L'Union Européenne et le déficit démocratique

La campagne pour les élections européennes a commencé par le torrent d'inepties habituel. Le Parlement Européen, depuis l'origine, pose une véritable difficulté. Les Français ne savent pas ce qu'il s'est passé lors des sessions de la législature qui s'achève. Posez la question, ou posez-vous la question ! Quels sont les votes importants de cette législature ? Étiez-vous d'accord ? Vous a-t-on consulté ? Y a-t-il eu des débats dans les médias ? Ajoutez la question : donnez cinq mesures phares prises par le Parlement. Le constat sera bref : personne ne sait en donner ne serait-ce qu'une seule.

On apprend, en général dix ans après, qu'une norme a été fixée et qu'il s'agit maintenant de la retranscrire dans le droit national, que la France traîne et que cette norme a causé ou va causer d'énormes dégâts. Nous avons donné sur le blog plusieurs exemples de cette manière de faire. L'affaire la plus caricaturale concernait le "cul-de-poule". Une charte du cul-de-poule et du citoyen a été votée à la fin du siècle dernier. Elle impose d'élargir les cages de 10 cm au droit du cul de la poule. L'ennui : il faut changer des millions de cages à poules et les bâtiments qui les abritent et qui sont au modulo ancien des cages. Résultat : abandon de la production par des milliers de producteurs en Europe. Pénurie de jaune d'œuf pour les industries agroalimentaires. Licenciement de plus de 5 000 personnes à travers l'Europe, avec plusieurs grosses faillites de transformateurs. Recours massif à l'importation d'œufs produits en dehors de toutes normes. Aggravation du chômage et des déficits. La totale !

Sur un plan politique, les décisions sont également quasi secrètes. On apprend par exemple que le Parlement Européen a jugé qu'il ne fallait pas déclarer génocide l'élimination de 3 à 5 millions d'Ukrainiens au début des années trente au nom du "grand tournant" vers le "socialisme réalisé" par le "génial Staline". Ajoutez la famine qui avait fait 3 500 000 morts lors de la guerre civile provoquée par la révolution d'octobre et la famine de 1947, mélangez avec la centaine de milliers d'exécutions sommaires et des millions de déportations en Sibérie et on comprend aussitôt pourquoi les Ukrainiens de souche ont développé une haine de la Russie dont on voit les résultats tous les jours. Si l'URSS avait été déclarée puissance génocidaire, Poutine l'aurait moins facile. Quel français est au courant de la lâcheté générale du Parlement Européen ? Où le débat a-t-il eu lieu ? L'Europe avait bonne mine d'envoyer Mme Ashton à Kiev.

Que ce soit pour l'essentiel ou pour le dérisoire, le Parlement Européen donne du corps à la notion de démocratie purement formelle, déguisée en "soft democraty, soft power et soft diplomacy" par la grâce du frenglish.

Personne ne sait quel est "son" député européen. Au sein des états-majors des partis, comme dans toutes les élections à la proportionnelle, la sélection des candidats se fait exclusivement sur des jeux de pouvoirs et d'amitiés entre apparatchiks. On choisit ou "le plus européen", façon Lamassoure ou Moscovici, ou celui qui a besoin d'argent et qui a été recalé au suffrage universel national, quand il a réussi à garder des amitiés dans le parti. Les exemples sont dans la presse tous les jours. N'insistons pas.

Plus curieux encore, les députés sont élus sur des listes nationales qui disparaissent dans d'autres formations à l'échelon européen. Reposez la question : quels sont les groupes au PE ? Citez en trois. Et vous constaterez les dégâts.

Au total l'électeur vote pour des candidats d'appareil, qui n'ont pas de bilan passé ni de programme explicite pour l'avenir, mais seulement une étiquette. On choisit une "identité", une "couleur". À charge pour la combinaison des couleurs représentée au Parlement de se mettre d'accord sur quelque chose. Quelque chose, mais quoi ?

À la limite, tant qu'il s'agit de fixer des normes dans des domaines où l'unification européenne aurait un sens, un système de sélection d'étiquettes, avec un esprit de conciliation pro européenne, peut s'envisager. Mais voilà : tout le monde en a ras le bol des normes qui finissent par coûter cher en emploi et en dépenses et, pire encore, l'idée que la subsidiarité est indispensable a fini par l'emporter.

Il est vrai qu'employer des fonctionnaires pour définir un horodateur "européen" de couleur bleue normalisée est d'un ridicule achevé.

Si on s'en tient à la montagne de textes votés par le PE, environ 98 % d'entre eux devraient être écartés au titre de la subsidiarité. Et si on freine sur les normes, à quoi sert tout cet appareillage ?

Alors la tentation est d'accroître le rôle "politique" du PE. Une Quatrième République avec crise ministérielle périodique, voilà ce qui remettrait un peu de lustre dans la communication. Donc on a accordé au Parlement un rôle dans le choix des Commissaires européens et il peut renverser la Commission. On choisira le président de la Commission par accord des gouvernements mais en fonction des majorités parlementaires.

Les Européistes font le forcing pour que le président de l'Union (le charismatique Van Rompuy est cet homme actuellement) soit aussi le président de la Commission et que le tout soit désigné par la majorité parlementaire. Bien sûr on est en contradiction avec ceux qui veulent une élection au suffrage universel du Président.

Les dirigeants de chaque Etat ne seraient rien à côté de cette nouvelle puissance, adoubée par une majorité parlementaire ou par le suffrage universel.

Et quel serait le champ du pouvoir de cet homme fort ? La seule politique commune est la PAC qui a été démantelée. Le reste est de la gestion de normes, principalement environnementales, et du grignotage de pouvoir réglementaire au-delà du champ des traités. La codécision avec les gouvernements reste de règle. Il est vrai que les commissaires ayant seuls le pouvoir d'initiative, ils ont la capacité d'empêcher tout ce dont ils ne veulent pas et la capacité de faire passer à la longue tout ce qu'ils veulent. Ils sont aidés par la justice européenne qui pratiquement à chaque fois donne raison au fédéralisme contre les états. Une exception : l'aide alimentaire avec les excédents de la PAC. La charité est du domaine national qu'on se le dise !

Voter pour le PE est donc un exercice très spécial. Le thème et toujours le même depuis 20 ans : oui à l'Europe mais pas exactement celle qu'on connaît. Ou non à l'Europe, en tout cas celle qu'on connait. Jamais la moindre discussion de programme. Regardez ma belle étiquette : je suis de gôche et vous aurez avec moi une Europe sociale ; je suis encore plus de gôche et dites avec moi "non à l'austérité" ; je suis centriste, chrétien, fédérolâtre et le mieux disant européen ; je suis gaulliste souverainiste ; je suis à droite un "Européen mais" ; je suis de droite et européen sans mais ; je suis d'extrême droite et j'en ai marre des normes, de l'Euro et des immigrés. On ne garde pas les sortants parce qu'il faut bien faire tourner les cadres du parti dans le fromage. Et l'on s'ennuie à Bruxelles-Strasbourg. Demandez à Rachida ! Les journaux français n'évoquent JAMAIS ce qui se passe dans les enceintes européennes. On vous oublie sauf lorsque vous faites (un peu) scandale.

Au total la tendance identitaire nationale sera noyée dans une couleur européenne indéfinissable car les milles nuances d'étiquettes ne se recoupent pas d'un pays à l'autre. On aura choisi en fonction de dégoûts nationaux un vague ragoût international.

Et qu'est-ce que tout ce petit monde va bien pouvoir faire dans les années du mandat ? On ne peut pas vous le dire, Messieurs Dames, puisque les textes qui viendront à notre vue sont décidés par la Commission et plus ou moins avalisés par les Etats. On ne sait pas ce qu'on va nous présenter. Donc on ne sait pas ce qu'on va voter. Mais faites confiance aux étiquettes choisies. Elles réagiront en fonction de leur sensibilité et ce sera super-démocratique.

On va donc très naturellement en France vers un vote pour ou contre l'Euro, pour ou contre l'austérité, pour ou contre Hollande, avec une abstention record.

Déjà, on sait que le futur président de la Commission ne sera pas français. Si on a un papa Shulz, socialiste à l'allemande, les Français, qui majoritairement vomissent le PS, l'auront drôle, même si un socialiste allemand est plutôt à l'extrême droite par rapport à un Juppé. Si c'est un centriste fédéraliste comme Verhofstadt, ils constateront que le centrisme n'est rien en France mais tout en Europe, toujours sans comprendre ce que le terme veut bien dire. Si c'est le luxembourgeois Juncker, ils verront que celui qui présidait l'Eurogroupe avec l'efficacité et la visibilité que l'on sait (ou qu'on ne sait pas, c'est pareil en Europe) pendant la crise, est devenu le président du plus grand espace démocratique mondial alors qu'il a échoué à conserver un poste dans le plus petit pays de l'Union.

Bref, on sait qu'on aura un président de la Commission qui, comme le précédent, ne correspondra à rien de bien net, et une majorité parlementaire pas plus nette, pour voter des textes qu'on ne connaît pas.

Doit-on s'étonner si l'abstention monte à 40 ou 50 % ?

La question de la démocratie se pose en Europe.

Commentaire
Micromegas's Gravatar Intéressant article à nouveau. Pour la droite les candidats ayant chance d'être élus sont :

- Lamassoure Alain : européiste patenté
- Lavrilleux Jérôme : apparatchick non élu - porte flingue de JF Copé
- Morano Nadine : apparatchick - battue aux élections législatives 2012
- Alliot-Marie Michèle : has been, battue aux élections législatives 2012
- Muselier Renaud : battu aux élections municipales en 2012
- Hortefeux Brice : porte flingue de N. Sarkozy - ancien élu au PE où il n'a pratiquement pas siégé
- Dati Rachida : venue à la politique par la faveur de Sarkozy. Sortante du PE où elle déclare s'ennuyer. Action inconnue.
- Cadec Alain : après un échec aux législatives de 2007, part au PE dont il est sortant. Action inconnue.
...
On y trouve des recalés du suffrage universel, des amis du clan à la tête de l'UMP et seulement deux spécialistes de l'Europe, MM. Lamassoure et Danjan.

Poids au PE : quasiment nul. D'ailleurs ils y seront rarement. La rémunération semble la partie importante de la nomination.

Positions sur les questions européennes : aussi inconnues que les questions.

Au Centre on retrouve à peu près le même mélange entre apparatchick façon Sarnez, militant européiste comme Cavada, has been comme Arthuis, "fille de" comme Mme Méhaignerie.

Au PS, le seul nom qui ressort est celui de Peillon, qui a échoué comme Ministre.

Au FN ce sont les déçus des élections législatives qui s'y collent. Il faut bien vivre.

Bref : vous dénoncez une difficulté démocratique et un Parlement qui est un simulacre de démocratie. Les partis politiques français semblent d'accord avec vous...

Voter aux européennes, c'est vraiment dur.

J'ignore si c'est la même chose partout ailleurs en Europe, mais je l'imagine bien.

En attendant on va vers 25% au FN et à l'UMP, 15 à 20% au PS, 10 à 12% au Centre et aux Verts, 8 à 10% à l'extrême gauche etc. La liste des 77 élus risque d'être assez comique et son poids dans l'assemblée spécialement fort. Jean marie Le Pen et Marine y seront. La politique en famille, il n'y a que cela de vrai. Peut-être Dupont Aignan. Avec Mmes Pervenche Béresche, Rachida Dati et Nadine Morano, pour égayer le perchoir. La voix de la France ne manquera pas d'être entendue de façon positive et crédible.

Nous avons déjà un Président quasi débile, un gouvernement d'incapables, un Parlement national d'excités. Nous bouclons la boucle au Parlement européen.

La France rayonne.
# Posté par Micromegas | 25/04/14 11:29
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