Quelques livres à lire sur la crise et ses solutions

Alors que la France se trouve confrontée à une des pires périodes de son histoire récente, avec des risques sérieux de chaos politique, économique et social, tenter d’en éclairer les causes et les moyens d’y échapper devient un exercice indispensable.

L’affaire dure depuis longtemps. Notre Cercle y a consacré trois livres : L’étrange désastre, La Monnaie du diable et Sortir du désastre, et 1 070 articles depuis que notre blog a été créé. Il avertissait dès juin 2008 de l’arrivée d’une crise terrible, annoncée pour septembre 2008, alors que l’inconscience était générale. Ce sera la pire récession mondiale des 75 dernières années.

La littérature économique non partisane et non idéologique sur les causes de l’effritement de l’Occident, la perte de boussole de l’Europe et le déclassement français a été faible et peu relayée dans les grands médias, concentrés entre des mains soucieuses de complaire aux puissants qui détiennent les pouvoirs et de maintenir un optimisme propice à l’activité commerciale de ses annonceurs. Certains ont même forgé le terme excommunicateur de « décliniste », une sale engeance, qui ne pensait qu’à dénigrer pour d’obscures raisons une situation finalement pas si grave que cela.

L’analyse critique des effets d’erreurs répétés depuis 1971 ne pouvait être que le fait d’auteurs de mauvaise intention qui ne méritaient pas qu’on les considère. L’américanisme de principe, l’européisme de bonne volonté, la mondialisation heureuse, le socialisme soft, l’écologisme hard, et des formes nouvelles de sociétalisme malthusien se sont donné la main pour enclencher des processus délétères qui ont fini par détruire la base de la prospérité générale. L’opinion était chargée d’adhérer malgré les dégâts de plus en plus visibles.

Aujourd’hui la réalité ne laisse plus de place au doute : l’Occident sous conduite américaine et agressivement mondialiste a perdu de son lustre, probablement de façon définitive ; l’Union Européenne tourne au fiasco, avec un classement économique qui s’effondre ; la France est en plein déclassement et se trouve confrontée à une crise de régime particulièrement inquiétante, avec un risque de chaos à court terme si elle ne parvient pas à maîtriser une dette qui s’affole alors qu’il n’y a plus de majorité parlementaire.

Nous sommes particulièrement sensibles à cette situation, puisque le Cercle a été créé à la fin des années quatre-vingt-dix justement pour alerter sur les erreurs économiques commises depuis 1971 et leur persistance. L’effritement de l’Occident, l’erreur européiste et le déclassement français nous paraissaient incompris et nous voulions alerter notamment sur les risques supplémentaires courus par notre pays, en pleine dégringolade.

La littérature économique publiée a été largement à côté de la plaque, car le plus souvent, constitué d’ouvrages américains traduits qui ne reflétaient que le débat entre néolibéraux et keynésiens. Les Américains étant à la source de la catastrophe générale, avec la décision de sortir des règles de Bretton Woods en faisant défaut sur ses obligations, les efforts livresques ont été très idéologisés entre une gauche particulièrement radicale sombrant bientôt dans le Wokisme et les promoteurs d’un système mondial régulé par les marchés et les banques centrales. L’européisme, largement basé sur l’américanisme a conduit l’édition à se concentrer sur les conséquences de Maastricht et de l’Euro. La chute de l’URSS a provoqué un déplacement de l’idéalisme militant qui est resté néanmoins totalement anticapitaliste et violent. De « Thatcher la salope » et « Reagan le clown » à Mélenchon et au révolutionnarisme bolivarien décidé à créer une intifada nationale, le combat idéologique en France s’est totalement perdu dans la grossièreté et la sottise. Des mouvements comme Attac ou les Économistes Atterrés symbolisent cette déviance. Davos en fait le pendant.

Autant dire que le brouhaha intéressé qui sévit depuis 50 ans n’a pas permis au plus grand nombre, et aux hommes politiques, de prendre conscience de la nature calamiteuse des processus en cours et que les Français, consternés, découvrent qu’on marche sur la tête et qu’on risque très gros sans avoir jamais avoir reçu une information pertinente des grands médias et des gouvernements. Certains parlent de désinformation volontaire et une Commission parlementaire sera sans doute formée sur ce thème.

Depuis quelques années, l’édition commence à comprendre qu’il faut donner de l’audience à des analyses sérieuses permettant de changer les attitudes et les politiques.

Premier livre à prendre en considération : Le virage manqué, 1974-1984 : ces dix années où la France a décroché, de Michel Hau et Félix Torrès. 2020, Aux éditions Les belles lettres- Manitoba. Les auteurs ne sont pas des économistes mais des professeurs agrégés d’histoire. On trouve beaucoup d’erreurs d’analyse économique dans le livre, passé totalement inaperçu, qui a néanmoins un immense mérite : rappeler que tout ce que nous vivons dépend d’un grand virage qui a eu lieu dans les dix ans qui ont suivi la crise de 1973 et donner nombre de statistiques qui éclairent les évolutions délétères dont on ne parvient pas à sortir. Ils voient très bien que la perte de l’investissement productif de longue durée est au cœur des déclassements qui se sont produits. « De 1968 à 1973 la formation de capital fixe avait continué à progresser plus vite que la consommation des ménages (6.5 % par an contre 5,39 %). À partir de 1974 c’est l’inverse ». On retrouve ces éclairs de vérité un peu partout dans ce livre imposant et bien référencé. L’essentiel de la critique porte sur une analyse classique de l’impossibilité en France d’envisager des réformes de structures du fait de diverses imprégnations dirigistes, socialistes, démagogiques. Le livre s’attarde sur le fait que le « Welfare state » a été mis à charge de l’entreprise et que cette configuration lui a fait rater la mondialisation et a entraîné la désindustrialisation massive. Tout cela est juste et fait comprendre pourquoi tout finit aujourd’hui dans la stagnation économique et le déclassement avec une dette abyssale qui peut faire chuter ce qui reste de l’édifice.

André-Victor Robert (l’Artilleur), a proposé : La France au bord de l’abîme. Les chiffres officiels et les comparaisons internationales. Ce gros livre de 450 pages, s’est donné comme mission de faire des constats sur tous les sujets qui fâchent et de les agrémenter lorsqu’elles étaient disponibles de comparaisons avec les autres. Cet aspect documentaire est ce que livre propose de plus précieux. On accède très vite aux chiffres critiques et c’est une aide considérable pour celui qui veut se pencher sur les difficultés de l’emploi, de l’immigration, de l’éducation nationale, du budget et des impôts etc. Ces chiffres sont presque toujours déjà connus mais il est bien qu’ils soient rassemblés et facilement consultables. L’analyse est du type « tel est la solution de bon sens au vu des faits » et ne creuse pas toujours les causes et les modalités de changement avec beaucoup de profondeur. Affirmer qu’il faut des professeurs mieux formés, plus de discipline dans les classes et le développement du goût de l’effort chez les élèves ne surprendra personne. Pas plus qu’une régulation de l’immigration basée sur le refus des clandestins, des progrès dans l’assimilation tout en réduisant l’attractivité comparative de la France ne paraîtra une recommandation d’une exceptionnelle originalité. Le livre a ses propres options : on oublie complètement le rôle des changes flottants dans les récessions mais on est très dur contre l’euro.

Le livre offre donc une énumération de mesures souvent présentes dans le débat public mais dont la nécessité est argumentée avec le secours des chiffres.

Jacques de la Rosière ancien dirigeant de la banque de France et du FMI signe pour sa part un petit livre percutant chez Odile Jacob : Le déclin français est-il réversible ? Pas de fioritures ni de grandes phrases : quelques chiffres clefs ; quelques raisons majeures ; quelques solutions inévitables ! Il n’y a pas dans ce texte une seule chose que nous n’aurions pu écrire sur ce blog. La vraie force de cette fessée magistrale, c’est la radicalité de la mise en cause. « Ni la conscience collective ni les médias ne réalisent l’intensité du mal qui nous ronge ». « Nous ne sommes pas loin de frôler la propagande ». « Sur ce fond de démission intellectuelle notre pays décline dangereusement ». « Le déclin est de notre fait ». Évidemment ce spécialiste ne manque pas de rappeler le rôle essentiel des questions monétaires et financières dans les mécanismes qui conduisent à l’effondrement industriel et aux déficits extérieurs. Les inondations successives de crédit entraînent des tsunamis d’importations mais ne financent pas l’investissement. « La France a systématiquement favorisé et stimulé la demande intérieure par une politique de déficits budgétaires et de hausse du crédit. » Le résultat inévitable : « la dégradation de la balance des paiements ». Après avoir rappelé tous les chiffres critiques sur la gestion budgétaire insensée que nous menons depuis des lustres, il cite Eurostats : « le déficit de nos administrations est entièrement structurel », par accumulation « de mesures discrétionnaires et non de mauvaise conjoncture ». Du coup « la croissance est compromise ». C’est dans les services votés qu’il faut frapper. On voit que le projet Barnier ne présente aucune remise en cause de ce type. On préfère comme d’habitude augmenter les impôts. Et on ne veut pas toucher à ce qui est vraiment grave : par exemple les engagements liés aux retraites des fonctionnaires de l’État et autres catégories publiques qui dépassent… 1 600 milliards d’euros. Une autre analyse surprendra bien des observateurs : « le fait pour les banques centrales d’avoir maintenu les taux d’intérêt à zéro en termes réel a significativement creusé les inégalités sociales. » La fin des contraintes de Bretton Woods a fait disparaître les « cordes de rappel » selon la terminologie de l’auteur, disons plus simplement la crainte de la dévaluation et les avantages de la dévaluation. L’adaptation monétaire étant exclue depuis l’euro c’est toute l’économie qui doit s’affaisser pour revenir dans les clous. Et personne n’a le courage d’une telle politique. « La mauvaise gouvernance pouvait fleurir ». L’accident Macron a marqué le sommet du genre. Arrêtons ce résumé sur la question qui est en pleine actualité : « Nos dépenses publiques de 1 500 milliards d’euros doivent être réduites à 1 293 milliards d’euros ». Notons également l’explication de la médiocrité de nos hommes politiques par l’extension des politiques d’argent facile. N’importe quel bavard imbécile est capable de distribuer de l’argent à tout va.

La lecture ne serait-ce que de ces trois livres interdit d’affirmer qu’on ne sait pas ce qu’il faut faire et où sont les failles dans l’action publique. La crise institutionnelle créée artificiellement par Emmanuel macron, le Jupiter de l’argent magique et de l’illusion que tout s’arrangera avec l’argent des autres, complique la situation. On voit bien que le plan Barnier est purement fiscal et ne marque aucune rupture.

Le glissement vers le pire continue.

Mais les solutions existent. Que les Français s’en saisissent au lieu de cautionner les pires démagogies.

Didier Dufau pour le Cercle des Economistes e-toile.

Commentaire
Siem's Gravatar Il est sûr qu'on ne pourra contester que ce Cercle laboure depuis des années toutes les dimensions de la crise qui vient d'éclater au grand jour. Ce qui m'étonne, c'est la surprise, le découverte soudaine, l'ahurissement incrédule de nos politiques et de nos médias. 100 milliards de déficits ont été dissimulés avant les élections européennes. Mais Emmanuel Macron n'a été challengé sur sa politique dans aucun lieu médiatique. Il n'a lamais eu à répondre de la moindre objection à sa politique. Le seul débat a été avec Mme le Pen, dont la parole avait été consciencieusement annulée par une nazification médiatique totale.

En 7 ans ce pseudo Jupiter n'a jamais eu à répondre de ses options. Au contraire une information "construite" comme on dit ici, a laissé entendre que c'était un sans faute, que tout allait très bien, que l'alarmisme était populiste, etc. Les Français ont eu sous les yeux une réalité saumâtre et dans les oreilles une réalité virtuelle.

Vous citez M. de la Rosière. C'est le seul qui évoque les questions monétaires l'organisation monétaire européenne ainsi que les changes flottants. Mais son livre reste concentré surl'Europe et la France.

Aucun des livres cités ne fait le lien entre la prise de pouvoir des hauts fonctionnaires sur les instances politique, alors que vous expliquez ici que "l'énarchie compassionnelle" a une responsabilité majeure dans la situation dégradée que l'on constate. Vous ne citez pas Charles Gave qui sur ce point vous rejoint complètement.( La vérité vous rendra libre, Paris, Éditions Pierre de Taillac, 2023 ).

Votre blog va plus loin dans l'analyse de nos difficultés que les livres cités et avec une constance digne d'éloges.
# Posté par Siem | 16/10/24 00:36
DD's Gravatar Merci de ce commentaire. Il est vrai que depuis 1997 nous intervenons dans le débat public pour faire remonter à la surface des non-dits et traiter de questions qui ne figurent pas dans le débat médiatique. La culture de l'observation et de l'analyse centrée sur les faits s'est envolée depuis le grand tournant de 1973 et la première grande récession d'après guerre.

L'autre grand tournant qui s'est produit autour de 1992-93, après la seconde récession majeure mondiale, la chute de l'URSS et le tournant écologiste de l'ONU a produit une conséquence imprévue en France : la montée de la désinformation ou de l'information construite portée par une secte dominante issue de la prise du pouvoir du politique par la haute fonction publique, et l'abandon des politiques nationales converties à l'arrosage permanent de droits-à et d'argent public, aux contraintes aggravées dans tous les domaines, la fiscalité sans limite et les joies de la dette sur fond de non travail.

Cette évolution a conduit à l'irresponsabilité et surtout au mensonge organisé. Emmanuel Macron est à la fois l'enfant et l'accélérateur de cet enfoncement dans le n'importe quoi d'un pays qui a renoncé à être lui-même, à avoir une politique et une identité, à éventuellement se singulariser, à faire coexister faux dilettantisme et vrai performance, pour simplement se laisser porter par les vagues internationalistes, tout en refusant de résister à des attaques nationalistes, culturelles et cultuelles. Tout cela a produit une classe politique d'une médiocrité insigne.

Aujourd'hui les manipulations insensées d'Emmanuel Macron révèlent au plus grand nombre l'omniprésence du mensonge, la trahison de l'INSEE et de l'INED qui ont abandoné leur mission d'information, les manigances de Bercy qui a imposé un langage frelaté et trompeur, son incapacité de contrer les manœuvres allemandes contre la France, de réduire le poids des Etats-unis, de la Chine et de la Russie au grand jour ou en sous main, de s'opposer à la tentative musulmane d'imposer par le nombre la charia et le rattachement à l'Oumma de populations musulmanes importées, de dénoncer et corriger le fonctionnement délirant de la machine bruxelloise.

Les années 2000 ont été un calvaire pour la France qui sort exsangue d'une nouvelle récession mondiale d'importance exceptionnelle, doublée d'une récession propre à la zone Euro, deux ans plus tard, d'une nouvelle phase de gestion socialiste délirante basée sur la dette et l'arrosage, sur fond de malthusianisme, d'abandon des frontières, de la sécurité, des naissances et du travail.

Dans notre livre Sortir du Désastre certains se sont étonnés de la place prise par la critique de l'attitude d'Emmanuel Macron. Nous pensions critique qu'il ne soit pas réélu car cela risquait de se terminer mal. On voit où nous en sommes. De sa faute ! Également, quelques uns se sont déclarés surpris par l'importance des remises en cause et la radicalité des pistes possibles. Nous ne disions pas qu'il fallait toutes les explorer mais au moins porter un diagnostic et trancher.

On voit aujourd'hui l'énormité des conséquences de l'inaction : tiers-mondisation, mexicanisation, dénatalité, effondrement des services publics, désindustrialisation renforcée, etc.

Le plan grotesque proposé par Michel Barnier va encore aggraver les choses tout en laissant croire qu'on pourra tenir cinq minutes de plus.

Le dérisoire en politique signifie toujours des catastrophes aggravées à venir.
# Posté par DD | 16/10/24 09:59
PRA's Gravatar Bonjour et merci pour vos analyses régulières.
Le budget Barnier ressemble à un budget pour les générations à la retraite. On se croirait bloqué dans les années 80 avec un monde encore fermé, une industrie présente, etc….
L’association du socialisme et transfert de dettes aux générations suivantes précède la régression tribale et dislocation de la société.
Le tout sur fond d’Europe en chute libre incapable d’imaginer une minute que plus personne ne l'écoute et n’a peur d’elle. J’ai l’impression de voir le dénouement finale de la seconde guerre mondiale. La France est maintenant vraiment en danger, noyée dans une espèce d’indifférence ou léthargie, imaginant un immobilisme salvateur, du genre les Allemands vont payés. Les générations futures de dirigeants des Brics ne seront peut-être plus du tout enclins à tolérer nos salades sur ce qu’il convient de faire ou non, tout en nous fournissant plus ou moins gratuitement ce que nous ne produisons plus. Nous avons alors un très gros problème !
# Posté par PRA | 16/10/24 13:04
DD's Gravatar Les Brics vont se réunir à Kazan. On va voir ce qui en sort. A noter : E. Macron a sottement tenté de faire partie des Brics ! Et la porte lui a été fermée au visage sans ménagement.Une de ses innombrables erreurs diplomatiques.
Cela dit les Brics sont formés de pays ou gravement déficitaires ou gravement excédentaires ce qui augure mal d'une organisation monétaire quelconque. Ils sont surtout mobilisés contre le dollar. L'Iran et l'Arabie saoudite, la Russie et l'Inde , la Chine et l'Argentine, tout cela est totalement incompatible.
L'UE négocie le traité Mercosur donc pas d'ennuis du côté de l'Amérique du sud. L'Allemagne défend les intérêts de la Chine. L'Inde ne nous veut pas trop de mal.
L'Europe est surtout sous pression de la Russie.
La France : tout le monde s'en fiche.
A suivre.
# Posté par DD | 16/10/24 18:38
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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