Economie du désespoir et désespoir de l'économie

Le désespoir est à la mode. Il est si facile de "vendre" de l'horreur économique et de la fin du monde. Les périodes de crises économique sont toujours, systématiquement, l'occasion de dégagements sur le thème : aujourd'hui c'est différent ; la prospérité, c'est fini. En général on force tous les traits pour stimuler l'émotion et cela se termine dans le "Vous vous rendez compte Madame Michu". L'avantage de faire chauffer l'émotion est d'éviter à faire l'effort de comprendre. Geindre est plus facile que savoir, sans parler de construire une action positive.

Pour avoir été Maître de conférences à Science-po de la crise de 73 à la crise de 93, il a fallu commenter des épisodes de ce genre à de multiples reprises. Pessimisme et découragement moral sont les deux mamelles aux quelles s'abreuvent ceux qui n'ont rien à dire et rien à proposer, mais qui veulent exister médiatiquement.

En 1973, Keynes était "mort". Il fallait un nouveau Keynes car toutes les règles du jeu économique avaient changé. Les mœurs n'étaient plus ce qu'ils étaient : la cupidité avaient remplacé les solides capacités entrepreneuriales. De toute façon, la terre serait épuisée dans les 20 ans et en l'an 2000 cela ferait bien longtemps que le pétrole aurait disparu de cette terre. La voiture avait traînée la croissance derrière elle. Maintenant tout le monde était équipé. On allait pas avoir deux voitures par ménages tout de même. L'acier, le charbon, le textiles, c'était fini. Quant aux nouvelles technologies, à cette époque l'informatique, le filon était épuisé. Tout ce qui devait être informatisé l'avait été. C'était un truc pour les comptables et cela allait signifier la mort des administratifs. La banque et l'assurance allaient licencier pratiquement tous ses effectifs (avec grèves majeures en France). L'agriculture était arrivée à la surproduction définitive.  La grande distribution allait tuer le petit commerce. La mécanisation et les robots signifiaient la mort définitive de l'emploi. Blablabla.

Le résultat : l'informatique s'est développée de façon gigantesque portée par le télétraitement, le temps réel et la mini informatique, puis la micro informatique. Des secteurs économiques entiers se sont créés ou ont été renouvelés. La croissance mondiale n'a jamais cessé et jamais le monde ne sera plus riche 20 ans après, à l'aube de la nouvelle crise périodique forte, même si le rythme de croissance avait baissé.

En revanche, personne n'a voulu voir que le changement de l'organisation monétaire mondiale provoquait des modifications dramatiques qui allaient peser sur la croissance et faire entrer l'économie dans un système d'économie baudruche déplorable. On exalte la sinistrose mais on n'étudie pas les erreurs d'organisation. Et on les aggrave. Accords de la Jamaïque dans le monde, énarchie compassionnelle fiscaliste en France, n'importe quoi en Europe, comme la mesure "essentialiste"  que sera l'élection d'un Parlement Européen, seront la conséquence. Ajouter les deux septennats de Mitterrand et la France quitte durablement toute perspective de croissance rapide.

En 1992, 93, la crise décennale grave est pire que celle de 1973 du fait des défauts accumulés du système monétaire international. A nouveau on ne fait aucune analyse des défauts du système mais on crie à l'Horreur économique, la Fin du travail, l'épuisement du pétrole et des ressources rares, la fin de la révolution micro informatique (tout a été exploité), la disparition de la "bagnole" et donc du moteur de la croissance, l'ouverture d'une ère de cupidité, etc.  Aucune analyse de la crise n'est offerte. L'accident de 1987 est mis sur le compte des ordinateurs et la crise de 92-93 sur la guerre en Irak. 

Résultats 20 ans plus tard, plusieurs centaines de millions de personnes trouveront un emploi, la pauvreté reculera massivement dans le monde, l'informatique personnelle communicante révolutionnera à peu près tout, l'enrichissement général se poursuivra, surtout dans les pays ruinés pendant des décennies par le "socialisme réalisé".

Mais c'est vrai : on ne répare aucun des défauts du système, qu'on n'analyse pas ; trop compliqué, trop dangereux, et on les aggrave créant dans le monde une économie globale baudruche, en France une économie étouffée par le secteur public, en Europe une économie étouffée par la préparation puis la création de la zone euro. Toutes les causes de danger sont présentées comme de formidables avancées, le triomphe de la "finance", le triomphe de l'idée européenne, le triomphe du socialisme à la française.

La crise commencée en 2007 et qui est, à nouveau, "la plus grave depuis 1929" fait aujourd'hui l'objet du même traitement. Un certain  Daniel Cohen, économiste officiel, passe ce matin même sur France Info pour expliquer, que l'emploi c'est fini, que la nouvelle économie concentre la richesse sans provoquer la création d'emplois, que la croissance dans les pays en cours de rattrapage est impossible car cela tuerait la terre. Et qu'on voit bien que la Chine et le Brésil sont en récession.  Dans le Temps un article fait la synthèse de tous les propos du même genre. La productivité ne mène plus à la croissance. Les riches captent désormais tout et leur extraterritorialité les rends insaisissables par le fisc. L'Europe est définitivement encalminée car l'Euro est une catastrophe à cause de Mme Merkel et de son juridisme étroit. Nous sommes dans un monde de cupidité.

On mélange à nouveau le conjoncturel et le structurel, le financier et le commercial, l'économique et le politique, la morale et l'action.

Tout cela fait broyer du noir et brasser de l'argent. Mais n'apporte strictement aucune perspective.

Il est strictement impossible de faire la moindre analyse utile si on ne distingue pas l'économie réelle et la couche de dettes qui est posée dessus et qui représente encore aujourd'hui en moyenne dans le monde près de 4 fois la valeur de l'économie réelle.

C'est parce qu'on a laissé se créer cette énorme couche de mousse monétaire et financière au dessus de l'économie de production que la plupart des méfaits constatés se sont produits et qu'on a tant de mal à sortir du trou. La première obligation des économistes est d'expliquer les mécanismes qui ont permis l'émergence de cette mousse parasite que nous appelons l'économie baudruche, et de définir les moyens de s'en délivrer. Des éminences comme Daniel Cohen ne fournissent AUCUNE piste de réflexion en ce sens. Au contraire, ils poussent au désespoir : si c'est la cupidité et internet qui sont les causes, il n'y a pas d'issue. Le péché de gourmandise dure depuis quelques milliers d'année, semble-t-il et on ne voit pas qu'internet soit en passe de disparaître.

De même on a créé, en Europe, une organisation de l'économie qui ne peut s'ajuster que par des déflations sinistres. Raisonnable ?

Quant à la France, elle a choisi un modèle de sous-développement fondé sur l'inactivité, le malthusianisme, le développement d'un secteur public gigantesque et sans productivité, tout en ruinant ses riches, chassés hors du pays, et en faisant crever ses entreprises sous les contraintes et les charges.

Ce n'est pas par des "analyses", marquées par la courte vue et le pessimisme,  portant sur l'économie réelle qu'il faut prendre la question du retour à la prospérité et à l'emploi du monde, de l'Europe et de la France. Il faut s'attaquer aux erreurs d'organisation qui ont progressivement étouffé l'économie mondiale.

Dans 20 ans, nous constaterons que toutes les analyses qui sont à la mode aujourd'hui se seront révélées aussi débiles que débilitantes. Comme les analyses post 73 paraissent aujourd'hui grotesques ; comme les analyses post 93 nous paraissent aujourd'hui sans fondement.

La croissance n'a pas de plafond ; les taux d'emplois n'ont pas de limite. On peut croitre sans tuer la terre. On peut employer tout le monde. Il n'y a dans le monde qui se développe tous les jours aucune raison absolue pour que cela ne soit pas le cas.

En revanche un pays qui comme la France chasse ses entrepreneurs et développe ses dépenses publiques au point qu'elles atteignent la contre valeur du PIB marchand non financier est mal parti.

En revanche une zone qui crée une monnaie unique sans organe de gouvernance ne peut pas espérer grand-chose.

En revanche un monde qui met en place un système de gonflement monétaire et financier sans limite portant le niveau de dettes à quatre fois le PIb n'est pas viable.

On n'a pas besoin d'une économie du désespoir. Il n'est pas nécessaire de désespérer de l'économie.

En revanche, certaines réformes et refondations sont absolument nécessaires.

Les économistes qui veulent faire de l'argent  en capitalisant sur le délétère et la sinistrose du genre Stiglitz, Cohen, Attali, etc. ad libitum, ont leurs raisons. On se permettra de préférer ceux qui s'attaquent à clarifier les mauvaises solutions et à élaborer les bonnes plutôt que de surfer sur des mauvais sentiments et de se concentrer sur des faux semblants qui ne mènent à rien.

 

Didier Dufau pour le Cercle des Economistes E-toile. 

Commentaire
DvD's Gravatar L'esprit de capitulation qui règne parmi les "élites" françaises est totalement pathétique.

Renoncer à la croissance pour une nouvelle morale de la frugalité est un luxe que seuls peuvent se permettre les titulaires de sinécures pour qui ça ne fait de toutes façons aucune différence. C'est un luxe que ne peuvent pas se permettre les 20 millions d'actifs productifs qui courent tous les jours un marathon économique avec le boulet de la dette à un pied et le boulet de la fiscalité à l'autre ; ni les jeunes qui poussent aux portes ; ni les chômeurs qui peuvent encore rebondir. Et quand bien même certains feraient le choix parfaitement respectable de cette morale, c'est un choix individuel dont Daniel Cohen n'a strictement aucune légitimité à se mêler, sauf pour ce qui le concerne. Avec le sous-emploi massif qui règne en France, la boule de neige de la dette qui s'emballe et les innombrables traitements catégoriels différenciés qui s'écharpent pour tirer la couverture à eux, renoncer à la croissance économique revient tout simplement à faire exploser le peu qui reste du contrat social et à entériner la faillite. Dans ces conditions, les exhortations à une nouvelle "éthique philosophique" seront totalement inaudibles.

Peuple français, ceux qui ont échoué te saluent. Et en plus ils t'expliquent que tu dois t'en contenter. De toutes façons, ils savent mieux que toi, ils sont normaliens. Il faut un sacré toupet, tout de même.

Il s'agit bien d'une "trahison des clercs".
# Posté par DvD | 10/09/15 09:31
Stéphane's Gravatar Bonjour,

C'est la première fois que je vois écrit noir sur blanc (en dehors des publications de l'école autrichienne d'économie) que la croissance n'a pas de plafond, et le taux d'emploi pas de limites.

C'est parfaitement vrai et cette évidence est souvent masquée par l'affirmation stupide (Greenspan, qui s'y connait en stupidité) :

"Les arbres ne montent pas au ciel"

Mais les marchés d'actions et la croissance économique ne sont pas des végétaux, ce sont des expressions du génie humain, et le génie humain, il est déjà allé sur la Lune, et il ira bientôt sur Mars !!

C'est quand même un peu plus haut que "le ciel"...
# Posté par Stéphane | 10/09/15 11:43
DvD's Gravatar L'idée que la croissance est finie en France est catégoriquement démentie par le constat quotidien des besoins qui restent insatisfaits.

Quelques exemples : il est très difficile de trouver un taxi à Paris (qu'est ce qu'on a pu rire en entendant toutes les personnalités ayant chauffeur et voiture de fonction à leur disposition expliquer aux consommateurs de services de taxi comment il convenait d'organiser ce marché... ) ; il faut souvent patienter des semaines pour qu'un plombier, maçon ou électricien trouve le temps de se déplacer pour une intervention ; il faut des mois pour obtenir un RDV chez un ophtalmologue ; etc.

Monsieur Cohen doit habiter dans un autre pays qui a atteint la satiété de tous les besoins. Ce n'est pas le cas de la France, très loin s'en faut.

D'après Wikipedia, Monsieur Cohen est professeur d'économie à l'Ecole Normale Supérieure (supérieure, vraiment ?). Confirmation que "on enseigne n'importe quoi".
# Posté par DvD | 11/09/15 14:27
Le blog du cercle des économistes e-toile

Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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