre ; des enfants du monde et non de la patrie ; des enfants du plaisir et non du devoir ; des enfants de la géographie et non de l’histoire. Plus férus d’économie que de stratégie ». « Si l’ingratitude est le propre des grands, cette génération est immense. Pour affirmer son autorité sur le pays, elle se prête à tous les reniements. Pour mieux remplacer son adversaire, l’élite gaulliste issue des combats de la résistance, elle la traitera de « fasciste » et de « pétainiste ». Produit du plus grand effort éducatif réalisé par la nation, elle s’empresse une fois aux commandes de désagréger le système éducatif ». « Elle va fermer la porte des hautes sphères aux classes populaires ». « Ces élites profitent de leur puissance de feu financière, culturelle et médiatique, de leurs réseaux et de leur influence, pour pousser en avant leur propre descendance ». « Le système économique mondialisé accentue cette reproduction sociale » [et] « fabrique une société d’héritiers. Une société que la révolution avait abolie ».

Ce genre d’analyse est trop globalisante. Il faut dire qui, pourquoi et comment. Les retournements ne se sont pas faits tout seuls. Giscard a été une catastrophe, surtout par peur de l’arrivée des socialistes, mais pas seulement. Mitterrand, qui a été l’accélérateur de tout ce que regrette Zemmour est un jeune pervers avant-guerre, un prisonnier de guerre intrigant bientôt pétainiste à Francisque pendant, un pur intrigant pendant la quatrième et un pourrisseur une fois au pouvoir. Étendre à toute la classe dirigeante une condamnation qui concerne essentiellement une partie de la gauche et quelques zozos nourris à la même source idéologique, en la mélangeant avec tous les lieux communs sur l’économie des socialistes d’extrême gauche, qui crient inlassablement à l’inégalité, ne fait pas un discours cohérent mais une sorte d’imprécation.

Le risque de la méthode de Eric Zemmour est bien là. L’imprécation le guette. Et l’envie de faire feu de tout bois, quand cela paraît servir sa cause. De ce côté-là, Eric Zemmour ressemble un peu à Marine le Pen : il ne domine pas ses dossiers économiques et il ne faut trop creuser.

Le chapitre sur Méline, réhabilité comme héros de la croissance saine et nationale, frontière fermée, est drôle par la candeur de l’auteur qui visiblement se raccroche aux branches comme il peut pour analyser les succès de son héros. Là où il faut des connaissances, de la nuance et une vraie force d’analyse pour ne pas dire trop de bêtises, l’auteur se contente de citer des auteurs qui selon lui, pensent comme lui, sans jamais faire intervenir, sur la même période, ceux qui sont résolument à l’opposé. On accumule des bribes de discours à charge contre le libre-échange, on compacte le tout et cela devient une clef universelle d’interprétation. À chaque paragraphe, le lecteur se dit : « attention tu n’as pas compris », ou « tu oublies ça, » ou « trop rapide » ou « tu simplifies à l’excès ». Zemmour, en économie, cherche des armes là où il peut en trouver et se saisit de tout ce qui passe à portée de ses lectures. En matière d’économie, Eric Zemmour a un esprit de système sans le système. C’est une horloge qui veut donner l’heure mais sans mécanisme d'horlogerie. Quand le petit oiseau sort et siffle, l’heure est rarement exacte car, quand elle parle, l’horloge donne toujours la même heure. Il est dans le vrai une fois sur douze ! On dira que, par rapport aux économistes officiels, c’est déjà beaucoup…

Zemmour cite ce que dit Lyautey de Clemenceau : « il nous mène au jour le jour en frappant du poing, faisant des mots et injuriant ses adversaires pour tout argument ». Eric nous mène un peu de la même façon, à la ligne la ligne, en tapant du stylo, en faisant des mots et en vilipendant ses adversaires. L’avantage est qu’on sort des révérences confites et des images saintes. Un peu de vent frais époussette les lieux communs et décape les fausses gloires. L’inconvénient est qu’on n’est plus souvent intéressé ou amusé que fondamentalement convaincu.

On comprend mieux la société actuelle et les enjeux culturels et politiques qui la traversent. Ce qui est beaucoup. On ne voit pas trop les solutions. Toute la faiblesse de Eric Zemmour est dans la réponse à la question : et alors ? Oui la France de 66 millions d’habitants dans un monde de 7 milliards d’humains n’est plus dans la position de force démographique de la France napoléonienne ? On fait quoi ? Non, nous ne pourrons plus construire un empire français mammouth et empêcher l’Allemagne prussienne de coloniser nos marches. Que proposez-vous ?

Les cris de désespoir sont certes salutaires mais ils n’éclairent pas nécessairement le chemin du salut.

Commentaire
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