Rentrée 2014 : les Français sidérés.

L’ambiance est un sentiment fugace. Il est nécessaire de le fixer avant qu’il ne s’évapore. Les historiens sont incapables de le reconstituer et quiconque a regardé une émission de télévision cherchant à faire revivre un moment du passé qu’il a vécu ne reconnait rien de ce qu’on lui présente.

Alors pour aider l’historien qui se penchera sur cette rentrée 2014, essayons de capter les effluves du sentiment général.

D’abord et avant tout, les Français qui viennent de recevoir leur décompte final d’impôt sur le revenu 2013 n’en croient pas leurs yeux. L’augmentation est terrible pour beaucoup d'entre eux. Déjà l’année dernière il avait fallu casser la tirelire pour payer et une révolte avait fini par se produire avec les "Bonnets Rouges". Cette année les tirelires cassées ont créé des plus values intégrées dans le revenu et  les Français découvrent que la tranche haute est à 45 + 15.5 de CSG soit 60.5%. Quand ils ne paient pas le surimpôt de 5%, ce qui porte le tout à 65.5% ! Comme ils ont  utilisé les premiers  40% pour payer l’accroissement massif des impôts votés en 2012, il ne leur reste plus rien de leur épargne ! Tout est parti en deux ans.  Beaucoup découvrent qu’il faut vendre leur immobilier. Ceux qui ont voyagé cet été l’ont constaté : partout des écriteaux « à vendre ».  L’immobilier de loisir est à l’encan.  Et quand il sera vendu, gare aux plus values et aux redressements d’ISF. L’épargne de précaution se vide à gros bouillon. Les mesures de 2013 permettent à l’Etat de la voler sans scrupules. Partout des familles partent à l'étranger, soucieuses de conserver un peu de leur avoir « pour finir » ou pour aider leurs enfants. On voit cette situation curieuse où des employeurs français qui faisaient travailler des Portugais se retrouvent au Portugal  pour fuir un pays malade de son hystérie fiscale et qui annonce de nouveaux prélèvements ciblés !

M. Hollande se retrouve avec 13% d’opinions positives. C'est tellement bas que personne ne parvient à y croire. Son ancienne compagne, traitée avec plus que de la désinvolture, de la goujaterie assumée, sort en librairie un témoignage qui ne fait pas du résidant de la rue du Faubourg Saint Honoré une figure bien honorable de notre Panthéon national. Quo non descendam ?

Ce « président » a tout raté et finalement ruiné un grand nombre de Français réduits au chômage de masse ou à des changements radicaux de conditions de vie pour aucun résultat national. La contradiction entre la jouissance manifeste  qu'il montre dans l’exercice de fonctions dont il se montre indigne et le mépris public pour sa personne et sa gestion, est une dimension charnelle de cette rentrée. Elle met en cause l’institution présidentielle elle-même. Si l’élection présidentielle est un simple cadeau fait à des ambitieux sans substance, elle devient peu pertinente. L’explosion du gouvernement Valls après quelques semaines de non-fonctionnement, traduit par des couacs, des pas de clerc, des silences gênés et des rodomontades, alors que la situation économique s’effondrait, a fait ressurgir les parfums délétères de la Quatrième république. Surtout qu'à peine nommé voilà déjà un nouveau membre du gouvernement, au demeurant parfaitement inconnu, renvoyé à la régularisation de ses fraudes fiscales...

L’impotence et la négligence hollandaises ont stimulé les ambitions présidentielles dans son camp comme dans les oppositions. Mais les Français découvrent qu’ils n’ont pas de leader du niveau suffisant.  Bayrou s’est tué en soutenant Hollande. Fillon s’est tué dans sa guerre avec Copé.  Sarkozy fatigue le pays avant même d’avoir officialisé son retour politique. Les autres sont un peu jeunes. Alors le ton est au soutien de M. Juppé, dont on juge que les condamnations pénales anciennes étaient  subrogatoires, la morgue, un pêché de jeunesse et le socialisme larvé, sans grande importance, compte tenu de ce qu’on vient de vivre. Malheureusement il n’a aucun programme et, hélas, aucune plénitude de vue. Une relance de l’énarchie compassionnelle, sans la compassion, et le souvenir des plus grandes grèves que la France ait jamais connues depuis un demi-siècle s’ajouteront à l’absence totale de plan d’action  pour dissiper l’illusion Juppé. En attendant M. Juppé vit son heure de délice, un moment rare pour « Amstrad »qui en jouit intensément. Allons, tant mieux !

Une impression de vide politique s’est créée qui n’est pas gommée par les palinodies de M. Valls, chargé de tenir l’estrade par tout moyen et de priver la droite d’arguments en lui prenant sa rhétorique. Entendre chaque ministre tenir un propos symbolique de la droite la plus caricaturale sur l’immigration, l’aide aux chômeurs, les 35 heures, en même temps qu’on recrute un jeune normalien, aimant la finance  et un temps courtisé par N. Sarkozy, pour gommer des slogans (« je n’aime pas les riches" ;"mon ennemi c’est la finance") signent l'abaissement de la France dans la manœuvre politicienne de bas étage. Les Français le ressentent.  

Il est vrai que le bilan, malheureusement prévisible, de la politique imbécile suivie depuis deux ans et demi est tragique. Chômage en pleine explosion ; dettes incontrôlables ; faillites au plus haut historique ; déficits internes et externes incontrôlables ; construction en régression ; niveau de vie par personne en baisse. Ce n’est plus un bilan, c’est un avis de décès national. Surtout quand on se comporte en renégat satisfait sur tous les engagements internationaux qu’on a pris. Notamment vis-à-vis de l’Europe.

On sait bien que les penseurs politiques du gouvernement ont préparé quelque chose et que la contre offensive va avoir lieu, probablement avec de nouvelles annonces chocs. Après avoir provoqué la droite avec la promotion de Mme Belkacem, promenée comme un toutou par le chef du gouvernement et la maintien de Mme Taubira, qui catalyse de nombreux rejets, et la gauche avec les boniments sur le social libéralisme, il est probable que la présidence a concocté un plan pour éviter que le débat budgétaire ne tourne à nouveau à la révolte et noyer le poisson. Attendons un peu pour savoir ce que les "spin doctors" ont imaginé. Il est toujours plus facile de remonter quand on a touché le fond.

Parlons de l'Europe .

La comédie européenne se déroule sous les yeux de spectateurs taiseux mais faussement impavides. On a changé de femme au « ministère des affaires étrangères européennes » (sic). La sortante était décidemment trop moche. Alors on a casé une jeune blonde. De toute façon, elle n’a aucune importance, les gouvernements européens étant en désaccord à peu près sur tout et n’ayant aucunement la volonté de mettre en commun des moyens militaires conséquents. Les Pays-Bas ont même poussé le chic jusqu’à supprimer leur armée, se contentant de loger de minuscules unités dans celle des autres !  Un Président européen et surtout polonais remplace le rompu Rompuy. Il n’y avait pas grand-chose à remplacer. On est heureux que des postes soient pourvus mais personne ne sait pour quelle politique ont été choisies les nouvelles éminences. C’est toute la beauté de l’Union Européenne. On élit des députés sans programme. On nomme des dirigeants sans feuille de route.    En attendant, comme l’affiche en première page The Economist, l’Europe sombre.

Au niveau mondial on découvre que le prix Nobel de la Paix, Obama, a abandonné le terrain. Partout des puissances néocoloniales exercent leur pression sans pitié ni réserve. La Russie veut recoloniser l’Ukraine de l’Est, en attendant de reprendre l’Ukraine de l’Ouest. Les imbéciles croient que les Ukrainiens sont des Russes et quand ils ne le sont pas, de vils fascistes : 75 ans de propagande soviétique jamais contredite en France, cela  crée des habitudes. La Chine réprime violemment les révoltes au Tibet et dans ses marges. Elle rétablit totalement son emprise sur Hong Kong. Israël étend ses colonies. Pendant ce temps là la folie djihadiste embrase les pays musulmans avec une sauvagerie médiévale.

La gouvernance économique mondiale est au point mort.  La présidente du FMI est mise en examen.  Les causes de la crise et l’étude sereine des moyens d’en sortir, eux, n’ont toujours pas été mises à l’examen.  Chacun fait ce qui veut et ce n’est pas la réunion au « trou du fils de Jacques » (la trop symbolique ville de Jackson Hole) des gouverneurs de banque centrale qui aura fait progresser quoi que ce soit. Croire que les banques centrales peuvent résoudre, à elles seules, les difficultés  du moment, fait partie de ces erreurs récurrentes qui pourrissent l’esprit des économistes et des politiques. Les banques centrales sont comme les psychanalystes : elles ne peuvent guérir que les maladies qu’elles provoquent. Et encore, avec difficulté. La vérité est que le monde est en croissance très faible sans réelle reprise des  échanges internationaux ou de mouvements de capitaux raisonnables. La panique reste la règle. Jouer avec le feu n’est pas investir. Alors diminuer le taux d'intérêt de la BCE à quasi zéro (moins que l'inflation) sera sans doute un coup pour rien. Quand l'économie réelle est à 100 et les dettes à 400, le taux d'intérêt ne sert qu'à faire survivre les spéculations anciennes et à en nourrir de nouvelles. 

Reste la parole des économistes officiels. Comme toujours elle est indigente, et stimule l’indigence des notables.

Le CAE a voulu faire sensation avec un rapport apocalyptique sur la baisse de la productivité conduisant à une France définitivement en faillite. La productivité est un ratio. Si la croissance baisse et que le nombre d’habitants augmente, la productivité globale baisse nécessairement. La productivité globale n’est pas la somme des capacités potentielles de productivité. Ce n’est pas un agrégat, seulement un rapport. La vraie question est de comprendre pourquoi :

-          Le trend baisse régulièrement  à chaque décennie depuis 1971

-          Chaque crise périodique est plus forte

-          L’endettement  global qui baissait depuis 1944 a commencé à augmenter à partir de 1972 et a atteint des niveaux intenables.

Cela n'a strictement rien à voir avec la productivité potentielle.

Ces éminents économistes n’ayant jamais posé la question et n’ayant pas prévu la crise de 2007-20xx se contentent de gloser sur des apparences.

L’informatique a eu des effets sur la productivité absolument majeurs  Pour avoir chevaucher ce courant pendant 40 ans, je crois pouvoir l’affirmer avec des exemples particulièrement significatifs.

Plus généralement, jamais n’a-t-on vu à travers le monde autant de gens travailler à tant de nouveaux produits, et ouvrir autant de nouveaux marchés.

L’agriculture a connu des progrès de productivité absolument gigantesques. Il n’empêche qu’en Union Soviétique, on n’ a jamais pu nourrir la population. Ce n’était pas une question d’absence d’outils de productivité mais d’organisation défectueuse. Le potentiel de productivité est illimité et croire que cela va s’arrêter est absurde.  Croire que la productivité ne produit des gains qu’au profit d’une toute petite minorité est également absurde. Les beaux esprits imaginent que la richesse ne « cascadera » plus du haut vers le bas. Ils n’en donnent jamais la preuve. Ce sont de simples affirmations. Toutes les grandes crises ont stimulé ce genre de commentaires sans fondement.

L’Expansion recense les suggestions faites pour sortir de la crise française et les mauvaises idées. La lecture n’est pas consternante. Tout le monde a un peu raison, sauf quelques déraisons militantes. Mais personne ne sait comment appliquer ne serait-ce que le millième des mesures proposées. Personne ne parle de l’essentiel : la France ne peut pas s’en sortir seule et l’économie mondiale et européenne ne peuvent pas repartir sans réorganisations profondes.

M. Fillon a parfaitement raison : il faut bien baisser la dépense publique en reformatant l’Etat français, transférer sur la TVA les mesures de solidarité qui dépendent  de la nation  toute entière, rendre à la négociation dans les entreprises le temps de travail et les autres questions d’organisation sociale. La réduction du nombre des régions en soi n’apporte rien de convaincant, c’est vrai. Il faut bien éliminer un échelon. 

M. Peyrelevade veut réformer la Constitution pour éliminer certains blocages. Il a bien raison même si on pourrait lui suggérer d’autres articles à modifier que ceux qu’ils proposent. Il n’a pas tort d’affirmer qu’utiliser le CICE à augmenter les salaires n’améliorera pas la compétitivité ! 

Le PDG d’Air France explique qu’il faut desserrer le nœud coulant qui étrangle la vie sociale et qu’il faut réduire les dépenses sans casser la croissance. Les vérités premières pleuvent dans le rouge tablier.

Mme Verdier-Molinié veut geler toute embauche dans les trois administrations  et renoncer à fixer une durée minimale de travail. D’accord, mais est-ce que c’est réellement suffisant ?

A Rexecode on veut dynamiter le « mille feuilles » et supprimer le tiers payant. Certes. 

Au mouvement « Nous Citoyens » on veut supprimer le motif de licenciement et interdire les emplois dits d’avenir. Il est vrai que tous les licenciements sont devenus contentieux et que les "emplois d’avenir" n’en ont pas.

Pour le Nouveau Centre, il faut revenir aux 39 heures et ne pas faire confiance à la négociation entre partenaires sociaux.

Pour un certain Piette, il suffirait de renvoyer l’essentiel des règles sociales à la négociation entre les patrons et les syndicats, sauf un petit noyau dur d’ordre public.  Et il faut arrêter de surtaxer les riches.  

Pour un certain Tétreau, il faut se garder de faire des économies sans stratégie et réformer la formation professionnelle. Ouvrez à nouveau vos rouges tabliers.

Etc. Etc.

Si on veut bien se pencher sur les questions de fond, on arrive à un plan profondément différent.

-          Il faut revenir aux changes fixes et à l’obligation d’éviter les déficits et les excédents monstrueux.

-          A l’échelon européen, faute de pouvoir casser la zone euro sans aggraver la crise et ruiner tout le monde, il faut créer un poste de chancelier chargé de la coordination économique et monétaire, avec dans sa dépendance la BCE. Il faudra bien que la BCE finance les Etats en faillite et que le change externe soit géré.

-          En France il faut reformater radicalement l’Etat, réduire le champ des gratuités, unifier, temporiser et conditionner les aides, cesser de piller le propriétaire, qu’il soit loueur immobilier ou actionnaire d’entreprise, surtout lorsqu’il est en difficulté,  et réduire les mille et une subventions qui arrosent le décor électoral.

Reformater l’Etat ne consiste pas seulement à réduire le budget militaire au point que les missions de défense ne peuvent plus être assurées pas plus que la présence de la France dans le monde.

Il faut tailler dans le vif aussi ailleurs, c'est-à-dire supprimer des missions actuellement financées sur fonds publics. Un exemple : supprimer les Frac ; interdire les subventions à des projets à l’étranger aux collectivités locales ; fusionner d’autorité des institutions ayant le même objet ; fusionner des subventions ayant des objets proches. Il y a 500 à 600 thèmes de ce genre à analyser. Tant qu’un candidat n’aura pas listé les missions trop coûteuses en l’Etat de nos finances, il ne se passera rien. D’autre part il faut empêcher les statuts qui interdisent toute reconfiguration de l’organisation de l’Etat. Le statut de fonctionnaire devrait être réservé aux fonctions de catégorie A. Tout le reste doit être contractualisé.

Dans la santé, la vraie question est celle du petit risque et du champ de la gratuité. La question de l’unification du système de retraite autour d’un système à point, avec départ général à 67 ans et un minimum d’années de cotisation est difficilement évitable. 

On voit bien qu’aux trois niveaux mondial, européen et national, ces réformes sont impossibles.

Les Etats-Unis ne veulent pas revenir aux changes fixes et imposer la fin des excédents et des déficits grotesques.

L’Europe se ridiculise et ne veut pas faire autre chose que semblant.

Le gouvernement Valls fait de la politique en essayant de priver l’opposition de programme. Mais la gabegie continue dans le détail. Celle du jour : on aidera aux études supérieures même les mauvais élèves. La condition de mérite est supprimée. Les palinodies politiciennes continueront jusqu’aux prochaines élections présidentielles en dépit du désastre général constaté, sans aucune vraie réforme sinon d’apparence.

Le citoyen aura l’impression justifiée que ceux qui font de la politique ne veulent qu’assurer leur petit avenir personnel en manipulant l’opinion. Son mépris ne fera que grandir à proportion de la diminution de son avoir.

Actuellement à droite on espère en Juppé. A gauche dans le succès d’une politique de droite menée par Valls et quelques gros coups de bluffs lancés par Hollande à la mi septembre. C'est-à-dire qu’on se cache une dernière fois derrière son doigt.

Cette rentrée 2014 est sans doute le dernier instant où le Français aura cru que la France pouvait s’en sortir. La France dopée de l’après guerre qui s’était remise au travail et avait commencé à rattraper ses retards est désormais définitivement cassée. Il aura fallu quarante ans, ce qui prouve la résilience française.  

Le temps de la résignation au pire et du chagrin national s'installe insidieusement. On peut craindre que les nouvelles manœuvres qui vont se dévoiler dans quelques semaines ne modifient pas cet état d'âme dépressif.

Commentaire
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