Un Fonds Monétaire Européen, pour quoi faire ?

M. Macron ayant décidé de contrer les mauvais esprits qui contaminaient l’atmosphère par leur emphase antieuropéenne, notamment lors des précédentes élections européennes, a proposé une relance de l’Europe Fédérale basée sur trois nouvelles institutions : un ministre des finances européennes, un budget européen « très significatif » et un fonds monétaire européen. Mme Merkel a commenté :

- « Pourquoi pas ? Mais il faudrait tout de même que vous précisiez ce que vous entendez par ces trois mots ».

- « Ah bon ? » a répondu le positif et non grognon Emmanuel.

La pensée complexe s’accompagne si naturellement de concepts flous et de mots indéterminés qu’il n’était pas tellement illégitime d’avoir pensé que ceux-là pourraient prendre leur sens plus tard, « en marchant », du moment que le mouvement était lancé. Cette méthode est à l’œuvre à peu près dans tous les domaines en France depuis cinq mois, ce qui, certes, rend à peu près tout le monde hystérique, mais a au moins l’avantage d’animer les émissions de commentaires sur la TNT.

Malheureusement, dès qu’il s’agit d’aborder la question du FME, c’est un silence de plomb qui s’installe. Pas un mot dans la presse. Pas un commentaire sur Cnews ou I-telé ! La règle est de fer : les questions monétaires ennuient tout le monde. Les questions monétaires internationales n’intéressent pas la ménagère de moins de cinquante ans et font fuir le lectorat comme les téléspectateurs.

Déjà en juillet 1944, Roosevelt qui venait d’organiser les Accords de Bretton Woods et s’attendait à un raz de marée dans la presse (en perspective des élections présidentielles de novembre), avait dû en rabattre : décidément cela n’intéressait personne.

Il n’est pas mauvais de se remettre dans l’esprit des Accords qui ont créé le premier Fonds Monétaire, le FMI.

À cette époque Roosevelt et ses amis étaient bien décidés à casser les grandes puissances européennes, concurrentes des États-Unis, colonialistes, et malheureusement sujettes à des accès belliqueux malvenus qu’il s’agissait de faire cesser définitivement. Il a fallu toute la férocité intraitable de Winston Churchill pour éviter la suppression des accords d’Ottawa qui organisaient la préférence impériale, mais en contrepartie d’un désengagement planifié des Indes et des autres colonies. Il a fallu toute la hauteur d’un de Gaulle pour éviter l’Amgot. L’Italie et l’Allemagne seront dépecées, cette dernière échappant de peu à un destin pastoral contraint, ardemment désiré par Blumenthal et Harry White (les négociateurs de Bretton Woods).

Jean Monnet, dont le fait qu’il ait été un agent américain stipendié à cet effet est confirmé par les textes « déclassifiés », pensait l’Europe comme un conglomérat de régions et la Commission européenne comme un ferment de destruction progressive des Etats-nation, en attendant qu’une fédération européenne sans pouvoir et donc sous protectorat américain, les dissolve définitivement. La monnaie unique a été le levier le plus puissant d’une mise sous tutelle irrévocable des budgets nationaux.

La monnaie, ce n’est pas un thème très sexy pour la presse, mais c’est un vecteur politique capital.

On voit aujourd’hui où mène cette politique :

-          Une gestion de l’euro dépressionnaire consolidant l’Allemagne et ruinant les périphéries.

-          Une poussée des mouvements populistes et des réactions indignées qui poussent à la fois le Royaume-Uni vers la sortie et les micronationalismes vers la sécession.

Le Brexit et l’affaire catalane sont les effets décalés des pensées rooseveltiennes de la fin de la Guerre de Quarante.

Les citoyens européens soumis à des hommes politiques ayant perdu le sens de la nation et confrontés à des crises à nouveau très sévères ont subi les effets pervers de l’interdiction d’interdire généralisée en matière de circulation des personnes, des produits et des capitaux. Ils se replient soit sur leur ancienne gloire nationale soit sur un racisme régionaliste destiné à échapper à la pression « des autres », qu'elle soit démographique, fiscale ou économique.

La confusion est totale. Le FMI a perdu tout sens concret dès 1971 avec l’abandon des Accords de Bretton Woods. Il était là pour réguler les changes fixes et permettre des ajustements des balances extérieures sans récession. Nous vivons dans un monde de changes flottants et les déséquilibres de balances des paiements sont la règle. On sait qu’ils sont à l'origine de la Crise (que nous définissions comme la baisse tendancielle du trend, la montée de l’endettement et la violence des crises périodiques). En revanche les anciennes intentions américaines d’effondrement des nations européennes se concrétisent, à un moment où leur chef s'en moque un peu.

Que signifierait un fonds monétaire européen alors que les changes flottants ont fait perdre son rôle au Fonds Monétaire International et que la zone Euro est une zone de changes fixes où la dévaluation monétaire est devenue impossible ?

Oublions que Nicolas Sarkozy s’était vanté d’avoir créé un fonds monétaire européen, lors de la création du MEF (Mécanisme européen financier). À l’instar de Mme le Pen, la très grande majorité des hommes politiques ont du mal avec les questions monétaires.

Une première hypothèse est qu’on revienne aux changes fixes mais ajustables et que le nouveau FME remplace le FMI pour aider aux ajustements des balances extérieurs par des ajustements monétaires. Après tout le Système Monétaire Européen est basé sur deux conventions :

-          Toutes les monnaies nationales s’appellent l’Euro

-          Une convention de change fixe les lie entre elles.

En sous-jacent, c’est le système monétaire national qui persiste. Sortir de l’euro est juridiquement assez facile puisqu’il ne faut que supprimer ces deux conventions. Mais économiquement, les conséquences seraient durablement difficiles. On peut donc en conclure que ce n’est pas un FMI façon 1944 que l’on compte créer.

Une seconde possibilité est d’inventer un simple organisme de prêts, extension du MEF avec des attributions étendues. Ce serait alors plus une banque d’investissement, façon Banque Mondiale (ex Bird des accords de Bretton Woods), qu’un fonds monétaire selon l’acception classique. On a déjà la Berd.

Une troisième hypothèse est de faire de ce FME  l’administration du Trésor supra européenne, au service du nouveau Ministre des finances européen et responsable du budget européen. On peut penser que telle est l’idée de M. Macron. L’idée heurte de plein fouet le président de la Commission européenne qui veut que les institutions nouvelles abaissent un peu plus les États et augmentent son rôle de Président de l’Europe et plus seulement de la Commission.

Quand on y réfléchit le projet Macron n’est pas celui d’un Fonds Monétaire Européen. C’est plutôt un saut vers un fédéralisme budgétaire avec péréquation des financements entre pays riches et pauvres, mais dont les institutions ne seraient pas sous la coupe de Bruxelles. Ni Merkel ni la Commission n’en veulent.

Tout cela risque donc de tourner en eau de boudin, ce qui est malheureusement le destin de beaucoup des initiatives de M. Macron, à l’intérieur comme à l’extérieur, sachant que lors cette eau sèche, il ne reste plus que des impositions supplémentaires.

C’est d’autant plus dommage que faute de pouvoir sortir sans dangers de l’Euro, il faut changer radicalement la gouvernance de la zone Euro, si on n’en veut pas voir se prolonger le sous-développement de cette partie du monde, avec son cortège de dettes et de chômage.

Nous avons nous-mêmes proposé un Chancelier de la zone euro qui aurait pour mission de coordonner les politiques ayant un impact sur la valeur de l’euro, de représenter l’Union dans les instances monétaires internationales et de gérer au jour le jour les mécanismes d’urgence existant. La BCE, resterait indépendante mais comme aux États-Unis, serait obligée de tenir compte des orientations politiques d’un comité monétaire à dimension politique et plus seulement bancaire.

Ce Chancelier pourrait se voir confier la supervision d’un fonds monétaire européen construit sur la base de la proposition Keynes qui n’avait pas été retenue à Bretton Woods mais qui est parfaitement adaptée à un système de monnaie unique et de centralisation des balances en euros. Le but est de priver les pays en très gros excédents de la possibilité d’utiliser une partie de leurs réserves accumulées. Le recyclage de ces énormes excédents provoquent la montée de la dette, de la spéculation et des bulles, tout en permettant le rachat indu du capital des économies déficitaires. Le FME serait cette chambre de compensation chargée de réguler les balances internes et d’assurer que la croissance de la zone se fait de façon équilibrée. Nous avons donné un schéma de cette solution dans quatre articles (http://cee.e-toile.fr/index.cfm/2017/4/7/La-rforme-fondamentale-base-de-toute-diplomatie-de-la-prosprit et suivants).

Lorsqu’on annonce une réforme il faut en préciser l’esprit, l’objectif et le moyen.

Pour nous le seul esprit qui vaille a nom : coopération.

L’objectif est de mettre fin aux énormes excédents et à leurs pendants déficitaires au sein de la zone Euro

Le moyen est la stérilisation provisoire des gros excédents au sein d’un fonds de régulation que l’on peut appeler Fonds Monétaire Européen.

Il faut aussi imaginer un principe et une modalité qui puissent s’exporter. La réforme du FMI pourrait s’inspirer du nouveau FME. Après tout, la stérilisation des énormes excédents de la Chine et des pays pétroliers est également nécessaire.

Didier Dufau pour le Cercle des économistes e-toile.

Commentaire
david Durand's Gravatar Que vous êtes naïf, c'en est presque pathétique
Vous expliquer qu'un FME ne sera jamais accepté par l'Allemagne, OK ça montre que vous avez compris le mercantilisme allemand. En effet, ils ne veulent pas partager leurs excédents bien mérités par leur efforts et leur productivité et surtout par la connerie/naiveté de leur "partenaire" à accepter ce jeu de dupe que Gary Lineker ne saurait renier.
Mais encore et toujours vus nous sortez votre lubie du "chancelier de la zone euro", dont l'objectif est de priver à terme les allemands de leurs excédents bien mérités par leur efforts et leur productivité et surtout par la connerie/naiveté de leur "partenaire" à accepter ce jeu de dupe que Gary Lineker ne saurait renier...
Vous comprenez la vacuité de votre propositions ou pas ?
La seule solution s'appelle le BVSP càd le bon vieux sens paysan qui veut que quand on est couilloné, on dit je suis couilloné et donc je m'en vais. Cela s'appelle la politique càd l'art du choix. La relation dans un couple c'est le rapport de force. Quand vous direz aux allemands, salut les amis, vous avez un atout de négociation et là tout devient possible.
Point barre
NB : Vous me faites de + en + penser à mes anciens patrons sortis de l'X analysant parfaitement une situation mais se révélant incapable de penser pragmatiquement des solutions... par peur du risque et de l'inconnu
# Posté par david Durand | 13/10/17 23:21
DvD's Gravatar Merci à Monsieur Dufau pour une pensée claire et précise, comportant à la fois un diagnostic (les déséquilibres extérieurs et la duplication monétaire induite sont la cause première de la baisse du trend de croissance et de la montée de la dette) et une solution opérationnelle susceptible de mise en œuvre.

Une telle clarté sur le diagnostic et une possible solution manque terriblement dans le débat, qui reste de fait totalement stérile entre le « on reste par principe une zone monétaire dysfonctionnelle sans solution au problème » autour duquel Macron essaye maintenant quelques contorsions confuses et le « on se casse par principe de la zone monétaire dysfonctionnelle sans solution au problème » sur lequel Le Pen avait été jugée un peu courte lors du débat de 2ème tour.
# Posté par DvD | 14/10/17 11:36
Micromegas's Gravatar Entièrement d'accord avec DVD. Je confirme que cette clarté n'est pas récente. Près de 20 ans que je lis ses analyses...

"C'est d'abord parce qu'on a mis en place un mode d'organisation cohérent et bâti un système structurellement coopératif que la croissance mondiale a été possible après 1944" . J'ai toujours trouvé que cette phrase extraite de "l'étrange désastre" était la clé.

Dans un monde divisé entre états concurrents et s'étant ouverts les uns aux autres, l'organisation prime tout. Les marchés seuls ne peuvent rien.
# Posté par Micromegas | 14/10/17 12:33
Siem's Gravatar Ce qu'il me frappe, c'est qu'un peu de clarté dans les concepts met en difficulté ce qu'on appelle de façon curieuse "le couple franco allemand". Si les analyses de Didier Dufau sont exactes, ce que crois, alors l'Allemagne est le principal obstacle à une vraie solution. et l"exaltation de la relation franco allemande ne mène nulle part. Merkel et les dirigeants allemands ne voudront pas qu'on stérilise leurs excédents, sauf si Trump se fâche vraiment et fait jouer les règles de Bretton-Woods qui sont à l'abandon de leur fait depuis 1971, contre les excédents excessifs et si la commission fait également jouer la procédure pour excédents excessifs. Le double triple pression du FMi, des Etats-Unis et de la Commission forme le seul levier pour faire céder Berlin. Je me demande donc si Didier Dufau a raison de penser qu'il faut d'abord réformer en Europe et étendre ensuite au monde. Peut-être la meilleure technique serait de faire pression pour que la question des déséquilibres de balances extérieures soit effectivement posée à l'échelon mondial pour redescendre ensuite en position de force pour forcer les changements nécessaires en Eurozone.
# Posté par Siem | 16/10/17 13:23
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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