Programme économique présidentiel et méthode associée

Pour justifier son départ de la filiale Réseau de la SNCF, son ancien dirigeant a déclaré propos du redressement de comptes affreusement dégradés : « Pour y parvenir, il faut 5 à 10 ans, Il faut que le président ait la visibilité nécessaire. Ce sont de lourds défis et d'une grande complexité ».

Il ne l'avait pas. Il est parti. Il a eu parfaitement raison.

Il est évident que plus les défis sont lourds et les défauts indurés, plus il faut mettre le temps avec soi pour surmonter les difficultés.

Les défis économiques qui attendent le prochain Président de la République Française sont de cette nature : une action dans la durée pour éliminer une à une les causes internes et externes des difficultés anciennes et parer leurs conséquences, tout en construisant une nation plus prospère et plus solide et en tentant de faire face aux coups de butoir venant de l'intérieur ou de l'extérieur qui ne manqueront pas de survenir.

Comme nous ne cessons de le dire, l'arrivée par vagues successives de grandes secousses économiques dues aux défauts du système monétaire international est notre plus grand défi. La position du gouverneur de la banque centrale indienne qui appelle ces derniers temps "à une forme de nouveau Bretton Woods", n'est pas différente de celle de Jacques de Larosière et de nombreux hauts fonctionnaires internationaux. La situation actuelle, imposée par les Etats-Unis, ne peut pas durer. La pression pour la réorganisation des relations économiques et financières mondiales va constamment monter. La stagnation actuelle ne peut pas durer éternellement et on voit bien que les Banques centrales seules n'y peuvent pas grand-chose. Il faut donc avoir un discours sur ce sujet et se préparer à une diplomatie longue et difficile, partiellement conflictuelle.

Le second défi est d'éliminer l'exception bureaucratique et fiscale française qui est la cause proprement nationale de nos difficultés. Là encore, seule une politique de longue haleine permettra de mener à bien des réformes peu amènes mais indispensables.

Nous ne sommes pas contre le fait que le cadre de ces réformes fasse l'objet d'une implémentation rapide en profitant de l'élan de l'élection. Mais penser que la politique de changement n'aura d'efficacité que dans les 100 premiers jours est la manifestation du "syndrome Guéna" que nous avons rappelé dans un billet précédent et qui nous paraît ridicule.

J. Attali va plus loin encore en expliquant que le nouveau président devra plus qu'aucun autre penser au long terme "sans se préoccuper de sa popularité et encore moins d'une éventuelle réélection". Ce côté sacrificiel est une posture, car elle manque totalement de réalisme. Elle suppose qu'une potion radicale a effet hyperrapide puisse être avalée par le pays avec suicide programmé du dirigeant qui l'a prescrite. C'est le syndrome Schroeder. On peut avoir une vision nettement plus calme.

Bien sûr il faut condamner les plans politiciens, façon Sarkozy ou Hollande, où tout le planning est construit exclusivement en fonction de la réélection et basé sur la "communication", "les éléments de langage" et l'analyse fiévreuse des sondages. Les stratégies exclusives de réélection sont condamnables, encore qu'on voit mal, les intérêts en jeu étant ce qu'ils sont, comment un homme politique, embarqué avec de grosses équipes, puisse s'en désintéresser totalement. L'important est de comprendre que la politique ne peut pas, dans la situation actuelle de la France, être un enchaînement d'opérations ciblées pour satisfaire des clientèles.

Il faut être clair sur l'intérêt général. Le faire comprendre n'est pas sans impact électoral. On n'est pas obligé d'être médiocre jusqu'à l'abjection.

Nous ne saurions trop conseiller de s'écarter du jeu qui consiste à dire : on va donner une raclée aux forces qui nous gênent dès qu'on sera arrivé au pouvoir et, ensuite, on gère les affaires courantes. Le but n'est pas de donner une raclée à qui que ce soit. Sinon on risque de ne pas être élu. Et si on l'est, c’est au moment de la réélection que le petit malin se verra pris à son propre jeu : il ne peut proposer que de continuer à gérer les affaires courantes. Si Sarkozy s'est retrouvé totalement éteint lors du débat de second tour de 2012, c'est parce qu'il n'avait plus rien à proposer. Ce serait le cas de Hollande s'il se représentait.

Il ne faut écouter ni les leçons d'outre-tombe d'Yves Guéna, ni les mauvais conseils d'Attali qui a copié la démarche dans un livre récent.

Bien sûr il faut agir par réforme constitutionnelle, référendum et ordonnances dans la foulée de l'élection, mais le but sera de fixer le cadre général d'une action qui devra se déployer dans la durée.

La réforme constitutionnelle doit avoir les buts suivants :

- Revenir sur des principes qui s'avèrent dangereux et qui ont été mis à tort dans la constitution, comme le principe de précaution ou l'indépendance totale des décisions des régions. Les décisions des régions entrent dans le champ de la politique nationale. La compétence universelle doit être supprimée. La compétence des régions s'exerce dans le cadre global de la procédure budgétaire nationale. Des normes peuvent être fixées nationalement pour éviter les taux d'imposition délirants, ou les recrutements excessifs.

- Fixer quelques normes fondamentales comme l'interdiction de se présenter à une élection qui fixe sa propre rémunération, l'impossibilité de cumuler plusieurs rémunérations de l'Etat, ou l'égalité de principe des régimes de sociaux, sans régimes séparés pour la fonction publique. De même, il doit être clair que des sanctions précises doivent frapper certains comportements des dirigeants de l'Etat, comme la félonie, atteinte exagérée aux droits fondamentaux d'un groupe de citoyens (exemple : taxer à 100 % et plus les revenus d'un citoyen en temps de paix), la forfaiture redéfinie comme la tentative d'utiliser les moyens délégués par la République pour viser des objectifs personnels ou de groupe, contraires aux intentions du législateur (par exemple le "justicialisme", dans le cas des juges), les restrictions au séjour, à l'accès à la nationalité, voire la déchéance de la nationalité, pour certains membres militants de communautés venues de l'étranger et installées récemment, en cas de comportements collectifs systématiques, importés de l'étranger et incompatibles avec le maintien des principes fondateurs de la communauté nationale.

- Redéfinir le nombre des députés et des sénateurs ; supprimer le Conseil Économique et Social et redessiner la carte des régions tout en supprimant les départements. Les attributions doivent être clarifiées. Le référendum doit pouvoir couvrir plus de thèmes qu'aujourd'hui.

- Rétablir le monopole du Conseil Constitutionnel dans l'interprétation des droits constitutionnels fondamentaux. Les traités ne doivent plus créer pas un droit supérieur à la volonté nationale. Le gouvernement de juges nommés dans des cours internationales doit cesser.

Il faut naturellement prendre immédiatement par ordonnance des lois d'organisation générale.

- Les ordonnances sur l'organisation de l'Etat doivent supprimer les statuts de niveau inférieur à la catégorie A, limiter les détachements et les mises à disposition, réformer le système de retraite (le niveau de la retraite devient indexer sur les droits acquis dans l'exercice d'une fonction et non par l'existence d'un statut) et empêcher la création d'associations dirigées par les fonctionnaires eux-mêmes ou leur parentèle pour s'octroyer des bénéfices en fraude des limitations légales. De même le contrôle de résultat (et pas seulement de légalité) des missions publiques ne doit pas être confié à l'administration mais à des audits extérieurs pouvant être commandés par l'exécutif ou le Parlement, dont les moyens d'investigation doivent être élargis et les moyens de saupoudrage d'argent limités. Il faut que le nombre des corps soit drastiquement réduit. Il en existe sans raison plusieurs centaines, lorsqu'il en faudrait moins d'une dizaine avec la possibilité de passage d'un silo administratif à l'autre sans difficulté. Pensons qu'un fonctionnaire du Sénat ou de l'Assemblée ne peut pas sortir de sa niche. Jamais ! On se retrouve avec deux armées mexicaines en sureffectif, surpayées, et sclérosées.

- Les règles du jeu syndical doivent être également refixées par une ordonnance précise, avec remise en cause partielle du paritarisme et encadrement strict du droit de grève (une grève ne doit avoir qu'un objet propre à l'entreprise et proportionné à ses ressources, sans remettre en cause un service public ou un intérêt national, et tout blocage externe ou interne doit être durement sanctionné). Il est à noter que ces règles élémentaires sont la règle générale de tous les pays démocratiques ou presque.

- Les cadres de la procédure budgétaire doivent être également totalement revus, aussi bien pour l'Etat que les régions et même les municipalités. La dépense doit être votée dans la continuité de l'évolution de l'économie d'une année sur l'autre, toute augmentation devant être gagée non pas sur une prévision mais sur un accroissement acquis du PIB l'année précédente. Les dérogations ne peuvent être votées qu'à une super-majorité ou par référendum. Pour les municipalités les demandes d'exception doivent être traitées par une commission spécialisée du conseil régional ; pour les régions par une commission spécialisée du Parlement national.

On le voit, ces réformes peuvent et doivent intervenir immédiatement, si elles ont été rédigées préalablement et présentées aux Français sans ambiguïté lors de la campagne, avec un lien très précis entre les mesures proposées et des abus constatés dans le passé immédiat. Il s'agit bien d'arrêter des dérives intenables dans l'état général du pays.

Elles fixent un cadre mais laisse un champ considérable à l'action quotidienne et aux grandes réformes qui demandent du temps et qui doivent être négociées dans la durée.

- Fiscalité du capital et recréation d'un milieu favorable à l'entreprenariat. Réduction drastique de la dépense publique. Gestion rigoureuse de la dette.

- Unification des allocations sociales et clarification des critères et des durées

- Réduction du champ de l'action publique (exemple : repasser au privé le soin des artistes non confirmés en supprimant les Frac ; supprimer le monopole de l'Insee dans la production des statistiques et leur interprétation ; restrictions des possibilités de concurrence du secteur privé par des agences publiques ou des organisations gouvernementales comme les DDE ; et mille autres réformes du même type).

C'est surtout en matière de "diplomatie de la prospérité" envers la zone Euro, l'Union européenne et le système monétaire international qu'il faut une action de longue durée. Des résultats immédiats sont ou impossibles ou possibles au prix de drames inutiles.

L'important, c'est de constamment préciser aux Français la cible à atteindre et la société que l'on veut créer.

Il faudra au moins vingt ans pour que la dette qui entrave l'économie soit éliminée, dix ans pour obtenir un nouvel ordre monétaire mondial satisfaisant, cinq ans pour créer un poste de chancelier de la zone euro, chargé de la coopération des politiques nationales. Mais il faudra moins de cinq ans pour rattraper une bonne partie le retard économique français, si on agit vite et fort.

Et on pourra alors convaincre le pays de l'importance de continuer dans la voie de la prospérité.

Le meilleur calcul politicien est d'envisager dans la durée une grande politique économique et sociale nationale, et une vraie diplomatie économique internationale.

Commentaire
Micromegas's Gravatar Vaste programme, comme dirait le Général de Gaulle. Vous voyez qui, avec des épaules assez larges pour faire une pareille révolution ?
# Posté par Micromegas | 06/06/16 09:22
DD's Gravatar Beaucoup de commentateurs parlent uniquement de méthode, comme si les nécessités étaient "évidentes", la première étant présentée comme celle de "s'adapter à un monde qui change". La situation de la France est généralement vue comme une situation bloquée qui exigerait un lavage mental des citoyens associé à une recomposition politique permettant à la gauche de la droite et à la droite de la gauche de s'unir "pour faire les réformes nécessaires". Vive la 6ième République parlementaire des majorités d'idées pour s'adapter à toutes les concurrences et toutes les modernités.

S'adapter, d'accord, mais s'adapter à quoi ?
Décomposer recomposer les majorités parlementaires, peut-être, mais pour faire quoi ?

Si le système auquel on exige de s'adapter est malade, la première injonction est débile. Si la nouvelle union des contraires dans un mêli-mêlo parlementaire n'est d'accord sur rien sinon sur la fuite devant toute responsabilité, comme sous la IVème République, où est l'avantage ?

Le cas espagnol est tout de même significatif. Une mentalité d'indigné et la proportionnelle ne conduisent à aucune solution, sinon plus de désordres.

R. Barre avait déjà appelé de ses vœux cette décomposition-recomposition. Les Français l'avait renvoyé à la tranquillité lyonnaise. Il avait fait le lit de François Mitterrand, avant de faire celui du maire socialiste actuel de Lyon. La décomposition amène à la défaite. Il n'y a jamais eu de recomposition.

Nicolas Sarkozy a repris l'antienne de Giscard, en prétendant gouverner au centre avec des socialistes ralliés. On l'a vu s'agiter dans l'idéologie jaurressienne, le culte de certains héros de la résistances communiste. Pour sa réélection, il a cru que sa triangulation lui permettrait une réélection facile, ayant donné des gages à tout le monde. Il a suffi que son adversaire propose l'impôt à 75% pour que sa tentative avorte et qu'il soit obligé de refaire une nouvelle campagne, nécessairement perdante, sur la lutte contre l'immigré.

Au point où nous en sommes, fusionner les "Républicains raisonnables"du PS comme des Républicains est faire le lit du Front national et de l'extrême gauche.
De même l'alternance, c'est à dire presque la même politique, mais avec des excès électoraux initiaux à chaque fois, entre droite et gauche dites républicaines, est absolument éventée.

La seule conclusion qui s'impose : oui, il va falloir s'appuyer sur les institutions actuelles et donc sur le leadership présidentiel ; la gauche étant totalement déconsidérée, le nouveau président sera "de droite" ; l'important est qu'il propose un programme conséquent de reconstruction d'une prospérité française et de rétablissement d'un rayonnement de la France.

Nicolas Sarkozy est dans un projet personnel à la Zorro : montrer qu'il peut le faire (revenir après une défaite cuisante). Mais où est l'intérêt national ?

Bruno Lemaire tient un discours de pur renouvellement du personnel politique. Mais pour faire quoi ?

NKM nous explique qu'il faut s'adapter à un monde qui bouge et qu'elle est une femme. Aucune issue de ce côté là.

Restent Alain Juppé et François Fillon.

Le choix véritable est entre ces deux hommes.

Juppé annonce la recomposition politique des "républicains raisonnables et dignes". Fillon veut une vraie rupture, mais n'a pas encore un programme totalement à la hauteur et ne pourra s'appuyer que sur l'élan de l'élection pour faire prendre des mesures radicales.

L'un et l'autre en cas de victoire, se retrouveront avec une assemblée nationale plus divisée qu'actuellement du fait de la montée du Front national.

Un ticket Juppé, Bayrou, Macron est une impasse politique qui butera sur la soumission aux Etats-Unis , à l'Europe et à l'Euro avec une fuite en avant vers un fédéralisme européen accentué dont personne ne veut. C'est le retour à la quatrième République sur fond de catastrophe économique, sociale et nationale. Jacques Julliard l'écrit dans le Monde : les Français sont sociaux démocrates pro européens ! Il rêve tout debout.

Reste l'hypothèse Fillon. Peut-il incarner avec une base partisane réduite à un magma de factions déboussolées par la primaire, et une base populaire inexistante, recréer autour de lui, comme Président, une dynamique gagnante ? Les médias l'ont déjà condamné. Les Français ont vu qu'il s'était fait avoir par le couple désuni Sarkozy-Copé, et il a déplu en critiquant son ancien chef de bande.

Sa seule solution est programmatique. Mais son programme est encore aujourd'hui lacunaire. On lui propose de "faire de la com'" alors que sa priorité devrait être de compléter son analyse et la vision de ce qu'il propose aux votants de la primaire et au délà aux Français.

S'il échoue, faute du nerf nécessaire et de l'acuité politique suffisante, l'effondrement français sera scellé.













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# Posté par DD | 07/06/16 10:04
Le blog du cercle des économistes e-toile

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