Deux mots à Paul Tucker, ancien banquier central.

Rien de plus intéressant que l’interview de Paul Tucker, ancien numéro 2 de la Banque d’Angleterre et fin connaisseur des arcanes de la pensée dominante dans les milieux anglo-saxons en matière d’organisation monétaire.

Il y a maintenant longtemps que la fable qui prétendait voir dans les marchés et les seuls marchés, sous la surveillance bienfaitrice des banques centrales, la solution magique aux diverses équations monétaires européennes et mondiales, a sombré dans l’insignifiance. La crise de 92-93, puis celle dite des pays émergents en 1998, puis celle des valeurs technologiques, au début du siècle puis l’effondrement de 2008, ont emporté les dernières illusions. Alan Greenspan, gourou déchu, a lui-même concédé le point depuis au moins dix ans : des marchés libres de toutes entraves, qu’il s’agisse de celui des monnaies, des titres, des dettes diverses, sont incontrôlables.

Le trou monumental percé dans les comptes par l’explosion de l’économie baudruche a été comblé par les banques centrales au prix de plus de 14 milliards de créations monétaires, par reprise d’actifs financiers bancaires plus ou moins douteux, l’apparition de taux d’intérêt négatifs et mille mesures totalement contraires à la pensée dominante. Nécessité fait loi. Les États gorgés de dettes ont vu ainsi le coût budgétaire des déficits effarants ont pu continuer à se financer.

Les peuples ont trinqué. Comme nous le répétions inlassablement depuis 1997 : attention à la colère des peuples. Nous voilà avec le Brexit, les troubles italiens, la défonce espagnole, le numéro de cow-boy de Trump.

On a fait jouer aux banques centrales un rôle étranger aux apparences de leur mandat. En Europe, c’est la BCE qui a signifié à la Grèce qu’elle pouvait arrêter le refinancement des banques et mettre en faillite tout le pays. Ne parlons pas de Chypre. La BNS a cru pouvoir créer le même montant en monnaie que la valeur du PIB suisse ! Avant de renoncer. Le FED a créé à elle seule 4 000 milliards de dollars de billets verts.

Un système qui finit par faire tout ce qu’il était censé ne jamais faire, est une farce. La chanson qu’on répète depuis 1973, selon laquelle les banques centrales ne sont là que pour maintenir l’inflation en monnaie officielle dans des limites étroites, sans s’occuper des changes ni du financement des États, est apparue pour ce qu’elle est : une fable risible. Les dettes d’État et le change des devises ont été constamment dans le collimateur des banques centrales.

Lors d’une conversation sur le forum du Monde avec un certain Dodds, nous avions souligné que le dressage des gouvernements par « les marchés » était un rêve techno et un cauchemar démocratique. On a vu que ce sont les États qui sont venus, à grands frais, sauver les marchés de leur propre déchéance.

Le propos d’un commissaire européen allemand suggérant que les marchés allaient dresser le gouvernement clownesque italien a provoqué un juste scandale. La démocratie était à l’encan sur les marchés !

En vérité c’est le précédent grec qui est important : si l’Italie s’engage dans une politique de cinglés, alors les banques italiennes ne seront plus approvisionnées par la BCE et on organisera, comme en Grèce, un « corralito », une consignation des dépôts devenus non utilisables à volonté : les agents économiques seront priés de se contenter de quelques euros par jour !

La banque centrale européenne sera devenue l’arbitre des élégances politiques en Europe. Une bande de fonctionnaires non élus remplaceront ouvertement le choix de millions de citoyens.

Paul Tucker, l’ancien numéro 2 de la Banque d’Angleterre a senti immédiatement le danger.

« Les banquiers centraux doivent battre en retraite » et ne pas sortir de leur rôle. Ce n’est pas à elle de garantir la survie de l’Euro, question essentiellement politique. Il sent bien qu’un tel rôle met la banque dans une situation précaire. « Le danger est qu’elles aillent trop loin ». Il reconnaît que la BCE joue un rôle quasi budgétaire, bien loin des élucubrations de 1973. Et il note avec justesse que plus les pouvoirs des fonctionnaires internationaux s’étendent, plus ceux des politiques s’étiolent et avec eux leur réputation. Le rejet des « élites » a en effet une cause dans leur abandon de pouvoir aux mains de fonctionnaires irresponsables (juges, banquiers centraux, commissaires européens).

Jusqu’ici tout va bien. Mais la conclusion fait rire. « Il importe que les banquiers centraux restent dans le domaine de leur mandat : le niveau des prix et la stabilité du système ». Ce n’est pas eux de donner leur opinion sur des questions générales qui ne dépendant pas de leur mandat mais ils devraient parler plus souvent de leur mission devant les instances démocratiques et recruter plus de femmes.

S’ils sont sortis de leur mandat, c’est parce que le système monétaire international et l'Eurosystème sont dysfonctionnels. Ils ne l’ont pas expressément voulu. C’est l’explosion de l’économie baudruche qui s’est créée depuis 1971 qui les a mis là où elles sont. Elles sont OBLIGÉES de jouer un rôle budgétaire, compte tenu de l’énormité des dettes publiques ; elles sont OBLIGÉES de regarder du côté des changes et du recyclage des énormes excédents.

Quant à la suggestion que la nomination de femmes changerait tout, on a vu avec Mme Lagarde et ses campagnes féministes totalement étrangères à l’objet de l’institution, que cela aggrave plutôt la pusillanimité des institutions économiques officielles.

En n’abordant aucune des tares structurelles de la zone euro et du système monétaire international, Tucker parle pour ne rien dire. L’autisme des banquiers centraux sur les vraies questions est plus grave que les divagations d’un commissaire européen allemand.

Qu’il aborde les déséquilibres monstrueux des balances de paiement aussi bien dans le monde qu’au sein de la zone Euro et on commencera à entrer dans le dur des vraies réformes. Là, on ne voit qu’une tentative un peu enfantine, de masquer le déni de démocratie propre au système. « Planquez-vous et taisez-vous devant le grand public. Mais ne changez rien ». L’hypocrisie au service de la survie.

Pathétique.

Commentaire
Artiste's Gravatar Pouvez vous nous donner une explication de Target 2 car je trouve des avis différents en particulier dans le cadre d’une sortie de l’euro ,pour certains ce n’est que l’expression du déficit ou de l’excédant d’un pays et n’aurait pas d’effet en cas de sortie,pour d’autres cela aurait une incidence sur la sortie une dette ou un avoir.les deux positions étant incompatibles quelle est la vérité ?
# Posté par Artiste | 04/06/18 23:27
Micromegas's Gravatar Il n'y a pas de procédure de sortie prévue. Dans la pratique, si la décision de sortie devait être prise, il faudrait que le sortant solde sa position Target 2. Mais comme les moyens ne sont pas définis, tout est ouvert. Il pourrait le faire dans sa propre monnaie ou les autres pourraient exiger un actif comme l'or ou des titres monnayables.
Il faut bien garder à l'esprit ce qu'est l'eurosystème :
- chaque pays appelle sa propre monnaie du nom commun d'Euro
pays
- Et il considère que les monnaies de même nom ont cours chez eux.
En cas de sortie ces deux règles disparaissent. La nouvelle monnaie n'est pas acceptée comme équivalente aux monnaie libellées euro et doivent passer par les mécanismes prévus pour les pays européens n'acceptant pas l'euro. Et il faut solder les stocks.
# Posté par Micromegas | 05/06/18 00:49
Admin's Gravatar Nous avions suspendu momentanément une commentateur prolixe pour mise en cause personnelle, interdite sur ce blog. Il a récidivé et est désormais banni de ce site. Nous n'acceptons les mises en cause de personne sur ce site. Les interventions doivent portée uniquement sur des idées ou des éléments de la chose publique mais pas dégénérer en harcèlement. contre d'autres intervenants.
# Posté par Admin | 06/06/18 15:38
Le blog du cercle des économistes e-toile

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