Réformer le droit de grève en France

En démocratie, la grève est un droit dont la modulation est un exercice ouvert puisqu’Il n'y a pas de droit sans limite.

Ces limites concernent les motifs de grèves, les modalités de la grève et l'indemnisation des conséquences pour des tiers non concernés.

Que dans le cadre d'une entreprise privée, on permette une action collective basée sur la suspension du travail n'a rien de choquant. Ce droit de coalition existe depuis des décennies en France (1 864) et son fondement n'a pas à être justifié. Depuis que les économies sont ouvertes, ce droit a du mal à s'exercer dans les entreprises privées. La grève signifie, dans la compétition mondiale, la mort de l'entreprise quand elle est chargée, comme en France, d'une part très supérieure de la charge publique globale. Dans des PME, le cumul des droits individuels et collectifs de nuire à l'entreprise, s'ils sont mis en œuvre, n'aboutit pas à un renforcement du pouvoir de négociation des salariés mais à l'arrêt de l'exploitation. Le conflit ouvert ne peut plus s'ouvrir que sur une base individuelle (avec extorsion de fonds en utilisant les prud'hommes) ou, collectivement, en fin de vie de l'entreprise (en essayant d'arracher ce qui reste de richesses au moment de partir et en ruinant totalement l'entrepreneur).

Depuis les lois Auroux et les compléments Jospin, le droit de grève en PME ne s'exerce pratiquement pas, parce que l'entreprise est paradoxalement trop faible et le rapport de force trop en sa défaveur. Certains salariés cherchent à être protégés par un statut syndical mais l'aspect individuel domine. Provoquer la mort de l'entreprise n'est pas dans la tête des autres salariés.

En un mot, le fait d'avoir donné aux salariés des moyens de tuer leur entreprise, fragilisée dans le cadre de la mondialisation, a liquidé l'usage effectif du droit de grève dans tout un pan de l'industrie et du commerce.

Pour les grands groupes de tout temps privés, l'affaire est à peine différente. La direction est de plus en plus à l'étranger (merci l'ISF et la chasse aux patrons) et les délocalisations sont un risque prouvé. Là encore les conflits portent sur des filialisations avant vente ou des fermetures de site. Pas pour obtenir des avantages nouveaux dans le cadre de la vie courante de l'entreprise. Les très grands groupes font désormais l'essentiel de leurs bénéfices à l'étranger et ne craignent plus les grèves locales. On l'a vu avec les lois sur les 35 heures en fin de siècle dernier. On cède, on engrange quelques bénéfices d'opportunité, puis on vend. Les salariés sont passés directement des 35 heures au chômage. Céder puis partir, telle est désormais la règle des grands groupes. Ou imposer leurs règles.

La grève aujourd'hui est donc en France réservée aux monopoles publics, dont "la paix sociale" a été confiée au Parti Communiste à la Libération. L'énergie, le transport, la mécanique ainsi que le culturel, ont été laissés à la bonne grâce de la CGT, sous direction soviétique jusqu'en 1990. Il a fallu Jules Moch pour mater les grèves insurrectionnelles de 47. L'aspect purement politique de la grève, dans un contexte géopolitique gravissime, exigeait une réponse extrêmement ferme. L'industrie mécanique a quasiment disparu en France, du fait des exactions syndicales. Elle n'est plus qu'un souvenir, avec quelques PME survivantes, où le syndicalisme n'existe pratiquement plus. La Presse est en voie de disparition. La PQN parisienne a été tuée autant par les ouvriers du livre que par Internet. Elle ne survit que de la charité publique, du soutien conditionnel des banques et de l'argent de quelques milliardaires. Le "Culturel public" ne survit plus que par la menace permanente et dans une ambiance de chantage délétère. On ne peut plus parler de droit de grève mais d'actions qui visent à interdire toute remise en cause des régimes extravagants mis en place aux dépens des autres Français.

Après s'être essayée, en vain, à un retour à un syndicalisme à peu près normal, la CGT se voit menacée de marginalisation. Elle se lance aujourd'hui dans un combat qui n'a strictement aucun sens national ou syndical, puisque les secteurs où elle a du pouvoir ne sont pas concernés par les mesurettes de la loi El Khomry. Tout le monde a compris qu'il s'agit d'une opération électorale en vue des grandes élections syndicales imminentes et d'une intimidation visant non pas tant Hollande et le PS que les futurs réformateurs du pays. Pas un commentateur qui ne s'en donne à cœur joie dans les interviews des candidats à la primaire de la droite et du centre : "Le pays est à l'arrêt quand on propose des mesures minables qui ne changent rien ; imaginer ce qui va se passer lorsque vous allez proposer votre programme radical. Votre théorie des cent jours appuyée sur le légitimisme de l'élection volera en éclats. Ah ! Ah ! Ah !".

Une telle situation exige de redéfinir le droit de grève.

La négociation sociale et l'arme ultime de la grève sont absolument nécessaires. Mais les conditions d'exercice doivent être profondément revues.

Première règle : les droits collectif et individuel de nuire à l'entreprise impunément doivent être réformés en même temps. Ils forment un tout.

Seconde règle : la TPE, la PME, la grande entreprise peuvent ne pas avoir les mêmes règles.

Troisième règle : l'intervention de l'Etat doit être sur le cadre pas sur le détail du contenu des relations du travail. Le grain à moudre doit être laissé aux partenaires sociaux. Les actions globales d'inspiration électoraliste, sur le SMIC et le temps de travail ont été des catastrophes dont l'emploi et l'économie ne se remettent pas.

Quatrième règle : dans une économie entièrement ouverte, les conventions nationales et de branche sont en difficulté. Les conventions européennes et de branches européennes étant de facto impossibles, une solution "par le haut " est impossible. Il faut conserver une réglementation nationale et des accords de branches mais, qu'on le veuille ou non, les accords doivent pouvoir être modulés au sein de l'entreprise dans une certaine mesure par rapport à des règles nationales ou de branche. On n'a pas besoin d'une inversion des règles, mais de souplesses.

Cinquième règle : le juge ne doit avoir qu'un rôle exceptionnel et n'intervenir qu'en cas de violation manifeste des droits individuels et collectifs. Il faut lui enlever effectivement le droit de tuer une entreprise, soit en emprisonnant le patron sur des prétextes variés, soit en ruinant les finances de l'entreprise, soit en imposant des mesures impossibles (des milliers d'exemples de jugements imbéciles  existent). Il appartient au contrat individuel et à la convention collective éventuellement adaptée à l'entreprise, de fixer les règles.

Sixième règle : la grève est un conflit entre la direction de l'entreprise et son personnel. Toute motivation extérieure à ce cadre (grève politique, grève de solidarité, etc.) doit être interdite et engager la responsabilité des syndicats qui y appellent et des grévistes qui s'y livrent. La violence doit être interdite et le respect du droit au travail garanti.

Septième règle : la grève est interdite ou fortement contraintes dans le secteur de l'Administration et dans les monopoles publics confiés à des personnels à statuts en position de monopole. Le service public l'emporte sur le droit de coalition. Sinon on donne le pouvoir politique à des syndicats d'étrangler la République. Dans les secteurs d'importance stratégique, qui conditionnent le succès d'opérations d'ampleur nationale, les conditions de déclenchement et d'achèvement d'une grève doivent être extrêmement réglementées.

Huitième règle : l'occupation ou le blocage de bâtiments publics ou servant à l'exercice d'un service public est strictement interdite et la non application de la loi par l'exécutif ou les juges sanctionnée.

Il suffit d'analyser les règles au Royaume Uni, aux Etats-Unis, en Allemagne, au Japon, en Suisse, pour constater que ces principes y sont pratiquement tous appliqués, même si les formules sont un peu différentes à chaque fois.

Réformer le droit de grève en France n'est donc pas une fantaisie" fasciste" imposée par le grand capital ou autre diable convenu.

La situation française, liée d'abord aux conditions de la Libération qui ont imposé des accommodements ruineux avec les Communistes, puis aux délires soixante-huitards, puis aux étouffements socialistes sous Mauroy, Rocard et Jospin, est clairement anormale.

Un retour à ce qui est  la règle partout ou presque, dans les pays avec lesquels nous sommes en compétition économique totale, n'est pas une entreprise gratuite et secondaire. Elle ne débouchera sur aucune conséquence néfaste pour personne. Un abus n'est pas un droit. La suppression d'une anomalie n'est pas l'amputation d'une liberté.

Hollande et ses gouvernements n'étaient évidemment pas armés pour entreprendre les réformes nécessaires.

En revanche, il appartient à ceux qui ambitionnent de devenir Président et d'exercer de grands pouvoirs, lors du prochain quinquennat, d'avoir sur ces sujets une doctrine ferme, élaborée, exprimée, expliquée et si possible capable d'obtenir la compréhension du pays. La grande politique est de rendre possible ce qui est nécessaire. Cela suppose d'en exposer les principes dès maintenant et, s'agissant d'une condition fondamentale et préalable à toute action de redressement économique et social d'envergure, il faudra agir effectivement au plus près du succès électoral.

Malheureusement, c'est le grand silence dans les rangs des candidats.

Commentaire
stephane's Gravatar Le droit de grève est une monstrueuse déformation du terme droit.

Il ne peut y avoir de droits qu'individuels, ce sont les droits de l'homme.

Le "droit de grève" s'apparente au pouvoir, pour un individu, de ne pas respecter les termes d'un contrat (de travail) quand cela lui chante, sans aucune pénalité.

C'est une monstruosité, la violation d'un contrat librement consenti entre 2 adultes responsables doit être sévèrement punie.

Le droit de grève était défendu par les libéraux au 19 ième siècle quand il existait encore le livret ouvrier.
Aujourd'hui, il faut interdire le droit de grève qui est une Injustice flagrante.
# Posté par stephane | 04/07/16 10:39
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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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