La banque de dépôt en pleine tourmente

La bancarisation, c'est-à-dire la généralisation du compte chèque en banque, est une innovation finalement très récente. En France la massification a lieu au début des années soixante. l’Etat français, toujours dirigiste, et où les hauts fonctionnaires dominent la banque (les banques de dépôts sont nationalisées), fera tout pour accélérer le phénomène, d'une part pour garder sous la main les avoirs liquides des Français et les convoyer vers le financement des besoins publics, d'autre part pour surveiller les transactions et faciliter le contrôle fiscal. La nationalisation a conduit à créer des oligopoles bancaires puissants. Une poignée de banques voient plus des deux tiers du revenu défiler dans leurs comptes chaque fin de mois. Sans que les électeurs français s'en rendent vraiment compte, on les a forcés à utiliser des comptes bancaires, en donnant aux banques un pouvoir coercitif délirant sur les déposants.

Avant la massification bancaire, le pacte entre le déposant et la banque était simple.

"Tu mets à ma disposition ta trésorerie gratuitement. Je l'utilise à ma convenance, tout en m'engageant à te la rendre à la première demande. En contrepartie tout est gratuit. Je fais mon affaire de la sécurité des fonds confiés (plus besoin de coffres et de bas de laine sous le matelas) ; J'assure à ta demande tous les paiements, par chèque et virement ; je mets à ta disposition des points de fourniture de liquidité un peu partout, gratuit sur le territoire national. Mon avantage en tant que banque : j'accède à une trésorerie récurrente à un coût inférieur au taux d'emprunt du marché monétaire. La marge que je fais sur mes activités de prêts gagés sur cette trésorerie me permet d'assurer la gratuité".

Pour simplifier, la justification, pour le déposant qui perd et la propriété et le fructus de son avoir en contrepartie d'une créance sur la banque ne portant aucun intérêt, est la gratuité des services bancaires courants.

Ce pacte est désormais complètement démoli. La banque dite de dépôt a conservé les privilèges extravagant de disposer du bien d'autrui à sa guise sans rémunération, mais de surcroît, elle a obtenu de l'Etat de mettre fin à la gratuité des services de paiements qu'elle assurait gratuitement précédemment.

On a d'abord vu la quasi-totalité des opérations bancaires devenir payantes, à l'exception du chèque, malgré un lobbying permanent, et tout soudain, on y a ajouté une disposition scandaleuse : la possibilité d'imposer une commission de tenue de compte. Le compte bancaire est rendu obligatoire par la loi, et on y associe une rente pour la banque à sa seule discrétion. Ce qui revient à rendre obligatoire une taxation sur ces avoirs liquides, un énième impôt sur le capital, cette fois-ci portant sur tout le monde y compris les moins fortunés. Oui, le forfait de tenue de comptes est aussi un impôt sur les pauvres.

La mesure est d'autant plus scandaleuse que les banques dites de dépôts ont été déspécialisées. On leur a permis toutes les opérations bancaires, y compris les plus risquées. on a déjà vu sur ce blog que cette déspécialisation, dans l'ambiance pétainiste d'organisation du "fascio" bancaire depuis l'Etat Français, a permis le développement ahurissant de tous les conflits d'intérêts au profit de la banque. Et une prise de risque de plus en plus grande, mettant en danger l'obligation des banques de restituer l'argent sur simple demande.

Il est vrai qu'on ne peut plus vider un compte que dans un autre compte ; il faut une carte bancaire pour sortir du liquide et les montants sont plafonnés. Les banques font souscrire une carte de paiement payante pour que vous puissiez accéder à une fraction de votre avoir ! Il faut hurler et attendre pour obtenir une carte gratuite. Vous ne pouvez plus transporter des sommes en liquides importantes, ni payer en liquide des achats importants. On a supprimé quasiment en France l'usage des coupures de 500 euros. Haro sur les billets "de banque".

Le fascio des banques tente par tous les moyens d'éviter l'usage du chèque, la dernière opération gratuite. Le télépaiement par terminal, fixe ou mobile, est le seul favorisé.

Au final, il ne restera comme opération sur les comptes bancaires que des virements électroniques dont le coût marginal est très faible.

Le coût de gestion des comptes bancaires est donc de moins en moins cher au moment où il devient entièrement payant. La gestion de compte (conservation, comptabilité des opérations, opérations d'encaissement et de paiement) devient une simple activité de service rémunérée et un centre de profit.

Pourquoi conserver à la banque le droit d'utiliser les fonds à sa guise et de récupérer le fructus des liquidités du déposant ? On ajoute un second centre de profit au second, tout en sachant que ce second poste de profit fait courir un risque aux fonds déposés. Ce risque et d'autant plus grand aujourd'hui que les accords récents sur le transfert de la surveillance des banques "systémiques" à la BCE se sont accompagné de la fin de la garantie d'Etat des dépôts. Rappelons que cette garantie d'Etat a permis, aux Etats-Unis en 1934, de mettre fin à la cascade des faillites de banques qui régénérait la crise économique de mois en mois. La création du FDIC (Federal Déposit Insurance Company) a arrêté la course sans fin dans l'abîme de la déflation.

Nous sommes donc en pleine contradiction.

L’Etat impose aux citoyens le compte bancaire et conforte toutes les exigences du fascio bancaire pour limiter et même interdire l'emploi de billets. Il transfère intégralement le fructus de la liquidité nationale aux banques tout en mettant fin à la gratuité. Il permet aux banques de spéculer à tout va, dans le monde entier. Et il supprime la garantie des dépôts ! Il a même fait mieux, puisque depuis 1973, merci Giscard, le Trésor public ne peut emprunter qu'auprès des banques.

Avec le QE mis en place par la BCE, les banques européennes empruntent gratuitement et prêtent avec intérêt au trésor. Le seigneuriage, privilège d'Etat, a été transféré aux banques, qui font un profit facile : il faut un gestionnaire et un comptable pour emprunter à la BCE à prêter à l'Etat. Qui dit que certains secteurs bancaires ne sont pas productifs !

Les banques ont donc réussi :

- à avoir le beurre et l'argent du beurre sur les opérations avec les citoyens

- à avoir tout le beurre sur les opérations avec l'Etat.

En prime, elles sont en faillite virtuelle, car l'endettement global est tellement supérieur à la production (dans un rapport de 1 à 4) fait que la valeur affichée des "actifs" contrepartie des crédits est largement imaginaire et dépends uniquement des injections de liquidité de la banque centrale.

Huit ans après le déclenchement de la crise (le blocage du système interbancaire en France en juillet 2007), la BCE est contrainte de relancer son QE, car la banquise de dettes est telle qu'elle continue de s'effondrer en provoquant une pression déflationniste catastrophique.

Juncker, le Président de l'Union Européenne (et non de la zone Euro) a déclaré vouloir prendre l'initiative d'une nouvelle garantie européenne des dépôts bancaires. Il a bien compris que l'accord précédent sur la centralisation du contrôle à la BCE était bancal, chose que nous ne cessons de dire sur ce blog.

Au total les contradictions internes, comme diraient les marxistes orthodoxes, se sont amplifiées à des niveaux inconnus jusqu'ici, pour aboutir au viol de tous les pactes antérieurs et à une situation ubuesque.

Il devient indispensable de mettre de l'ordre dans tout ce bazar, non pas en fonction des intérêts des lobbys, et notamment du fascio bancaire français, mais de la rationalité économique globale.

Trois mesures s'imposent immédiatement.

1. Il faut reconnaître l'autonomie de la gestion des comptes de liquidité. Le concept de banque de paiement que nous portons depuis des lustres, doit entrer dans les faits. Une banque de paiement est une société de services qui assure la tenue de compte et les services de paiement associés, en contrepartie d'une rémunération spécifique. Le déposant reste propriétaire des fonds déposés. S'il veut faire prospérer sa liquidité, il la prête explicitement à des banques de crédit, ou tout organisme de collecte de fonds à investir. La banque de dépôt, ce machin bizarre et dangereux, disparaît, au profit de deux types de banques distincts : la banque de paiement et la banque de crédit. Les gains de productivité permis par la numérisation des transferts bancaires, sont transférés aux clients via une concurrence saine. Les dépôts sont sécurisés, puisque non placés à la discrétion des banques. Il n'y a donc pas de garantie d'état à prévoir.

2. Les banques de crédit doivent être distinguées des banques d'investissement. L'argent servant à des opérations risquées doit être collecté dans des conditions spécifiques. Seules les banques de crédit sont bénéficiaires de la réassurance de la banque centrale.

3. Le seigneuriage doit être restitué à l'Etat.

Dans un tel cadre la logique des opérations est claire et leur dynamique est assurée.

Les banques de paiements étant des sociétés de services peuvent se globaliser sans difficulté, sous réserve des règles d'une concurrence sévèrement contrôlées. Le progrès technique peut jouer à plein.

L'activité de crédit peut se spécialiser et d'organiser dans la sécurité. On peut facilement vérifier que les prêts longs sont associés à des financements longs. On limitera ainsi une dangereuse transformation d'épargne courte en prêts longs.

L’Etat, fortement endetté, bénéficie du seigneuriage pour se désendetter sans frais abusifs.

En même temps on liquide, en France, le fascio bancaire voulu par Pétain et le fascisme français sous botte nazie.

On sort d'un n'importe quoi organisationnel et moral, aggravé par la crise, la mondialisation, l'évolution technologique, et les contradictions institutionnelles entre zone Euro et Union Européenne.

Didier Dufau pour le Cercle des Économistes E-toile

Commentaire
S du Jonchay's Gravatar Le point clé de cette synthèse parfaite de la logique bancaire au service de la réalité économique est la restitution du seigneuriage à la souveraineté publique, c'est à dire aux personnes morales publiques de l'état de droit des personnes. Ainsi le loyer de l'argent est rétabli comme prime d'assurance effective du crédit interbancaire nominalement sans risque.

En rationalité économique vraie, le crédit liquide en monnaie est assurable exclusivement par l'économie réelle régie par la souveraineté politique du bien commun échangeable. La dette publique est la prime d'assurance mutualisée dans la collectivité publique du prix nominal à terme de la production réelle en cours effectivement et matériellement engagée dans le droit des personnes.

La conséquence financière et monétaire de cette reconsolidation de l'économie réelle par l'état de droit, et non par le calcul financier spéculatif, est que le seigneuriage engendre le désendettement public à proportion du coût réel effectif de la justice des échanges entre les personnes solidaires par une loi commune.

Pour parfaire le modèle, il faut un système monétaire international de changes fixés et ajustables par une loi internationale commune aux Etats de droit responsables de leur zone monétaire nationale. Donc il faut une procédure politique et un Etat confédéraux de l'euro afin de gérer dans l'intérêt général le seigneuriage de la zone de monnaie unique. Lequel seigneuriage doit avoir des taux différentiables et négociables selon l'efficacité des gouvernements à l'intérieur de la monnaie commune.
# Posté par S du Jonchay | 04/12/15 12:18
ppm00's Gravatar La transparence bancaire est la seule solution pour assainir le métier bancaire.

L'opacité bancaire camoufle :
-les traffics, d'influence, d'organes, d'enfants, etc.
-le financement occulte des guerre et du terrorisme
entr'autres.

L'argent virtuel est falsibiable, les banques en créent sans limite sous prétexte d'emprunt, à l'abri du secret bancaire. L'immense marge produite sert à sponsoriser les technologies au service de notre esclavage et notre destruction.
# Posté par ppm00 | 04/12/15 14:53
DvD's Gravatar Que voulez-vous, il faut bien que les banques accumulent des bénéfices pour se recapitaliser après les pertes et amendes records de ces dernières années. Sinon, comment pourraient-elles réamorcer la pompe et recommencer les mêmes bêtises ? Surtout que la politique monétaire de taux d'intérêts négatifs de la banque centrale européenne comprime les marges d'intérêts que les banques réalisent sur leur activité de prêts. Le peuple, qui a déjà payé pour la crise par un chômage et des impôts records, est donc prié de payer encore une fois pour renflouer les banques via des commissions en tous genres et payer les faux frais de la politique monétaire actuelle dont les gains sont encaissés par d'autres. Ben oui quoi, de tous temps il y a eu les seigneurs et les serfs. A ce propos, n'oubliez pas d'aller élire demain vos seigneurs féodaux régionaux pré-selectionnés avec soin pour vous par les collèges seigneuriaux, histoire de donner un semblant de légitimité à ce système politique qui en a bien besoin.

Puis, une fois payé pour les banques, il faudra payer pour le climat. C'est tous les délégués de la COP21 venus des quatre coins de la planète en vélo et en deltaplane qui l'ont dit. C'est ça l'urgence, pas réformer le système bancaire pour le rendre plus efficace, plus juste et moins risqué. Que le climat ait alterné des périodes glaciaires et des périodes de réchauffement régulièrement depuis des millions et des millions d'années ne saurait se mettre en travers de nouveaux impôts bien juteux.
# Posté par DvD | 05/12/15 17:07
stephane's Gravatar Bonjour,

Dans un premier temps, si on supprimait le système de réserves fractionnaires, ce serait un premier pas.

Mais laseule façon de se libérer de totu cela, c'est de rétablir laconcurrence, cad le libéralisme.

Nous souffrons de trop peu de Liberté...

"L'Etat, ce n'est pas la solution, c'est l'état le problème" REAGAN.

Vous vous méprenez sur la loi Giscard Rotschild de 1973, ne tombez pas dans le populisme où les gens disent que cette loi faite soisdisant par les banquiers (relent d'antisémitisme primaire ?) empèche l'état de se financer sur les marchés.

Cette loi imposant juste à l'état lerecours au parlement avant de souscrire de nouvelles dettes.

Et l'agence Françasie du trésor ne place pas ses bons du trésor exclusivement aurpès des banques françaises, loin de là, il y a les assurances, bien sûr, mais aussi et surtout les investisseurs internationaux pour la majorité de la dette (environ 60 %).

Sinon, il vous reste les banques sur internet pour la gratuité totale, grâce à quoi ? à la Liberté que développe le web.

Il nous toujours plus de Liberté et moins d'état.

Bien cordialement
# Posté par stephane | 07/12/15 12:23
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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