Une campagne pour les Européennes totalement décalée des enjeux
Comme d'habitudeCe qu’on appelle le Parlement européen a été créé pour donner une apparence démocratique aux ordonnances étudiées par la Commission et fixer dans l’imaginaire collectif l’esquisse d’une organisation fédérale. C’est, depuis le début, une institution bizarre dont le rôle, autre que symbolique, est quasi nul. À chaque traité européen nouveau on lui donne des pouvoirs nouveaux. À chaque extension de l’Union le nombre de députés enfle. On en est aujourd’hui à 751 ! Depuis le traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er décembre 2009, la PLO (procédure législative ordinaire) place le Parlement et le Conseil de l’UE sur un pied d’égalité comme co-législateurs, pour débattre de proposition dans de vastes domaines : la gouvernance économique, la liberté, la sécurité et la justice, l’énergie, les transports, l’environnement, la protection des consommateurs, la politique agricole commune (PAC), etc. Tout étant dans tout, cette gigantesque extension permet de toucher pratiquement à tout sauf à des questions explicitement exclues du champ communautaire. La « construction » européenne consiste à la « destruction » progressive de ces barrières pour permettre la toute-puissance des instances communautaires, selon la doctrine bien connue des « petits pas ».
Ce massif parlement est un théâtre d’ombres du fait de plusieurs dispositions critiques :
- La Commission a, et elle seule, le pouvoir d’initiative. Si un commissaire « ne veut pas », rien ne se passe. S’il veut, alors un processus se met en place. Toute étude est faite par la Commission, souvent pendant des années. Ce sont des centaines de textes de différentes ancienneté et dans tous les domaines permis qui doivent être avalisés par le Parlement. Le Parlement avalise quasiment à l'unanimité des grands regroupements les textes présentés. Le petit parlementaire noyé dans la masse ne peut, au mieux, qu’essayer de faire valoir une idée fixe et c’est tout. La procédure de vote est quasi mécanique, à la Chaplin. Il faut y avoir assisté pour le croire. Un défilé d’interventions hypercourtes suivies d’un vote et on passe à autre chose.
- Le parlement peut étudier des questions de son propre chef, mais sans pouvoir autre que délibératif. Mais comment influencer une assemblée de 751 personnes qui ne parlent pas la même langue et qui ne représentent pas les mêmes intérêts ? Là aussi c’est une infime coterie de personnes « autorisées et labellisées » par le politiquement correct européen qui régente.
- La codécision (une reprise de la Constitution rejetée par referendum) a eu pour but d’empêcher les Etats de jouer leur rôle. Ils ne peuvent pas empêcher la Commission de travailler sur n’importe quel sujet de son choix avec les modalités qu’elle souhaite. Une fois l’accord de la majorité fédéraliste du parlement obtenu, l’État ne peut plus rien faire sinon bloquer, façon chaise vide. Ce qu’il ne peut pas faire sur tout et indéfiniment. Il est totalement contourné. L’obligation faite aux parlements nationaux d’intégrer dans la loi nationale les ordonnances, sous le contrôle de la Cour de Justice européenne, fait que ceux-ci sont de fait totalement privés de pouvoir dans le champ de la PLO dont on a vu l’extension quasi infinie. Comme on l’a vu avec la question de l’immigration « sauvage », le blocage du projet par les pays de Visegrad leur a valu une série d’attaques ad hominem extrêmement violentes contre leurs dirigeants dévalorisés en chefs populiste. Quand on ne veut pas des législations bruxelloises, vous êtes un voyou et devez de plus supporter les vaticinations de certains chefs de gouvernements européens.
Toute la mécanique institutionnelle a donc pour objet de réduire le champ démocratique aux actions de quelques commissaires, qui ne peuvent intégrer la « coupole » que s’ils ont fait la preuve de leur conformité aux vœux du suzerain américain et des groupes apatrides qui se considèrent au-dessus des peuples. C’était devenu tellement évident et anti démocratique, qu’on a donné au Parlement le pouvoir de récuser les membres de la Commission au moment de leur nomination (par imitation du système américain) et même de la faire tomber, imitant les crises ministérielles. La caricature de démocratie est totale. On est dans la singerie. Le parlement par une sorte de coup d’État a voulu que la majorité élue au parlement donne le nom du président de la Commission. Mais ce sont les Etats qui tranchent. Ils sont simplement dans une situation encore plus difficile pour exercer leur pouvoir. De toute façon, les nommés seront « politiquement corrects et proeuropéens ». Il est à noter que dans son domaine propre, la Commission ne partage rien avec le Parlement et prend ses décisions en toute souveraineté, tout comme la BCE. Une oligarchie règne sans partage après avoir organisé un simulacre de contrôle démocratique.
Quelle campagne électorale peuvent mener les partis nationaux dans une telle pétaudière ?
La seule optique honnête serait de dire : nous ne savons pas de quoi nous allons débattre puisque les projets qui nous seront proposés sont à ce jour inconnus et que les partis nationaux n’ont exactement aucun rôle à jouer dans leur élaboration qui se fait à Bruxelles, au sein de la Commission, en fonction d’injonctions dont personne ne connaît la source (ouvrant la voie au soupçon de complotisme) ; nous n’aurons aucune influence sur le résultat des débats, puisqu’au mieux, nous serons une vingtaine de députés de notre parti, représentant 2 à 3 % des droits de votes au parlement, et encore si nous sommes tous d’accord dans notre groupe. Nous entrerons dans des groupements dont vous, électeurs, ne connaissez pas les contours et dont vous ne savez rien de leurs grandes options et qui, de toute façon, rechercheront l’unanimité dans la décision parce qu’ils sont quasiment exclusivement dirigés par des européistes convaincus. Les Français n’ont qu’un rôle dérisoire dans ces grands regroupements actuellement dominés par les Allemands, l’effectif le plus nombreux et dont la langue de travail est l’anglais. Aucun parti français ne peut détailler « son » bilan européen. D’ailleurs on ne discute jamais de ce qui a été fait et des ordonnances votées qui ne sont pas suivies par la presse nationale et qui ne viennent devant le grand public que lorsque leur mise en œuvre s’avère catastrophique. Alors les bons samaritains européistes montent au créneau pour dire que la décision a été prise il y a 10 ans à l’unanimité et que cela ne pose de problème à personne d’autre qu’un groupe national lamentable (chasseurs, producteurs de camembert, etc.) qui n’a rien compris à la beauté du processus constructif européen.
Au lieu de cela, comme on l’a vu lors de la première séance de débats télévisés, les 12 chefs de liste se sont positionnés comme s’ils étaient maîtres de l’ordre du jour et pouvaient proposer la politique exécutive de l’Europe. Ils n’en ont pas le moindre pouvoir. Les traités, ce sont les Etats, et pas le Parlement européen. La PLO, c’est la Commission. Affirmer ce que l’on veut et ce qu’on ne veut pas pour l’Europe dans ce cadre électoral-là n’a exactement aucun sens et n’aura aucune suite.
Les 25 candidats éligibles de la liste Macron ne peuvent en aucun cas « reprendre en main le destin de l’Europe » ni créer une « renaissance », ni faire une « Europe puissance industrielle ». Cela c’est l’affaire des traités et des chefs de gouvernements, si la Commission y consent. C’est l’affaire de Macron lui-même et on a vu que ses initiatives sont pratiquement toutes tombées à l’eau. Les parlementaires eux ne peuvent avoir aucune initiative.
On aura entendu les neuf candidats pros européens détailler leur idée de « l’autre Europe », celle qui serait belle, et les trois autres affirmer qu’il faut sortir de ce traquenard qui ne rime à rien. Une litanie de critiques, le plus souvent exactes et aucune solution praticable puisque ce n’est pas la mission du Parlement européen que de faire autre chose que d’avaliser des centaines de règlements européens plus abscons et souvent plus marginaux les uns que les autres. Entre la couleur de l’horodateur « européen » et la définition de la courge acceptable à la commercialisation, l’examen en commission ne réserve pas généralement de quoi s’exalter, surtout quand on sait qu’il n’y aura qu’un seul représentant du principal parti élu dans chacune des innombrables commissions du PE.
Il faut se mettre à la place du malheureux qui entre dans sa commission du parlement, tout seul comme un grand, pour examiner 200 textes par an, en anglais car on a supprimé le français, sur des sujets sur lesquels il n’a pas la moindre connaissance et alors que les décisions ont été prises à la tête des regroupements du PE en liaison avec la Commission Européenne. En plus il doit faire acte de présence pour avoir droit à son chèque.
Cette « mascarade démocratique » s’abaisse à un combat purement national et politicien pour avoir une photographie instantanée du rapport de force des partis au sein de la nation. Les chefs de partis envoient des sous-fifres dont tout le monde se moque. M. Macron attend une confirmation de son score des élections présidentielles avec un minimum de pertes (22 %, ce serait admirable) en poussant son slogan du second tour : moi ou les Le Pen (slogan admirablement porteur d'un avenir explicitement bon) ! Mme Le Pen a envoyé un gamin immense et tonitruant pour jouer son rôle de gueulard anti-Macron (20 %, ce serait admirable). Depuis que la droite a voulu s’appeler la droite, la voilà à 12 %. La gauche est pulvérisée.
Le « résultat » des Européennes, ce sera l'ordre d'arrivée des petits chevaux et lui seul. Ce qui se passera au PE sera ignoré pendant 5 ans et prestement sorti du débat national (et médiatique). Quelques heureux se seront ennuyés pendant 5 ans mais la rémunération est consistante. Comme tout le monde a bien le droit de toucher, on aura organisé une rotation pour que cela ne soit pas toujours les mêmes. Les évincés de la planque protesteront de leur travail invraisemblable à Bruxelles et Strasbourg, qui n’est pas reconnu à sa juste valeur. S’ils ne sont pas fonctionnaires, les voilà sur le sable à espérer quelques places municipales. Leurs cinq ans de sacrifice leur vaudront 1.320 Euros de retraite mensuelle, en plus de leurs autres droits, avec un régime fiscal de faveur.
L’abstention sera à 60 % ou pas loin, en dépit de tous ceux qui crieront que ces élections-ci sont « absolument critiques ».
Rien de tout cela n’a de sens. Les institutions sont hybrides et fonctionnent mal avec des résultats qui confinent au désastre. Il faut tout redéfinir, plutôt que de faire semblant comme actuellement. Ces élections sont un décor factice où se joue une mauvaise pièce.
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Clairement, ne pas voter ne sert pas à grand chose non plus. 57% d’abstentions lors des dernières élections européennes de 2014 n’a pas posé le moindre problème. Il me semble certain que 65% ou même 75% d’absentions n’aurait pas plus d’effet en 2019. Puisqu’il s’agit de toutes façons de faire semblant de jouer à la démocratie, on n’a pas besoin de mobiliser les foules.
Voter ne sert à rien ; ne pas voter ne sert à rien : Kafka serait fier de la belle structure institutionnelle européenne.
Alors que faire ?
Il me semble qu’on en arrive toujours à la même conclusion : quitter l’UE pour des pays plus démocratiques et plus prospères. Ça tombe bien, par une coïncidence qui n’en est bien sûr pas une, ce sont les mêmes.
Maxime Tandonnet ajoute dans le Figaro :
"Affirmer que le Parlement européen a peu de pouvoirs, en tout cas pas celui de régler un certain nombre de problèmes, revient à pourfendre un dogme fondamental de l’Union européenne. Le président Giscard d’Estaing, l’un de ses principaux «pères fondateurs», balaye ainsi la caution démocratique de sa propre créature. Non, constate-t-il avec franchise et lucidité, ce n’est pas le Parlement européen élu au suffrage universel qui décide, son rôle étant d’entériner des décisions prises ailleurs, notamment dans les bureaux de la Commission européenne. Mais alors, à quoi sert-il d’aller voter ?"
Il est tout de même assez drôle de voir une vérité que tout le monde essayait de maintenir sous le tapis étalé sur la devanture par celui là même qui a créé cette apparence de démocratie !
Giscard a le don de critiquer dans le grand âge toutes les bêtises qu'il a faite comme président de la République. Comme il en a fait beaucoup, il a de quoi occuper ses vieux jours.
Mais là, bravo ! Avouer l'inavouable, il fallait le faire alors qu'on est en plein cirque et que les acrobates voltigent sans filet dans les étranges lucarnes, devant les yeux consternés des quelques non abonnés à netflix qui croient encore à l'Europe et à la politique.