Le grand tournis monétaire et l'hélicoptère à fumiste

Alors que la vulgate qui avait été bricolée pour justifier les changes flottants finit de sombrer à des profondeurs abyssales, le n’importe-quoi monétaire triomphe. La jeune génération d’économistes ne s’en rend pas compte, elle qui a vécu dans des faux-semblants depuis son accès à  l’enseignement. Pour avoir répété des sottises avec componction comme on récite des versets du Coran, sans jamais les remettre en cause,  Les journalistes ne savent plus à quels saints se vouer et rapportent la parole des maîtres avec l’inquiétude de ceux qui voient que la soupe qu’on leur fait servir n’est plus aussi claire que naguère. Etaler à travers les colonnes de leur journal ce qu’ils ressentent au fond d’eux même comme en contradiction fatale avec tout ce qu’on leur avait professé jusque là, leur reste un petit peu en travers du stylo.  Enfin, un peu.

Les trois symboles du désordre actuel  sont :

-          Les taux d’intérêt négatifs aggravés par la BCE

-          L’idée que la BCE  pourrait distribuer de l’argent à tout va pour relancer la consommation

-          Les discussions autour de  l’instauration du Libra.

Les intérêts négatifs sont la conséquence directe de l’énormité de la dette cumulée provoquée par les changes flottants et les crises à répétition qu’elles ont alimentées.  Les « éléments de langage » consistent à affirmer que le but est de créer  artificiellement une hausse des prix  d’au moins 2% par an. En vérité la masse de dettes rapportée au PIB est telle qu’elle est totalement insupportable. On a quasiment supprimé l’obligation de rembourser le principal. On ne veut même plus payer pour les intérêts. Imaginons un économiste des années 50 qui débarquerait aujourd’hui. Il suffoquerait.  Une banque d’escompte a pour but de permettre à une banque en difficulté de liquidité de faire face à une panique. Voilà la banque d’escompte national sommée de faire face à des crises de solvabilité. Le résultat est une forme d’extorsion de fonds permanente et un dérèglement total de l’allocation de ressources. Sans aucun effet sur le niveau des prix, naturellement.  La stagnation à laquelle le monde est confronté après la plus grave crise depuis 1929, associée à l’étranglement fiscal  et au poids des dettes, interdit toute hausse générale des salaires, dans une optique de mondialisation basée sur la compétition salariale. Tenter de justifier par la doctrine économique sérieuse la rapport entre une hausse des intérêts négatifs est une gageure. Alors ont produit des simplismes consternants sans même se préoccuper de savoir pourquoi la politique menée n’a donné aucun résultat jusqu’ici.

 Pourquoi ne pas se substituer à la croissance et à distribuer directement de l’argent à tout le monde ? L’hélicoptère de la banque centrale fertilisant le terrain avec des lâchers de monnaie est une vieille affaire.  L’argent serait dépensé et la machine repartirait. On aura amorcé la pompe été la croissance cherra. Le simplisme théorique est séduisant pour les espiègles. Les économistes un peu observateurs et qui tiennent compte des fait savent que la mesure ne vaut rien. Les pays en déficit accumuleront plus de déficit et devront donner rapidement des coups de frein. Les pays en excédent  aggraveront leur position, avec les effets qu’on connait.

Tous ces artifices ne sont que des artifices avec des raisonnements associés tout aussi artificieux et des résultats affichés totalement mythiques.  Le résultat est la panique des agents économiques qui ne comprennent plus rien et qui sont pris dans un lacis de signaux contradictoires.  Cette course au n’importe quoi est une course folle.

Du coup, d’autres artifices prennent des couleurs. L’affaire du Libra est extrêmement lourde de conséquences possibles. 

Créer un actif échangeable représentatif d’un panier de valeurs stables et pérennes est la vocation d’un système monétaire international officiel. Forcer les Etats à conserver leur monnaie le plus possible dans un rapport stable à cet étalon est le levier qui permet de créer un cadre stable et correct pour les échanges internationaux et la prospérité générale.

Laisser à une initiative privée le soin de mettre l’affaire en œuvre est de nature à créer des risques aggravés, d’abord parce qu’on ne corrige pas ce qui doit l’être et parce qu’on introduit un ver dans le fruit officiel. .

Toute la difficulté du Libra est dans les conditions de l’émission  des jetons et dans leur remboursement en quelque chose dont la valeur est garantie.  L’affaire du Bitcoin a prouvé qu’on pouvait créer un jeton international sans valeur intrinsèque capable de porter une anticipation spéculative contre les monnaies officielles. Le marché du Bitcoin est totalement malhonnête, manipulé et  « maquereauté » par une poignée de petits malins. Mais le Bitcoin vaut aujourd’hui 10.000 dollars ce qui est plus qu’une folie : un signe de la maladie monétaire mondiale. Si les promoteurs du Libra parviennent à garantir la stabilité de la valeur de leur jeton par rapport à un panier de valeurs et à définir des conditions d’émission et de remboursement qui la garantisse dans la durée, le succès sera énorme et mondial. Il ne peut y avoir le moindre doute la dessus.

Rappelons que le dollar, comme le Franc, la Livre britannique et toutes les grandes monnaies ont perdu plus de 95% de leur valeur depuis 1971, par rapport à un panier de valeur pérenne. Si le Libra garantissait le rapport avec ces valeurs pérennes, il est de nature à faire sauter le système des monnaies officielles.  On ne paiera plus guère que les impôts en monnaie officielle (sauf en Italie où on utilisera des mini-bots !).  Copernic a défini  il y a des siècles ce qu’on appelle la loi de Gresham.  La mauvaise monnaie chasse la bonne. Les monnaies officielles ne serviront plus de réserve de valeur.  Le cours forcé perdra de sa force.

On comprend qu’un Enarque comme notre Ministre des Finances, Bruno Lemaire, veuille conjurer ce spectre.

Quand on ne raisonne que par conservatisme et interdiction, c’est qu’on est totalement perdu. La bonne approche est de comprendre ce qu’il faudrait faire du système international des monnaies officielles pour qu’il évite les crises à répétition et la séduction du jeton transnational. 

Si comme nous le suggérons depuis 20 ans publiquement, on réformait le système monétaire international sur la base d’un étalon composite de valeur pérenne avec changes fixes  managés par les Etats et supervisés effectivement par un régulateur puissant, avec même la création d’un jeton officiel par le FMI, la séduction du Libra serait nulle. 

Non Monsieur Lemaire ! On ne règle pas les difficultés par des interdictions mais en créant les conditions d’une économie stable et croissante. Il est plus difficile de construire que d’interdire. Surtout dans le champ international. Mais c’est cela ou rien.

Rien, c’est ce qu’on a et un rien baigné d’élucubrations toujours plus grotesques et toujours plus décalées des réalités profondes.

 

PS : on notera la parole très forte de la très bronzée nouvelle présidente de la BCE sur le sujet sans parler de la pensée dynamique et  au goût bulgare de la nouvelle directrice du FMI.

Commentaire
DvD's Gravatar Sur les questions monétaires, la confusion est totale. La seule chose certaine est que le “quantitative easing” et les taux d’intérêts négatifs n’ont pas eu les effets escomptés pour relancer la croissance nominale de l’économie en Europe. Ils ont en revanche des effets négatifs sur les revenus des banques et des systèmes de retraite, ainsi que sur les inégalités de richesse qu’ils accentuent. On avait déjà fait les mêmes constats au Japon, engagé dans cette voie avant l’Europe.

Ce constat est mauvais pour la crédibilité des banques centrales. Il y a donc clairement dans les idées “d’hélicopter money” une bonne dose de fuite en avant, ainsi peut être qu’une tentative un peu désespérée de réconcilier l’opinion publique avec la politique monétaire au vu du succès de la série “Casa de Papel”.

Différentes personnes entendent essentiellement deux choses différentes par “helicopter money”:
- Distribution directe d’argent aux États ou aux ménages sans autre réforme monétaire
- Distribution directe d’argent aux États ou aux ménages avec réforme monétaire retirant progressivement le droit aux banques de créer de la monnaie, cette seconde version permettant de converger vers le 100% monnaie défendu entre autres par Maurice Allais.

Dans les deux cas, il est clair que “l’helicopter money” se place dans un cadre monétaire domestique, ou régional dans le cas de l’Euro. Il n’y toujours pas de réflexion sur le système monétaire international et ses rapports avec le système commercial mondial, lui aussi en pleine confusion depuis l’élection de Trump.

Si on essaye de combiner helicopter money dans un cadre domestique et participation au système commercial et monétaire international, on voit en effet que :
- Les pays en déficit extérieur dépensent plus qu’ils ne produisent et, dans ce contexte, des injections de pouvoir d’achat qui seraient consommées aggraveraient les déficits extérieurs. Pour ces pays, il faudrait donc que ces injections de liquidités soient épargnées et investies dans l’appareil productif domestique.
- Les pays en excédent extérieur produisent plus qu’ils ne dépensent et leur pouvoir d’achat existant est déjà insuffisamment dépensé. Dans ce contexte, des injections de pouvoir d’achat supplémentaires qui seraient épargnées aggraveraient les excédents extérieurs. Pour ces pays, il faudrait donc que ces injections de liquidités soient consommées, si possible en achetant des biens importés.

On le voit, les injections de pouvoir d’achat ne sont pas en elles mêmes une panacée et peuvent même aggraver les problèmes. Tout dépend de l’allocation qui est faite de ce pouvoir d’achat en fonction de la situation de chaque pays. Et effectivement, la résorption des déséquilibres extérieurs par d’autres moyens rendrait caduque toute cette discussion.

Pour la zone Euro qui comprend des pays en excédent extérieur et des pays en déficit extérieur, la mesure est quasi impossible à mettre en œuvre au niveau européen.

Je me permets de vous signaler un petit livre intéressant sur l’helicopter money : “Pour un nouvel ordre monétaire” de Michaël Malquarti.
# Posté par DvD | 15/09/19 09:41
Philippe's Gravatar Libra : tentative non dissimulèe de privatiser le privilège du droit de seigneurage monètaire reservé aux Etats . Votre question M. Dufau est double : L' emetteur du Libra emettra ce qui est son but premier pour confisquer a son profit l'avantage lié au pouvoir de crèation monètaire mais en aucun cas il ne remboursera - en monnaie etatique - ce qu'il aura émis sans contrepartie fiscale . Car il est èvident que le droit de seigneurage repose sur la contrainte fiscale . Supprimez cette dernière et vous avez donnè naissance a un gouffre ou Facebook va recevoir en èchange de son jeton-Libra de l' argent étatique qu'il ne rendra jamais ni sous forme de services etatiques ( resultant de la contrainte fiscale ) ni meme sous forme de liquiditè etatique . A la rigueur Libra vous remettrsa un bon d'achat (comme au supermarchè ) pour consommer un peu plus . Le futur de Libra c'est de fusionner Facebook (emetteur de pseudo-monnaie Libra) avec Amazon ( fournisseur de consommation ) .
Quant a Bitcoin , vous noterez que BTC grimpe quad le YUAN baisse . BTC est une clè electronique pour dèplacer du Yuan ( cash en chine communiste ) vers so on usage en moyen de reglement en Asie non-communiste . Un outil d' evasion ( bien légitime me direz-vous ) rien de plus .
Helicopter money : oui a condition que la somme soit investie sur place dans le secteur productif qui emploie les travailleurs-consommateurs locaux .
Bref ...vous avez raison ....on tourne en rond . L' Allemagne vient de prendre le controle total des commissariats de l' UE avec ses 27 commissaires tous issus des " protectorats " allemands d' europe centrale ( sauf Gentiloni le gentil italien accommodant ) .
Aucun economiste n' ose remettre en question la mondialisation ( malheureuse pour moquer Alain Minc ) ni meme evoquer le " lancinant " problème des balances des paiements ( execedents chez toujours les memes ) .
# Posté par Philippe | 15/09/19 15:31
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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