Christine Lagarde doit-elle être reconduite à la tête du FMI ?

Lorsqu'on évoque les questions de personnes au sein de grandes institutions, elles n'ont d'intérêt que dans la mesure où elles sont liées à des questions d'organisation et de conception.

Le renouvellement du poste de directeur général du FMI conduit à s'interroger sur l'institution elle-même.

Le fonds a été créé pour associer de façon organique les nations alliées dans le cadre coopératif des changes fixes et ajustables. Ce système impose aux Etats de faire attention à la valeur externe de leur monnaie et propose aux états en risque de sortie du commerce international des moyens d'y rentrer sans entraîner les autres pays dans la récession.

En un mot, les Accords de Bretton Woods associaient commerce international et monnaie, dans une optique coopérative et multilatérale de prévention des désajustements et de non-régression si un accident quelconque venait à en provoquer un. On ne voulait pas revoir la situation d'avant-guerre marquée par des dévaluations sauvages et massives, des barrières douanières, et une attitude constamment cauteleuse, sur fond de spéculation financière internationale échevelée.

Le vice constitutif des Accords de Bretton Woods était d'avoir fait du dollar le pivot du système des paiements, tout en donnant aux Etats Unis des privilèges exorbitants, comme celui du droit de veto au sein du FMI, en plus de localiser le siège du FMI à Washington. Les Etats-Unis ne pouvaient plus dévaluer par rapport à l'or. Il fallait qu'ils aient une politique très sage de maintien de la valeur du dollar par rapport à l'or. Le Benign neglect c'est-à-dire la négligence offensive et offensante l'a emporté et avec lui les Accords.

Il eut été plus sage de fixer une valeur étalon extérieure à toute nation, afin que tous les membres soient réellement à égalité et qu'aucun pays puisse payer ses déficits externes avec sa propre monnaie. De même, les délégués auraient été bien inspirés de mettre en place un système de pénalités en cas d'accumulation d'excédents majeurs de balance des paiements, comme il avait été suggéré par plusieurs économistes dont Keynes.

Nous eûmes les "Trente glorieuses" jusqu'en 1973. Puis une économie baudruche, où le taux de dettes global a grimpé continûment, où le taux de croissance a constamment fléchi, décennie après décennie et où les crises décennales sont devenues de plus en plus fortes, jusqu'à l'explosion finale.

Normal puisqu'on avait créé un non-système monétaire international basé sur le n'importe quoi et le sauve-qui-peut. Quand chacun fait ce qu'il veut quand il veut et que le meilleur gagne, il faut s'attendre à tout. L'important pour les promoteurs du non-système des changes flottants était de laisser les marchés faire le travail et fixer le cours des devises. Pour cela il fallait faire tomber toutes les barrières à la circulation des capitaux. Ce qu'on fit. Avec les résultats que l'on voit.

Une anecdote peu connue : les délégués à Bretton Woods furent sommés de libérer leur chambre d'hôtel extrêmement vite pour laisser la place à… une conférence de banquiers New Yorkais bien décidés à torpiller les Accords ! Ces banquiers avaient gagné beaucoup d'argent avant guerre en finançant les Etats. Ils craignaient de voir disparaître un pan lucratif de leurs activités si le fonds assurait la plus large partie des financements d'urgence. Ils manquèrent leur coup.

Après 1971, le bon business revînt au galop, dont le symbole est sans doute le financement de la Grèce pour diverses tricheries par Goldman Sachs autour de l'an 2000.

Dans un système où les grandes banques américaines, pour l'essentiel, ont pour objet avec quelques banques amies hors des Etats-Unis, de fixer les différents marchés, avec l'aide des banques centrales, le FMI n'a plus de rôle.

Il était convenu dès la création de l'Euro que le FMI n'avait à s'occuper ni des Etats-Unis, ni de l'Europe développée.

Dès la fin des années soixante-dix, on considérait que le FMI était une espèce de Banque mondiale au petit pied chargée d'aider les pays du tiers-monde. Il y fallait un Directeur général façon Sœur Thérésa. On eût Jacques de Larosière puis Michel Camdessus. Même cette évolution christique finit par s'étioler. On choisit des personnalités en attente de postes suprêmes dans leurs pays d'origine. Hans Kohler réussit. Rodrigo Rato et DSK échouèrent. De toute façon le poste n'avait strictement aucune importance et les statuts du FMI étaient violés tous les jours dans l'indifférence générale. Rappelons tout de même que ces statuts prévoient que les Etats membres s'engagent à n'avoir ni déficits ni excédents démesurés. Rions ensemble mes bien chers frères !

Un misogyne comme Eric Zemmour aurait pu écrire : comme le poste n'avait plus d'importance, pourquoi ne pas nommer une femme ? Christine Lagarde sera nommée parce que femme, française, parlant anglais et portant beau, sans jamais faire de l'ombre au maître américain. Un concentré de soumission et d'insignifiance, propre à rassurer tout le monde.

Le FMI sous sa férule, façon belle photo sur papier glacé, n'aura aucune idée, aucun diagnostic et aucune proposition pour réformer un merveilleux système qui avait explosé apparemment sans raison digne d'être exposé. Ludion commode et docile elle accompagnera les demandes des uns et des autres sans rechigner. Qu'elle le veuille ou non Christine Lagarde symbolise la forme de néant intellectuel que l'on reproche à des élites vues comme uniquement intéressées par leur carrière personnelle et par l'or versé indéfiniment aux heureux bénéficiaires des postes de direction des "machins" publics. Pour disposer en net et à vie des sommes dont bénéficie le directeur général du FMI, il faudrait actuellement qu'il ait accumulé dans le privé une fortune de près de 2 milliards d'euros après impôts, ce qui suppose qu'il aurait créé près de 5 milliards d'Euros de valeur dans sa vie.

Cela rend tout à fait charmant les exigences du FMI en matière d'augmentation fiscale pour les pauvres en Grèce. Jamais n'aura-t-on entendu un Directeur général du FMI proposer de payer des impôts normaux ! Faites ce que je vous dis et pas ce que je fais !

Personnellement nous sommes en faveur de l'idée que la France ait une "diplomatie de la prospérité". Les nominations aux postes de direction des grands organismes internationaux doivent entrer dans cette diplomatie. Le FMI doit être utilisé comme base de réflexion sur les défauts du système et moteur pour forger un nouveau consensus. Le sexe du candidat et ses dons en anglais ne sont pas des critères. L'important est la politique que l'on veut impulser.

Alors faut-il renouveler Mme Lagarde dans son poste ? Elle n'y postule qu'après avoir vérifié que ses chances présidentielles sont nulles en France. Elle n'a strictement aucun programme et n'a aucune consigne de la part du gouvernement français. Donc elle ne servira à rien tout en s'ajustant servilement à la politique américaine qui soutient un système désastreux. Hollande est content de ne pas avoir à affronter une femme qui a un peu de classe. Il n'a aucune politique internationale économique. Qu'elle reste à Washington ! Les Américains sont contents de sa gracieuse soumission et de son manque absolu d'initiative. Seule l'envie de lucre de quelques gros pardessus de la politique financière internationale peut la déboulonner.

Le FMI restera ce qu'il est depuis 71 : une administration tenace qui survit à la disparition de son rôle.

Alors pourquoi pas à nouveau Lagarde. Cela n'a strictement aucune importance, sinon pour son portefeuille. Et elle est française. Cocorico !

Commentaire
Azby's Gravatar Vous semblez très frustré de ne jouer aucun rôle en économie et en politique...
# Posté par Azby | 24/01/16 12:10
DvD's Gravatar Christine Lagarde est une intermittente du spectacle fort douée (et donc fort bien rémunérée). Son meilleur rôle est sans conteste celui de Madame Adélaïde de Bonnefamille dans "Les Aristocrates au FMI"...

Son texte - qu'elle déclame magnifiquement - ne mentionne en aucune façon la succession ininterrompue d'euphorie financière et de credit crunch, tel que celui qui vient de commencer du fait des $2500 milliards de dette à risque du secteur pétrolier mondial (http://www.bis.org/publ/qtrpdf/r_qt1503f.htm) après que le secteur ait investi massivement à credit en 2010-2014, trompé par un prix du baril totalement faussé par une création monétaire exubérante ($6000 milliards de QE sur la période) et le recyclage des énormes excédents chinois. Évidemment, $2500 milliards de crédits pourris pour $5900 milliards de fonds propres pour le système bancaire mondial signifie que le système financier mondial est à nouveau en faillite. Mais, quel rapport avec le FMI et le teint délicieusement hâlé de Madame Lagarde ? Sa présence à Washington ne fait-elle pas des merveilles pour les exportations françaises de foulards et sacs à main de luxe ?
# Posté par DvD | 24/01/16 13:57
DD's Gravatar Pour ceux que l'histoire économique amuse, il faut savoir que la taille du FMI, la localisation de son siège et la rémunération de ses équipes dirigeantes ont fait l'objet de discussion extrêmement violentes à Savannah, juste après la guerre. Une fois de plus Keynes aura le dessous. Il voulait une institution légère avec des mécanismes simples et pratiquement automatiques, située certes aux Etats-Unis mais à New-York, avec des administrateurs à temps partiel rémunérés de façon complémentaire.

Vinson, le responsable américain qui avait pris la main sur ces questions, voulait une administration lourde, avec des dirigeants très bien payés, travaillant à plein temps et située à Washington. Il avait repris entièrement les thèses de White, bien qu'il ait marginalisé ce dernier, sous enquête pour espionnage au profit des soviétiques.

On voit bien comme les erreurs de départ pèsent dans la suite.

Le poste de Directeur est désormais réservé à des politiques, même n'ayant aucune réelles connaissances économiques, comme Madame Lagarde, qui trouvent là un poste "prestigieux" très bien rémunéré et qui leur permet de briguer d'autres postes politiques. Le vrai directeur est l'adjoint du directeur, en général un universitaire américain politiquement correct qui est l'oeil du gouvernement de Washington. Il n'a pas loin à aller pour prendre ses ordres. Aujourd'hui, cet homme est David Lipton. Il bloque toute analyse des défauts d'un système que les Etats-Unis trouvent favorables à son pays. Le poste d'économiste en chef est affecté à un professeur d'université américaine dans le lit idéologique du pouvoir américain. Les deux derniers titulaires ont des profils parfaitement explicites. On ne peut pas plus conformistes.

Les changes flottants ont de toute façon vu la revanche des banques de New-York qui dominent la finance mondiale et qui ont de puissants lobbyists à Washington, à l'ombre du Congrès. Le FMI n'a plus de rôle organique. Mais la bureaucratie est toujours là, à peine réduite. Plus aucun souffle intellectuel n'est perceptible dans les allées du FMI. On ne fait que commenter la conjoncture en se trompant allègrementà tous les coups.

En attendant le pouvoir a largement migré vers les banques centrales, devenues faussement indépendantes, qui ont conservé leur petit FMI à elles, la Banque des Règlements Internationaux (au passage bien plus lucide que le FMi ces dernières années). On sait bien que les banques centrales sont comme les psychanalystes. Elles ne peuvent soigner que les maladies qu'elles ont elles même créées. On voit bien qu'elles ne savent pas comment faire pour réarmer la croissance. Elles aussi sont totalement prisonnières de leur bureaucratie et de l'idéologie qui leur a donné tant de pouvoirs vains. Même leur objectif de niveau d'inflation est hors de leur portée dans le système qu'elles ont voulu mettre en place, où les grandes banques fixent presque tout particulièrement les taux de changes et les taux d'intérêt, tout en ne survivant que grâce aux dons gratuits des banques centrales et aux législations protectrices de États contre les "foucades" de leurs clients devenus captifs.

Après les drames de l'entre deux guerres, tout le monde avait compris qu'il fallait tenir les banques en laisse, que les banques centrales devaient devenir nationales, c'est à dire au service des États, et que les relations internationales devaient être dominées par la volonté des États de coopérer en tenant un minimum la valeur relative de leur monnaie. Nous eûmes les trente glorieuses.

Aujourd'hui il reste des bureaucraties stériles, avec des dirigeants surpayés, à la botte du grand maître, lui même dans la dépendance d'un Congrès démagogique. L'esprit de coopération a totalement disparu. Et tous les problèmes de l'entre deux guerres sont revenus.

Les économistes qui veulent faire carrière doivent se couler dans le moule. Vive les changes flottants ; vive les États-Unis ; vive la crise. Et alors les gras prébendes tombent.

La crise, elle, perdure et aucun explication officielle n'en est donné. Comme si le diagnostic était un machin radioactif qui pourrait faire du tort à tout le monde.

Le communisme c'était "les soviets plus l'électricité" et pendant 75 ans il a fallu s'extasier devant un système économiquement inepte et humainement désastreux. Il faudrait maintenant s'extasier sur les changes flottants plus des organismes morts qui se survivent à eux mêmes dans la bouffonnerie intellectuelle et l'argent facile, alors que la crise est là désastreuse, toujours renouvelée, sans issue apparente dans le cadre existant et jamais expliquées par des dirigeants qui révèrent les idées qui ont provoqué la catastrophe.

On n'est pas obligé d'être d'accord. Surtout quand on n'a rien à ambitionner et plus de carrière à construire.

Si on veut avoir une bonne idée du n'importe quoi qui règne en maître, il suffit de penser à Davos, les discussions bidons toujours à côté de la plaque qui s'y tiennent (il suffit pour le vérifier d'étudier les minutes de la réunion de l'hiver 2008, juste avant l'effondrement) et aux photos sur papier glacé prise de Mme Lagarde dans cette assemblée fantoche ces derniers jours.

Walt Disney et la Reine des neiges, économiquement, c'est plus crédible.
# Posté par DD | 25/01/16 12:02
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