Du Canard enchaîné au cygne martyrisé

Du Canard enchaîné au cygne martyrisé

Le Canard enchaîné  daté du 23 mars 2016 se livre, par l’entremise de Jean-Luc Porquet, à un exercice que nous pratiquons de temps à autres : aller rechercher dans le passé des attitudes et des positions qui se retrouvent presqu’identiquement de nos jours.

Il déterre un vieil article du 24 mars 1975 publié dans l’Obs sur le thème : « la relance pourquoi faire ? ». L’auteur, André Gorz,  était un auteur intéressant même s’il n’était pas l’intellectuel le plus connu du moment et, dans le cas, il écrivait sous pseudo. L’objet de son ire : condamner l’espoir que la croissance permettrait d’obtenir le plein emploi. « La croissance a abouti à l’impasse ». « L’alternative n’est pas entre la prolongation de la crise présente et le retour de la croissance  destructrice et gaspilleuse du passé. Ce retour est impossible. Faire croire le contraire est pure démagogie ».  Ses solutions : « une transformation de la société à tous les niveaux », la baisse du temps de travail et l’utilisation de techniques écologiques « employant peu de capitaux et beaucoup de main d’œuvre ».

Cet article méritait d’être déterré à plusieurs titres.

Qui a enseigné pendant des décennies s’amusera de l’impossibilité ontologique des intellectuels, des politiques et notamment des jeunes étudiants à considérer que « les problèmes » ne sont pas toujours « modernes », exigeant une « adaptation à des temps nouveaux ».  La contestation de la société de consommation et donc de production a commencé dans les années soixante avec les enfants du baby boom gavés de biens de toute sorte et n’ayant pas connu la faim. On se souvient des prédictions apocalyptiques, début 70,  annonçant la disparition du pétrole dès les années 80 (c’est toujours dix ans après que la catastrophe arrive pour ce genre de prévisionniste).  Le vert qui se portait à droite avant guerre (relire les églogues du Mitterrand de l’époque) est passé à gauche dans les années soixante.  Les philosophes, à l’époque, citant Platon,  étaient en pointe pour exiger une réforme de la société fondée sur le loisir et non sur le travail « qui dégrade ». Si la société ralentissait et se contentait de ce qu’elle avait, en s’organisant comme dans un joyeux phalanstère, le paradis s’installerait sur une terre sauvée de la surexploitation et de la pollution. Déjà les premières analysent mettant en cause le « bougisme » pointait leur nez. On n’imaginait pas des migrations de masses ni des substitutions de population dans le phalanstère. La société était statique et idéalement close sur ses propres solutions. 

Cet article mettra dans l’embarras tous les adeptes du « pas de croissance » dès que sera posée la question suivante : Que se serait-il passé si la croissance avait cessé en 1976 ?   Pas de micro-informatique, par d’internet, pas de téléphones portables, pas de médicaments décisifs, ni les mille face du «progrès » etc. Quand on bloque la croissance, on ne sait pas ce qu’on perd.

Une seconde question s’impose immédiatement après : comment règle-t-on la question de la pauvreté dans le monde sans croissance ? Nous avons certes connu une baisse du trend pendant ces quarante dernières décennies, mais la croissance annuelle a été malgré tout, en moyenne, supérieure à 2% en France sur l’ensemble de la période, entraînant une hausse très importante du niveau de vie. Qui veut revenir à celui de 1976 ? Et la pauvreté dans le monde a beaucoup reculé. Des centaines de millions de personnes en sont sorties.

Ne parlons pas de la fameuse « réorganisation sociale à tous les niveaux ». Personne ne sait mettre un contenu crédible et même simplement acceptable sur cette profession de foi.  

N’insistons pas sur l’idée saugrenue, déjà dénoncée sur ce blog,  que les solutions coûteuses et improductives créent de l’emploi, sottise qu’on entend tous les jours ces derniers temps, y compris dans la bouche des politiques de droite.

Pour nous, la question intéressante est ailleurs. La relance giscardo-chiraquienne de 74 allait se révéler un grave échec.  Il n’a pas été analysé à l’époque et ne le sera pas par les économistes officiels dans les décennies suivantes. Une loi économique nouvelle venait de s’inscrire durement dans les faits  : en système de changes flottants, les relances ne fonctionnent pas et rapidement les gouvernements sont obligés de revenir en arrière pour tenir leurs finances.  Cette loi fondamentale est passée inaperçue. Toutes les relances ultérieures ont connu ce destin partout où elles ont été mises en œuvre. Pas une seule exception. La relance coordonnées et massive de 2008-2009 a mis partout les finances publiques et privées dans une situation intenable. Huit ans après on en est toujours à tenter de faire face par des expédients de plus en plus artificiels.

L’abandon de la réflexion est encore plus grave et fondamental que ça, puisqu’il porte sur la crise de 73- 74 elle-même. On l’a évacuée comme « crise du pétrole » provoquée par le vilain cartel des pays pétroliers. Comme je l’ai démontré, je crois, dans mon livre, l’Etrange Désastre, la crise du pétrole est la fille de la crise économique et non sa mère. 

Comme on ne veut pas voir que la crise est liée à une erreur tragique de gouvernance internationale, on impute ses conséquences à tous les dadas à la mode et on pousse les pions de théories moralisantes,  sociales ou politiques,  qui n’ont aucun rapport explicatif avec « la crise ».

Cette dernière s’aggrave, faute d’un accord général sur le  diagnostic correct et de thérapeutique adaptée. Ces théories deviennent de plus en plus hystériques, à mesure de la croissance du chômage et des difficultés économiques.

C’est là qu’on passe du Canard au cygne. Il faut savoir que les déjections des cygnes sont totalement incompatibles avec les prairies pour vaches. Les paysans suisses ont été confrontés à l’expansion du nombre des cygnes et ont commencé à les chasser de leurs champs. D’où une campagne complètement hystérique de certains écolos helvètes visant à sanctionner les promoteurs de la « shoah des cygnes ». La « reductio ad hitlerum » du producteur de lait dans les alpages, est-ce bien raisonnable ?   On est passé d’une réflexion sur la consommation et l’organisation d’une société frugale  à une guerre émotionnelle de dénonciation de « génocides ».

Quand l’intellect faiblit, la passion occupe tout l’espace. 

« Perseverare cretinissinum » conclut l’article.

D’accord !    Mais les "crétins" ne sont pas nécessairement ceux qu’on croit.

Commentaire
Admin's Gravatar Désolé il manquait la fin de ce message.
# Posté par Admin | 29/03/16 13:05
stephane's Gravatar Que l'on soit en système de change flottant ou pas, une relance ne marche jamais, pour information ...
# Posté par stephane | 04/04/16 12:52
DD's Gravatar @stephane

La question mérite quelques précisions. Il ne s’agit pas de relancer ici la querelle entre keynésiens macro économistes et tenants d’une économie entièrement microéconomique. Tout le monde sait que la Théorie générale est un fouillis assez mal dégrossi. Tout le monde voit que les théories qui misent tout sur les marchés sont contredites par les faits. Zéro à zéro, balle au centre.
Le vrai débat est entièrement expérimental. Ce que montre l’histoire économique est la survenue régulière de crises de crédit plus ou moins graves tous les huit dix ans depuis plus de 250 ans. En général une crise dure suit une crise molle. La surchauffe du crédit, dans le cadre d’un système bancaire qui crée de la monnaie sur un espoir de gain est le moteur de ces crises. Il faut régulièrement digérer des pertes liées à l’exubérance des prêts.
Le consensus né à Bretton Woods était qu’il fallait des changes fixes pour éviter les effets cumulatifs des balances extérieures déséquilibrées. Commerce et monnaies étaient liés. Dans ce cadre l’euphorie bancaire restait cantonnée dans certaines limites. Mais des pays pouvaient se trouver soudain en difficulté, avec déficits intérieurs et extérieurs, pression sur la monnaie etc. Une politique de relance ne pouvait être efficace qu’en collaboration avec les autres états. En cas de troubles légers, dévaluation avec plan de refroidissement pour éviter que ses effets soient immédiatement gommés par un laxisme sur les salaires publics et privés, avec acceptation d ‘un déficit budgétaire modéré. En cas de difficultés graves, intervention du FMI avec plus d’aides et plus de contraintes. Tout cela pour éviter les effets de contagion et d’aggravation auto amplifiée de la crise.
L’inconvénient du modèle a été une inflation des prix relativement importante mais qui a permis d’éliminer en partie les dettes nées de la guerre. L’avantage aura été une période de 30 ans sans crises graves. Les crises périodiques sont peu marquées entre 44 et 74 et parfois presqu’imperceptibles comme la crise de 63 en France.
Avec les changes flottants, tout ce mécanisme est mis à la poubelle. Les dirigeants ne comprennent pas le changement. Giscard et Chirac tentent une relance classique en 74 qui foire immédiatement. Il n’y a plus de solidarité monétaire. Les excédents et déficits peuvent s’envoler. L’ouverture des marchés décrétée pour faire marcher les changes flottants aggrave les phénomènes de crise de changes.
Le cycle violent réapparait et ne cessera de s’aggraver jusqu’à la crise actuelle que la relance globale a permis de contenir pour aussitôt provoquer des désordres financiers qui durent encore. En régime de changes flottants, les relances n’ont qu’un effet temporaire et finissent par aggraver tous les soucis financiers et monétaires. L’histoire montre que les changes flottants créent de la dette massivement en même temps qu’une baisse tendancielle de la croissance, un mélange hyper toxique. Depuis 2008 près de 60 mille milliards de dettes supplémentaires ont été créées. 50 fois la production marchande française. La croissance est minable, la plus basse d’une période de « haute conjoncture ». On fait quoi ?
Pour le détail historique de ces mécanismes, voir la seconde partie de mon livre « L’étrange désastre ».
# Posté par DD | 10/04/16 09:07
Stéphane's Gravatar @ DD :

"Tout le monde voit que les théories qui misent tout sur les marchés sont contredites par les faits. "

???????

Il me semble que jusqu'à présent, et jusqu'à preuve du contraire, Ludwig Von Mises et/ou Murray Rothbard n'ont jamais été contredit ni par les faits ni par des théoriciens économiques, aucun ne s'y est d'ailleurs attaqué, ils préfèrent ignorer leurs écrits.

Qui, en France, parle de "l'Action humaine", le plus grand traité d'économie de tous les temps ?

Murray Rothbard précise bien dans un petit opuscule (l'origine des crises économiques" que cette origine a à chaque fois une origine monétaire, et la plupart du temps une manipulation étatique.

Les cycles économiques ontologiques sont une billevesée, ils sont simplement liés à une expansion non contrôlée du crédit/de la masse monétaire, la plupart du temps encore une fois, lié à une manipulation étatique.

On ne remarque pas de cycle économiques de 8 à 10 ans au 19 ième siècle, période de l'étalon or et de plus forte croissance économique qu'ai jamais connue l'humanité.

De même, pendant les 30 glorieuses, ou plutôt pendant Bretton Woods, on ne remarque pas vraiment de cycles économiques de 8 à 10 ans, l'expansion monétaire étant contrôlée.

Avec l'arrivée de Reagan au pouvoir aux USA, et sa volonté de ne plus manipuler la monnaie, on remarque un cycle ininterrompu de croissance pendant plus de 20 ans (pas de cycle de 8 à 10 ans).

Enfin, en France, ces soi-disant cycles économiques de 8 à 10 ans sont plutôt des soubresauts dans le grand mouvement de ralentissement économique lié à la montée de l'état dans l'économie depuis 40 ans.

On atteint aujourd'hui un tel niveau d'étatisme, qu'il n'y a plus de cycle économique.

D'ailleurs, l'URSS n'a connu aucun de ces cycles économiques de 8 à 10 ans pendant 70 ans ...

Pour finir, les gens qui disent que les marchés doivent être régulés car inefficients sont fondamentalement des socialistes au sens philosophique, cad qu'ils pensent que les êtres humains sont des mineur incapables à mettre sous la tutelle de génies éclairés (eux).

En effet, dire qu'un marché est inefficient, c'est dire que l'inter action libre d'échange entre individus est inefficiente, cad que les individus ne savent pas échanger de manière efficiente, cad qu'ils ne sont pas rationnels.

Contester la rationalité de l'Homme (comme son libre arbitre, ce qui fait sa spécificité en temps qu'espèce) est un phénomène récurrent chez tous les collectivistes.


Bien cordialement,

Stéphane DEBUCHY
# Posté par Stéphane | 13/04/16 11:35
DD's Gravatar "On ne remarque pas de cycle économiques de 8 à 10 ans au 19ème siècle, période de l'étalon or et de plus forte croissance économique qu'ai jamais connue l'humanité."

Inexact. Juglar en a fait la description méticuleuse. Dans l'histoire française, il est facile à situer : en général le pic correspond à une révolte parisienne.

La croissance moyenne au XIXème siècle a été environ de 1%, très loin derrière les taux de croissance des trente glorieuses. La démonétisation de l'argent en 1873 a provoqué une longue phase de dépression (on l'appelait "la grande dépression" et elle a donné naissance au concept de stagnation séculaire, qui, à notre avis, sert à tort à décrire la situation mondiale actuelle).

Le cycle du crédit est endogène. Il a été en effet contré lors des Trente Glorieuses par l'obligation de respecter les grands équilibres. Il a été amplifié par le passage aux changes flottants et par le recyclage des excédents "par les marchés" (cf la double hélice des crédits de J. Rueff).
Cela dit, on peut toujours dire que les marchés dont on parle sont des "faux marchés" compte tenu du rôle des instituts d'émission publics et des politiques budgétaires.

L problème : ces institutions sont là et en général pas par hasard.
# Posté par DD | 13/04/16 16:07
Stéphane's Gravatar @ DD :

Les révolutions parisiennes, c'est tout les 20 ans minimum.

Juglar décrit des cycles économiques en plein bouleversement monétaire (3 ruées vers l'or dans les années 1845 1860), sans compte les manipulations monétaires en France sous le 2 ième empire.

Ce n'est donc pas à masse monétaire constante donc le cycle économique est perturbé.

Une croissance moyenne au 19 ième siècle de 1 % pour le monde peut-être, pas pour les pays où il y a du libéralisme, cad de la croissance économique.

Pour rappel, évolution du PIB entre 1820 et 1870 pour :

la France et l'Italie : X 2.

La GB : X 3.5 (l'empire britannique c'est X 10)

Les USA : X 9

c'est assez loin des 1 % ...

Un marché par nature s'équilibre tout le temps sans laisser un déséquilibre très important s'établir.

Sauf crédit facile, qui n'est possible qu'avec manipulation monétaire ou étatique.

Le crédit facile, ce n'est pas sensé exister.

Avant 1789, les Rois étaient là et pas par hasard ...
# Posté par Stéphane | 15/04/16 11:05
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

Association loi 1901

  
BlogCFC was created by Raymond Camden. This blog is running version 5.9.002. Contact Blog Owner