Le million de lectures dépassé sur ce site
Le blog du Cercle des Économistes E-toile vient d’enregistrer sa millionième lecture, lundi 12 septembre 2016 à 16 h 47, après 3 000 jours d’existence, plus de 625 billets, et près de 4 000 pages écrites. Il ne faut pas être dupe de ces chiffres. On sait qu’il y a une forte différence entre des « hits » et de véritables lectures. Mais on sait qu’environ 40 000 véritables lecteurs distincts ont lu au moins un article et qu’une centaine de lecteurs ont lu la majorité des articles. La moyenne des lectures par article est d’environ 1 600. L'article le plus lu dépasse les 9 000 accès. Cet écart ne peut pas être l’effet des automates (les « bots » qui provoquent des « hits » non significatifs).
L’analyse des articles les plus lus montre un intérêt pour les questions monétaires, notamment de la part des étudiants en économie qui sont très mal servis dans ce domaine. La monnaie et le système monétaire international sont deux domaines mal enseignés en France. Cette carence n’est pas proprement française et elle n’est pas nouvelle. Le paradoxe apparaît dans toute sa splendeur quand on se souvient que l’économie politique est née de la contestation des pratiques monétaires des Etats ! Depuis que la "finance" s’est installée en discipline quasiment à part de l’économie, l’habitude est de lui sous-traiter ces questions, qui, du coup, sont réduites à des modalités de techniques financières. Nous sommes heureux de corriger si peu que ce soit, cette immense carence et détestable déviation.
La monnaie et le système monétaire international ne sont pas un domaine technique. Ils sont le creuset de l'économie et la forge où s'est construite la crise. Impossible de comprendre comment nous en sommes arrivés à ce degré de stagnation sans passer par une analyse précise des mécanismes monétaires et de ses liens avec l’économie générale. La monnaie n’est pas qu’un voile. Ce n’est pas non plus « un produit comme les autres ». Nous sommes heureux de voir que nos articles sur Maurice Allais et Jacques Rueff ne cessent de monter dans le classement. Il faut en réhabiliter la lecture non pas parce qu’ils sont français mais parce qu’ils sont pertinents. Savoir que la pertinence est française n’est pas totalement anodin, dans le climat d’effondrement national dans lequel non baignons. Il fut un temps pas si lointain où les Français pensaient le monde. Et c’était utile. La réflexion anglo-saxonne est prisonnière des intérêts qu’elle défend et n’a aucune universalité de fond, même si elle domine le monde. Elle est en partie à l’origine du désastre économique global que nous vivons.
Ce blog est, d’une certaine façon, la chronique d’un désastre annoncé. Sur le forum du Monde nous avions correctement prévu la crise du début des années 2000 puis clairement expliqué, au moment de la campagne électorale de 2007, que Sarkozy avait tort d’annoncer une poussée de croissance grâce « à la libération des énergies » puisqu’il allait vivre la pire crise depuis 1929 pendant l’essentiel de son mandat. L’ennui, c’est que le forum du Monde est devenu payant, lui faisant perdre tout intérêt, puis que les archives ont été supprimées. Cela nous a conduits à proposer ce blog.
Il commence en juin 2008 pour annoncer qu’une crise sévère va avoir lieu. Quand elle se produit, il présente les causes exactes instantanément : il faut dire qu’elles avaient été étudiées pendant 15 ans ! Aujourd’hui, lorsqu’on relit ces textes, il n’y a rien à en retrancher. Tout est exact et toutes les analyses publiées depuis les confirment.
Nous avons également constaté dès 2008 que le G.20 faisait fausse route. Nous soulignions qu’il ne voulait pas faire le diagnostic de la crise et qu’il souhaitait perinde ac cadaver maintenir le système fautif et malade qui l’avait provoquée. Nous annoncions qu’il prenait le risque de l’échec. Le dernier G.20, en Chine, persiste et signe dans le déni, alors que l’impatience devant la stagnation en cours s’accroît et se généralise, y compris aux Etats-Unis. Tout est là : pourquoi, malgré 8 ans d’échec, n’y a-t-il toujours pas de sursaut intellectuel et de vraie analyse de la crise ?
Henri Guaino vient de publier un livre fort intéressant sur la question (En finir avec l'économie de sacrifice chez Odile Jacob). Il voit dans la persistance du culte des idées fausses un effet « bon élève » qui se contente d’une vulgate pieuse au lieu d’une vraie compréhension des doctrines économiques. On peut être d’accord avec à peu près tout le contenu du livre qui pèche cependant sur le point essentiel : pourquoi les « bons élèves » se sont-ils ainsi lancés dans une lecture aussi déviante que religieuse d’un credo délirant ? Faute de le comprendre, il ne peut que fustiger les conséquences sans jamais s’attaquer aux causes.
Au passage, il touche une question grave : la défaillance est-elle celle des économistes ou est-on confronté à une crise de la science économique elle-même ? Dans un livre au titre étrange jusqu'au douteux, Le négationnisme économique : comment s'en débarrasser, les auteurs nient fortement que les économistes soient responsables. Les politiques prennent ce qu’ils veulent dans la vraie économie expérimentale et disent et font n’importe quoi. C’est peut-être vrai pour la réduction du temps de travail et pour d’autres mesures de politiques sociales franco-françaises. Cela ne l’est certainement pas lorsqu’on s’attache aux recommandations des grands organismes spécialisés internationaux comme la BRI, le FMI, l’OCDE, etc. On attend toujours de ces organismes une explication des désastres qu’ils sont les premiers à dénoncer. Le FMI vient de publier un graphique somptueux montrant la dégringolade de la croissance du revenu par tête partout depuis 71. Où est l’explication ? On touche de plus en plus au « consensus de Washington », suivi effectivement par la crise dite à tort « des pays émergents », puis la crise décennale molle du début des années 2000, puis la crise décennale dure de 2008. Cette séquence tragique et récente aurait du tout de même faire réfléchir. Pourquoi ne le fait-on pas ?
La vérité est facile à comprendre : à partir du moment où on acceptait les changes flottants et les grands déséquilibres extérieurs, on créait automatiquement une économie baudruche à dimension explosive. Aucune théorie économique solide ne peut défendre les changes flottants. Les thèses de Milton Friedman se sont trouvées totalement contredites par l’expérience. On pourrait paraphraser Cahuc en disant : "jamais aucune étude expérimentale n’a donné le signal de mettre en œuvre de façon positive les changes flottants".
Si on l’a fait, c’est parce que les Américains l’ont voulu et que les Européens n’ont pas pu ou même voulu les contredire. Depuis on fait semblant de construire dans le détail microéconomique un village global totalement délirant et conflictuel, dont la principale caractéristique est d'être totalement déséquilibré à l’échelon macroéconomique. On collabore très finement dans la découpe du micro grain de sable des allées en laissant des trous béants dans les structures. C’est pour cela que le G.20 se pare toujours des vertus de l’esprit de collaboration et que dans les faits aucun des grands déséquilibres qui expliquent la crise, son aggravation et les difficultés de plus en plus grandes d’en sortir ne font l'objet du moindre commentaire, de la moindre mesure suivie d'effets.
Les économistes officiels qui vivent en symbiose avec les Etats et les médias savent qu’ils n’auront de carrière et de visibilité que s’ils jouent le jeu du village économique mondialisé en ne regardant surtout pas les énormes falaises de dettes, de déficits, d’excédents, qui s’effondrent de partout. On en arrive aux programmes des réunions de Davos, toujours à côté de la plaque depuis 30 ans ou des réunions d’Aix en Provence, lénifiants et pusillanimes.
À partir du moment où les Américains ne veulent pas revenir sur l’hégémonie du dollar et considèrent comme une faute condamnable contre l’atlantisme de revoir le système monétaire international débile et dangereux qui provoque la déroute économique générale, pourquoi se mettre en première ligne pour se faire fusiller ?
L’affaire Maurice Allais, le seul qui a osé s’insurger avec toute la science d’un vrai prix Nobel, a refroidi toutes les ardeurs. On peut ne pas considérer que mettre en danger sa carrière universitaire, médiatique, para-étatique et internationale soit une aventure exaltante.
Dans cette affaire, il ne faut pas fustiger la science économique en elle-même, ni même la lâcheté des économistes, moins encore les baby boomers, et encore moins les électeurs. Il était possible de prévoir la crise de 92-93, comme celle de 2001-2003, comme celle de 2008-200x. C’est facile à prouver : nous l’avons fait et chaque fois à partir d’un raisonnement basé sur des faits et publié avant la crise. Il est facile de démontrer que la crise définie comme une baisse de longue durée du taux de croissance avec des crises périodiques de plus en plus fortes et un endettement explosif est entièrement liée à la mise en place d’un système monétaire international structurellement non coopératif. Dès que l’on considère la science économique comme devant partir des faits et s’appuyant sur des raisonnements étayés, la crise est facile à comprendre et les moyens de sortie de crise faciles à concevoir.
La difficulté est strictement politique : les Etats-Unis ne veulent pas, pas encore, revenir à un système coopératif évitant les énormes déficits ; les Allemands prétendent accumuler des excédents démentiels tout en ruinant les pays à qui ils ont prêté leurs excédents. Arriver à contrebattre ces deux blocages géopolitiques est le défi des années à venir. Jusqu'ici la pédagogie de la crise n'a pas suffi à générer les remises en cause nécessaires. Les élections américaines qui viennent sont plutôt du genre inquiétant. L'Europe s'effondre et la France est, disons pour être charitable, actuellement dans l'incapacité de dire ou faire quoi que ce soit allant dans le bon sens.
Jusqu'où faudra-t-il tomber avant que les mesures simples et nécessaires soient prises ? Quel levier utiliser pour provoquer le basculement ?
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Alors, cette millionième lecture me donne l'occasion de vous dire merci et surtout continuez !
Quand le Général de Gaulle a quitté la scène, j'ai été orphelin de ses analyses pendant des années. C'était un homme sans préjugés qui regardaient les situations de façon totalement libre et qui formulait ensuite un diagnostique et un plan d'action parfaitement clair et rationnel. Il ne considérait pas qu'on se nuisait à soi même en sortant de l’ambiguïté. Au contraire l'action ne pouvait procéder que de la clarté de la réflexion et de son exposition publique. Et il voyait clair.
En matière économique depuis tout ce temps, vous jouez pour moi le même rôle en économie. Je trouve que vous voyez clair et que les mesures proposées sont toujours ajustées à une observation rationnelle des faits. Sur le forum du Monde comme sur ce blog je n'ai jamais vu qui que ce soit prendre en défaut ni votre diagnostique ni vos propositions d'action.
Je persiste à ne pas comprendre pourquoi personne dans la partie universitaire ou dans les médias officiels ne donne de l'ampleur à ces réflexions.
Encore merci !
C'est vous et pas Guaino qui devrait se présenter à l'élection présidentielle prochaine.