2015, entre euphorie et ressentiment

Alors que s’achève une année 2014 désastreuse, qui devait être celle de la reprise si on en revient aux prévisions de fin 2013 que nous avions contredites  à l’époque,  avec en France une baisse historique de la construction, une nouvelle augmentation massive  du chômage, un endettement calamiteux, des impôts confiscatoires, des services publics en déshérence, un gouvernement réduit au bricolage et aux opérations médiocres de communication,  le climat général, tel qu’on peut en juger par le ton de la presse et les conversations privées,  est étrangement marqué par deux sentiments contradictoires : une certaine euphorie et en même temps la rage que donne le ressentiment.

Une constante des comportements collectifs en cas de crise est la survenue, lorsque tout va mal, d’une réaction populaire qui crie : stop ! Arrêtez de nous ennuyer avec votre pessimisme ! Vous créez la crise vous-même. De même que les gens en bonne santé se plaignent plus que les malades,  les sociétés abîmées ne veulent plus participer par la parole à la dégringolade générale dans le pessimisme.

On a connu cela début 2010. Après l’effondrement de 2009, les bons citoyens ont eu ras le bol de toutes les prévisions catastrophistes.  Et il y eu un rebond en 2010. On retrouve dans la presse aujourd’hui les mêmes manifestations de rejet du « déclinisme ».  Les sondages montrent que les Français n’ont jamais été aussi pessimistes sur l’avenir, mais les déclarations optimistes ou qui appellent à moins de pessimisme sont légions. 

La baisse simultanée des taux d’intérêt, de l’Euro par rapport au dollar et du prix du pétrole, avec les premiers effets du CICE, la fin des prélèvements électoraux à 75%, la suppression de l’impôt sur le revenu de plusieurs millions de foyers, ramenant à moins de 50% les Français qui le paient, des mesures de droite prises par le gouvernement , comme la loi Macron,  la relance des salaires en Allemagne, et le plan d’investissement européen, laissent espérer une croissance d’au moins 1% à la plupart des commentateurs. L’euphorie est telle que certains se prennent à annoncer 1.5% de croissance en 2015 si d’autres mesures de libéralisation sont prises,  et près de 2,5% en 2016 avec un début de décrue du chômage lorsque le plein effet du pacte de responsabilité aura des conséquences perceptibles, si d’autres mesures d’accompagnement viennent prendre le relais. En effet la baisse des prix par rapport aux salaires qui continuent de grimper assez vite, donne du pouvoir d’achat, même si la perception de ce gain de niveau de vie n’est pas  généralisée.

Cela donne un sentiment d’euphorie notamment au sein des sphères présidentielles, gouvernementales, et au Parti Socialiste. François Hollande en semble tout requinqué, la conjoncture politique à droite semblant mauvaise avec un retour poussif de Nicolas Sarkozy,  et une certaine décru du vote populaire pour le FN.

Il  y a donc, en ce début d’année, une bouffée d’envie que la crise s’arrête et une conjonction de facteurs objectifs qui laisse penser,  à  gauche,  que ce soit possible.

A droite, tout en soulignant les petits pas dans le bon sens, on insiste sur la fragilité du dispositif.  On remarque que la politique suivie est principalement d’affichage, d’enfumage disent les plus durs. Aucune réforme d’importance n’a eu lieu. On s’est contenté d’écraser d’impôts les entrepreneurs et les familles aisées. La loi Macro est « microbique »par rapport aux nécessités. On ne touche pas au Moloch étatique.  On se paie la tête de l’Union Européenne avec une aggravation à 4.4% des déficits publics par rapport au PIB au lieu de 4.3% en 2013. Le plan d’investissement européen est un recyclage de nombreux projets mitonnés  dans une nouvelle casserole mais qui ressemble plus à un effet d’annonce visant pour la nième fois à « créer la confiance » qu’à un vrai plan de relance. La chute des cours du pétrole et de l’ensemble des prix des « commodities » marque plus la fin de la spéculation effrénée par les banques d’investissements américaines et les » hedge funds » dans le cadre de l’amplification du dégonflement général de la bulle de crédit  qu’un véritable signal de reprise. La baisse du dollar est importante, mais seulement si l’entreprise est compétitive et la France a continué à jouer la hausse des salaires et la paix sociale plutôt que la compétitivité. Les parts de marché reculent. Le CICE est tellement bardé de condition et finalement si peu important quand on prend  le gain net après déduction de toutes les hausses de charges et si étalé, qu’il n’a pas une importance cruciale.

La politique suivie par M. Hollande est purement politicienne : transférer sur les entreprises la responsabilité de l’emploi, vider le programme de l’opposition des mesures qui ne font pas de mal, éviter toute réforme qui peut coaliser une opposition dans la rue. Après on laissera l’opposition se fragiliser en  proposant des mesures dures, tout en flattant l’électorat de gauche avec des mesures « sociétalistes, et en se flattant de « faire des cadeaux aux pauvres », avec la pénibilité ou la suppression de la première tranche de l’IR. L’achat de vote a encore de beaux jours devant lui. 

Cette approche suffira-t-elle pour pousser le pays à la réélection d’un président narcissique qui joue totalement le jeu de la communication en modifiant son look et jusqu’à sa voix pour faire énergique et compétent ?  Certains, à droite, le craignent, compte tenu de l’absence d’alternative réellement crédible dans leur camp et du poids du vote FN. Bien sûr, ils ont vu dans la prestation télévisée des vœux du président l’exercice de style totalement décalé d’un «Gamelin calamistré », prétendant tenir le front dans sa main alors que la débandade est partout.  Mais la « triangulation » fonctionne. On commence à louer Macron, voire Valls, pour leur pragmatisme.  Et la fusée Sarkozy a du mal à décoller.  Après tout il n’avait même pas un Macron dans les gouvernements qu’il a construit, juste une poignée de socialistes ralliés…

Tel est l’esprit public en ces premiers jours de 2015. On croit la croissance revenu et le combat politique rééquilibré. En se pinçant un peu tout de même.

Dans les tréfonds, le climat est autrement plus inquiétant. Le ressentiment est installé un peu partout.

C’est vrai pour les 5 millions de chômeurs, et les 2.4 personnes qui vivent du RSA. La durée au chômage s’est fortement allongée.  Des centaines de milliers de personnes sont au chômage depuis plus de trois ans. Pratiquement 80% des nouvelles embauches se font  sous un statut précaire.   Autant pour les niais qui prétendaient que les départs massifs en retraite allaient permettre une reprise facile de l’emploi.

C’est vrai pour les 100.000 entrepreneurs qui on perdu leur entreprise depuis 2008  et le gros de leur avoir, en constatant que les prélèvements fiscaux et autres ne leur ont pas permis de mettre de côté de quoi rebondir.  Ils représentent la valeur ajoutée  cumulée de Nantes, Rennes et Brest. Tout est rasé ! Circulez. Il n’y a plus rien à voir.

C’est vrai pour toutes les familles qui s’inquiètent de voir leurs enfants en difficulté de démarrage dans la vie ou qui s’expatrient.

C’est vrai pour le million de familles qui supportent l’essentiel du  poids des hausses fiscales et qui voient leur patrimoine disparaître.

C’est vrai pour les dizaines de milliers de familles qui se sont expatriées et qui vivent les difficultés et épreuves de cette condition.

C’est vrai aussi pour les ouvriers qui ont de plus en plus de mal à trouver un emploi et n’espèrent plus sortir de leur condition.

C’est vrai pour tous ceux qu’une loi absurde aggravant une conjoncture déjà détestable prive d’un logement.

C’est vrai en Europe pour tous ceux qui, dans le sud, ont connu la plus destructrice politique d’ajustement par la déflation des salaires menée depuis 1934.

C’est même vrai chez ceux de nos partenaires qui ne comprennent pas qu’on se moque de tenir nos engagements quand on a forcé les autres à les tenir.

Etc.

Le ressentiment est la force motrice la plus grave dans une démocratie. Elle peut conduire à tous les excès.

On le verra sans doute bientôt en Grèce et dans d’autres pays du sud de l’Europe.

L’adhésion de la Lituanie à l’Euro tient plus à la haine des Russes qu’à l’amour de la monnaie unique.

 Les crispations en Ukraine, au Moyen Orient, en Extrême-Orient sont le fruit de ressentiment enkystés mais qui purulent dès qu’on les gratte. 

Ces sentiments contradictoires, euphorie économique et travail en profondeur du ressentiment marqueront 2015.

Si on s’en tient strictement à l’économie, nous sommes toujours dans une économie boursouflée par les dettes, une économie baudruche, comme nous l’appelons ici. Elle est éclatée et totalement déséquilibrée. Le commerce international est toujours à l’arrêt.  Le Baltic dry index est près de ses plus bas et plonge depuis ces dernières semaines. Certains pays frôlent la ruine, comme le Venezuela, la Chine, l’Algérie,  la Russie, l’Indonésie, la Grèce, l’Ukraine, etc.  D’autres, vulnérables à une poussée des taux d’intérêt, sont si nombreux qu’on ne les comptera pas ici. A part les Etats-Unis qui transfèrent la crise par l’abus du dollar, on ne compte pas de pays réellement prospères.

Les politiques budgétaires et monétaires sont au bout de leur chemin.  Autant dire que les trois défauts majeurs qui pèsent sur la conjoncture  joueront tout leur rôle néfaste. Sans réforme du système monétaire international  pas de reprise équilibrée possible des échanges internationaux ; sans réforme de la gouvernance de la zone Euro, pas de levée des graves hypothèques qui pèsent encore sur la viabilité de la zone ; sans retour à un niveau décent des prélèvements fiscaux en France, pas de vraie reprise de l’investissement et de la confiance possible.    

Dangers et médiocrité seront  encore les mots-clés en 2015. Il eût fallu moins d’optimisme et moins de ressentiment pour qu’une politique collective sensée de réformes coordonnées, dans le monde, en Europe et en France, eût pu  être perçue comme pertinente et  menée dans la durée.

Commentaire
Micromegas's Gravatar Vous avez raison de souligner les aspects psychologiques de la conjoncture et l'incertitude qui pèse sur les possibilités d'action des gouvernements. les Français se moquent de voir les campagnes politiques qui n'ont pour but que de monter sur le pavois des hommes qui n'en valent pas la peine,t qui n'en reviennent pas de se retrouver si haut et qui continuent à se comporter avec les moeurs de leur niveau. A quoi bon avoir des institutions présidentielles si c'est pour les confier à de tels nains ! Telle est la phrase qu'on ne cesse d'entendre.

Les Français aimeraient savoir exactement si on peut s'en sortir en ne faisant aucun effort et en acceptant le clientélisme électoral du "qu'est-ce que vous pouvez faire pour moi", ou si le risque est trop élevé d'une rupture dramatique.

En revanche si on leur propose une vraie rupture, ils entendent savoir où cela les mène. Je pense qu'il faut proposer la rupture avec le socialisme car, partout, il n'a mené qu'à ruine et effondrement. Et dire pourquoi et comment. Si la France ne fait pas son deuil d'un socialisme mâtinée de christiannisme larvé et non assumé, elle est perdue. Les trois épisodes Mitterrand, Jospin, Hollande ont tué le pays et ont fait d'un paradis admiré un pays déchu et malade.

Liberté, responsabilité, ézergie devrait être la vraie devise de la France. L'égalitarisme tue les libertés et empêche toute fraternité.

On n'a pas besoin d'une "vraie droite". Simplement de quitter le socialisme, comme l'ont fait tous les pays qui l'ont connu.

L'homme politique dont la France a besoin est celui qui dira : on quitte le socialisme à face de carême et on remet la France dans ses taces historiques de grand pays créatif, dynamique, chaleureux et gai.

L'échec de Sarkozy est qu'il ne peut pas incarner cette révolution. Hollande est un minable qui tente de faire tenir encore un peu le vaisseau fantôme qu'il abîme le temps d'une réélection.

Un nouvel affrontement Hollande Sarkozy : Pouah !

Il faudrait les idées de D. Dufau et un homme capable de les porter politiquement. Cela fait déjà la moitié du chemin !
# Posté par Micromegas | 03/01/15 14:52
DvD's Gravatar Il me semble que le sentiment d'euphorie que vous évoquez ne se perçoit que dans le microcosme. Passons sur l'euphorie jouissive et perverse que l'on doit en effet ressentir à présenter en toute impunité ses voeux au pays que l'on soumet sciemment au chômage et à la servitude fiscale. En février 2014, en commentaires de "Croissance, vous avez dit croissance?", nous notions que "La psychologie de la bulle financière est en train de s'installer et va s'amplifier dans les 18 prochains mois, créant un semblant de prospérité économique..." Quelle euphorie en effet pour ceux qui ne produisent rien du tout de pouvoir encore - après avoir ponctionné 1.200 milliards d'euros sur ceux qui produisent quelque chose - emprunter quasiment gratuitement une centaine de milliards d'euros nets supplémentaires par an que d'autres se saigneront pour rembourser plus tard (voir Grèce, Espagne, Portugal). Voilà, je crois, d'où vient ce sentiment d'euphorie d'un microcosme par ailleurs naturellement prompt à l'auto-congratulation et à l'auto-décoration pour services non rendus à la nation.

Pour les 99.5% autres qui n'appartiennent pas au microcosme, il serait me semble-t-il plus juste de parler de résilience, cette force vitale qui fait que, quelque soient les obstacles et les difficultés, et en particulier quelque soit la malveillance et / ou l'incompétence du régime politique, la vie continue et il faut donc jour après jour faire de son mieux pour ses enfants, sa famille, pour ses amis et enfin pour soi. Et pour cela ignorer le pessimisme, comme le marathonien ignore la fatigue et la douleur, pour ne pas abandonner, pour ne pas rester sur le bord du chemin, malgré les boulets qu'on ne cesse de nous attacher aux jambes, ce qui nourrit - c'est bien vrai - un ressentiment sourd et tenace.

Le seul problème de l'euphorie ressentie par le microcosme politico-médiatique-financier est qu'elle sera de courte durée. La bulle financière est maintenant dans sa phase mature et les premières lézardes commencent à apparaître. L'Allemagne joue le jeu c'est vrai - et c'est tant mieux - mais sa marge de manoeuvre sur les salaires est très faible alors que les pays émergents "low cost" et la Chine en particulier font baisser leur devise pour regagner en compétitivité et ré-engranger sur les pays développés les surplus commerciaux qui leur permettront - croient-ils - de rembourser la dette extravagante qu'ils ont accumulé depuis 2009 par leur plan de relance encouragé par les banques centrales et qui n'ont fait qu'exacerber les sur-capacités mondiales dans de nombreuses industries et les pressions déflationnistes que les banques centrales font mine de combattre verbalement tout en les aggravant dans les faits.

Quant aux Etats-Unis, l'euphorie sera aussi de courte durée. Les US reçoivent en ce moment l'essentiel des capitaux flottants mondiaux qui quittent les zones qui dévaluent (Japon, Chine, Europe, Russie, Amérique Latine, etc). Ces capitaux doivent bien s'investir quelque part. Et on assiste donc à une reprise de la consommation à crédit (automobile par exemple), de l'investissement sans débouchés (construction non résidentielle par exemple, alors que les sur-capacités de la crise précédente ne sont même pas résorbées) et bien sûr spéculation financière à crédit, les positions longues sur les marchés actions américains étant financées par des positions vendeuses en Yen, Euro, Dollar Australien ou en bonne vieille margin debt. Il n'y a que de faibles débouchés réels face à cette frénésie d'"investissement" et la baudruche US va donc aussi se dégonfler, d'autant plus fort que c'est la plus grosse de toutes.

Très belle année 2015 à vous et merci de partager ainsi vos analyses.
# Posté par DvD | 04/01/15 10:31
Julien L.'s Gravatar "La France va emprunter 173 milliards d'euros sur les marchés à moyen et long terme en 2014, après une année 2013 au cours de laquelle ses coûts de financement ont atteint un plus bas historique, selon un communiqué publié vendredi.
Ce montant, net des rachats de dette, est un peu plus faible que celui qui avait été communiqué lors de la présentation du budget en septembre (174 milliards d'euros), mais plus élevé qu'en 2013 (169 milliards), selon l'Agence France Trésor (AFT).
La différence par rapport au montant communiqué lors de la présentation du projet de loi de finances en septembre tient au fait que l'AFT a racheté depuis cette date un milliard d'euros de dette qui arrivait à échéance en 2014.
Au total, les besoins de financement de la France s'élèvent à 176,4 milliards d'euros pour l'an prochain, couverts pour l'essentiel par les 173 milliards d'emprunts, complétés par des ressources annexes."

J'ai l'impression qu'on est au delà des 100 milliards nets.
# Posté par Julien L. | 04/01/15 20:03
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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