Sus aux « contractionnistes » !

Ceux qui s’intéressent un peu à l’histoire économique contemporaine (ils sont très peu nombreux, surtout dans les sphères décisionnaires) se rappellent qu’en juillet 1944,  parmi les délégations présentes à la conférence de Bretton-Woods pour fixer le cadre d’un retour à la prospérité générale, la fureur s’employait contre les « contractionnistes ». Le  « contractionnisme », tel était l’ennemi.   Il imposait des restrictions aux échanges, une déflation plus ou moins sévère, des manipulations de changes, dans un esprit de sauve-qui-peut général. Donc non ! Vraiment non !

La guerre de 1914 ayant marginalisé les étalons monétaires métalliques au profit d’une monnaie de papier imprimable sans limite, le commerce international était à la merci de tous les excès, de tous les malthusianismes, de tous les à-coups nationalistes dans le domaine des monnaies. Avec comme conséquence une crise générale et durable.

Du temps de l’étalon-or, l’or restait stable et les prix locaux étaient tenus de s’ajuster, éventuellement à la baisse.  Les déflations liées à ce système étaient violentes et provoquaient des récessions sévères, en général accompagnées de mouvements de révolte populaire. La croissance globale était de ce fait assez faible : environ 1% l’an sur l’ensemble du XIXème siècle. Bien sûr, les banquiers, notamment à Londres, s’empressaient pour limiter la casse. Des opérations en capitaux permettaient de limiter les besoins d’ajustement par la déflation. 

Certains ont cru après la guerre de 14-18 qu’on pouvait d’une-part revenir à l’étalon or et d’autre-part, le faire par la baisse des prix. Sauf que la création monétaire et les dettes avaient été tellement fortes et les déséquilibres poussés à tel point, que ces politiques n’aboutirent à rien sinon à la crise de 1929. 

Keynes et sa Théorie Générale signèrent un changement de vision. Puisqu’on en était maintenant arrivé à un système généralisé de « fiat money » (c'est-à-dire une monnaie qu’on pouvait multiplier à l’infini pratiquement sans frais), tenter de rétablir sa compétitivité par la déflation était contre-productif. Il fallait inventer autre chose et surtout faire la chasse aux « contractionnistes » qui amputaient la « demande globale » et provoquaient une spirale de dépression. 

Les Accords de Bretton Woods signèrent la victoire de ces idées, même si le plan White l’emporta sur le plan Keynes. L’idée de Keynes étaient de créer une véritable banque mondiale qui, manipulant une monnaie elle-mêmemondiale, le Bancor,  spécifique et réservée à la compensation inter-états, permettrait d’éviter qu’un pays en manque de devises soit obligé, pour rétablir ses comptes extérieurs, de se lancer dans des restrictions qui pousseraient tout le monde dans la crise. Un tel système n’était viable que s’il n’y avait pas de trop grands excédents et de trop grands déficits et si les monnaies nationales restaient en ligne avec la monnaie mondiale, réévaluations et dévaluations restant possibles mais dans des limites raisonnables et avec l’accord de tous. L’or était, dans ce système, totalement démonétisé (une obsession de Keynes). Un organisme supranational se chargerait de vérifier que l’aide ne tourne pas à la licence.  L’idée de White était de créer un « fonds » où la monnaie internationale serait l’Unitas, bientôt remplacé par le dollar, aussi solide que l’or. Les possibilités de création monétaire par le fonds seraient réduites.  L’or continuerait à jouer un rôle. Mais les règles du jeu seraient les mêmes : pas de déficits ou d’excédents majeurs ; monnaies stables dont la valeur externe serait de la responsabilité des Etats ; changements de parités possibles mais dans certaines limites, avec l’accord de tous et un gendarme évitant les abus.

Ce système a tenu jusqu’en 1971 et accompagné les « Trente Glorieuses ». Les contractionnistes avaient perdu et les expansionnistes gagné.

Il a explosé en 1971 du fait que l’imperium américain a décidé de s’affranchir de ses responsabilités monétaires particulières. La dissymétrie du système de Bretton-Woods était son défaut majeur. La multilatéralité entre égaux  était la vraie solution, comme Keynes l’avait vu. La monnaie d’un Etat ne doit pas être la monnaie du monde.

L’explosion de 1971 a eu deux conséquences organisationnelles en apparence totalement opposées et en vérité quasi similaires dans leurs effets néfastes.

Le monde est passé aux changes flottants, c'est-à-dire à un étalon dollar flottant sans plus aucune organisation des soldes de balances de paiements. Chacun faisait ce qu’il voulait et on verrait bien ce que les « marchés » diraient. Pour cela il fallait des marchés. Alors on a libéré totalement les mouvements de capitaux à court terme. On obtint un retournement de la courbe de l’endettement global qui, à 400% du PIB en 44 était repassée sous les 200% en 1971 et qui montera à nouveau à 400% en 2006 provoquant la crise que l’on sait. L’Allemagne, le Japon, la Chine furent autorisés à accumuler des excédents démentiels, source de replacements et de création monétaire globale. L’économie baudruche était née, avec ses explosions périodiques et le retour des « contractionnistes » pour y faire face, comme en 1929.  

L’Europe elle, qui voulait mieux solidariser ses monnaies dans le cadre de l’UEM décidée en 1969, fut abasourdie par le passage aux changes flottants. D’expériences malheureuses en expériences malheureuses, elle se décida pour une monnaie plurinationale unique, l’Euro.  Mais les traités ne précisèrent en rien les obligations des Etats membres en termes de balance des paiements intra européenne. Le seul moyen pour ajuster les économies déficitaires restait la récession et la déflation. On pensait qu’il suffirait de libérer totalement les mouvements de marchandises, de capitaux et de personnes, pour que les ajustements se fassent spontanément. Douce illusion !

Tenants des changes flottants et de la monnaie unique s’accordaient pour que la liberté totale des mouvements de capitaux, de personnes et de marchandises soient le ferment des ajustements. Que les défaillants se débrouillent et se remettent dans le jeu par la contraction de leur économie.

Les Contractionnistes ont donc gagné dans chacun des deux systèmes.

Ce qui est un contresens historique et une honte, une erreur intellectuelle et morale.

Dans les pays où contractionnisme et socialisme se sont mêlés, comme en France, la situation est devenue inextricable. L’économie a été mangée de l’intérieur par la démagogie redistributive et se retrouve déficitaire vis-à-vis de l’extérieur avec des effets dépressionnaires permanents. Revenir à la prospérité dans de telles conditions est quasiment impossible. 

La seule issue est d’obtenir la réforme des deux organisations internationales défaillantes :

-          Dans le cadre global, retour aux changes fixes et ajustables par consensus, ainsi qu’à la responsabilité des états vis-à-vis de la valeur externe de leur monnaie et de leurs excédents et déficits,.

-          Mise en place d’un mécanisme de compensation des excédents et des déficits, piloté par un « chancelier de la zone euro », au sein de l’Eurozone, avec prévention des désajustements et pilotage globalement expansionniste des retours à l’équilibre.

Alors et alors seulement sera-t-il possible de sortir sans trop de casse la France de l’impasse où elle s’est fourrée, en partie toute seule et en partie parce qu’elle y a été conduite par des systèmes extérieurs dangereux.

Idéologie socialiste résiduelle, tradition judéo chrétienne de charité et énarchie compassionnelle sont des attitudes pleines de bons sentiments. Mais elles  se sont lié à la démagogie électorale pour pousser au-delà du raisonnable la dépense publique et elles ont fini par stériliser les ressources productives vitales de la France. Manger et boire sont les moyens de la vie mais on creuse sa tombe avec ses dents et l’excès de boissons mène à la déchéance. La France doit entrer en cure de désintoxication.  Il faut déconstruire en douceur un système de transferts  excessifs, et réduire les abus de subventions et d’allocations qui ruinent la France, pour reconstruire un outil de production efficace. En Europe et dans le monde, il importe de rendre possible des systèmes monétaires compatibles avec des ajustements non «contractionnistes».

Une action qui demande, en interne, à la fois du doigté dans le dosage des redéploiements de ressources afin que les ajustements se produisent sans drame social, et, à l’extérieur une compétence, un sens diplomatique et une force de conviction peu commune.  

Voilà ce que serait un vrai programme économique et social présidentiel, si, un jour, nous consentons à élire des présidents dignes de ce nom et si les partis renoncent à penser qu’en créant un « marais » de micro factions à l’Assemblée nationale par la proportionnelle, on aboutirait mieux aux « compromis » nécessaires. Une politique réussie n’a pas besoin de compromis. Le consensus ne viendra que beaucoup plus tard quand la réussite sera là. Le pavois présidentiel ne doit pas être le but ultime du narcissisme politique de médiocres astucieux, mais le lieu où s’impulse les actions déterminantes pour l’avenir du pays, en s’appuyant sur l’accord de fond des Français et la réflexion des élus. Il ne faut pas parler de rupture radicale mais de guérison progressive. Desserrer les baillons règlementaires et fiscaux en redéployant mieux les ressources rares générées par les Français, n’est pas un acte de casse sociale mais d’oxygénation et de sauvetage de notre modèle social. Empêcher les inondations n’interdit pas d’irriguer : c’est même la condition de l’irrigation.

Pour réussir un tel projet économique, le prochain président idéal devrait être, en même temps, un leader affirmé, capable de fixer le cap que nous venons d’esquisser, un chef d’orchestre attentif, capable de mener à l’unisson une équipe convaincue,  et une personnalité d’une influence suffisante pour infléchir la politique européenne et internationale dans un sens positif.  

On imagine bien que les candidats-nains  s’accorderont pour exclure l’économie des thèmes fondamentaux de la campagne présidentielle. Les candidats nécessaires s’élèveront à la hauteur des enjeux économiques.

Utinam…

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile

Commentaire
DvD's Gravatar Au niveau mondial, les déséquilibres de balances courantes et la création monétaire associée est la principale force poussant simultanément à la contraction de l'économie réelle et au gonflement de la dette et de la bulle des valeurs d'actifs.

Cette divergence entre ralentissement de la production et exubérance financière ne peut que conduire à une impasse, comme en 2008-2009. Il n'y a pas d'autres possibilités.

Or, depuis 2008, cette contradiction n'a nullement été résolue. La baisse et le maintien des taux d'intérêt à 0% (voire parfois à des valeurs négatives) dans tous les pays développés du monde a simplement permis à cette contradiction de perdurer en permettant au système économique mondial de continuer à s'endetter encore un peu plus, la plus forte hausse de l'endettement se constatant cette fois dans les pays en développement, au premier rang desquels la Chine.

Non seulement cette contradiction n'a pas été résolue mais le résultat des politiques économiques poursuivies depuis 2008 a en fait été d'empêcher le rééquilibrage nécessaire des balances courantes. En effet, le pays avec une offre supérieure à sa demande (la Chine) a stimulé son économie par un plan d'investissement gigantesque financé par endettement et destiné à accroître encore ses capacités de production, c'est à dire son offre. Le pays avec une demande supérieure à à son offre (les Etats-Unis) a stimulé son économie en soutenant la demande via le fameux "effet richesse" qui avait pourtant déjà échoué en 2000-2001 et 2008-2009. Nous voici donc quelques années plus tard et les pays développés n'ont aucunement réduit leur dette tandis que les pays en développement - et en particulier la Chine - ont maintenant saturé à leur tour leur capacité d'endettement. Pour dégager les ressources nécessaires au service de cette dette excessive, la Chine s'efforce donc non seulement de maintenir ses faramineux excédents extérieurs mais de les accroître encore. C'est le sens de la dépréciation continue de la devise Chinoise depuis 2 ans face au $ et depuis 9 mois face à l'Euro. La Chine cherche à reporter le poids d'une partie de sa dette excédentaire sur ses "partenaires" commerciaux ... qui croulent eux mêmes sous le poids d'une dette excédentaire !
La situation de 2008 a ainsi été aggravée, les pays en développement rejoignant les pays développés dans le club des pays sur-endettés, compliquant encore davantage toute possibilité de résolution coopérative et ordonnée du problème.

Le résultat, bien visible depuis maintenant 9 mois : une montée du risque de crédit et une contraction du cycle du crédit mondial. C'est dangereux car la contraction financière qui commence va se répercuter sur l'activité économique déjà atone, et ce dans un nombre de pays plus important qu'en 2008 incluant désormais la Chine ainsi que tous les pays exportateurs de matières premières. On ne peut donc écarter le risque que la crise de 2008-2009 n'ait été qu'un avant goût, une sorte de crise de 1920-1921, avant la vraie crise de type 1929. La fuite du capital flottant mondial vers le $ et les Etats-Unis au moment où la banque centrale US tente de normaliser ses taux d'intérêt ressemble d'ailleurs étrangement à la situation de 1928.

Sur le plan politique, la perte de crédibilité des dirigeants, la montée des protestations, des tensions sociales, communautaires, raciales, religieuses, la montée de la violence, la montée des nationalismes et des régionalismes, la montée des tensions géopolitiques et militaires est déjà bien visible et devrait s'aggraver avec le ralentissement économique enclenché.

Partout, la carence des responsables est patente. L'absence de nouvelles idées aussi. L'entêtement dans les idées qui ont constamment échoué ces dernières décennies est consternant. Face aux échecs répétés, il tourne de plus en plus à la crispation autoritaire. La crise du leadership politique et intellectuel est total. En France, comme ailleurs, après les "40 calamiteuses" depuis 1974, la réflexion économique reste au niveau zéro et on rabâche inlassablement les mêmes poncifs creux tant de fois démentis par les faits et qui ont déjà tant desservi la prospérité et la concorde sociale. Dans le domaine économique, qui aujourd'hui va fournir le cadre pour repenser le système monétaire et commercial international dysfonctionnel, comme Keynes l'avait fait dans les années 1930 et Friedman dans les années 1960 ? Le moins qu'on puisse dire est qu'il n'y a pas foule ! Il faut remercier Monsieur Dufau pour être un des rares à s'y essayer en France.
# Posté par DvD | 06/01/16 00:15
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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