Le grand tournant de 1988 !
Nous faisons régulièrement des retours dans le passé. Il éclairent le présent. Prenons par exemple la campagne de Jacques Chirac en 1988. Elle est intéressante parce que nous sommes juste à la césure de l'histoire économique mondiale, européenne et française.
Mondialement : La crise du début de la décennie 1980 a été sévère aux Etats-Unis du fait de la volonté de la FED et de son gouverneur de "casser" l'inflation. Thatcher et Reagan ont par ailleurs imposé un nouveau style à la gestion de l'Occident. L'Afrique et certains pays émergents comme le Mexique, sont encore dans les affres de la frénésie de prêts publics fondés sur la rente pétrolière recyclée, mais les Tigres et les Dragons asiatiques décollent. C'est le moment Japonais. Le monde entre dans la phase haute du cycle décennal.
En Europe l'idée de l'Euro comme monnaie unique s'est imposée et on la prépare. Ceux qui pensent que l'Euro date de la chute du mur et des accords entre Kohl et Mitterrand se trompent absolument. L'Euro monnaie UNIQUE est sur les rails dans les cénacles européens.
En France le gouvernement de cohabitation Chirac-Balladur a commencé à se débarrasser des pires dérives du désastreux Programme Commun de la gauche, avec des dénationalisations, la fin de l'IGF, l'ISF initial, et a commencé à stabiliser le chômage.
Nous sommes là réellement à un moment clé.
La croissance est là. Des réformes utiles vont devenir possible. La question monétaire internationale est posée ainsi que celle de l'Europe.
Selon le diagnostic qui sera fait et en fonction des résultats électoraux, l'avenir sera très différent.
Si les Etats-Unis admettent de revenir à un système monétaire organisé qui proscrit les grands déficits et les grands excédents et assure la coordination des politiques économique dans le cadre d'un système de monnaies stables mais ajustables par consensus en cas de dérapage, l'économie casino qui s'est mise en place au milieu des années 70 cesse et une croissance régulière et équilibrée devient possible.
Si l'Europe dans ce cadre monétaire stabilisée, met en place un système de monnaies coordonnées avec des solidarités un peu plus serrées qu'à l'échelon international, elle évite le piège de la monnaie unique, qui interdit tout ajustement autre que par la déflation, sauf organisation fédéralisée des politiques économiques.
Si la France continue de se libérer des imbécillités du programme Commun et modernise son Etat, en stabilisant sa pression fiscale, elle peut revenir dans la compétition internationale et réduire son chômage tout en améliorant sa croissance.
Quelles sont les propositions de Jacques Chirac lors de la campagne présidentielle de 88. Il suffit de relire son livre "Une ambition pour la France", publié par Albin Michel.
"Où que nous regardions nous ne voyons que désordre :
- Désordre commercial entre les pays riches qui accumulent des excédents gigantesques et d'autres pays, tout aussi riches qui vivent dans le déficit chronique,
- Désordre monétaire depuis que l'erreur de quelques techniciens et la faiblesse de certains Etats ont ait entrer le monde dans l'ère des changes flottants qui ne valent rien de bon à personne".
Chirac refuse également la transformation de l'Europe en simple zone de libre échange ouverte à tout vent.
"Rien ne serait plus dangereux que d'offrir à nos concurrents, asiatiques ou américains, l'espace désarmé d'une vaste zone de libre échange."
Mais il annonce la monnaie unique étayée par une Banque centrale Européenne.
"La Communauté doit être un système monétaire complété et achevé où circule peu à peu une monnaie unique émise par une banque centrale commune".
Pour qu'elle fonctionne, il faut " reconstituer un ordre international avec les disciplines, les automatismes et les sanctions que cela implique dans la gestion des parités monétaires".
Déjà le programme présidentiel annonce qu'il faut que l'Etat se renforce sur ses missions régaliennes et se dégage du reste. Il faut réduire le chômage qui est à 2.500.000 grâce à la formation et à la recherche scientifique. La compétitivité de la France, mise à mal, doit être restaurée (déjà).
Arrêtons-nous là. Nous pourrions, de façon plus ou moins comique, monter que tout le programme actuel de Valls est une resucée verbale, presque mot à mot, du programme du candidat de droite de 1988 sur le plan intérieur. Ce n'est qu'anecdotique
Plus intéressant : pourquoi les aspects les plus bénéfiques de ce programme n'ont-ils pas accroché l'opinion et pourquoi le monde, l'Europe et la France se sont-ils enfoncés dans un système qui ne pouvait qu'exploser ?
Le bon virage n'a pas été pris.
Nous sommes certes à la veille de la crise décennale de 92-93, qui sera pire que sa devancière de 74 et prendra le titre de pire crise depuis 1929, avant que notre crise actuelle ne lui reprenne le ruban bleu. Elle aurait pu servir de déclencheur. Mais c'était trop tard : Greenspan venait de se lancer dans un programme d'inondation monétaire après la prétendue "crise des ordinateurs" qui avait fait chuter lourdement le Dow Jones. La guerre du Golfe était gagnée. Les Etats-Unis étaient triomphants. La campagne pour Maastricht était partie.
La chute de l'URSS, la conversion de la Chine et de l'Inde au capitalisme internationalisé, le triomphe du consensus de Washington, l'extension rapide du champ de l'Union européenne ont créé un "momentum" de fuite en avant qui interdira toute réflexion jusqu'au blocage du système bancaire international en 2007 et son effondrement en 2008.
C'était bien en 1988 qu'il fallait agir. La France s'étant sortie du grotesque retour en arrière mis en scène par Mitterrand pour se faire élire en 1981, elle avait encore de l'influence. Elle pouvait peser.
Les Français décidèrent cette folie que sera la réélection de Mitterrand. Perseverare diabolicum. Les Français ont considéré qu'il fallait purger le syndrome socialiste français qui s'était enkysté puis enflammé après 1968, en laissant toutes ses chances à une variante partiellement atténuée, comme on désactive un virus. Mitterrand comprendra le message et "lèvera l'hypothèque Rocard". On en est désormais à la social-démocratie et au social libéralisme… Encore un effort et le socialisme aura été évacué. Mais le processus va coûter cher à la France;
Le gouvernement Rocard bénéficie de la phase haute du cycle qui le gorge de ressources fiscales automatiques. Aucune réforme n'est faite. On remet en place l'ISF. On crée la CSG. On troue la coque avec des prestations qui enfermeront une partie des Français dans une trappe à pauvreté. Avec Delors et Beregovoy, on débloque l'option "finance folle" et on crée le chemin d'une liberté totale des mouvements de capitaux, de produits, de services et de travailleurs en Europe. Le Traité de Maastricht est voté sans aucune réforme préalable du système monétaire international et sans institution de pilotage. Que des sottises !
A la fin du second septennat de Mitterrand, toutes les causes de l'effondrement futur sont réunies :
- Plus de réforme du système monétaire international
- Europe ouverte à tout vent et libéralisme absolu des mouvements sous domination allemande.
- Français fiscalisés à mort
- Préférence pour le chômage et l'assistanat.
Chirac se résoudra au "ni-ni". La violence de la crise de 92 le conduira à "réduire la fracture sociale". La cohabitation Jospin ajoutera les 35 heures et l'étouffement de l'entreprise. Sarkozy évoquera la "rupture" sans la faire. Hollande finira le travail dans le n'importe quoi délirant. L'Europe de l'Euro sombrera dans les politiques de récession et de déflation. Pendant que le monde passera de 250 à 400% de taux d'endettement global et finira par succomber sous le poids de la dette imbécile accumulée.
C'était bien en 88 qu'il fallait agir en profitant de la volonté de Thatcher de ne pas passer sous les fourches caudines de l'Allemagne, de la présence de Schultz aux finances américaines, qui n'était pas un partisan des changes flottants en dépit des rodomontades de Reagan (qui parlait plus qu'il n'agissait) , et en profitant de la phase de croissance du cycle pour réformer en profondeur la France.
Est-ce que Chirac élu aurait eu la force de ce changement de perspectives, à la tête d'une France qui n'était pas encore "sortie de l'histoire" et effondrée dans la gaudriole, le "sociétalisme" politiquement correct, la fiscalité confiscatoire et la paralysie économique ?
On ne le saura jamais. Notons tout de même que les idées que nous défendons ici, le retour au changes fixes et ajustables, l'interdiction des déficits et des excédents monstrueux de balances extérieurs, la réforme d'un pays qui a développé de façon exagérée et intenable le champ de l'action publique tout en bloquant les processus productifs par une fiscalité délirante et un enfermement administratif incontrôlé et suicidaire, ne sont pas des idées saugrenues, sorties d'un esprit embrumé ou d'un soliloque atterrant.
Elles étaient au cœur du débat français en 88, avant d'être évacuées du discours public devenu un exercice de communicants au service d'écuries présidentielles où la posture et les petites ambitions l'ont emporté sur la recherche du bien commun et d'un avenir français digne de son passé.
Remarquons aussi que les risques d'une zone Euro sans organes de pilotage dans un système global de changes flottants étaient totalement ignorés. Nous en sommes encore là avec le traité Merkozy, 25 ans plus tard.
L'histoire est éprouvante !
Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Quant aux Etats-Unis, s'il est bien exact que le "privilège exorbitant" du dollar monnaie mondiale leur a permis de financer leurs déficits courants constants depuis 45 ans de manière indolore, ce n'était vrai que tant que leur capacité d'endettement n'était pas saturée. Maintenant que leur limite d'endettement est atteinte au point que la Fed doive monétiser 50% de la nouvelle dette émise ces 5 dernières années par l'économie américaine dans son ensemble, les détenteurs externes de $ doivent choisir entre un risque de crédit accru sur la signature américaine et un risque de change accru sur le cours du $ qui se déprécie à mesure que la Fed en émet. Autrement dit, il n'y a plus de choix attractifs et les détenteurs de $ externes se diversifient. C'est tout l'enjeu des manoeuvres en cours autour du Yuan et de l'or. Cela explique aussi pourquoi l'Euro est si fort malgré des performances économiques très médiocres et un risque de crédit qui demeure élevé, obligeant la BCE à imiter la Fed. C'est aussi l'enjeu, pour les Etats-Unis en tous cas, du projet de zone de libre-échange transatlantique : assurer la survie du $ alors que l'Asie s'en détourne.
Quant à leur choix de l'austérité durant 10 ans, c'est du pur mercantilisme bien évidemment délétère et perdant-perdant à terme. Heureusement que les cigales du Sud ont soutenues la demande car les ennuis de 2008 seraient arrivés bien plus tôt. Je les trouve méprisant à donner des leçons aux pays du Sud alors qu'ils seraient bien embêtés si ces derniers quittaient l'Euro.
A propos du dollar, vous avez peut être raison sur le traité transatlantique si ce n'est que je ne vois toujours pas ce que les américains pourraient nous vendre hormis des logiciels piratables et des aliments OGM.
Le dollar a tué leur industrie pour un moment, leur avantage compétitif n'est pas là. Il restera dans la capacité du dollar à rester monopolistique pour les échanges mondiaux.
On a vu cet avantage qd en 2008, la FED a dû faire des swaps aux banques européennes à court de dollar. C'est la monnaie reine, les USA ont la main sur la manette du PIB mondial avec cela, chaque pays se voit obligé de disposer de reserve de dollar. Pour en avoir, les USA doivent t'en fournir via leurs déficits jumeaux et leur "investissements". Donc ils t'imposent l'ouverture de tes frontières et rachètent tout ce qui a de la valeur dans le pays... en créant du dollar remboursable à la saint glinglin. Les classes dominantes des pays tiers ont l'impression d'être millionaire mais le pays entier est prisonnier d'un système de rente et d'usure. Pour masquer encore plus l'arnaque, ils prennent des pays exemples (Japon Allemagne ou même Chine) auxquels ils ouvrent leur grand marché intérieur, et les érigent en modèle de vertu vers quoi tous doivent tendre. Sauf que c'est bidon car l'équilibre nécessaire à tout échange ne peut être réalisé.
La réforme du système monétaire international est le chantier unique à mettre en oeuvre rapidement pour la paix de tous. C'est paradoxalement, le meilleur moyen pour que les USA redeviennent à terme un grand pays non intoxiqué par cette drogue dur qu'ils s'infligent depuis trop longtemps.
C'est toute la contradiction du système actuel de libre échange mondial sans compensation des écarts de salaire et de productivité par les taux de change. Individuellement, tout pays a intérêt à soigner sa compétitivité via la modération salariale sous peine de voir le chômage et la dette augmenter chez lui. Mais, collectivement, si tous les pays suivent simultanément cette même politique, la demande globale ne peut que s'affaiblir. A terme, c'est effectivement perdant - perdant. Et il faut en effet réformer ce système commercial et monétaire international dysfonctionnel. La France qui a signé les accords correspondants sans en comprendre la portée se trouve du coup affaiblie et sa crédibilité économique et politique érodée.