Désastreuse unanimité !

Règle : un vote unanime au Parlement est toujours une sottise.

Pourquoi ?

Il n’y a pas de pièce qui n’ait son revers. Le « logos » n’est utile que si l’esprit critique fonctionne. Toute mesure génère nécessairement son lot de critiques, de réserves, d’avertissements. Le propre de la raison est d’apporter une lumière partielle. Aucune théorie scientifique, même la plus étayée et la mieux  élaborée,  n’est à l’abri d’une remise en cause.  Alors, une mesure politique…

Quelle est la cause de l’unanimité ?

L’émotion.

Le cœur lie le cerveau et le paralyse. La peur de se « distinguer », de paraître comme une brebis galeuse,  de s’éloigner du groupe des gentils, de la collectivité du « politiquement correct » est le plus sûr moyen de ne pas réfléchir.

Application : l’unanimité pour l’écotaxe.  La pollution, c’est le mal. Les camions, ils ne sont pas sympas. Sauver la planète, quel idéal plus haut ?

Certes les Verts n’ont pas voté le texte mais parce qu’ils étaient plus d’accord que les autres avec la mesure.  Les médias ont mis en scène cette touchante unanimité. Le bien, le beau, le grand, ont dégouliné comme la lave de l’Etna dans la presse après le « Grenelle de l’environnement »  (« faire Grenelle », c’est beau, c’est bon, c’est généreux, c’est social, c’est chou tout plein…, alors que les décisions prises ont été catastrophiques).

Personne n’a rien dit des modalités exactes de la mesure.

-          Qui avait annoncé qu’on passerait un contrat de près d’un milliard d’euros à une firme italienne ? Qui l’a dit quand on l’a fait ?

-          Qui a dit que la maintenance du système couterait entre 30 et 40% des sommes collectées ?

-          Qui a parlé de la floraison de portiques de long des routes ?

-          Qui a parlé de la non-floraison des portiques dans les autoroutes à péages ?

Tout cela, les bons Français n’avaient pas à le savoir. N’y avait-il rien à dire ou à redire ?

Un impôt doit être large dans son assiette, de faible taux,  ne pas être cumulatif et finalement  perturber le moins possible l’économie.  Voilà un impôt étroit dans son assiette, lourd, car tous les va et vient sont taxés, d’un rendement minime.

On dit d’accord, on viole toutes les règles mais c’est pour obtenir un changement de comportement de l’économie. Si le changement est acquis la base de l’impôt se réduit. S’il ne l’est pas, c’est juste un impôt de plus.  Dans tous les cas, il y a des perdants.

 Le fondement politique et fiscal était donc parfaitement contestable.

Le choix de la technique de recouvrement aussi. Supprimer les frontières pour imposer des barrières d’octroi, était-ce bien le but de la construction européenne ?  Une vignette annuelle  à l’entrée en France aurait suffi.  Vouloir un traçage individuel de tous les mouvements  est une fois de plus très contestable sur plusieurs plans.

Le fondement économique d’une mesure malthusienne n’est pas plus assuré. Réduire la circulation des marchandises  alors que le fondement de l’Europe est La liberté de circulation est pour le moins un paradoxe.

Lorsque Sarkozy a choisi de tenter de mettre en œuvre la mesure, il est apparu tout de suite que ce serait impossible dans un contexte  de crise qui a vu l’activité baisser et beaucoup d’entreprises en difficultés, le tout s’ajoutant à une perte de compétitivité majeure depuis l’instauration des 35 heures.

Avoir voulu l’imposer,  150 mesures d’aggravation fiscale plus tard, sans aucune sérieuse réduction des dépenses de la sphère publique,  était délirant.

La Bretagne est en difficulté, mais ni plus ni moins que les autres parties de la France. Il se trouve que la Vendée et la Bretagne sont des pays excentrés qui ont beaucoup misé sur l’entreprise. La production doit être compétitive et s’exporter.  Le transport est critique.

Lorsque vous fabriquez des madeleines, il faut collecter des œufs et du lait, et ensuite il faut les diffuser partout en Europe.  Il faut des centaines de camions et de camionnettes pour que la logistique fonctionne. Vouloir taxer les allers et retours c’est vouloir taxer la respiration. Comme toutes les taxes sont cumulées, la marge trinque : Ouest France parle de 15 à 20%. A Paris on minimise : 10%.

Prendre 10% de la marge d’entreprises qui ont la marge la plus faible d’Europe, c’était de la folie.

Les bretons ont sorti les fourches.

On veut faire, avec le diésel,  ce que les Rois ont fait avec le sel : une gabelle.  Les bretons n’ont jamais accepté la gabelle et en ont été  historiquement exonérés !

La maladresse politique s’est ajoutée au reste.

On nous bassine sur le fait que la Slovaquie  a mis en place de système sans problème grave. Oui mais la Slovaquie a longtemps eu une flat-tax de… 19%.  Le gouvernement social-démocrate de Bratislava a certes décidé d’y  mettre fin mais les entreprises paient 23 %, les ménages les plus aisés 25 %.

Nous, on sait que les prélèvements sont égaux à la valeur ajoutée des entreprises !

Alors on accable les Bretons. Roland Cayrol, qui avec l’âge s’est découvert une passion pour Hollande (qui lui permet de conserver son fromage), a mis sa réputation une fois de plus au service du Président.  Naguère, il nous avait expliqué que l’image du gouvernement était atteinte mais pas celle du président, foi d’expert.  On a vu ce qu’il reste de cette affirmation.

Maintenant la crise est la faute des Bretons.

Quand une entreprise fait faillite, ce n’est jamais à cause du contexte créé par les politiques. C’est toujours de la responsabilité du patron qui sort de là essoré jusqu’à la moelle et en ayant perdu toutes ses économies.  La famille Peugeot a été injuriée par un ministre du redressement pour avoir laissé l’entreprise aller vers la faillite. 

Alors pourquoi pas les injures d’un Cayrol ? Les paysans bretons ont voulu faire du productivisme « cheap ». Ils polluent comme des malades. Ils sont responsables de leur modèle économique de voyous.

Toutes les bouches à feu du PS ont repris ces critiques acerbes et ces dénonciations, par exemple Bernard Maris, l’économiste tendance Charlie-Hebdo.

Pensez-donc : les Bretons élèvent des porcs qu’ils exportent ! Ah les salauds ! 300.000 porcs !  Ils ne sont même pas capables de les transformer sur place. Il faut que les usines issues des combinats soviétiques, énormes machines avec des  dispositifs écologiques embryonnaires, sauf quelques usines modèles, toujours citées, fassent le travail avec du personnel payé au lance-pierres.

Essayez-donc de créer quelque part en France une méga-usine de traitement de 300.000 porcs avec des milliers d’ouvriers venant de Roumanie ou de Tchéquie !

D’accord,  on peut mettre une puce sous la peau des travailleurs de l’est pour qu’on puisse les suivre sous des portiques adéquats.

On le voit bien : cette écotaxe aurait du faire l’objet d’un débat approfondi.

L’unanimité est un piège.

La leçon à tirer des événements : Il faut proscrire l’unanimisme.

Le logos est une dialectique. Les Grecs le savaient bien avant les Bretons !  

Commentaire
DvD's Gravatar L'unanimité me semble moins en cause que la représentativité. Unanimité des représentants versus rejet du peuple. On retombe souvent sur ce problème que le verrouillage du système politique français entraîne l'absence de véritable choix démocratique et donc l'élection de représentants par défaut. Ainsi, à le présidentielle de 2012 avait on le choix entre un candidat usé par son échec et un candidat condamné à échouer faute de s'être présenté préparé. Le système politique français semble être conçu pour empêcher l'émergence d'une personnalité doté de la compréhension des problèmes, de la vision des solutions à mettre en oeuvre et du courage et de la capacité d'exécution indispensables. Si c'est pour ne rien avoir à proposer mais seulement pour récupérer la pension à vie pour services non rendus, pas la peine de se présenter.
# Posté par DvD | 01/11/13 07:48
Alain Prodint's Gravatar Merci pour ce billet, mais qui reste peut-être superficiel pour certains points qui auraient mérités d'être davantage développés:
- le choix de la technique de recouvrement. Un délire bureaucratique et étatique parfaitement adapté à un pays dirigé par des énarques. Une vignette annuelle, comme vous le précisez aurait amplement suffit.
- lié au premier, le coût de la collecte, une autre gabégie. Il aurait cependant été bon que vous précisiez sur quoi se basait le entre "30 et 40% des sommes collectées". Le gouvernement annonce fièrement 25%. Dans un pays qui a encore des péages autoroutiers, on est pas autrement étonné.
- l´impact sur les produits industriels fabriqués en France et dont les sous-traitants sont également français. Chaque déplacement augmente le coût final du produit. On aurait voulu avantager les produits finis directement importés de l´étranger, on ne s´y serait pas pris de façon plus adroite!
- le cas des entreprises agricoles des régions excentrées confrontés à une Allemagne (qui ne connaît pas de salaires minimums et qui emploit des Roumains pour 3 Euros de l´heure dans les combinats agro-alimentaires) avec des infrastructures de transport qui n´ont rien à envier à la France, ce qui pose la question de l´Europe créée en plaçant la charrue avant les boeufs et la poursuite de la désindustrialisation française dans le cadre européen comme dans le cadre du laisser faire mondialiste.
- enfin, l´abime existant entre ces politiques bureaucrates-fermiers généraux, incapables d´entrevoir dans leur aveuglement leur capacité de nuisance, et le monde réel, ce qui mériterait un essai en soi :-).

Bonne continuation
# Posté par Alain Prodint | 01/11/13 20:06
DD's Gravatar Le point souligné ici est la nécessité de la critique politique en toutes circonstances. L'unanimité conduit au silence généralisé. L'aspect de méthode l'emporte sur la mesure elle-même.Ce qu'on apprend aujourd'hui parait parfois raisonnable, parfois délirant. Quand M. Beffa indique qu'une vignette pour les gros camions, perçue aux frontières, eût mieux valu que le traçage à grands frais des petits camions, cela parait évident. Mais voilà : l'unanimité rend sot.
# Posté par DD | 11/11/13 01:31
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