Xavier Fontanet : « Pourquoi pas nous ? »
Voici encore un excellent livre (Les Belles Lettres – Fayard), d’un excellent auteur. En un temps où le mépris des élites est un insigne qui se porte bombé sur la poitrine des imbéciles, il a tout pour être vomi : fils d’un Ministre du Général de Gaulle, chrétien démocrate quand il fallait être christo-coco-claveliste pour plaire à l’intelligentsia, diplômé du MIT, patron à succès, professeur à HEC. Son livre est parfait. Pas une ligne qui ne soit frappée au coin d’un bon sens promu au rôle de pilote de la République.
L’auteur n’hésite pas à partir de l’observation des faits. Quel scandale ! De ce fait il recoupe des dizaines de points sur lesquels nous nous exprimons nous-mêmes depuis 1977. Curieuse impression de se relire tant les propos qui sont tenus ont été les nôtres depuis 20 ans.
Il ne théorise pas l’Enarchie compassionnelle, mais il remarque que la dérive étatiste a commencé avec Giscard, même s’il ne le cite pas nommément.
Il voit bien qu’il y a eu un avant et un après la césure du début des années 70. Très justement il ne l’impute pas à la crise pétrolière.
Il remarque que le secteur public est désormais plus gros que le secteur privé et que cette dérive vers un Etat obèse et tentaculaire mais impotent a progressivement anémié tout le secteur marchand. Il montre bien la corrélation entre obésité publique et anémie marchande. En monopolisant les ressources l’Etat empêche l’innovation et l’investissement. L’emploi public tue l’emploi privé.
Il sent bien que l’hystérie fiscale récente, s’ajoutant au gonflement excessif précédent, est en train de tuer le pays.
Il prend le temps de démontrer avec soin que la plupart des arguments socialistes en faveur de la dépense publique, et contre l’entreprise ne mènent qu’à une société d’assistés de plus en plus dépendants, se partageant un gâteau qui diminue, dans une société de plus en plus divisée et haineuse.
Il refait l’histoire des pays qui justement ont pris le contrepied de cette approche délétère et ont été très loin dans la restauration d’une société de responsabilité et de dialogue. Les leçons du Canada, de la Nouvelle Zélande, de la Suède ou de la Suisse sont tirées avec beaucoup de précision.
Tout cela était parfaitement connu dès 1977. Et on a eu Jospin qui a tout aggravé. Et on a eu Chirac qui a dit non à toute évolution dans le sens indiqué et même Sarkozy, dont il note qu’il n’a pas donné suite au rapport Attali. Puis l’inconsistant Hollande et sa fuite en avant dans l’hyper-fiscalité et la manœuvre politicienne de bas étage et l’abaissement abyssal de la dignité présidentielle.
On retrouve la grande question : pourquoi ces idées, élémentaires et constamment prouvées, n’ont pas de champ d’application en France ? Pourquoi crie-t-on au génie économique d’un DSK qui a théorisé et cautionné les 35 heures puis nié l’arrivée de la crise comme Président du FMI ? Pourquoi la télévision publique se croit-elle tenue de faire appel à des « penseurs » comme l’animateur d’On n’est pas couché et son faire valoir débile, qui cautionnent constamment toutes les idées fausses ? Comment ce fait-il que la société se montre incapable d’assimiler un message aussi élémentaire, à droite comme à gauche ?
L’auteur n’aborde pas ces questions. Il croit à la seule vertu de l’observation et du bon sens. Grave erreur.
L’explication est-elle sociale ? La société est désormais totalement dépendante de l’Etat et ne veut entendre que ce qui pousse à l’extraction de l’argent résiduels des « autres » pour survivre, sans se rendre compte que le boa se mange lui-même ? En donnant une citation de F. Bastiat qui décrit ce processus, l’auteur semble pencher pour cette hypothèse
Est-elle économique : la France ayant fait le choix du tout Etat se trouve incapable d’affronter un monde ouvert et se recroqueville sur les impôts et les subventions pour tenir encore trois minutes de plus ?
Est-elle idéologique ? La France, terre ancienne d’un marxisme larvé, a-t-elle réellement considéré au fond d’elle-même qu’il fallait se débarrasser des oripeaux de la bourgeoisie sûre d’elle-même et dominatrice, jusqu’en 68, et qui est désormais présentée comme honnie, esclavagiste, colonialiste, nationaliste, belliciste, antisémite, raciste, méprisante pour les femmes, les pauvres, les immigrés, les délinquants et d’une façon générale « les autres » ? En un mot : des fascistes ! C’est la France « Taubira-Belkacem » du Chagrin et de la Pitié. Sa repentance implique un repli morose sous la houlette de faux prêtres de la « réconciliation » et des tenants de la fin des « dominations ». Adieu le « pouvoir de la volonté ». Adieu la croissance criminelle qui tue la planète.
L’auteur ne tranche pas ces questions fondamentales et prend soin d’indiquer « qu’il ne prend appui sur aucune théorie politique ou économique ». Le simple bon sens, voilà la clé.
Mais pourquoi diable le simple bon sens ne suffit-il pas ?
Suggérer que Giscard n’aimait que l’Etat et lui imputer personnellement le tournant des déficits est tout de même un peu court, même si sa responsabilité dans certaines des décisions les pires (le non financement de l’Etat par la banque centrale, les accords de la Jamaïque) est massive. Critiquer le manque de courage des gouvernements de droite et le manque de sagesse des gouvernements de gauche ne nous avance guère.
Il faut faire à ce livre les mêmes reproches qu’à celui du petit De Closets. En ne contemplant que les faiblesses internes de la France on manque les conséquences dramatiques des séquences internationales qui se sont succédé depuis la fin des Accords de Bretton-Woods.
L’analyse de la crise repose selon nous sur trois piliers :
- L’amoncellement de déséquilibres extérieurs monstrueux qui ont provoqué l’inversion de la courbe descendante de l’endettement global et le gonflement des dettes à des niveaux progressivement intenables. Les crises périodiques de type décennal ont été de plus en plus graves. 74, 93 et 2008 sont d’intensité croissante. Pourquoi ? Le trend a baissé. Pourquoi ? Et pas seulement en France.
- L’Euro n’a certes pas créé les conditions de la crise d’endettement mais en a terriblement compliqué la gestion jusqu’à l’aggraver. L’inorganisation de la zone Euro a imposé des politiques de déflation et de récession pour réajuster les économies, un processus qui n’est pas terminé. Et qui est déprimant.
- L’énormité de la dépense publique en France et le développement d’un secteur sous perfusion d’impôts de taille supérieure à celle de l’économie marchande est bien un aspect déterminant du drame français. C’est un point que nous n’avons cessé d’illustrer.
L’auteur ignore bravement les deux premiers piliers.
Sans vouloir fournir trop d’excuses aux gouvernements français, il faut bien noter qu’ils ont été presqu’en permanence confrontés aux effets d’une récession forte. C’est vrai pour Chirac, trois fois, en 74, en 86 et en 95. C’est vrai pour Bérégovoy et Jospin en fin de mandat, pour Sarkozy puis Hollande.
Bien sûr il y a eu les immenses erreurs de Giscard, obsédé par l’impôt, qui signera un septennat fiscal et « sociétaliste », l’erreur cynique du Programme commun du lamentable Mitterrand qui arrêtera définitivement le rattrapage par les Français du niveau de vie américain, et qui sera doublée par le même de deux drames majeurs : Schengen et l’Euro. Les mesures dommageables de Rocard (RMI et retour de l’ISF), celles de Jospin (complication inextricable des lois sociales et 35 heures) puis les gesticulations et l’hyper fiscalité de F. Hollande, complètent un tableau globalement étatiste, fiscaliste, antiéconomique et aux résultats sinistres.
Mais il est vrai que pratiquement six années sur dix pendant quarante ans ont été consacrées à faire face aux conséquences de crises périodiques toujours plus fortes, tout en considérant qu’il fallait laisser la liberté totale des mouvements de capitaux, de personnes, de marchandises et de services sans aucune instance de régulation européenne ou mondiale. Alors l’énorme bloc étatique français , ses dettes et son arrogance, sont obligés de plier devant la compétition des pays développés dynamiques et des pays en rattrapage, tout en accumulant les charges d’une immigration incontrôlable. Jusqu’ici, la réaction a été de le protéger le Moloch et de l’étendre en poussant les impôts à des sommets impossibles à maintenir.
On aimerait que l’auteur intègre ses raisonnements franco-français dans ce flux historique international. Sa réponse implicite : ce n’est pas la peine puisque des pays, dans ce même cadre global, ont réussi à s’en sortir par des mesures simples et adaptées. Alors « pourquoi pas nous ? ».
Il oublie de dire que les expériences canadiennes, suédoises et néozélandaises ont été menées après la crise de 92, appuyées par une forte dévaluation et ravivée par l’expansion rapide de la fin des années 90. La France ne peut pas dévaluer. Il n’y a aura pas de reprise mondiale forte avant un bon moment.
D’autre part, dans chacun de ces pays, un consensus a été créé en faveur des réformes, avec un fort support bi-partisan, notamment d’une partie des travaillistes. Ils n’ont pas cherché à tergiverser comme le malfaisant Hollande, divisant gravement le pays, parfois de façon insultante, pendant deux ans et demi et se déclarant in fine, contre une fraction notable de son parti et ceux de sa coalition, « social démocrate » et partisan de la théorie de l’offre, tout en rejetant sur l’entreprise, à qui on ferait « d’énormes cadeaux » , la responsabilité de la sortie de crise pour se refaire une virginité électorale en vue des prochaines présidentielles.
Alors que faire ? Bien sûr, toutes les mesures préconisées par Xavier Fontanet qui ajoute son livre aux 177 autres que nous avons recensés depuis 1976 qui disent exactement la même chose, sont parfaitement justifiées.
Oui il faut un grand consensus national en faveur d’une société des « devoirs de » et non plus des « droits à » ! Oui il faut « dégraisser le mammouth » ! Oui il faut casser le désir tentaculaire de l’Etat de prendre beaucoup à tous et presque tout à quelques uns pour s’occuper de tout et plutôt mal ! Oui il faut une France d’entrepreneurs !
Cent fois oui !
Mais comment ?
Dans un affrontement droite-gauche s’appuyant sur l’effondrement du socialisme français ? Avec des grèves insensées comme celles de 97 ? Des mouvements de scolaires excités ? Une surenchère lepéniste ? Des guerres extérieures ?
C’est, si on comprend bien, la perspective sarkosiste. Permettre de reconstituer un mouvement de masse le plus large possible pour lancer une rupture véritable et passer dans un nouvel état de la société française fondée sur la responsabilité individuelle et l’abandon du non travail subventionné. Les approches trop sages de Juppé et Fillon sont en effet incapables de créer le mouvement de fond capable de porter une pareille révolution. Travail d’image pour l’un, de fond pour l’autre, avant un débat militant puis une campagne électorale nationale sont insuffisants pour créer le mouvement indispensable.
Sarkozy a-t-il l’élévation et la capacité de rassemblement nécessaire ? Peut-on rassembler la partie pragmatique de la gauche, alors que Hollande est en train de gâcher totalement cette perspective ?
La question n’est plus aujourd’hui de savoir ce qu’il faut faire.
On doit repenser le système monétaire international. On voit que la dernière réunion du G.20 sombre à nouveau dans l’insignifiance des grandes annonces et des réformes microbiques.
On doit repenser l’Europe des Etats minuscules paralysant les grandes Etats. La nouvelle composition de la Commission Européenne est l’exemple même d’une caricature d’Europe. Si l’Europe doit être la dissolution des grands Etats dans un regroupement de 100 régions, elle est morte. L’affaire Ecossaise a montré la résilience des grandes nations. Mais elle a lancé un cycle de revendications régionalistes particulièrement néfastes. Le drame Ukrainien montre une Europe sans dents. L’idée américaine portée par Jean Monnet d’une Europe éparpillée façon puzzle, sans grands états, mais divisée en une poussière de micro régions courant d’air, fédérée dans une union Européenne faible et sans influence, sous protectorat militaire américain, est désormais « à portée de main ». Est-ce bien cela que nous voulons ?
On doit aussi repenser la France. Et là, toutes les réflexions de Xavier Fontanet, redites parfaitement présentées d’idées mille fois exprimées, ont leur pertinence.
La grande question est : COMMENT !
Didier Dufau pour le Cercle des Economistes E-toile.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
C'est en effet LA question.
Si le bons sens n'est pas entendu en France, où plutôt s'il est entendu par beaucoup mais pas suivi d'effets, il est fort plausible que ce soit parce que - sous une façade démocratique de plus en plus ténue - l'accès à la fonction décisionnaire est verrouillé par une caste dont les intérêts exigent que le bons sens ne soit pas appliqué.
Dès lors, la question "comment" admet une réponse simple : faire sauter le verrou.
COMMENT ?
Mais, en dernière analyse, il n'y a aucune difficulté pratique : ils sont quelques centaines ; nous sommes des dizaines de millions.
A vrai dire, la question angoissante est de leur côté : comment faire pour que le verrou ne saute pas ?
Ce qui doit arriver arrive.
Josse Roussel: "Misère de la finance" chez L'Harmattan (2014).
Les démonstrations de l'auteur sont un peu justes. Il rate le phénomène majeur : le retournement de la courbe de l'endettement global ; Il minimise l'importance de la part des Etats dans le PIB. Du coup il ne voit pas l'essentiel. En un mot : une analyse un peu trop micro-économique. Mais d'utiles développements qui méritent d'être mus.