L'étrange malédiction de Valéry Giscard d'Estaing

L'élection présidentielle au suffrage universel, voulu par De Gaulle et votée par les Français met sur le pavois des personnalités dont la psychologie et la compétence deviennent cruciales pour le pays. De Gaulle était un pragmatique capable de faire table rase et de construire une pensée longue et coordonnée, source d'une action réfléchie poursuivie dans la durée. L'inspiration de base était que la France n'était pas tout à fait rien et qu'il fallait la maintenir au plus haut de son influence possible. Il a défini un cadre institutionnel qui dure encore près de 50 ans après sa mort, et les grands axes de sa politique étrangère restent sous-jacents même s'ils s'estompent peu à peu. Son déficit personnel tient à son étatisme militant. Il a largement préparé l'émergence de l'Enarchie. Mais elle n'était pas compassionnelle. Il faudra l'arrivée de Pompidou pour infléchir l'orientation générale vers une plus grande importance de l'économie privée.

Après ces deux premiers présidents, la quasi-totalité des élus au poste présidentiel seront des habiles manœuvriers politiques et des ambitieux narcissiques tout heureux de se retrouver sur le pavois.

Valéry Giscard d'Estaing a été le premier de la liste des politiciens madrés et blanchis sous le harnais qui ont réussi à obtenir leur Graal personnel. Sa longévité politique est tout à fait étonnante. Il porte le chapeau d'Edgard Faure dès les années cinquante et se retrouve en 2015 (65 ans après, tout de même) à donner des conseils écoutés pour l'avenir de l'Europe. À part la Reine d'Angleterre, qui a d'autres soutiens institutionnels, personne n'a fait mieux. Il s'agit bien d'un phénomène politique. Il est malheureusement affecté d'une malédiction étrange. Tout ce que ce président a signé s'est retourné au point qu'il en est venu à dénoncer lui-même toutes les conséquences perverses des décisions qu'il a prises.

Il a voulu adopter la législation du pays à ce qu'il voyait comme l'évolution des mœurs et il a préparé la mort du mariage traditionnel, en mettant fin aux mesures qui freinaient l'adultère et en facilitant le divorce. À la fin de ce processus, il a regretté que le mariage ait perdu de sa fonction sociale fondamentale.

Il a signé les Accords de la Jamaïque qui actaient la fin des politiques de changes coordonnées et l'abandon des disciplines de balances commerciales et de paiements. Ces mesures ont été la base légale de la création d'une économie baudruche qui a fini par exploser. Aux grands regrets de VGE qui considère désormais que l'instabilité générale est dommageable à la prospérité.

Il a promu l'élection du Parlement européen au suffrage universel, donnant un vernis démocratique à la construction bureaucratique qu'était la CEE. Beaucoup d'observateurs avaient considéré que cette décision marquait le début d'un processus de dissolution de l'influence française perdue dans la masse des populations de petits pays. Gulliver a créé lui-même les liens qui l'ont enserré. VGE affirme maintenant que le Parlement a violé les règles et trahit l'Europe en abusant de son pouvoir pour imposer le président de le l'UE.

Il a mis fin à l'émigration de travail mais en mettant en marche le regroupement familial. Ce faisant il a imposé aux "commuters" qui faisaient l'essuie-glace entre le Maghreb et la France de s'installer. Un peu plus tard, il dénoncera "l'invasion" des immigrés.

Il a mis fin à la possibilité pour la Banque de France de financer directement l'Etat, rendant le seigneuriage aux banques et en privant l'Etat. Il regrette aujourd'hui que les règles de l'Europe basées sur le même principe empêchent de sortir certains états de la crise de la dette où ils sont enfermés.

Il a constamment voulu aller vers un couple Franco-Allemand, sorte de Directoire de l'Europe. À la fin l'Allemagne fait ce qu'elle veut et ne tient en rien compte de ce que veut la France. On a promu un Etat mis à l'index de l'Europe après les crimes atroces du nazisme, qui, depuis la réunification, mène une politique nationale contraire aux intérêts fondamentaux de l'Europe.

Il a milité pour l'Euro, annonçant partout qu'une monnaie unique était la seule possible et qu'il fallait en finir avec l'idée d'une monnaie commune. Il regrette aujourd'hui l'état économique lamentable de la zone.

Par un effet pervers étonnant tout ce qu'il a prôné est devenu pour lui un objet de douleur.

Les Français ont voté contre son projet de Constitution. VGE ne sera pas le Père fondateur de l'Europe fédérale, même si Sarkozy l'a fait voter par le Parlement dans une version identique sans le nom de Constitution, tout à fait abusif. Les résultats ne sont pas fameux. VGE s'en insurge. Trop de Commissaires, pas assez de subsidiarité, trop de pays, trop différents. Tout cela est exact.

La solution de VGE : Europe. On fond l'ensemble franco allemand en une seule entité. Les Français ne le veulent pas. Et VGE, quand il aura 120 ans, nous expliquera sans doute que cette nouvelle institution, comme les précédentes, s'est retournée contre l'intérêt national. L'ennui, c'est qu'il n'y aura plus de France !

Bien sûr on peut ricaner de certains travers de VGE. Une forme de fatuité, les déjeuners à l'Elysées avec les éboueurs, les dîners en ville dans le bas peuple, l'imitation ridicule de la communication à l'américaine, avec son épouse en pot de fleurs distingué lors des vœux, sa sortie grotesque après sa défaite aux présidentielles de 81, son afféterie à affirmer qu'il a couché avec Diana,

Il est sans doute plus juste de remarquer que par tempérament politique, VGE a cru qu'il pourrait enfourcher le politiquement correct sans avoir une vision propre et réfléchie des buts de son pouvoir. Il a cédé à l'esprit du temps parce qu'il y voyait sans doute un "progrès", facile à vendre politiquement, puisque cela était congruent avec l'idée qu'il se faisait de son image "jeune et moderne". La phrase qui lui a fait gagner son combat contre Mitterrand en 1974 (vous n'avez pas le monopole du cœur) est malheureusement la clé de son échec. Il aura prouvé que glisser sur la pente du politiquement correct avec le cœur en bandoulière était plutôt dangereux pour la nation et que la com' ait finalement contre-productive, même si elle est compassionnelle. S'exhiber à ski sur les pentes ensoleillées. de Courchevel ne l'a pas empêché de prendre une gamelle électorale. Le résultat aura été un septennat fiscal, où toutes les tendances qui sont à l'origine des difficultés actuelles ont été favorisées.

Malheureusement, tous les présidents suivants ont choisi plus ou moins la formule "giscard". Habileté manœuvrière et politiquement correct, nappés de fiscalité.

Mitterrand était, par nature, un ambitieux narcissique et, par vice, un pourrisseur. Ses deux mandats ont affaibli la France aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. Il a porté l'Etat fiscal à son plus haut et la France à son plus bas.

Chirac, que l'on déguisait en "fasciste" dans les années soixante-dix, s'est révélé un bel animal politique. Une fois au pouvoir il s’est lové dans une attitude de ni ni, qui revenait à laisser la France glisser sur la pente du déclin et du politiquement correct émollient.

Sarkozy défendra une attitude pro américaine presque aussi caricaturale que celle de Lecanuet, tout en sombrant dans l'électoralisme de bas étage et la soumission au politiquement correct. Lui aussi est un animal politique. Toute coïncidence avec l'intérêt national ne serait qu'une coïncidence. Il aura prouvé qu'en ne prenant de mesures qu'en vue de sa réélection, on pouvait la perdre. On attend toujours une vision construite de l'avenir du pays.

Hollande a copié Sarkozy en prétendant reprendre les habits de Mitterrand. Ici aussi, il ne s'agit que d'une aventure individuelle qui fait de lui un Lou Ravi de la fonction. Il ne la mérite pas mais il en jouit sans entraves. Le pays ? Quel pays ? L'élection, voilà le Graal et l'unique objet de mes pensées et actions. Il a simplement abaissé le débat au niveau le plus bas : les cadeaux aux peuples. "Maintenant je distribue ; c'est pas cher c'est l'Etat qui paie. Je les aurais à la "tchatche", tous ces c… qui voteront pour moi".

On se prépare à un nouvel affrontement entre Foutriquet et Bidochon, sur fond de manœuvres de communication, d'opérations images, de démagogie suintante et de politiquement correct majestueux, agrémenté de croche-pieds judiciaires ou autres.

Ne faudrait-il pas plutôt mettre fin à la parenthèse tragique ouverte avec l'élection de VGE. Plutôt que de mettre en cause le principe de l'élection présidentielle, ne faut-il pas promouvoir un homme et une équipe capable de reconstruire le pays sur des bases un peu sérieuses. Tout est à reconstruire :

- l'organisation internationale, notamment dans le domaine des monnaies, de la finance et du commerce international.

- l'organisation occidentale avec une réforme de l'Otan et des relations transatlantiques

- l'organisation européenne, qui doit cesser de desservir les nations.

- l'organisation de la zone euro qui doit sortir d'un système dépressionnaire structurel

- l'organisation publique de la France, avec la séparation du pouvoir politique et du pouvoir administratif.

Il faut désormais un président constructeur. Pas un ludion qui suit les courants d'opinion et s'incline devant les pressons des tiers en les exploitant à des fins insignifiantes de carriérisme personnel.

Le dernier à avoir eu les épaules assez larges pour cette entreprise est le Général de Gaulle. Il serait peut-être temps d'installer à la tête du pays autre chose qu'un petit malin narcissique.

Il faudra qu'il conjure la "malédiction de Giscard", qui a frappé tous ses successeurs : obtenir des résultats contraires à tout ce qu'on espérait, en se laissant couler au fil du politiquement correct et de la communication politicienne de bas étage, en envoyant la France au tapis.

Commentaire
DvD's Gravatar "Vous n'avez pas le monopole du coeur" a signé en France en 1974 la cassure de la croissance du revenu par habitant, l'envolée du chômage, du sous-emploi, de la pression fiscale et de l'endettement du contribuable, ainsi que l'accroissement des inégalités.

"Changer la vie", "Réduire la fracture sociale", "Faire la rupture", "Ré-enchanter le rêve français" auront poursuivi et accentué ces tendances désastreuses.

Ces pseudo grands hommes qui rêvaient d'une place dans l'histoire n'auront finalement été que des nains dérisoires, auréolés de résultats calamiteux et totalement contraires aux objectifs annoncés dans leurs slogans. Ils n'auront réussi qu'une seule chose de manière éclatante : démontrer que tout démagogue vit aux dépens de ceux qui l'écoute. Cette leçon vaut bien un fromage (de la République), sans doute. Le peuple, sonné et confus, n'a toujours pas juré, même un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus. De fait, les maîtres renards comptent bien rééditer l'exploit d'ici deux ans...

PS - je ne vous soupçonne pas de donner dans la parité à tout va et la théorie du genre, mais c'est Valéry Giscard d'Estaing, pas Valérie. ??
# Posté par DvD | 30/05/15 17:11
DD's Gravatar Amusant ! Il est vrai que ce Saint se fête le 1er avril.
# Posté par DD | 31/05/15 09:16
DD's Gravatar Il faut ajouter le "Collège unique" grande idée giscardienne qui a totalement foiré. "Je savais qu'elle [ma réforme] ne serait efficace que si... et si...". Naturellement rien n'a suivi et finalement VGE déplore le fait et encore plus la réforme par Mme Belkacem. Oui le réformisme giscardien a bien été marqué par la malédiction.
# Posté par DD | 20/06/15 14:30
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